Contamination bactérienne de la ponce de polissage au laboratoire de prothèse - Cahiers de Prothèse n° 106 du 01/06/1999
 

Les cahiers de prothèse n° 106 du 01/06/1999

 

Laboratoire de prothèse (dentaire)

T. Desse *   D. Duffaut **   J.-Ph. Gatignol ***   N. Malet ****  


*Faculté de chirurgie dentaire Toulouse III
Laboratoire de microbiologie
Département de sciences biologiques
3, chemin des Maraîchers
31062 Toulouse Cedex 4

Résumé

Le but de ce travail est de mettre en évidence à partir de prélèvements bactériens la contamination de la ponce usagée au laboratoire ainsi que les différentes sources de contamination de celle-ci. Plusieurs prélèvements sont effectués : ponce neuve et usagée, prothèses amovibles partielles avant polissage, eau pour la préparation de la ponce, environnement du laboratoire (surface de travail, sol, boîte de gants des opérateurs). Soixante-douze pour cent des bactéries isolées dans la ponce usagée sont identiques à celles des prothèses avant polissage. La ponce est un réservoir à potentiel pathogène. Elle peut donc être à l'origine de contamination croisée avec les patients si un protocole d'hygiène adapté n'est pas établi.

Summary

Bacterial contamination of the polishing pumice in the prosthesis laboratory

The aim of this work is to bring to the fore, from bacterial samples, the contamination of the used pumice in the laboratory as well as the different virtual sources of its contamination. Different bacterial samples are taken : new and used pumice, removable partial prosthesis before polishing, water being used for the preparation of the pumice, environment in the laboratory (working surface, floor, hands and gloves of the operators) with the help of sterile brushes and surface slides. Each sample is cultivated under aerobiosis and under anaerobiosis on an environment with agar-agar to identify the bacterial species. The bacterial flora found in the used pumice seems to be complex : 51 % of cocci Gram+, 21 % of cocci Gram-, 23 % of bacilli Gram-, 5 % of bacilli Gram+. A certain number of isolated bacterial species are also spotted in other samples (water, new pumice, working surface, prosthesis). Thus, 72 % of the isolated bacteria in the used pumice are identical to those identified in the samples of prostheses before polishing. The search for the origin of the contamination of the pumice seems to be interesting, especially in the implementation of hygiene protocols in order to eradicate this source of crossed contamination : disinfection of the prostheses, use of sterile water for the preparation of the pumice, non contaminating storage of the new pumice.

Key words

bacterial contamination, crossed contamination, dental prosthesis, pumice

Depuis une vingtaine d'années, plusieurs études [1-3] ont montré les risques de contamination microbienne croisée entre le laboratoire de prothèse et les patients porteurs de prothèses dentaires. Parmi les sources de contamination potentielle, la ponce constituerait un réservoir important de germes disséminés par la suite lors de la finition et du polissage sur les prothèses neuves ou nécessitant une réparation [4-6]. Les micro-organismes peuvent alors être transmis dans la cavité buccale des patients par l'intermédiaire des prothèses contaminées [7].

Le but de ce travail est de rechercher à partir de prélèvements bactériens :

- une contamination de ponce usagée au laboratoire ;

- l'origine de cette contamination.

Ceci permettra dans un deuxième temps de mettre au point un protocole d'hygiène adapté pour prévenir la contamination croisée (protocole opératoire pour la préparation et le traitement de la ponce, test d'efficacité de différents désinfectants utilisables sur les prothèses).

Matériels et méthode

Plusieurs types de prélèvements sont effectués :

- quinze prélèvements de poudre de ponce usagée après polissage et finition (préparation avec de l'eau provenant du réseau d'alimentation générale de la ville de Toulouse) sont effectués à l'aide d'écouvillons stériles humidifiés avec de l'eau stérile, puis placés dans un milieu de transport gélosé (Portagerm) (fig. 1) ;

- cinq prélèvements de poudre de ponce neuve sont effectués suivant la même technique (fig. 2) ;

- quinze prélèvements d'intrados et d'extrados de prothèses amovibles partielles non désinfectées, adressées au laboratoire pour réparation ou retouche, sont réalisés suivant la même méthode (fig. 3) ;

- cinq prélèvements d'eau du réseau d'alimentation générale sont effectués au lavabo du laboratoire de prothèse à l'aide de tubes Falcon® stériles (fig.4) ;

- cinq prélèvements de surface (plan de travail, sol, boîte à gants) sont effectués au laboratoire de prothèse à l'aide de lames de surface (Uriline) (fig. 5).

Les prélèvements sont envoyés immédiatement au laboratoire de microbiologie de la faculté de chirurgie dentaire de Toulouse et sont ensemencés sur différents milieux de culture gélosés avec de la :

- gélose additionnée de 5 % de sang de mouton pour le comptage total des colonies et l'isolement des cocci Gram+, des cocci Gram-, et des bacilles Gram+ (fig. 6) ;

- gélose Sabouraud pour les champignons ;

- gélose Bromo Cresol Pourpre pour l'isolement des bacilles Gram- (fig. 7) ;

- gélose Chapman pour les Staphylocoques.

