Gestion des déficits ostéo-muqueux en zone esthétique : artifices prothétiques et/ou chirurgie reconstructrice ? Management of the osseous and mucosal deficits in aesthetic zone: prosthetic devices and/or reconstructive surgery? - JPIO n° 3 du 01/09/2016
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 3 du 01/09/2016

 

Article

Thomas DHENAIN 1 / Yann SAIZOU 2 / Patrick MISSIKA 3  

1- Docteur en chirurgie dentaire2- Docteur en chirurgie dentaire
Attaché de l'unité d'implantologie chirurgicale et
Prothétique à la faculté de chirurgie dentaire de l'université
Paris Diderot-Paris 73- Docteur en chirurgie dentaire
Maître de conférence à la faculté de chirurgie dentaire
Université Paris Diderot-Paris 7
Praticien hospitalier des Hôpitaux de Paris
Directeur du diplôme universitaire d'implantologie

Résumé

Résumé

L'ambition de la dentisterie esthétique d'aujourd'hui est essentiellement de créer ou de recréer des dents aux proportions harmonieuses mais aussi de créer ou de recréer un agencement dentaire en accord avec la gencive, les lèvres et le visage du patient. L'objectif du traitement esthétique est donc triple : obtenir à la fois un équilibre esthétique certes, mais aussi fonctionnel et biologique.

Après avoir présenté les principaux déficits ostéo-muqueux à fort préjudice esthétique rencontrés dans la pratique quotidienne, sera mise en avant, pour chacun d'entre eux, la diversité des gestions chirurgicales ou prothétiques, quelquefois peu connues, concourant à optimiser le résultat esthétique, ainsi que leur association.

À l'heure où le domaine de compétence de la chirurgie dentaire ne cesse de s'accroître, notamment avec l'autorisation d'injection péri-orale d'acide hyaluronique par l'Ordre national des chirurgiens-dentistes du 2 mars 2011, et où la demande grandissante des patients en matière d'esthétique devient de plus en plus prégnante dans l'exercice quotidien, il paraît essentiel d'aborder ce sujet de façon multidisciplinaire et comparative, dans l'objectif d'apporter la meilleure prise en charge possible du sourire des patients et son intégration optimale à l'esthétique du visage.

Summary

ABSTRACT

The main ambition of the aesthetic dentistry today is not only to create or recreate teeth with harmonious proportions but also to create or recreate a dental arrangement that would be in accordance with the gum, the lips and the face of the patient. So the esthetic therapy is targeting three aspects: obtaining a balance between aesthetic, functional and biological results.

Once we have presented the most important osseous and mucosal deficits we came across during our everyday practice, that have a great impact on aesthetic, we propose to present for each of the different cases, the diversity of the surgical and prosthetic approaches –which are sometimes less well known and the aim of which is to optimize the aesthetic results and their association.

Now that the field of competence of dental surgery is growing more and more, specially with the authorization given by the National Order of the surgical Dentists on march the 2nd 2011 to use the peri-oral injection of hyaluronic acid-, and that the demand of the patients for an aesthetic therapy is becoming more and more important in our everyday practice, it seems to us very essential to deal with this subject in a multidisciplinary and comparative way, so that we can give the best care to the smile of our patient and the best compatibility of this smile with the aesthetic of the face.

Key words

Esthetics, esthetics dental, oral surgical procedures, dental implants, dental prosthesis, surgery plastic.

Introduction

Le sourire, que l'on peut définir comme étant une expression faciale caractérisée par le relèvement des commissures labiales, est le reflet de la personnalité et constitue un véritable passeport social. L'attractivité physique, et plus particulièrement l'attractivité du complexe dento-facial, est un déterminant de l'attractivité globale de l'individu et a une incidence immédiate sur le succès de ses relations avec les autres, dans sa vie sociale, professionnelle ou amoureuse. La bouche, les dents et les lèvres sont ainsi considérées comme étant des éléments fondamentaux de l'esthétique faciale. Bien qu'il soit difficile d'enfermer le « beau » d'un visage dans des canons esthétiques spécifiques, certains critères de beauté véhiculés par notre époque nous influencent tout de même, que nous le voulions ou non. Dès les années 1980 s'est installée la vogue des sourires made in Hollywood, les dents devant être très blanches pour qu'il soit beau. Mais aujourd'hui, en pleine ère du « naturel », la tendance est à une légère imperfection qui va souligner une personnalité – certains petits défauts donnant même parfois à un visage un charme indéfinissable – ainsi qu'à la prise de conscience actuelle de l'importance de l'esthétique des tissus mous (pink aesthetic) qui dépasse donc l'organe dentaire lui-même et s'intéresse à son environnement. Le perfectionnement actuel des nouvelles techniques chirurgicales, d'une part, et les progrès dans la mise au point de nouveaux biomatériaux, d'autre part, laissent à penser qu'il est maintenant possible de souscrire à ces demandes esthétiques. Cependant, même si la profession a bénéficié d'importantes avancées techniques dans l'art de combler les pertes tissulaires et non plus seulement de remplacer les dents manquantes, reconstituer à l'identique les tissus absents est-il un défi envisageable du point de vue mécanique, physique, biologique et esthétique ? L'éventail des options thérapeutiques allant en s'élargissant, rendre actuellement le sourire à un patient implique-t-il de devoir privilégier exclusivement une solution chirurgicale (chirurgie osseuse, parodontale...) ou une gestion prothétique ? Ou d'avoir recours à ces deux options de manière synergique ?

