La greffe gingivale libre en 2015 - JPIO n° 4 du 01/11/2015
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 4 du 01/11/2015

 

Table ronde

Questions à Alain Borghetti et Zineb Mekkaoui

Auteurs de l'article Facteurs de réussite et d'échec de la greffe gingivale épithélio-conjonctive1

Votre article décrit le « pas à pas » de la technique de la greffe épithélio-conjonctive. En pratique, quelles recommandations faites-vous au praticien désireux de se lancer dans cette intervention ?

A. BORGHETTI : La greffe épithélio-conjonctive fait partie...


Questions à Alain Borghetti et Zineb Mekkaoui

Auteurs de l'article Facteurs de réussite et d'échec de la greffe gingivale épithélio-conjonctive1

Votre article décrit le « pas à pas » de la technique de la greffe épithélio-conjonctive. En pratique, quelles recommandations faites-vous au praticien désireux de se lancer dans cette intervention ?

A. BORGHETTI : La greffe épithélio-conjonctive fait partie des techniques de chirurgie plastique parodontale. À ce titre, elle demande une certaine habitude de manipulation des tissus mous, avec la finesse nécessaire dans la gestuelle. Au praticien désireux de se lancer dans cette intervention, je conseille d'abord de bien connaître les principes théoriques et de se former à travers des travaux pratiques. Il est également intéressant de « voir faire » avant de « faire ».

On parle souvent de courbe d'apprentissage, en chirurgie plastique muco-gingivale. Ce terme revêt-il une importance particulière avec la greffe gingivale libre ?

A. BORGHETTI : La courbe d'apprentissage est une réalité. Il a été estimé que 30 interventions étaient nécessaires pour avoir fait l'apprentissage des difficultés dans les différentes situations cliniques et avoir eu l'occasion de gérer les complications. Je conseille d'acquérir d'abord une certaine expérience dans les interventions sur les tissus mous (dissection en épaisseur partielle, déplacements tissulaires, sutures fines) avant de se lancer dans le prélèvement d'un greffon épithélio-conjonctif. C'est ce temps opératoire qui inquiète le débutant, alors qu'il est simple et demande seulement de l'application dans le geste.

Vous êtes enseignant au Département de parodontologie de la Faculté d'odontologie de Marseille, mais vous exercez également en cabinet privé. Au sein de votre cabinet, la greffe gingivale libre est-elle une intervention que vous pratiquez encore souvent ?

A. BORGHETTI : Parmi les différentes techniques, la greffe épithélio-conjonctive est celle qui procure la meilleure augmentation (ou création) de tissu kératinisé. C'est bien sûr l'aspect inesthétique qui représente la limite de ses indications. Ce sont ces avantages et ces inconvénients qui me guident dans la décision thérapeutique et dans la discussion préalable avec mes patients. Dans mon exercice quotidien, c'est une intervention que je pratique encore souvent, même si les greffes de conjonctif enfoui prennent une large place.

Vous avez eu, durant de nombreuses années, la responsabilité du cycle de parodontologie à la Société française de parodontologie et d'implantologie orale (SFPIO). Pensez-vous qu'une formation assurée par une société savante est un passage obligatoire pour la réalisation, plus généralement, des techniques de chirurgie muco-gingivale ?

A. BORGHETTI : L'étudiant n'a généralement pas la possibilité de pratiquer ce type d'intervention pendant ses études, ou alors il ne le fait que très ponctuellement. L'interne qui a choisi la bonne voie a, lui, plus de possibilités, ainsi que le candidat au diplôme d'université de parodontologie. Donc, pour la majorité des praticiens, la formation théorique complétée par des travaux pratiques et des démonstrations par des vidéos me semblent être, en effet, extrêmement conseillée. C'est ce que propose la SFPIO dans ses cycles de formation.

Questions à Pierpaolo Cortellini, Giovanpaolo Pini Prato, Maurizio Tonetti et Roberto Rotundo

Auteurs de l'article Greffe gingivale libre partiellement épithélialisée2

Pouvez-vous nous expliquer ce que vous appelez l'approche de la « fenêtre modifiée » lorsque vous prélevez la greffe gingivale libre partiellement désépithélialisée ?