Les milieux ainsi ensemencés sont placés dans l'étuve à 37° pendant 48 heures en aérobiose et en anaérobiose (station de travail anaérobie Forma Scientific Bioblock). L'identification des espèces bactériennes repose sur :

- l'observation des colonies ;

- l'examen à l'état frais ;

- la coloration de Gram ;

- les tests biochimiques (catalase, oxydase) ;

- les galeries d'identification de type Api® Staph (fig. 8).

Résultats

Prélèvements de la ponce après utilisation

Cent pour cent des prélèvements portent des micro-organismes ; aucun prélèvement ne montre la présence de Candida ni de bactérie anaérobie stricte.

Les pourcentages de bactéries cultivables prédominantes en fonction de la morphologie et de la coloration de Gram sont rapportés dans la figure 9 comme suit :

- 51 % de Cocci Gram+ (fig. 10) ;

- 21 % de Cocci Gram- (fig. 11) ;

- 23 % de Bacilles Gram- (fig. 12) ;

- 5 % de Bacilles Gram+ (fig. 13).

La distribution des germes cocci Gram+ est :

- 68 % de Staphylocoques ;

- 28 % de Streptocoques ;

- 4 % de Micrococcus (fig. 14).

La répartition des espèces isolées (fig. 15) est :

- 36 % de Staphylococcus capitis (fig. 16) ;

- 20 % de Staphylococcus warneri ;

- 8 % de Staphylococcus hominis ;

- 4 % de Staphylococcus cohnii ;

- 20 % de Streptococcus sanguis (fig. 17) ;

- 8 % de Streptococcus salivarius ;

- 4 % de Micrococcus (fig. 18).

Pour les Cocci Gram-, nous notons 100 % de Neisseria.

La distribution des espèces bactériennes bacilles Gram- (fig. 19) est :

- 55,5 % de Pseudomonas vesicularis (fig. 20) ;

- 33,4 % de Pseudomonas fluorescens ;

- 11,1 % de Pseudomonas diminuta.

Prélèvements de la ponce neuve

Sur cinq prélèvements :

- trois portent des micro-organismes ;

- aucun Candida et aucune bactérie anaérobie stricte n'ont été isolés.

La distribution des espèces bactériennes cultivables (fig. 21) est :

- 50 % de Staphylococcus capitis ;

- 25 % de Staphylococcus hominis ;

- 25 % de Micrococcus.

Prélèvements des prothèses amovibles non désinfectées avant polissage

Sur ces prothèses, ont été isolés (fig. 22) :

- 63,7 % de Cocci Gram+ ;

- 36,3 % de Cocci Gram-.

La distribution des Cocci Gram+ (fig. 23) est de 76 % de Staphylocoques contre 23 % de Streptocoques qui se répartissent comme suit : 33,3 % de Staphylococcus capitis, 14,3 % de Staphylococcus hominis, 14,3 % de Staphylococcus warneri, 14,3 % de Staphylococcus cohnii, 14,3 % de Streptococcus sanguis, 9,5 % de Streptococcus salivarius.

Pour les Cocci Gram-, nous isolons 100 % de Neisseria.

Prélèvements de l'eau du lavabo du laboratoire de prothèse

Cent pour cent de bacilles Gram- sont isolés avec 75 % de bacilles Gram- oxydase positive non identifiables par galerie Api® Staph (bacilles saprophytes de l'eau) et 25 % de Pseudomonas vesicularis (fig. 24).

Prélèvements de surface

Sur le sol

Cent pour cent de Cocci Gram- isolés (fig. 25) avec :

- 50 % de Staphylococcus capitis ;

- 50 % de Staphylococcus hominis.

Sur la boîte à gants

Nous isolons 100 % de cocci Gram+ (fig. 26) avec :

- 50 % de Staphylococcus capitis ;

- 25 % de Staphylococcus hominis ;

- 25 % de Micrococcus.

Sur les surfaces de travail

+ Cent pour cent de cocci Gram sont isolés (fig. 27) avec :

- 50 % de Staphylococcus capitis ;

- 50 % de Staphylococcus hominis.

Discussion

Les résultats de cette étude montrent que la ponce usagée après polissage et finition est contaminée par des bactéries représentées en majorité par des cocci (72 %) et en moindre quantité par des bacilles (28 %). Kahn [8] et Katberg [3] notent des résultats comparables avec une prédominance des cocci Gram+. Cependant, Williams et al. [5] révèlent que les bacilles Gram- sont les bactéries les plus fréquemment isolées dans la ponce contaminée. Ils ne donnent pas de résultats en pourcentage par rapport aux autres bacilles et aux cocci. Les prélèvements de ponce sont effectués à partir de quatre laboratoires privés différents alors que ceux de cette étude proviennent d'un seul et même laboratoire, ce qui peut expliquer la différence de résultats. De plus, les Streptocoques, les Staphylocoques, les Neisseria et les Microcoques isolés dans cette étude font partie de la flore commensale buccale. Ce sont des bactéries qui nécessitent pour leur survie la présence d'éléments nutritifs qui leur sont apportés par le milieu buccal. Les bacilles Gram- représentés par les Pseudomonas sont des bactéries saprophytes de l'environnement qui sont moins exigeantes pour leur facteur de croissance. Elles résistent plus longtemps à des conditions de vie défavorables.