L'objectif de cet article est donc de présenter l'éventail de solutions que peut apporter la dentisterie actuelle face aux divers préjudices esthétiques imputés aux différents déficits ostéo-muqueux et de tenter de déterminer, pour chacun d'entre eux, la réponse la plus adéquate. En fonction de ces différents éléments, seront présentées pour chaque déficit ostéo-muqueux la ou les gestions chirurgicales et/ou prothétiques possibles puis la prédictibilité de l'approche chirurgicale ou prothétique, ou de leur association, dans l'objectif d'optimiser le résultat esthétique sera discutée.

Par ailleurs, cet article traite de la prise en charge esthétique des anomalies du sourire en excluant la composante dentaire proprement dite, à savoir la dimension, les caractéristiques de couleur et d'état de surface, la forme des dents, l'alignement axial, la position et la forme de l'arcade. Elle se focalise donc essentiellement sur les déficits et anomalies ostéo-muqueux bordant les tissus dentaires. Le traitement purement dentaire ne sera donc abordé que dans la mesure où il contribue de façon extrinsèque à corriger un déficit des tissus ostéo-muqueux.

De plus, en considérant que la gestion prothétique proposée se fait sur des dents devant être restaurées et devant donc bénéficier d'un traitement prothétique, cette étude fait le choix d'exclure l'orthodontie.

Enfin, cet article n'a pas pour objectif de vouloir constituer un recueil exhaustif des propositions thérapeutiques existantes pour chaque cas mais d'en aborder les principales.

Récessions gingivales

La ligne des collets correspond à l'exposition du contour gingival et elle est déterminée par le niveau de la gencive marginale des dents maxillaires ; elle doit suivre la forme de la lèvre supérieure. L'harmonie architecturale gingivale est très importante dans la perception du sourire. Elle comprend à la fois :

– la forme du collet propre à chaque dent ;

– la ligne des collets qui réunit le sommet des collerettes gingivales de chaque dent.

Les récessions gingivales sont des situations pathologiques caractérisées par une situation apicale de la gencive marginale par rapport à sa situation normale, c'est-à-dire par rapport à la jonction émail-cément ; le collet apparaît alors situé apicalement par rapport à la ligne des collets.

Miller a présenté une classification de ces récessions (Miller, 1985) :

– classe I, la récession n'atteint pas la ligne muco-gingivale, le parodonte interproximal est intact (pas de perte d'os ni de tissus mous) ;

– classe II, la récession atteint ou dépasse la ligne muco-gingivale, le parodonte interproximal est intact ;

– classe III, la récession atteint ou dépasse la ligne muco-gingivale, le parodonte interproximal est réduit (perte d'os et de tissus mous) mais le tissu gingival interproximal reste coronaire à la base de la récession,

– classe IV, la récession atteint ou dépasse la ligne muco-gingivale, le parodonte interproximal est réduit et le tissu gingival interproximal se situe au niveau de la base de la récession, qui intéresse plus d'une face de la dent.

À ces dénudations partielles de la surface radiculaire dues à la migration apicale de la gencive marginale peuvent être appliquées différentes techniques chirurgicales parodontales d'addition ; mais peuvent aussi entrer en compétition certaines alternatives prothétiques dont l'utilisation est moins connue dans cette indication.

On prendra comme hypothèse que toute la thérapeutique parodontale initiale visant à éliminer l'étiologie en elle-même et à assainir la bouche a été préalablement réalisée : suppression du brossage traumatique, dépose de prothèses iatrogènes, assainissement parodontal, détartrage-surfaçage radiculaire, apprentissage des techniques d'hygiène bucco-dentaire, traitement de la parodontite, suppression d'un traumatisme occlusal...

La chirurgie muco-gingivale est définie comme étant « l'ensemble des techniques chirurgicales parodontales visant à corriger les défauts de morphologie, de position et/ou la quantité de gencive » (Borghetti et Monnet-Corti, 2008). Les techniques visant à corriger les récessions gingivales peuvent être classées en lambeaux pédiculés, greffes gingivales libres autogènes et régénération tissulaire guidée ou induite.

Fréquemment, la correction chirurgicale classique permettra un recouvrement radiculaire avec un taux global de réussite décroissant de la classe I à la classe III de Miller. Ce succès ne dépend pas de la sélection de la lésion mais de la technique chirurgicale employée en fonction de cette lésion (Kerner et al., 2009) :

– ainsi, dans un défaut de classe I de Miller, pratiquement toutes les techniques chirurgicales sont applicables. Cependant, si la gencive est plutôt épaisse, le lambeau positionné coronairement est plus simple à réaliser et moins traumatisant que les autres techniques ; en revanche, si la gencive apparaît plutôt fine, la greffe conjonctive est à préférer par rapport à la régénération tissulaire guidée et au lambeau positionné coronairement seul, qui ne sont pas recommandés (Struillou et al., 2002) ;

– quant aux défauts des classes II et III de Miller (fig. 1 et 2), on préférera les greffes conjonctives, sauf celles associées au recouvrement total du greffon par un lambeau positionné coronairement, les greffes épithélio-conjonctives et le lambeau positionné latéralement (Struillou et al., 2002).

Dans la classe IV de Miller (fig. 3), les récessions sont multiples et la perte tissulaire est très importante : la littérature médicale est quasi unanime, le recouvrement chirurgical est impossible (Borghetti et al., 2008).

