Greffe gingivale libre : hémostase et complications postopératoires - JPIO n° 4 du 01/11/2015
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 4 du 01/11/2015

 

Article

Aymeric COURVAL 1 / Yves REINGEWIRTZ 2  

1- Ancien interne en médecine bucco-dentaire DU de parodontologie clinique Faculté de chirurgie dentaire de Strasbourg
2- Ancien assistant hospitalo-universitaire Chargé d'enseignement au Service de parodontologie Faculté de chirurgie dentaire de Strasbourg

Résumé

Résumé

La greffe gingivale libre nécessite un site donneur. La muqueuse palatine est généralement choisie. Cette intervention présente un certain nombre de risques, source de stress pour le praticien, notamment hémorragiques peropératoires et postopératoires en rapport avec la riche vascularisation de la muqueuse palatine. Une connaissance anatomique du palais dur et de la distribution de l'artère palatine permet de réduire les risques de lésion vasculaire.

Une gestion appropriée des hémorragies consécutives au prélèvement palatin par une hémostase biologique et mécanique réduit les complications postopératoires.

Summary

ABSTRACT

The free gingival graft requires a donor site. The palatal mucosa is generally chosen. This procedure presents a number of risks causing stress for the practitioner, including peroperative and postoperative hemorrhaging associated with the rich vascularization of the palatal mucosa. An anatomical knowledge of the hard palate and the distribution of the palatine artery limits the risk of vascular lesions. The appropriate management of a consecutive bleeding after palatal harversting by mechanical and biological hemostasis reduces postoperative complications.

Key words

Free gingival graft, hemostasis, complications.

Introduction

La greffe gingivale libre est toujours une technique de choix en parodontologie. Elle est indiquée dans de nombreuses procédures appliquées à des zones dentées et édentées :

– en chirurgie plastique parodontale, pour renforcer les sites présentant une quantité insuffisante de gencive kératinisée ou afin de recouvrir les surfaces radiculaires ;

– en chirurgie préprothétique, pour augmenter la hauteur de gencive kératinisée (Camargo et al., 2001).

Toutefois, cette technique opératoire est difficile à réaliser et présente un certain nombre de risques, particulièrement au niveau du site donneur palatin.

Plusieurs complications ont été décrites comme la possibilité de douleurs importantes, une cicatrisation retardée ou une sensibilité perturbée (Griffin et al., 2006). Mais la complication la plus sérieuse est un accident hémorragique par suite d'une lésion de l'artère palatine ou de ses collatérales.

Une analyse détaillée et méticuleuse de l'anatomie du palais dur est cruciale en préopératoire afin de choisir la meilleure technique de prélèvement en regard des principales branches vasculaires et, ainsi, limiter les risques de complications (fig. 1 à 3).

Ensuite, des techniques hémostatiques préventives ou curatives ont été proposées. Les procédures d'hémostase peuvent être mécaniques et consistent en la mise en place de plaque palatine, de pansement chirurgical (Coe-Pack™) et de sutures. On décrit également des procédures d'hémostase biologiques avec des compresses hémostatiques (collagène, cellulose oxydée...) et l'utilisation de colle biologique.

Description du palais osseux

Le palais osseux est composé des deux os maxillaires réunis sur la face médiale au niveau de la suture palatine médiane et qui s'articulent sur leur bord postérieur avec la lame horizontale de l'os palatin. Le palais dur est délimité à l'extérieur par le processus alvéolaire creusé des alvéoles dentaires (Kamina, 2004).

Le palais osseux est perforé de nombreux orifices vasculaires et creusé, près de son bord externe, de sillons palatins qui prolongent en avant le foramen grand palatin. La suture palatine médiane se termine en avant par le foramen incisif.

Le foramen grand palatin présente une localisation stable : il se situe à 12 ou 13 mm de la crête tubérositaire maxillaire et 3 mm en avant du bord postérieur du palais dur (Dridi et al., 2008).

Description de la vascularisation palatine

Du foramen grand palatin émerge l'artère palatine descendante qui se divise en branches terminales de divers calibres (de 0,2 à 0,4 mm). Les branches artérielles sont toujours parallèles à l'axe de la crête alvéolaire. Les branches les plus volumineuses, protégées par l'os surplombant, sont toujours en contact avec l'os. L'artère palatine descendante est située à 12 mm de la jonction amélo-cémentaire (Dridi et al., 2008).

Les artères palatines descendantes assurent la totalité de la vascularisation palatine. En général, leur calibre moyen est de 0,6 à 0,8 mm (Gaudy, 2003). Chaque artère se divise en de nombreuses branches collatérales qui alimentent les parties latérales du palais. Les deux régions artérielles principales s'imbriquent l'une et l'autre vers l'avant jusqu'à la zone rétro-incisive.