P. CORTELLINI : Dans la technique de la « fenêtre modifiée » (modified window approach), le greffon est prélevé dans une zone située entre la face mésiale de la seconde prémolaire et la face distale de la deuxième molaire, en modifiant la technique de la fenêtre proposée par Langer et Langer en 1985. Plus précisément, la partie coronaire du greffon comprend de l'épithélium et la partie apicale uniquement le tissu conjonctif qui est exposé à la suite de l'élévation de la fenêtre palatine. Cette fenêtre palatine est ensuite repositionnée et suturée quand le greffon a été retiré.

Lorsque vous décrivez la technique chirurgicale, votre conseil est de prélever un greffon dont l'épaisseur est de 1,5 à 2 mm dans la partie épithéliale, et de 1 à 1,5 mm dans la zone apicale. Avez-vous un conseil (type de lame, angulation du bistouri...) pour parvenir à ce résultat ?

P. CORTELLINI : Les instruments utilisés sont un bistouri classique et des lames chirurgicales (Bard-Parker 15 et 15C) pour prélever le greffon, et des fils de suture pour refermer la fenêtre palatine (fil non résorbable 6/0 et 7/0). L'épaisseur de 2 à 2,5 mm est obtenue en incisant le palais à 45o dans la partie coronaire épithélialisée ; on arrive à ce résultat en laissant toute la partie biseautée de la lame pénétrer dans le tissu. Il faut ensuite soulever une fine fenêtre palatine apicalement par rapport à la première incision afin de laisser 2 à 3 mm d'épithélium sur la partie coronaire du greffon. Ensuite, il faut mobiliser tout le greffon avec la lame à partir de la première incision coronaire en gardant la lame parallèle à la surface du palais. Le greffon est ensuite détaché en coupant à 90o tout autour.

Lorsque vous réalisez une greffe de tissu conjonctif, votre méthode de prélèvement suit-elle la technique de Langer et Langer, avec une fenêtre, ou préférez-vous désépithélialiser une greffe gingivale libre ?

P. CORTELLINI : La technique de Langer et Langer et celle de la greffe gingivale libre partiellement désépithélialisée sont des traitements totalement différents. En effet, dans la première, la partie conjonctive du greffon est placée sous le lambeau et le lambeau est suturé par-dessus (technique bilaminaire), alors que dans la seconde, le tissu conjonctif est enveloppé dans la muqueuse alvéolaire non suturée, comme cela est réalisé normalement dans une greffe gingivale libre.

Questions à Renaud Rinkenbach et Bruno Grollemund

Auteurs de l'article Apport de la greffe gingivale libre aux traitements d'orthodontie3

La question du timing interventionnel est sous-jacente à votre article : le renforcement d'un parodonte fin doit-il ou non précéder un traitement orthodontique, a fortiori si ce dernier contribue à établir des forces délétères aux dépens des structures parodontales. Comment, pratiquement, échangez-vous à ce sujet avec vos correspondants ?

R. RINKENBACH : En effet, comme nous l'avons exposé dans notre article, nous préconisons un renfort parodontal préalable au traitement orthodontique chez les adultes, lorsque celui-ci est à même d'aggraver une situation à risque important. Ce protocole est généralement apprécié par les dentistes qui voient dans cette démarche une prise en charge globale, avec la volonté d'être le moins iatrogène possible pour nos patients communs. Il faut communiquer avec ces derniers qui doivent être informés de ce risque mais aussi avec nos correspondants qui jugeront nos traitements. Dans ces situations, nous appelons systématiquement le dentiste pour lui exposer le problème, voire même évoquer éventuellement une solution sans orthodontie moins risquée. En fonction des « sensibilités » parodontales de chaque dentiste, nous leur proposons de demander un avis chez un spécialiste en parodontologie, que nous ne manquerons pas d'appeler également et qui tranchera sur l'indication chirurgicale.

Vous êtes responsable de la rubrique « Ortho-Paro » du JPIO depuis plusieurs années. Vous regrettez parfois qu'il n'y ait pas suffisamment d'études consacrées aux répercussions parodontales des traitements orthodontiques. Quelles en sont les causes, selon vous ?

R. RINKENBACH : Cette constatation se retrouve régulièrement lorsque je fais la revue de bibliographie pour le JPIO : les études scientifiques reliant l'orthodontie et la parodontologie ne sont pas légions ces dernières années. Hormis les études sur les minivis et les techniques orthodontiques particulières d'accélération des mouvements orthodontiques, on retrouve beaucoup de cas cliniques mais peu d'études scientifiques de fond.