Deux principales solutions prothétiques s'offrent alors au praticien afin de recréer une ligne des collets plus apicale et, ainsi, lui redonner son harmonie naturelle (fig. 4 à 6) :

– si l'on est en présence de dents dépulpées, la restauration par couronnes permettra de réorganiser prothétiquement une ligne des collets correcte. Mais cette solution présente plusieurs inconvénients :

• l'aspect mutilant par la réalisation de préparations périphériques sur du tissu dentaire indemne,

• l'inconvénient mécanique par un indice de Le Huche défavorable. La racine devient de plus en plus triangulaire de la partie coronaire vers la partie apicale et, donc, le diamètre au collet est plus important que celui de la racine après intervention, le profil du tissu dentaire supra-gingival devient donc triangulaire et est peu favorable à la restauration par des couronnes ;

– a contrario les facettes, par leur profil d'émergence en surcontour, permettent de s'affranchir de l'indice de Le Huche (fig. 7 à 9). Certes le cément n'est pas la surface idéale de collage mais il reste néanmoins possible et le rapport bénéfice/risque semble globalement positif.

De plus, Gürel décrit une préparation ultra-conservatrice par la réalisation de ce qu'il appelle un projet esthétique : cela va permettre d'enlever juste la surface dentaire nécessaire et même, dans certains cas, de ne pas en enlever du tout (Gürel, 2005). À partir d'un wax-up prévisualisant le résultat final, une gouttière transparente remplie de résine fluide type Luxatemp® sera réalisée puis replacée sur les dents et photopolymérisée. Si certaines parties des dents sont trop vestibulées et dépassent de cette gouttière, elles seront meulées par coronoplastie. Ce mock-up est donc un véritable masque en composite placé sur les dents, reproduisant le wax-up initial, et il peut être porté quelques jours par le patient pour qu'il apprécie lui-même son nouveau sourire. Après validation par le patient et le praticien, ce masque se transforme en un guide de préparation a minima. L'utilisation de fraises à butées d'enfoncement appliquées contre ce masque permettra de ne pas s'enfoncer plus profondément que le projet esthétique ne le permet. Cette technique permet de traiter de 1 à 4 dents adjacentes (fig. 10 et 11).

En règle générale, il faut d'abord privilégier la gestion chirurgicale parodontale, sauf s'il existe une impossibilité en rapport avec l'étiologie ou la possibilité de cicatrisation, la sélection du patient et la sélection de la lésion en elle-même (classe IV de Miller...).

Cependant, aucun type de chirurgie n'est supérieur à un autre pour le recouvrement radiculaire (Kerner et al., 2009) alors que pour l'augmentation de gencive kératinisée, les greffes gingivales libres sont les plus efficaces.

Concernant le résultat esthétique comme la couleur, la texture ou la forme, aucune différence significative entre lambeaux pédiculés, greffons conjonctifs et technique de l'enveloppe n'a pu être montrée, mais les greffes gingivales libres donnent de moins bons résultats esthétiques que les autres. Par ailleurs, l'absence de lien entre taux de recouvrement radiculaire et résultat esthétique global a été mise en exergue (Kerner et al., 2009). De même, en chirurgie plastique, la possibilité de traitement et la sélection de la technique chirurgicale ne doivent pas considérer seulement les résultats évalués en millimètres et en pourcentage.

En cas de classe IV de Miller ou de récessions gingivales importantes généralisées à plusieurs dents contiguës, l'approche thérapeutique optera en premier choix pour une reconstitution prothétique a minima par facettes.

« Trous noirs » par perte des papilles

La papille gingivale, structure tissulaire de petite taille fragile et faiblement irriguée par une vascularisation terminale, correspond à la gencive libre située dans les embrasures des espaces interproximaux dentaires sous le point de contact. Elle épouse la forme de ces espaces et comporte une partie vestibulaire et une partie palatine reliées par un col, appelé col de Cohen.

Lorsque la papille ne remplit plus l'espace interdentaire, les embrasures gingivales deviennent visibles et forment des « triangles noirs », créant ainsi ce que les Anglo-Saxons nomment le black hole disease.

Cet article concentrera son propos sur la gestion de la perte des papilles, matérialisée par ces fameux trous noirs, au niveau implantaire. Pour information, au niveau dentaire, le traitement est essentiellement prothétique, associé ou non à une traction orthodontique. Il existe un traitement par injection d'acide hyaluronique (Becker et al., 2010). La prise en charge de la perte des papilles sera traitée en considérant à la fois la gestion de leur préservation ainsi que leur reconstruction autour d'éléments prothétiques implanto-portés.

Afin de restituer par voie implantaire l'organe dentaire conjointement à la reconstruction de la papille, la prise en charge thérapeutique passera alors obligatoirement par une gestion coordonnée chirurgico-prothétique. Est exclue de cette étude la reconstruction papillaire lorsque la perte de l'organe dentaire est associée à une résorption verticale ou horizontale importante de la crête, aspect qui sera traité ultérieurement.

Sur le plan préventif, au niveau chirurgico-implantaire, l'extraction-implantation immédiate, réalisée avec ou sans lambeau, semble être le protocole de choix lorsqu'il est réalisable (Missika et al., 2003). Cette technique va permettre de retrouver une intégrité esthétique dans un court laps de temps, mais également de préserver le capital osseux et, ainsi, de créer ou de maintenir un soutien osseux adéquat du contour gingival et de la papille permettant un profil d'émergence optimal des tissus mous et garantissant la pérennité du résultat esthétique dans le temps.