L'artère palatine progresse dans la plupart des cas dans une petite rainure osseuse, le sillon palatin, qui lui assure une certaine protection, mais cette situation n'est pas systématique. Et ce sillon peut être absent ; cette situation est alors plus à risque. Malheureusement, il n'existe pas d'éléments cliniques fiables qui permettent de savoir avant l'intervention si l'artère est protégée ou non (Dridi et al., 2008).

L'innervation palatine du palais dur suit le trajet artériel. Elle est essentiellement composée du nerf grand palatin qui émerge avec l'artère palatine descendante du grand foramen palatin et qui se divise en plusieurs branches antérieures. Les nerfs naso-palatin et petit palatin assurent également une partie de l'innervation sensitive (Kamina et al., 2004).

Gestion de l'hémostase peropératoire

Hémostase biologique

Les complications postopératoires les plus fréquentes associées à la chirurgie plastique parodontale sont un saignement prolongé du site donneur, des douleurs (plus sévères au niveau du site donneur que du site receveur) et un retard de cicatrisation aussi bien pour le site donneur (cicatrisation par seconde intention) que pour le site receveur (Brasher et al., 1975).

Les cliniciens ont essayé de réduire ces complications postopératoires par l'utilisation d'agents hémostatiques topiques. Les chirurgiens oraux ont étudié l'utilisation de collagène fibrillaire synthétique, d'éponge collagénique résorbable et de cellulose oxydée régénérée. Ces produits ont montré leur efficacité pour contrôler les hémorragies ainsi que pour favoriser une régénération du tissu osseux (Olson et al., 1982 ; Finn et al., 1992).

Pollack et Bouwsma ont montré une activité antibactérienne de la cellulose oxydée régénérée, non spécifique et effective contre certains pathogènes parodontaux ; la dégradation du matériau en 7 à 10 jours produit des acides carboxyliques, réduisant le pH dans la zone, et montre des propriétés antibactériennes (Pollack et Bouwsma, 1992).

Plusieurs matériaux hémostatiques sont disponibles. Ils diffèrent par leurs propriétés physico-chimiques. On distingue notamment :

– l'Avitene™. C'est un agent hémostatique à base de collagène fibrillaire. Ce matériau est facilement manipulable, compactable et se présente sous forme de poudre. Après être entré en contact avec la zone hémorragique, l'Avitene™ attire les plaquettes qui adhèrent aux fibrilles tissulaires, provoquant l'agrégation plaquettaire ;

– le Surgicel®. Il s'agit de cellulose oxydée régénérée. Son coût est relativement moins élevé que celui de l'Avitene™. Il se présente sous forme de mèche, ce qui facilite sa manipulation et sa mise en place sur le site chirurgical. L'hémostase est obtenue par la formation d'un caillot artificiel d'acide cellulosique avec une attraction pour l'hémoglobine, mais le Surgicel® n'est pas impliqué directement dans les voies de la coagulation ;

– le Gelfoam®. C'est une éponge de gélatine résorbable, peu onéreuse, qui se présente sous forme déjà découpée, ce qui en facilite sa mise en place. Une fois dans la zone opératoire, le Gelfoam® induit la rupture des plaquettes et agit comme une trame pour les brins de fibrine (Finn et al., 1992) ;

– le Pangen®. C'est une compresse de collagène natif, résorbable, compresse qui garde son intégrité en milieux humide. Le Pangen® a un effet spécifique sur l'hémostase. Au contact des plaquettes, le collagène provoque leur agrégation, ce qui entraîne la formation d'un caillot de fibrine.

Rossmann et Rees ont comparé trois techniques d'hémostase : la cellulose oxydée régénérée (COR), une éponge de gélatine résorbable et une gaze stérile en compression pour contrôle, après prélèvement palatin (Rossmann et Rees 1999). Leurs résultats montrent que la durée médiane d'hémostase est significativement plus courte (entre 3 et 5 minutes) lorsqu'un agent hémostatique est placé au niveau de la plaie palatine. En revanche, ces auteurs n'observent pas de différence au niveau de la douleur entre les différents groupes. À 21 jours postopératoires, seul le groupe COR montre une cicatrisation complète par rapport au groupe éponge de gélatine qui montre une cicatrisation ralentie dans 40 % des sites. Au niveau des effets indésirables, des saignements pendant les 7 jours suivant la chirurgie ont été observés dans 40 % des cas pour les groupes COR et contrôle. Par ailleurs, le groupe éponge de gélatine n'a présenté aucun effet indésirable. On peut conclure à l'intérêt de l'utilisation d'agents hémostatiques dans la gestion des complications du type hémorragie.