Il m'est difficile d'en évoquer la raison. En restant circonspect, je dirai que ces études nécessitent beaucoup de temps et, surtout, un suivi de longue haleine afin d'apprécier les effets délétères à moyen terme, avec des patients qui peuvent également déménager. D'un côté, les techniques étant différentes, la biomécanique et les forces engendrées par chacune d'entre elles ne sont pas identiques et compliquent l'interprétation des résultats. De l'autre, les moyens d'investigation ayant également progressé ces dernières années avec la banalisation du cone beam moins radiogène, l'exploration avant/après des structures osseuses soumises à un stress va probablement susciter de nouvelles études.

Dans votre expérience, à partir de quel âge la greffe épithélio-conjonctive peut-elle être proposée aux adolescents ? Les suites sont-elles plus préoccupantes que chez les adultes ?

R. RINKENBACH : On peut la proposer à un jeune adolescent mais les indications sont vraiment très limitées car le support parodontal, plus adaptatif et malléable, va permettre de s'adapter plus facilement aux contraintes que celui d'un adulte. Plusieurs critères doivent être pris en compte pour poser cette indication :

– l'absence quasi complète de gencive attachée dans un contexte à risque décrit dans l'article ;

– le patient en denture d'adolescent, les canines complètement évoluées et la zone à greffer stable ;

– la maturité en adéquation avec la réalisation de l'intervention chirurgicale et le respect des consignes post-chirurgicales.

Dans notre pratique quotidienne, il est malgré tout très rare de proposer ce type d'intervention à de jeunes adolescents. Nous réalisons plus facilement une frénectomie au niveau de la lèvre inférieure afin de limiter les tensions gingivales et réévaluons en fin de traitement la nécessité de réintervenir.

Questions à Sofia Aroca, Anton Sculean et Daniel Etienne

Auteurs de l'article Intérêt de la technique du tunnel modifié avancé coronairement : considérations chirurgicales pour le traitement des récessions multiples4

La technique du tunnel modifié dans le traitement des récessions multiples que vous décrivez impose un solide « bagage » chirurgical et une instrumentation spécifique. Quels sont vos conseils aux praticiens désireux d'aborder cette technique ?

S. AROCA : La technique du tunnel modifié, en effet, demande une courbe d'apprentissage rigoureuse afin d'arriver à avoir des résultats prévisibles dans les situations cliniques les plus complexes (par exemple ceux de classe III de Miller).

La dissection des papilles dans la technique que vous décrivez est un temps particulièrement long et délicat. Tout autant l'est le passage du greffon qui, bien souvent, « bloque » à l'entrée d'une des récessions. Pouvez-vous nous donner quelques conseils pour mieux faire face à ces difficultés ?

S. AROCA : Pour faciliter la tâche du praticien qui s'initie à cette technique, il convient :

– d'utiliser des instruments de microchirurgie ;

– de commencer à soulever le lambeau en direction apicale en créant une poche de pleine épaisseur autour de la récession, puis la préparation s'étend en direction mésio-distale ;

– de finir la préparation du tunnel en détachant les papilles. Il est important de réaliser cette dernière étape en ayant des tissus très distendus.

Le greffon sera glissé sous le tunnel par la récession la plus large. Chaque papille sera soulevée à l'aide d'un instrument (sonde parodontale) pour assurer un passage libre du greffon.

Dans une des greffes présentées (fig. 12), vous évoquez l'utilisation de colle chirurgicale. Systématisez-vous son utilisation ? Quel est son intérêt et quels risques comporte son utilisation ?

S. AROCA : L'utilisation de la colle chirurgicale n'est pas systématique. Le rôle de celle-ci est de maintenir en place une gaze hémostatique résorbable posée pour protéger le site opératoire et les sutures dans les premiers jours.

Questions à Catherine Petit et Victor Anadon-Rosinach

Co-auteurs de l'article Apport de la greffe gingivale libre dans la préservation alvéolaire postextractionnelle. Revue de littérature5

Dans le cadre du DU que vous poursuivez actuellement au Service de parodontologie de Strasbourg, vous conduisez une étude sur le comblement alvéolaire postextractionnel. Pouvez-vous nous en décrire les objectifs ?

C. PETIT : L'effondrement de l'alvéole qui fait suite à une extraction dentaire peut avoir de lourdes conséquences sur la restauration prothétique. Nous cherchons à déterminer si l'utilisation d'une greffe épithélio-conjonctive de scellement d'alvéole permet la limitation suffisante de cette résorption osseuse postextractionnelle afin d'autoriser une pose prothétique idéale sans réintervention chirurgicale a posteriori. De plus, nous comparons l'utilisation d'une greffe autologue avec un punch de collagène xénogène.