Parallèlement à la chirurgie implantaire, différentes techniques de chirurgie parodontale vont permettre d'optimiser la conservation papillaire – telle que la technique de Langer (Langer, 1994) associée à une technique d'extraction-implantation immédiate – ou de tenter sa régénération – telle que la technique de rotation pédiculée lors du stade II implanto-chirurgical décrite par Palacci (Palacci et al., 1995). Autour de prothèses implanto-portées déjà en place, peu d'interventions sont rapportées dans la littérature. Il faut donc puiser dans les techniques muco-gingivales décrites pour les dents naturelles et tenter de les appliquer avec succès autour des restaurations implanto-portées.

Mais la préservation de cette papille est aussi en grande partie permise par les étapes prothétiques qui vont suivre et accompagner la phase chirurgicale.

Même si certaines informations qui suivent concernent les caractéristiques implantaires en elles-mêmes, il a été choisi ici de les classer dans la « gestion prothétique » car on considère que ces caractéristiques ont une incidence prothétique et non chirurgicale sur la préservation papillaire et, donc, qu'elles font partie du domaine de la prothèse.

La présence de la papille est interdépendante de la présence de l'os support, tandis que sa situation, quant à elle, dépend plus de celle du point de contact lui-même (Tarnow et al., 1992). Idéalement, les travaux de Tarnow et de Jemt ont permis de déterminer une distance idéale inférieure à 5 mm entre le point de contact et la crête osseuse pour les dents, et inférieure ou égale à 5 mm entre un implant et une dent. Entre deux implants, cette distance est réduite à 3, 5 mm (Jemt, 1997 ; Tarnow et al., 2003). Toutes ces dimensions vont déterminer le « positionnement tridimensionnel de l'implant » (Tarnow et al., 2003). L'espace entre deux implants va également avoir son importance dans la préservation de la papille. Malgré de légères différences entre les auteurs, ils s'accordent tous sur les principaux impératifs à respecter. Ainsi, l'implant doit être orienté parallèlement à l'axe des dents naturelles et préserver 2 mm au minimum entre les spires de l'implant et la racine des dents naturelles, et 3 mm entre les spires de deux implants adjacents (Touati, 1995).

Par ailleurs, la position apico-coronaire de l'implant va jouer également un rôle sur la conservation papillaire. Les tissus péri-implantaires diffèrent sensiblement des tissus parodontaux, particulièrement au niveau de l'espace biologique, qui est plus important autour des implants, rendant ainsi plus critique la position finale de la gencive libre et de la papille. Ainsi, cette présence papillaire va aussi dépendre de la position apico-coronaire de l'implant. La plupart des auteurs prennent comme référence la jonction amélo-cémentaire des dents voisines lorsqu'elles existent et situent ainsi l'enfouissement entre 2 et 3 mm. Touati et Guez situent l'épaulement implantaire apicalement à une distance de 2,5 à 3 mm du rebord gingival marginal prévisionnel de la future restauration ou des dents adjacentes (Touati et Guez, 2000).

De plus, le type d'implant ainsi que le design implantaire vont jouer un rôle dans cette conservation papillaire. Nous préférerons ainsi les implants dits festonnés, mis au point sur la base du concept de l'espace biologique. En cas de remplacement de dents unitaires, les implants festonnés sont particulièrement indiqués en cas d'os interproximal fin – incisives latérales tout particulièrement. En cas d'édentement antérieur étendu avec un espace mésio-distal de dimension réduite, le feston implantaire permet de préserver le tissu interproximal péri-implantaire (Hanisch, 2003).

Le type de connexion entre l'implant et le pilier influence également l'espace vertical compris entre la plateforme de l'implant et les tissus mous marginaux.

Selon Bessade (Bessade, 2009), la plupart des systèmes implantaires en deux parties présentent un jeu à l'interface d'emboîtement implant/pilier qui nuit à l'étanchéité de cette liaison et entraîne une percolation bactérienne et une inflammation des tissus voisins, défavorables à la santé de l'espace biologique ; les papilles en sont alors directement affectées. Par ailleurs, la liaison implant/pilier est le point de concentration de toutes les contraintes exercées, entraînant des micromouvements qui aggravent encore la perte d'étanchéité de cette liaison.

La liaison conique par cône morse présente une absence de micromouvements et une étanchéité compatible avec une bonne santé de l'espace biologique, permettant ainsi une absence de résorption osseuse systématique jusqu'à la première spire de l'implant, et donc une meilleure préservation éventuelle de la papille. Il y a aussi une modification de la distance interimplantaire obligatoire : la distance entre des implants standards est de 3 mm au minimum tandis que des implants présentant une connexion de type cône morse nécessitent seulement un intervalle de 1 à 3 mm,lorsque la distance entre la crête osseuse et le point de contact proximal est de 5 mm (Bessade, 2009).

L'implant ne doit donc pas avoir un diamètre trop grand pour ne pas remplir l'alvéole entièrement dans sa partie coronaire. Il y a une distance obligatoire à respecter de 2 mm ou au minimum de 1,5 mm entre l'implant et la dent adjacente : laisser cet espace évite de porter atteinte au pic interdentaire et va permettre de récupérer des papilles interdentaires pyramidales. De même, il n'est pas conseillé d'utiliser des fraises d'évasement.

En cas de diamètre implantaire trop réduit, le surplomb horizontal va être fortement augmenté ; l'implant devra être posé plus apicalement pour obtenir un profil d'émergence esthétique et l'évasement du pilier prothétique en sera d'autant plus prononcé et en adéquation avec la morphologie cervicale de la future prothèse. La papille aura du mal à s'épanouir dans ce contexte.