Les extraits de plantes médicinales (EPM), comme l'Ankaferd Blood Stopper®, peuvent également présenter une activité hémostatique. Ce dernier est composé d'extraits de plantes suivantes : Alpinia officinarum, Vitis vinifera, Glyccyrrhiza glabra, Urtica dioica et Thymus vulgaris. Keceli et al. ont comparé des extraits de plantes médicales à une compresse de gaze humide pour réaliser l'hémostase et la cicatrisation initiale du site donneur palatin après une greffe gingivale libre (Keceli et al., 2015). Ils montrent que les sites traités par EPM présentent, d'une part, un temps de saignement plus court que les sites du groupe contrôle et, d'autre part, moins de saignement secondaire pendant 3 jours. Pendant 6 jours, les scores de douleur sont plus élevés dans le groupe contrôle.

Des adhésifs chimiques de tissu (N-butyl cyanoacrylate) ont aussi été utilisés comme pansements chirurgicaux du site donneur. Cette colle présente notamment les avantages suivants : application aisée, fonction hémostatique, réduction des douleurs postopératoires. De plus, elle n'induit pas le développement du tissu de granulation et elle accélère le processus de cicatrisation (Ochstein et al., 1969 ; Bhaskar et al., 1966 ; Farnoush, 1978).

L'Orabase® est un adhésif intra-oral qui peut être utilisé pour protéger le site donneur pendant quelques heures. Mais il ne procure pas de protection adéquate pendant une longue période car il se désagrège rapidement au contact de la salive (Baer et al., 1969).

Hémostase mécanique : dispositifs permettant de stabiliser le pansement chirurgical

Des techniques d'hémostase mécanique ont été mises au point en parodontologie il y a plusieurs années.

Des ligatures métalliques autour des dents adjacentes au site donneur ont été décrites pour permettre au pansement chirurgical de rester en place (Farnoush, 1978).

Le pansement chirurgical peut également être stabilisé par des sutures aux points de matelassier. Le premier point est placé en position mésiale et le second en position distale du site donneur de façon à placer une boucle sur le pansement chirurgical puis en interproximal des dents adjacentes (Farnoush, 1978).

Types de pansements chirurgicaux

Le Coe-Pack™ est composé de deux pâtes, l'une contenant de l'oxyde de zinc, une huile, une gomme, et du lorothidol et l'autre contenant un liquide composé d'huile de coco, d'une résine, de colophane et de chlorothymol.

Le Peripac® est une pâte de sulfate de calcium, d'oxyde de zinc et de sulfate de zinc avec une résine acrylique et un solvant de glycol.

Le Septopack® est pratiquement identique au Peripac®. Ni l'un ni l'autre ne contiennent d'agents antimicrobiens.

Le pansement à base d'oxyde de zinc-eugénol contient de l'oxyde de zinc (60 mg), de la résine (30 mg), de l'acétate de zinc (2 mg), de l'eugénol (80 ml) et de l'huile d'olive (20 ml) (formule de Kirkland modifiée) (O'Neil, 1975 ; Sachs et al., 1984).

Les pansements chirurgicaux sont indiqués pour couvrir et protéger la zone chirurgicale (gingivectomie, chirurgie parodontale, protection du site donneur ou de la zone greffée...).

Plaques de protection palatines

Afin de favoriser l'hémostase et la protection du site donneur palatin, une autre technique consiste à réaliser des plaques palatines thermo-moulées rigides. Elles favoriseront en outre la cicatrisation et limiteront les douleurs postopératoires (Martin et al., 1996). Deux techniques sont régulièrement utilisées avec ou sans crochets (fig. 4 à 6).

Une plaque de Hawley modifiée peut être utilisée pour stabiliser le pansement chirurgical en place. Il s'agit d'une plaque en résine acrylique avec des crochets (crochets Adam ou boule). La plaque est confectionnée avant l'intervention chirurgicale à partir d'un modèle en plâtre (Farnoush, 1978).

Des plaques palatines de protection simple sans crochets peuvent être réalisées. Elles sont faciles à utiliser, ne nécessitent pas de réglage de crochets et ne présentent aucun problème de rétention. Dans une étude portant sur 10 patients, plus de 60 % d'entre eux les ont jugées plus confortables que les plaques avec crochets. Les plaques simples permettraient une diminution plus rapide de la douleur 4 jours après la chirurgie : EVA (échelle visuelle analogique) = 0 chez 60 % des patients avec plaque simple ainsi que chez 40 % des patients porteurs d'une plaque avec crochets. Une étude a rapporté que 50 % des patients ont porté les plaques palatines en continu la première semaine. Seuls 3 patients ont signalé un léger saignement pendant les premiers jours postopératoires (Courval et al., 2013).