Vous avez eu l'occasion de tester les nouveaux punchs de collagène (Geistlich Bio-Oss Collagen®). D'un point de vue pratique ou biologique, les préférez-vous aux bouchons épithélio-conjonctifs ?

C. PETIT : En ce qui concerne le maniement du punch de collagène que vous citez, il évite une seconde zone opératoire au palais, ce qui promet un confort indéniable pour le patient en postextractionnel. Cependant, avec les punchs à biopsie stérile, le prélèvement au palais reste facile et rapide et le gain de temps promis par Geistlich est minimisé. Du point de vue biologique, les résultats obtenus sur le plan esthétique ou ceux d'évolution volumétrique de l'alvéole après une avulsion dentaire sont sensiblement identiques avec une greffe autologue que ceux obtenus avec un punch de collagène xénogénique.

Questions à Paul Mattout et Cristina Vaida

Auteurs de l'article Tissu mou kératinisé péri-implantaire. Intérêt de la greffe gingivale de substitution

Vous nous présentez, Paul, un article richement documenté qui aide tout praticien à résoudre le problème d'un déficit de gencive kératinisée autour des implants. A quel moment du plan de traitement implantaire placez-vous votre réflexion muco-gingivale ?

Notre réflexion sur le complexe muco-gingival commence dès l'étude du cas clinique, puis continue lors de la pose des implants mais n'est décisive qu'au moment du deuxième stade chirurgical. En effet, des changements peuvent s'opérer dans le complexe muco-gingival en particulier dans les cas de reconstructions osseuses pré ou per-implantaires.

Fixer un greffon épithélio-conjonctif sur de l'os, on comprend, autour d'un cément préparé, on l'a étudié ; mais fixer ce type de greffe au contact d'un implant titane pose la question de l'interface : comment imaginez-vous la liaison entre les deux ?

On ne peut bien sûr comparer la cicatrisation d'un greffon épithélio-conjonctif au contact de l'os ou du cément et avec celle au contact du titane, où nos objectifs sont :
- une amélioration du complexe muco-gingival,
- une hygiène péri-implantaire facilitée,
- la formation d'une attache épithéliale viable,
- une absence d'inflammation.

Vous abordez la question du timing de l'apport de gencive kératinisée. Quelle est votre approche favorite : avant, pendant la pose de l'implant, ou lors de sa découverte ?

Je réalise mes poses d'implants selon le protocole classique en deux stades chirurgicaux. Généralement, je choisis le moment du deuxième stade chirurgical pour l'aménagement des tissus mous péri-implantaires.

Questions à Giovanpaolo Pini Prato, Pierpaolo Cortellini et Roberto Rotundo

Auteurs de l'article La greffe gingivale libre dans la thérapie d'interception muco-gingivale

Considérez-vous qu'il s'agisse d'une erreur pour un praticien de ne pas réaliser une thérapeutique d'interception muco-gingivale en présence d'une dent définitive faisant son éruption en situation ectopique ?

G.P. PINI PRATO : Une éruption ectopique est un processus rapide qui va inévitablement détruire la gencive piégée entre la dent permanente et la dent lactéale correspondante. Au cours de la vie, l'absence ou la réduction de la quantité de gencive constitue une zone de moindre résistance à l'apparition de récessions en présence de plaque dentaire. La technique chirurgicale d'interception muco-gingivale (TIM) est atraumatique, efficace, et la cicatrisation est rapide et sans complications. Cette technique permet de sauver et de conserver la gencive naturelle. Sur la base de cette connaissance, les cliniciens commettraient une grande erreur en ne l'utilisant pas.

Est-ce que le jeune âge des patients, auxquels sont consacrées les TIM, peut être un problème ?

G.P. PINI PRATO : Dans notre pratique, l'âge en lui-même (entre 10 et 12 ans) n'a jamais été un problème dans aucun des cas traités.

Le professeur Rouabhia, de l'Université Laval au Québec, conclut ce dossier avec un article dont le sujet est l'élaboration d'une muqueuse orale par ingénierie destinée à remplacer une greffe gingivale libre. Avez-vous une expérience, de recherche ou clinique, sur ce sujet ? Pensez-vous qu'il s'agisse là du greffon de demain ?