Puis le rôle essentiel de la ou des restaurations temporaires successives est à prendre en compte dans la préservation de la papille. Les tissus mous cicatrisent naturellement autour d'une couronne provisoire bien réalisée et sils e modèlent spontanément et parfaitement à son contour sans aucune réaction inflammatoire. Le volume vestibulo-palatin de la couronne provisoire guide la forme de la gencive marginale libre tandis que la largeur et les contours mésio-distaux déterminent le profil et la hauteur de la papille.

La temporisation prothétique postextractionnelle par pontique ovoïde va permettre de préserver la papille lorsque l'implantation est différée par rapport au moment de l'extraction ou lorsque la mise en charge est différée par rapport au moment de l'implantation (fig. 12).

Vient ensuite s'ajouter le rôle évidemment primordial de la restauration temporaire implanto-portée. « Restauration segmentaire » (Bichacho, 2005) ou « pression latérale douce » (Touati et Guez, 2000), le tissu gingival proximal est « pincé » entre les surfaces proximales des dents adjacentes et se déplace coronairement pour former une papille interdentaire : elle est en quelque sorte « aspirée » par l'embrasure réduite, la distance exacte entre le point de contact et le sommet crête est estimée à 5 mm puis est ajustée par tâtonnements. De plus, Touati préconise également un vernissage de la résine de la provisoire afin de ne pas interférer avec la cicatrisation de la gencive marginale et papillaire (Touati et Guez, 2000).

Mais une fois la provisoire déposée, le maintien de la papille est difficile et cela complique donc son enregistrement. Il est néanmoins nécessaire d'enregistrer parfaitement et de conserver cet espace prothétique péri-implantaire au cours des différentes phases cliniques et de laboratoire afin de permettre une intégration parfaite des extrados et des volumes au sein des tissus mous. Dans cet objectif, il est fortement déconseillé d'utiliser des transferts d'empreinte droits classiques ou évasés anatomiques : il faut alors permettre la création de transferts d'empreinte personnalisés après empreinte du berceau prothétique. De nombreux auteurs ont écrit sur ce sujet et ont proposé diverses techniques d'enregistrement : le transfert d'empreinte personnalisé (Holst et al., 2011) et la duplication du prototype (Touati et al., 1999).

La restauration prothétique d'usage devra également adopter certaines particularités.

Tout d'abord, l'utilisation d'une travée prothétique antérieure va permettre un travail en compression sur la gencive par les pontiques, travail déjà commencé par la provisoire, et de façon à recréer les papilles (fig. 13). Il n'est par conséquent pas conseillé de remplacer les dents antérieures par un nombre équivalent d'implants mais, donc, d'implanter a minima la région médiane antérieure.

Il est également préférable de réaliser un modèle de contrôle du positionnement gingival par empreinte pick-up des biscuits (Touati et al., 1999). Cette technique permet la réalisation de profils d'émergence idéaux. En effet, ce modèle rend compte de l'anatomie des tissus gingivaux et de l'espace exact dévolu aux papilles interimplantaires au contact des couronnes ; il permet ainsi d'établir les contours cervicaux, surtout au niveau des profils d'émergence.

Certains « artifices » en céramique peuvent également être des adjuvants à cette illusion papillaire, par expansion des volumes dentaires comme sur le cas clinique présenté (fig. 14 et 15).

En cas de perte osseuse importante, l'apport de céramique gingivale rose peut également être utile. On distingue ainsi trois types de fausses gencives papillaires : les épithèses en résine qui se clipsent sur le bridge, la fausse gencive en céramique rose solidarisée à la couronne implanto-portée et la fausse gencive papillaire « chips », c'est-à-dire un collage en céramique du type facette, indépendant de la couronne elle-même.

En conclusion, la papille représente un élément très vulnérable du complexe muco-gingival. La création de papilles péri-implantaires est ainsi sans nul doute l'objectif le plus difficile à réaliser. Lors de leur perte partielle ou totale, plusieurs techniques chirurgicales peuvent être utilisées pour les régénérer. Mais leur restauration reste un défi en chirurgie plastique parodontale et aucun résultat scientifique ne montre encore la fiabilité de techniques spécifiques. De plus, la difficulté augmente avec la longueur de l'édentement. Le principal élément déterminant cette présence papillaire reste la distance entre le point de contact et la crête osseuse (Tarnow et al., 1992, 2003). Selon Khoury, l'intérêt des opérations chirurgicales de régénération papillaire ne peut être clairement évalué (Khoury, 2011).

Les techniques non chirurgicales sont nettement plus éprouvées, la plupart du temps par l'intermédiaire de prothèses conjointes implanto-portées réalisées après une phase très importante de temporisation esthétique. Lors de l'absence de rétablissement de support osseux adéquat vont venir s'adjoindre un certain nombre d'artifices prothétiques.

Il est également intéressant de constater l'influence du facteur temps, appelé théorie de la « régénération papillaire spontanée » (Jemt, 1997) : autour des implants unitaires, il semblerait que dans la majorité des cas, les papilles finissent par se régénérer spontanément de façon prévisible (Grunder, 2000 ; Priest, 2003). Puis reste également l'éventualité de pouvoir restaurer les papilles en adaptant la technique de thérapie cellulaire au niveau du parodonte, en réimplantant au niveau du site concerné des cellules provenant du patient et préalablement mises en culture (McGuire et Scheyer, 2007).