Prescription préopératoire et postopératoire

La prescription comporte les éléments suivants :

– paracétamol, 1 g matin, midi, et soir, tant que durent les douleurs ; ne pas dépasser 4 comprimés par jour ;

– chlorhexidine (0,10 ou 0,12 %), bains de bouche 3 fois par jour, à commencer le lendemain de l'intervention, durant 15 jours ;

– Exacyl : 1 ampoule en bain de bouche ou application à l'aide d'une compresse imprégnée en maintenant une pression ;

– brosse à dents postopératoire (7/100) puis chirurgicale (15/100) ;

– un paquet de compresses stériles.

Une fiche d'information et de conseils préopératoires et postopératoires (encadré 1) est remise au patient lors de la consultation préopératoire.

Complications postopératoires après greffe gingivale libre

Les complications postopératoires consécutives au prélèvement du greffon épithélio-conjonctif palatin sont de plusieurs types (fig. 7 à 9).

Une hémorragie excessive du site donneur peut être déclenchée par le prélèvement palatin et peut compliquer la suite de l'intervention. Le protocole clinique de prise en charge consiste à suivre les étapes suivantes :

– dans un premier temps, placer des compresses stériles au niveau du site de prélèvement en maintenant une pression. Cette manœuvre suffit fréquemment à assurer le contrôle initial du saignement ;

– puis placer un agent hémostatique. Dans certains cas, on peut réaliser une anesthésie locale avec vasoconstricteur (adrénaline) directement ou en périphérie de la zone hémorragique ;

– si une plaque palatine de protection a été prévue, elle sera directement appliquée après prélèvement du greffon, cette approche se révélant particulièrement efficace dans le contrôle de l'hémorragie ;

– un point de suture distal au site hémorragique peut être réalisé. Son objectif est de ligaturer l'artère palatine ou ses collatérales. Une étude anatomique sur cadavre après réalisation de ce type de suture a cependant révélé que, le rameau vasculaire lésé circulant dans le sillon palatin, la suture passait au-dessus de lui. Son oblitération par suture semble par conséquent improbable et le tarissement de l'hémorragie lors de la réalisation de la suture doit plutôt être attribué à la compression à distance du rameau vasculaire lésé.

Une exposition osseuse postopératoire a été observée après prélèvement palatin d'une zone qui présente des exostoses osseuses. Une palpation en préopératoire peut déterminer de potentiels sites d'exposition osseuse.

Le palais est un site commun pour les infections herpétiques secondaires ou récurrentes. Des lésions herpétiques récurrentes ont été observées sur plusieurs patients après prélèvement palatin (Brasher et al., 1975).

Un retard de cicatrisation de la muqueuse palatine peut être observé chez certains patients. La cicatrisation par seconde intention concerne tous les patients bénéficiaires de cette technique (Farnoush, 1978).

Un cas de mucocèle et un cas de shunt artério-veineux ont été rapportés (Curtis et Hutchinson, 1981 ; Adcock et Spence, 1984).

Les douleurs postopératoires faisant suite au prélèvement palatin pendant la semaine qui le suit représentent l'une des principales complications. Des études comparatives ont montré leur plus grande incidence en cas de greffe gingivale libre par rapport au prélèvement d'un greffon conjonctif enfoui, ce dernier étant suivi d'une cicatrisation par première intention (Del Pizzo et al., 2002 ; Griffin et al., 2006 ; Wessel et Tatakis, 2008).

La prévalence des complications postopératoires après une greffe gingivale libre montre que 40 % des patients présentent des douleurs postopératoires modérées à sévères, 19 % des tuméfactions modérées et 6 % des saignements (Griffin et al., 2006).

Conclusion

Le prélèvement épithélio-conjonctif palatin, tant en raison du risque lié au geste opératoire que du fait du processus de cicatrisation par seconde intention qui lui est associé, est fréquemment synonyme de morbidité et de complications (hémorragie, douleurs, tuméfactions...). Afin de réduire ces complications, une analyse préopératoire de la situation clinique est primordiale ainsi que la localisation des éléments anatomiques à risque (artère palatine et ses collatérales). Plusieurs techniques d'hémostase ont été mises au point telles que l'hémostase biologique (à l'aide de différents agents hémostatiques : collagène, cellulose oxydée, colle biologique et extraits de plantes) ou l'hémostase mécanique (pansement chirurgical, sutures et plaque palatine). Ces techniques, prises individuellement ou associées, permettront de réduire le stress lié au risque hémorragique et d'apporter plus de disponibilité dans la réalisation des autres temps délicats de la greffe gingivale libre.

Bibliographie