G.P. PINI PRATO : Les procédés d'ingénierie tissulaire sont une question très intéressante ; ils ont été utilisés avec succès en parodontologie. Dans cette étude, des fibroblastes humains ont été cultivés sur une membrane hyaluronique utilisée comme support. Après préparation du site receveur, cette membrane avec les fibroblastes a été employée chez le même patient comme tissu donneur à la place du greffon. Le résultat a montré une quantité appréciable de gencive attachée au bout de 3 mois.

Questions à Aymeric Courval

Co-auteur de l'article Greffe gingivale libre : hémostase et complications postopératoires

Vous mettez en avant le côté pratique des plaques de compression palatine pour éviter la gêne occlusale due aux crochets. Est-ce que la rétention par friction est suffisante et appréciée par les patients ?

A. COURVAL : Les plaques de compression palatine sans crochets ont bien sûr l'intérêt de ne pas nécessiter de réglage et d'adaptation des crochets. Je n'ai jamais eu de problème de rétention de ces plaques et, parfois, il faut même un certain coup de main pour les retirer. Les patients les apprécient beaucoup et les portent facilement.

Systématisez-vous la fabrication préopératoire des plaques de compression avant toute greffe gingivale libre ?

A. COURVAL : Effectivement, je fais réaliser systématiquement une plaque de compression palatine pour toutes les greffes gingivales libres. Les patients rapportent une diminution notable de la douleur grâce à son port et, si cela ne suffit pas, je prescris en plus un anesthésique topique.

Vous venez de terminer votre DU au Service de parodontologie de Strasbourg. Avez-vous connu, au cours des 3 ans de formation, un accident de complications peropératoire ou postopératoire ? Si oui, comment l'avez-vous géré ?

A. COURVAL : J'ai effectivement eu une complication postopératoire après une greffe gingivale libre, ce qui m'a sensibilisé à cette problématique.

L'intervention s'était déroulée sans complications notables mais, en revanche, la plaque de protection palatine ne s'adaptait plus car la patiente suivait un traitement orthodontique et avait reporté son rendez-vous. Une heure après son retour chez elle, elle a remarqué un saignement mais le service avait fermé entre-temps ; elle a certainement paniqué et n'a pas effectué la compression qui lui avait été conseillée.

Elle a continué de saigner jusqu'à perdre connaissance et a été hospitalisée. L'interne en chirurgie maxillo-faciale a effectué une simple compression palatine avec un agent hémostatique et l'hémorragie s'est arrêtée au bout de 10 minutes. Son taux d'hémoglobine était assez bas et la patiente aurait eu besoin d'une transfusion mais l'a refusée pour des raisons que j'ignore. Elle a donc dû rester hospitalisée le temps de récupérer.

Depuis cette mésaventure, je réalise systématiquement une plaque de protection palatine et, si elle n'adapte pas, je reporte l'intervention. J'insiste aussi beaucoup plus qu'avant sur les complications postopératoires et remets au patient une fiche d'information écrite dans ce sens.

Questions à Ramón Lorenzo, Fabio Vignoletti & Mariano Sanz

Auteurs de l'article Résultats cliniques de l'augmentation des tissus kératinisés par des substituts de tissus mous autour des dents et des implants dentaires. Revue de littérature

L'aspect d'une greffe gingivale libre peut être un problème esthétique (apparence de « rustine », comme vous le rappelez). Cependant, cette greffe semble être particulièrement bien « attachée ». Avez-vous la même sensation d'« attachement » à l'os avec les substituts de tissus mous ?

R. LORENZO : Pas véritablement. Ce que nous avons observé avec le Mucograft® est que son aspect est très proche des tissus environnants, les bords de la greffe ne sont pas clairement identifiables en comparaison avec la greffe gingivale libre. Au bout de 10 jours, il est encore possible de distinguer quelques contours du greffon de substitution, mais cette démarcation disparaît après le 30e jour.

Suturer un substitut de tissu mou est techniquement délicat du fait de la fragilité du greffon, qui plus est lorsque ce dernier est imbibé de sang. Avez-vous un conseil pour une manipulation plus aisée du greffon ?

R. LORENZO : La suture est parfois difficile à réaliser, le matériau étant trop « mouillé ». Dans notre expérience, nous résolvons ce problème en utilisant un patron et en préparant le greffon en dehors de la cavité buccale afin de limiter le contact avec le sang.

Nous avons l'obligation d'informer nos patients sur l'origine des greffons. Comment réagissent-ils avec l'origine porcine de la nouvelle matrice de collagène que vous avez testée ? Quelle proportion de patients refuse cette option ?