Insuffisance d'épaisseur vestibulaire de gencive kératinisée au maxillaire

La gencive kératinisée au maxillaire s'étend du rebord marginal de la gencive jusqu'à la limite muco-gingivale. Elle comprend à la fois la gencive libre et la gencive attachée. L'épaisseur moyenne de gencive kératinisée est de 1,56 mm avec des variations pouvant aller de 0,53 à 2,6 mm. Ainsi peut-on définir deux biotypes parodontaux : un parodonte épais et plat, et un parodonte fin et festonné. La faiblesse d'épaisseur de ce dernier n'est pas une pathologie en soi, mais elle constitue un important facteur de risque de transparence et de récession dès lors qu'un projet de restauration implanto-prothétique y est associé.

La gestion thérapeutique de ce type de préjudice esthétique engendré par le placement d'un implant dans un parodonte fin s'effectuera chirurgicalement en amont par une phase de prévention, c'est-à-dire que l'on renforcera le biotype avant ou pendant l'implantation. Dans cet objectif, la greffe conjonctive semble être le procédé de choix : le tissu cicatriciel obtenu prend un aspect blanc nacré opaque, ce qui constitue donc un atout supplémentaire.

Notons que l'examen pré-implantaire au cone beam permet d'anticiper ce genre d'écueil en visualisant non seulement les tissus osseux mais également les tissus mous. Une nouvelle méthode appelée ST-CBCT (soft tissue cone-beam computed tomography) permet d'ailleurs de mesurer l'épaisseur de la gencive marginale (Januario et al., 2008).

Concernant l'augmentation tissulaire et le recouvrement postimplantaire, aucune donnée concernant les taux de réussite n'a été établie ; ceux fournis dans la littérature médicale ont été établis pour le recouvrement des récessions dentaires.

L'importance du choix de piliers prothétiques adéquats, tant dans leur anatomie que dans leur composition, fera de la prothèse un adjuvant non négligeable à la chirurgie dans l'établissement d'une restauration implanto-portée esthétiquement intégrée dans un parodonte initialement fin. Seront ainsi préférés, pour une gencive fine, les piliers en céramique – oxyde d'aluminium, oxyde de zirconium, ou UCLA or à base céramisée – afin d'éviter que la limite métallique de l'implant ne soit visible. Par ailleurs, en présence d'une gencive fine, les piliers implantaires métalliques entraîneraient une coloration grisâtre de la muqueuse marginale en raison de la localisation sous-gingivale de la partie métallique (fig. 16 et 17).

De plus, il est préconisé au maximum de réduire le nombre de changements des piliers et, si possible, de mettre en place des piliers usinés non retouchés dès la pose des implants, puis de ne plus faire de dévissage ultérieur : c'est le concept one abutment, one time. Quant au design du pilier, il prend toute son importance lorsqu'il participe activement à l'intégration tissulaire et permet un remodelage osseux et muqueux optimal à son contact. Pour cela, il doit donc idéalement présenter une base concave transmuqueuse et non pas un volumineux évasement qui comprime la gencive et entraîne une récession des tissus mous (Rompen et al., 2003, 2007 ; Touati et al., 2005). Les tissus mous vont se positionner dans cet espace concave et il y aura alors épaississement progressif du tissu conjonctif.

Touati propose également, et selon le même principe, la possibilité d'opter pour une couronne monobloc transvissée comprenant un sous-dimensionnement transmuqueux et une concavité cervicale (Touati, 2000).

Le cas clinique suivant illustre parfaitement tout l'intérêt des couronnes monoblocs (fig. 18 à 21).

En conclusion, un biotype parodontal fin ne constitue pas un état pathologique en soi mais, plutôt, un facteur de risque lors de la mise en œuvre d'un acte implanto-prothétique.

La gestion chirurgicale semble prépondérante, que ce soit en préventif avec les techniques d'épaississement ou en curatif par le recouvrement.

Cependant, la gestion prothétique de ce type de déficit se développe de plus en plus à l'heure actuelle et passe essentiellement par une conception prothétique permettant une intégration tissulaire optimale – utilisation de biomatériaux en céramique compatibles et spécialement adaptés un biotype fin – et une stimulation de la prolifération tissulaire – base concave transmuqueuse des piliers implantaires, concavité cervicale des couronnes monoblocs.

Résorption verticale de l'os alvéolaire antérieur

La forme de la crête édentée est le résultat de la succession des différentes étapes de la cicatrisation après la perte de l'organe dentaire – à partir d'un parodonte sain ou partiellement détruit.

D'un point de vue fonctionnel et biologique, la hauteur osseuse verticale minimale doit permettre de placer des implants standard mais, d'un point de vue esthétique, il n'est pas concevable d'envisager des couronnes implanto-portées trop grandes ni de sauter l'étape de l'aménagement et de la visibilité du parodonte essentiels à l'esthétique des tissus mous. Ainsi, les principaux écueils seront la perte de dimension verticale, l'égression des dents antagonistes, la réalisation de dents longues ainsi que la perte de soutien de la lèvre. La crête édentée et résorbée dans le sens vertical est un des déficits ostéo-muqueux les plus importants et les plus difficiles à traiter.

La gestion chirurgicale de cette perte verticale passera par un éventail thérapeutique allant de la greffe osseuse d'apposition avec ses multiples variantes, notamment le recours à la reconstruction verticale 3D, à d'autres techniques comme la distraction alvéolaire.

En résumé, la greffe autogène d'apposition permet un gain osseux vertical de 3 à 5 mm (Baccar et al., 2005) et elle doit contenir un morceau monocortical et du spongieux pressé (Khoury, 2011).