L'analyse bactériologique a été réalisée dans cette étude immédiatement après les prélèvements de ponce. Ceci peut expliquer la survie des cocci et leur quantité plus élevée par rapport à l'étude de Wakefield [7] où le temps écoulé était plus long entre le prélèvement, le transport et l'analyse. Il est donc intéressant de rechercher la ou les sources de contamination de la ponce.

Si nous comparons les bactéries présentes dans la ponce neuve et non usagée, nous retrouvons dans les trois types de ponce avant et après utilisation des staphylococcus capitis, des Staphylococcus hominis et des Micrococcus. Nous pouvons donc penser que ces trois espèces sont présentes d'emblée dans la ponce neuve. Les deux espèces de Staphylocoques sont également retrouvées sur les prothèses non désinfectées et prélevées avant polissage. La contamination de la ponce par ces deux espèces bactériennes pourrait provenir aussi des prothèses, lors du polissage après réparation, puisque ces espèces sont des bactéries de la flore commensale buccale ; celles-ci sont également isolées sur les surfaces du laboratoire, ceci pouvant être expliqué par la diffusion sous forme d'aérosol de la ponce lors du polissage.

Les Streptococcus salivarius et sanguis ainsi que les Neisseria dans la ponce usagée ne sont retrouvés dans aucun autre type de prélèvement sauf sur les prothèses amovibles non désinfectées avant polissage. Ces trois espèces bactériennes sont des bactéries buccales systématiquement présentes dans la flore commensale orale. La contamination de la ponce par ces trois espèces bactériennes se produirait donc par l'intermédiaire des bactéries présentes à la surface des prothèses non désinfectées et envoyées au laboratoire pour réparation.

Les bacilles Gram- (avec en particulier Pseudomonas vesicularis) isolés dans la ponce usagée ne sont retrouvés que dans l'eau du lavabo du laboratoire, utilisée pour la préparation de la ponce. La contamination de la ponce usagée viendrait donc de l'eau du réseau d'alimentation.

En résumé, la contamination de la ponce après utilisation pourrait avoir trois sources bactériennes associées :

- la ponce à l'état brut sous forme de poudre ;

- l'eau du réseau d'alimentation lors de la préparation de la ponce ;

- les bactéries buccales adhérentes à la surface des prothèses non désinfectées (72 % des bactéries isolées identiques).

Il y aurait donc présence de bactéries buccales à potentiel pathogène et de bactéries non buccales comme les Pseudomonas classés dans les bactéries pathogènes opportunistes. Les bactéries présentes dans la ponce contaminée peuvent être transmises dans la cavité buccale de patients par les prothèses traitées au laboratoire. Elles peuvent provoquer des infections chez certains patients en particulier chez les sujets âgés, les patients porteurs de maladie chronique, les immunodéprimés (tabl. I).

Conclusion

Ce travail a donc permis de démontrer la contamination bactérienne de la ponce usagée (après polissage et finition) dans tous les prélèvements. La ponce constituerait un réservoir important de germes. Elle peut entraîner une contamination croisée entre le laboratoire de prothèse et les patients porteurs de prothèses dentaires, mais aussi les praticiens et le personnel du laboratoire de prothèse. Il apparaît donc indispensable de mettre au point un protocole d'hygiène adapté comprenant :

- une technique opératoire stricte pour la préparation et le traitement de la ponce au laboratoire de prothèse ;

- des tests de contrôle d'efficacité de différents désinfectants utilisables sur l'ensemble des prothèses.

La mise au point de ce protocole sera étudiée dans un prochain article.

bibliographie

  • 1 Clarke JP, Micik RE, Thomas RL. Environmental study of dental laboratories. J Calif Dent Assoc 1971;47:1.
  • 2 Fisher WT, Chandler HT, Brudvik JS. Reducing laboratory contamination. J Prosthet Dent 1972;27:221.
  • 3 Katberg JW. Cross-contamination via the prosthodontic laboratory. J Prosthet Dent 1974;32:412.
  • 4 Larato DC. Disinfection of pumice. J Prosthet Dent 1967;18:534-535.
  • 5 Williams HN, Falker WA, Hasler JF, Libonati JP. The recovery and significance of non oral opportunistic pathogenic bacteria in dental laboratory pumice. J Prosthet Dent 1985;54:725-730.
  • 6 Powell GL, Runnels RD, Saxon BA, Whisenant BK. The presence and identification of organisms transmitted to dental laboratories. J Prosthet Dent 1990;64:235-237.
  • 7 Wakefield CW. Laboratory contamination of dental prostheses. J Prosthet Dent 1980;44:143-146.
  • 8 Kahn RC, Lancaster MV, Kate W. The microbiologic cross-contamination of dental prosthesis. J Prosthet Dent 1982;47:556-559.