R. LORENZO : Les patients sont effectivement surpris lorsqu'on les met au courant de l'origine, mais ils préfèrent tous cette origine à d'autres substituts d'origine humaine. Aucun de nos patients n'a refusé cette option particulière et aucun n'a préféré un prélèvement palatin de leur propre tissu.

Questions à Mahmoud Rouabhia, Andrew Zakrzewski et Witold Chmielewski

Auteurs de l'article Intérêt du génie tissulaire dans la réalisation de greffons épithélio-conjonctifs

Pouvez-vous nous parler des obstacles majeurs, techniques ou biologiques, à la création d'un greffon épithélio-conjonctif par ingénierie tissulaire ?

M. ROUABHIA : Pour le génie tissulaire en général, l'obstacle majeur est que l'expertise du praticien doit couvrir plusieurs secteurs. En effet, cette discipline nécessite des connaissances approfondies en biologie cellulaire, en immunologie/biocompatibilité, en chimie/biochimie pour les matériaux, etc. Nous avons aussi besoin d'une formation solide en physiologie cellulaire et tissulaire pour répondre à la spécificité de chaque tissu qui est composé de différentes cellules ayant des comportements différents. Une connaissance spécifique de chaque type cellulaire est très importante pour la réussite de la production du tissu in vitro et son utilisation en clinique. À titre d'exemple, les cellules épithéliales gingivales et les fibroblastes gingivaux ont des comportements de culture et de croissance différents. Leur manipulation, dont le but est de produire un greffon épithélio-conjonctif par ingénierie tissulaire, est très exigeante sur les plans technique et intellectuel.

À quel horizon voyez-vous les applications cliniques humaines de vos recherches ?

M. ROUABHIA : Je pense que cela ne tardera pas. De notre côté, si nous avons un support financier, je pense que dans 2 ans au plus tard nous serons en mesure de confirmer, avec une étude clinique à moyenne échelle, l'utilité d'un tel greffon et de mettre en place une infrastructure qui répondrait adéquatement à la demande grandissante de greffons tissulaires au niveau de la cavité buccale.

Dans votre article, vous nous révélez que près de 10 cm2 de gencive peuvent être produits par génie tissulaire à partir de 0,5 cm2 de tissu gingival natif. Cette technique trouve-t-elle déjà des applications pour suppléer d'autres pertes tissulaires de l'organisme ?

M. ROUABHIA : Il est évident qu'une fois que les cellules ont été extraites et conservées de façon adéquate, leur utilisation pourrait être envisagée pour remplacer d'autres tissus non fonctionnels. À cet effet, plusieurs études intéressantes montrent la possibilité d'utiliser les cellules gingivales pour le remplacement de la cornée, du tube œsophagien et de l'urètre. Je ne serais pas surpris de voir les cellules épithéliales et fibroblastiques de la gencive utilisées pour générer d'autres tissus du corps humain. En réalité, ces cellules gingivales sont très accessibles et elles peuvent s'adapter à différents milieux pour donner des tissus kératinisés ou non, en plus de l'absence d'annexe comme les poils.

Souhaitez-vous adresser un message aux confrères européens francophones qui vont parcourir ce dossier ?

M. ROUABHIA : Il ne faudrait pas voir l'ingénierie tissulaire comme une montagne impossible à escalader. Il est évident que cette discipline est complexe, mais son efficacité est tributaire d'une collaboration étroite entre les scientifiques et les cliniciens pour produire un tissu/organe qui améliorera la santé et le bien-être du patient. L'ingénierie tissulaire est une discipline d'interactions cellulaires, mais aussi une discipline qui nécessite la collaboration de plusieurs expertises.

« Merci à chaque auteur d'avoir répondu avec brio et célérité aux questions complémentaires que je leur ai posées. »
Yves Reingewirtz

  • 1. J Parondontol Implantol Orale, 2015;34:175-183.

  • 2. J Parondontol Implantol Orale, 2015;34:185-192.

  • 3. J Parondontol Implantol Orale, 2015;34:193-211.

  • 4. J Parondontol Implantol Orale, 2015;34:213-220.

  • 5. J Parondontol Implantol Orale, 2015;34:221-232.

  • 6. Pini Prato G, Rotundo R, Magnani C, Soranzo C. Tissue engineering technology for gingival augmentation procedure : case report. Int J Periodontics Restorative Dent 2000;20:553-559.