La régénération osseuse guidée, quant à elle, permet un gain osseux vertical moyen de 2 à 4 mm (Dupoirieux et al., 2001) mais elle est plutôt indiquée lors de fenestrations ou de déhiscences. Lors d'une véritable perte verticale, il est préférable d'associer une greffe osseuse sous la membrane (Chen et al., 2005), ce qui permet de gagner jusqu'à 8 mm de hauteur. Par ailleurs, il n'existe pas de consensus selon les auteurs sur le bénéfice supérieur présumé d'une membrane résorbable par rapport à une membrane non résorbable.

La distraction alvéolaire semble présenter les meilleurs résultats en termes de gain osseux vertical qui est en moyenne de 8 mm mais qui peut atteindre jusqu'à 15 mm (Chiapasco et al., 2004, 2007). Cependant, elle requiert une hauteur osseuse résiduelle de 6 à 7 mm, un défaut de 4 mm minimum ainsi qu'une largeur de crête de 7 mm minimum au niveau de la ligne d'ostéotomie. De plus, cette technique est valable uniquement pour la réfection de procès alvéolaire, de défauts osseux verticaux associés à la perte d'au moins deux ou trois dents adjacentes.

Mais le choix d'une lourde reconstruction chirurgicale peut être mis en ballottage par l'apparition d'artifices prothétiques simulant ces structures et permettant aussi une restauration dentaire esthétique. Plus l'effondrement vertical de la crête est étendu, moins le résultat est assuré complètement par les techniques chirurgicales actuelles. Les défauts verticaux sévères, de grande dimension – perte osseuse verticale supérieure à 6 mm – et étendus à trois ou quatre dents ne peuvent, la plupart du temps, être restaurés totalement et retrouver leur condition et leur aspect original par la chirurgie plastique osseuse et parodontale. C'est alors la prothèse qui va venir combler cette lacune de la chirurgie, en remplaçant artificiellement les parties à la fois osseuses et muqueuses par la conception d'une fausse gencive. Cette gencive artificielle peut alors être présente lors de différents types de conceptions prothétiques :

– la prothèse amovible complète supra-implantaire (PACSI) ;

– la prothèse fixe supra-implantaire (PFSI) qui comprend la prothèse fixe scellée sur infrastructure transvissée, la prothèse transvissée sur piliers intermédiaires et la prothèse transvissée directement dans les implants (fig. 22 à 26) ;

– la prothèse hybride ou amovo-inamovible supra-implantaire(PAISI).

Chaque type de prothèse est bien entendu envisagé en fonction du défaut initial et de la reconstruction chirurgicale obtenue. La prothèse fixée supra-implantaire scellée est la plus indiquée en cas de succès chirurgical optimal dans la double reconstruction des tissus durs et des tissus mous, mimant ainsi le plus fidèlement l'architecture dentaire originale. Cependant, lorsque la chirurgie d'augmentation n'est pas réalisée ou n'affiche pas le résultat escompté, la prise en charge thérapeutique va adopter un autre dessin prothétique tel que ceux décrits précédemment.

La thérapie implantaire a ainsi largement évolué depuis 20 ans : nous sommes passés du « tout osseux » avec un fil conducteur chirurgical (surgically driven) au « tout gingival » avec un fil conducteur parodontal (restoratively driven). Mais les résultats chirurgicaux et parodontaux, même s'ils permettaient dans le meilleur des cas un rétablissement des dimensions horizontales et verticales de la crête, ne permettaient pas, dans le cas de résorption verticale importante initiale, de corriger l'absence de papille et la mauvaise esthétique gingivale. La gencive prothétique, qui alors n'était typiquement pas considérée en diagnostic initial, semble à l'heure actuelle représenter la solution la plus appropriée pour une situation complexe. Nous sommes donc, à l'exception des techniques d'injection intragingivale d'acide hyaluronique (Becker et al., 2010), dans l'ère du prosthetic gingiva-driven, avec la gencive artificielle comme rôle de guide. Cette proposition thérapeutique permet de solutionner de façon optimale la demande esthétique actuelle concernant l'équilibre entre dent (white) et gencive (pink). La principale différence avec la prothèse conventionnelle est le conditionnement gingival par crête plate, afin de permettre une transition en douceur entre les gencives naturelle et artificielle et une bonne hygiène dans cette zone. Par conséquent, nous sommes passés d'une chirurgie préprothétique d'augmentation des tissus durs et mous à une chirurgie préprothétique ayant pour objectif d'optimiser la position de l'interface tissu/restauration par rapport à la ligne de la lèvre (fig. 27 et 28).

Différents types de gencives artificielles se sont succédé : la gencive artificielle en résine rose solidaire de la dent prothétique, la gencive artificielle en résine rose amovible – épithèse gingivale –, la gencive artificielle en céramique rose feldspathique, la gencive en résine composite et la gencive artificielle « hybride » céramique et composite (Coachman et Van Dooren, 2009 ; Coachman et al., 2009, 2010). Cette dernière représente le procédé de choix aujourd'hui, tant du point de vue du résultat esthétique que de la facilité d'hygiène.

Il est également important de rappeler qu'au-delà d'une perte osseuse verticale supérieure à 6 mm et étendue à plusieurs dents, la chirurgie d'augmentation ne pourra restaurer l'ensemble des tissus perdus. Elle devra donc s'accompagner d'artifices prothétiques comme les gencives artificielles, dont les dernières générations remplissent parfaitement le « cahier des charges » esthétique et fonctionnel. Cependant, la supériorité du résultat esthétique de la gencive prothétique par rapport à celui de la chirurgie est à mettre en balance avec une potentielle barrière psychologique du patient, pour qui l'idée reçue peut être que la chirurgie représente la solution idéale afin de remplacer à l'identique les tissus disparus. C'est alors au praticien qu'incombe le devoir d'informer puis de recueillir le consentement éclairé du patient. Par ailleurs, il est également important de noter que réaliser une transition harmonieuse entre les gencives prothétique et naturelle peut paradoxalement, dans certains cas, nécessiter une légère soustraction osseuse, lorsque le volume osseux résiduel reste esthétiquement trop important malgré sa résorption !

