La prothèse transitoire fixée - Cahiers de Prothèse n° 110 du 01/06/2000
 

Les cahiers de prothèse n° 110 du 01/06/2000

 

Prothèse fixée

Georges Barber *   Jean-Marc Noailles **   Vincent Prat ***  


* Chirurgien-dentiste
11, boulevard de Varsovie
11000 Carcassonne
** Chirurgien-dentiste
33, rue André Delieux
31400 Toulouse
*** Prothésiste dentaire
60, avenue Etienne Billières
31000 Toulouse

Résumé

Une prothèse conjointe ne peut se concevoir sans la préservation d'un parodonte sain entre l'étape de la prise d'empreinte et celle de la pose. Elle ne peut pas s'envisager non plus sans des essais cliniques destinés à contrôler les rapports intermaxillaires statiques et dynamiques et à donner au patient un aperçu esthétique de sa future prothèse.

La prothèse transitoire peut répondre parfaitement à ces impératifs à condition de prendre le temps d'exploiter son potentiel de probation.

Summary

Transitional denture: an uncircumventable mean for esthetics and functional assessment

The conception of a fixed prosthesis demands that the periodontium is kept healthy between the stage of the denture impression and the one of its placement. It also requests clinical tests to check the statical and dynamical intermaxilla relationships up and to help the patient to figure out how the future prosthesis will look.

The transitory prosthesis is the perfect answer to these requirements providing that all the time necessary for exploiting its full probationary potential is taken.

Key words

esthetics, occlusion, transitional fixed denture

La prothèse transitoire ou de transition est une étape importante en prothèse fixée. Sa gestion correcte a pour finalité l'intégration parodontale, occlusale et esthétique de la prothèse terminée. Elle constitue une étape de réflexion, d'essais et de temporisation durant laquelle des solutions sont proposées, testées et adoptées après accord entre praticien, prothésiste et patient. Sauter cette étape ou ne pas lui consacrer toute l'attention nécessaire réserve à l'issue du traitement des surprises désagréables, souvent dommageables. Le manque d'évaluation, de préparation, d'observation au cours des essais cliniques conduit fatalement à des erreurs (fig. 1 et 2).

La prothèse provisoire ne doit pas être un simple « bouche-trou », réalisé promptement pour répondre à une demande (fig. 3). Elle ne doit pas être synonyme de prothèse bâclée. Le temps et la conscience professionnelle nécessaires doivent contribuer à lui faire jouer un rôle positif dans la thérapeutique prothétique (fig. 4). Pour répondre à cet impératif, cette étape comporte en général deux phases :

- la première conduit à la réalisation quasi extemporanée d'une prothèse respectant le mieux possible l'ajustage cervical, occlusal et proximal. Elle répond souvent à l'urgence clinique et permet de prendre le temps de confectionner ;

- dans une deuxième phase, une prothèse mieux intégrée à son environnement, susceptible de durer tout le temps de la préparation préprothétique. Cette prothèse peut alors être qualifiée de transitoire.

Mise en œuvre

Le praticien a le choix entre trois méthodes qui diffèrent selon le temps de réalisation, la qualité et la durée de vie de la prothèse.

Méthode directe

Elle est extemporanée et mise en œuvre en clinique. Cette méthode permet souvent de restaurer dans l'urgence, au moins partiellement, l'esthétique d'un sourire et la fonction occlusale tout en protégeant le parodonte.

Méthode semi-directe

La restauration morphologique de la dent se fait par adjonction de cire sur des modèles issus d'empreintes d'arcades complètes afin de mieux apprécier l'environnement occlusal du secteur délabré. La céroplastie peut être facilitée par l'utilisation de moules en silicone souple (Gnathoflex® de Bredent) (fig. 5). Il existe pour chaque dent plusieurs volumes et l'adaptation sur une préparation sommaire est aisée (fig. 6). Il suffit de couler de la cire fondue dans un moule (fig. 7), puis de la positionner sur l'arcade (fig. 8). Une empreinte en silicone de cette reconstitution est reportée en bouche et sert de support à la résine chémopolymérisable (fig. 9 et 10).

Cette méthode est mise en œuvre pour des prothèses unitaires ou des bridges de trois éléments lorsque la décision thérapeutique a été prise dans le plan de traitement initial.

Méthode indirecte

Elle est mise en œuvre au laboratoire de prothèse à partir de données cliniques. Elle concerne essentiellement les constructions plurales, les grands bridges et, de façon incontournable, les restaurations bimaxillaires, mais elle peut trouver également son indication pour des bridges de trois éléments, voire même les prothèses unitaires.

Elle optimise la chance de réussite de la prothèse définitive en préparant son intégration occlusale, esthétique et parodontale. C'est cette dernière méthode qui est décrite temps par temps.

Données cliniques

Elles doivent être les plus complètes et les plus précises possibles et sont constituées par :

- des moulages d'arcades de qualité à couler, de préférence en polyuréthane (fig. 11) ;

- le montage sur simulateur des modèles selon l'axe charnière et la relation intermaxillaire (RIM) choisie :

- les paramètres de réglage du simulateur : la pente condylienne, la courbe condylienne, la pente incisive, la courbe canine et la distance intercondylienne fonctionnelle dépendent de l'importance de la construction et des altérations subies par les déterminants de l'occlusion ;

- l'analyse céphalométrique (fig. 12) interprétée par le logiciel Gnathos® (Gnathos Study Group) [1, 2] débouchant sur la désignation de courbes d'arcades, et les courbes de compensations matérialisées sur des inserts [1, 2] (fig. 13, 14 et 15) ;

- l'orientation du plan frontal (fig. 16 et 17) ;

- les diapositives du cas clinique.