De plus, il paraît important de souligner que cette perte de soutien de la lèvre sera d'autant plus exacerbée que le patient aura perdu son soutien alvéolo-dentaire, ce qui entraîne une perte de dimension verticale et une apparence rétractée de la lèvre. La contraction continue du muscle orbiculaire des lèvres provoque alors l'apparition de ridules que l'on appelle « plissé solaire ». Cet effondrement labial peut alors induire des erreurs prothétiques par surélévation prothétique du bord libre.

La gestion thérapeutique cutanée va alors distinguer les rides labiales mineures, qui pourront être corrigées par des injections sous-cutanées de produits de comblement temporaires (Carruthers et Carruthers, 2006) – tel l'acide hyaluronique récemment apparu dans la pratique odontologique – ou permanents – telle la toxine botulique – des rides labiales majeures. Ces dernières ainsi que l'allongement et l'affaissement labial seront traités par un raccourcissement ainsi qu'une augmentation chirurgicale de l'épaisseur de la lèvre. Ces thérapeutiques sont d'usage courant en médecine et en chirurgie esthétique mais elles constituent une nouveauté en odontologie où elles représentent un traitement potentiel de la sénescence classique mais également un traitement adjuvant éventuel des traitements prothétiques.

Conclusion

Au terme de cet article, force est de constater qu'il n'existe pas, en dentisterie esthétique actuelle, de hiérarchie dans la qualité de prise en charge des déficits ostéo-muqueux ni de préférence thérapeutique générale à prédominance chirurgicale ou prothétique. Chaque chronologie de traitement d'un déficit ostéo-muqueux sera coordonnée, selon son degré d'importance et en l'absence de contre-indication générale de la part du patient, par une prise en charge multidisciplinaire incluant respectivement et conjointement reconstruction chirurgicale et artifices prothétiques.

L'insuffisance d'épaisseur vestibulaire de la gencive kératinisée maxillaire est peut-être le seul, parmi les quatre déficits ostéo-muqueux traités dans cet article, qui peut être réglé exclusivement par une gestion chirurgicale, à savoir un épaississement parodontal. Mais pour les trois autres déficits, la chirurgie reconstructrice ne peut constituer à elle seule la solution thérapeutique idéale lors, par exemple, de perte prononcée de papilles avec support osseux sous-jacent insuffisant, de récessions de classe IV de Miller ou bien lors de résorption osseuse supérieure à 6 mm dans le sens horizontal et surtout vertical. Il est alors nécessaire d'avoir recours à de multiples artifices permettant ces rattrapages prothétiques. Avec les évolutions techniques des biomatériaux, notamment des gencives artificielles et de leur biomimétisme, la solution prothétique peut désormais être proposée d'emblée.

Par ailleurs, l'opinion du patient concernant l'esthétique ainsi que l'évaluation professionnelle de son profil psychologique par le praticien comptent également afin de s'orienter plutôt vers une gestion chirurgicale ou prothétique et satisfaire ainsi à l'obligation de résultat inhérente à une demande esthétique. De plus, chaque patient manifeste des désirs spécifiques personnels qui, étant ou non en adéquation avec la préférence du praticien en tant que professionnel, demandent dans tous les cas un travail d'art par une combinaison variée de talents – chirurgie osseuse, chirurgie parodontale, chirurgie implantaire, chirurgie et médecine esthétiques – ainsi qu'une étendue du panel prothétique. L'expression « dentisterie esthétique » prend ici tout son sens : réunir ces différentes disciplines autour d'une même volonté, le rétablissement intégral du sourire des patients et, ainsi, présenter cette dentisterie esthétique comme une véritable fusion de l'art et de la science.

Partant du principe que l'esthétique est indissociable de la fonction et inversement, la dentisterie esthétique multidisciplinaire diffère de la dentisterie classique exclusivement fonctionnelle dans la conception du plan de traitement. Selon Spear et Kokich, le plan de traitement doit commencer par bien définir les objectifs esthétiques par un projet esthétique et une étude de faisabilité esthétique compatibles avec la biologie, la fonction, la biomécanique... dans le souci d'une restauration pérenne (Spear et Kokich, 2007). À partir de cet angle d'attaque sera déterminée, en fonction de l'importance de chaque déficit ostéo-muqueux, une orientation chirurgicale ou prothétique.

Enfin, il semble important de clore cette revue de littérature en rappelant, que face au déploiement d'un arsenal thérapeutique chirurgical et prothétique de plus en plus fourni pour tenter de gérer les déficits ostéo-muqueux et de restaurer un sourire équilibré tant sur le plan du « blanc » que du « rose », la beauté se doit malgré tout de rester naturelle, discrète et, certes, d'obéir à certaines normes esthétiques que nous avons pu décrire, mais elle doit surtout correspondre au désir profond de l'individu qui doit avant tout être lui-même pour pouvoir rayonner.

Remerciements

Remerciements aux docteurs Patrick Missika, Bernard Touati et Didier Fillion, qui par leurs talents dans leurs domaines respectifs, m'ont donné le goût du dépassement de soi et l'envie d'exceller dans ce métier.

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