Mise en œuvre au laboratoire de prothèse

Le but est d'obtenir pour les arcades dentaires un ensemble de plans et de lignes harmonieuses s'intégrant parfaitement à l'architecture anatomo-morphologique du patient. Dans un premier temps, le volume des arcades existantes est apprécié dans le cadre de construction fourni par la clinique. Les dents qui débordent du cadre sont rectifiées par soustraction. Si cela s'avère insuffisant et si une thérapeutique orthodontique, voire orthognathique est prévue dans le plan de traitement, un set-up peut alors être réalisé.

Dans un deuxième temps, la reconstruction est entreprise par une céroplastie prospective (fig. 18). Une fois les arcades reconstituées, trois empreintes sont prises en silicone lourd :

- la première est sectionnée dent par dent. Le trait de section est transversal et situé au milieu de chaque dent. Chaque tronçon servira de guide de préparation (fig. 19) ;

- la deuxième est sectionnée selon un trait longitudinal suivant la ligne d'arcade et passant au milieu des faces occlusales. Deux guides sont ainsi obtenus, l'un vestibulaire, l'autre palatin ou lingual qui serviront également à la préparation en permettant de mieux apprécier la réduction à effectuer (fig. 20) ;

- la troisième servira de moule dans lequel sera coulée la résine des prothèses transitoires (fig. 21).

Puis, la cire est éliminée et des préparations homothétiques à la céroplastie sont réalisées sur les modèles en polyuréthane en se servant des guides en silicone (fig. 22).

Une fois les préparations effectuées sur le modèle, un deuxième type de guide est confectionné sur celui-ci. Il est en résine et servira en clinique à réduire rapidement la hauteur des dents à préparer.

Des armatures métalliques coulées (fig. 23), des renforts en fibre aramide de Kevlar ou encore des tiges de carbone (fig. 24), destinées à rigidifier les travées de bridge sont disposées sur le modèle préparé.

La résine est alors coulée dans l'empreinte prête pour l'isomoulage.

Choix du matériau

Les résines acryliques chémopolymérisables

Celles-ci sont à base de polyméthacrylate de méthyle (PMMA) pour le polymère et de méthacrylate de méthyle (MMA) pour le monomère. Les résines Texton® ou la Sevriton® de Dentsply ou la Tab 2000® de Kerr sont utilisées indifféremment (fig. 25). D'utilisation simple pour l'isomoulage ou le rebasage, elles présentent, comme principal défaut, une réaction de polymérisation fortement exothermique, dangereuse sur une dent pulpée et quelquefois irritante sur une gencive fragile.

Les résines à base de diacrylate chémopolymérisable

Livrées sous forme de pâtes, contenues dans des cartouches à placer dans des pistolets d'automélange, elles sont de type composite, car elles contiennent une charge minérale qui leur confère des propriétés mécaniques intéressantes (module d'élasticité 2,472 GPa) et la possibilité d'obtenir un état de surface lisse après le polissage. Ces produits sont commercialisés sous le nom de Protemp® (Espe), Isotemp® (3M), Temps S® (Bisico).

Elles présentent l'avantage d'une mise en œuvre « propre », ergonomique et offrent la possibilité d'une finition de qualité.

Les résines photopolymérisables

Elles ne sont pas conseillées, car elles posent un problème dans la technique d'isomoulage et, par ailleurs, elles ne présentent pas de propriétés mécaniques supérieures à celles des produits déjà décrits. Leur seul avantage serait celui du monomère : l'uréthane diméthacrylate non irritant pour les tissus dentaires et parodontaux.

Après démoulage, les excès de résine sont éliminés. Les prothèses transitoires sont placées sur les modèles montés sur articulateurs. Les rapports occlusaux sont vérifiés, puis la prothèse est polie. Un troisième guide ou clé, en plâtre synthétique est alors confectionné. Il prend appui sur des dents n'appartenant pas à la prothèse, qui servent de repères ou sur des surfaces muqueuses stables. Il est moulé très finement sur toutes les faces occlusales de la prothèse. Dans le cas de constructions bimaxillaires, cette clé se construit entre les arcades montées en simulateur d'occlusion (tige incise à + 2 mm) (fig. 26). Elle permettra le repositionnement en bouche des prothèses selon les mêmes rapports que sur le simulateur. Le laboratoire livre alors au cabinet les prothèses transitoires et l'ensemble des guides et des clés (fig. 27).

Mise en œuvre en clinique

Les dents sont préparées en se référant aux différents guides (fig. 28, 29). Les prothèses transitoires insérées dans la clé de montage sont essayées (fig. 30). Puis, une fois le repositionnement effectué, les prothèses sont garnies de résine chémopolymérisable. Pour palier l'inconvénient de l'exothermie de prise, les préparations sont protégées par un microfilm liquide (Rotec® de Bredent) qui évite la cohésion entre les matériaux de reconstitution de la dent et la résine tout en se comportant comme une barrière thermique. Peuvent également être utilisés un polyméthacrylate d'éthyle comme polymère et un n-butyl méthacrylate ou iso-butyl méthacrylate en monomère dont la réaction exothermique de polymérisation est plus faible. Ces résines présentent cependant des propriétés mécaniques moindres notamment leur module d'élasticité (0,74 contre 2,36 GPa pour PMMA-MMA) [3-6]. Dans le commerce, ces produits existent sous le nom de Dentalcon Plus® (Kulzer) et Trim® (H. j Bosworth). La clé est alors enlevée pour retrouver en bouche la même relation intermaxillaire que sur le simulateur (fig. 31).

Rebasage et polissage

Ce sont deux phases importantes de la réalisation d'une prothèse provisoire ou transitoire. Réalisées avec rigueur et attention, elles préserveront la bonne santé du parodonte marginal, ce qui facilitera grandement la prise d'empreinte dont la qualité est déterminante pour l'intégration correcte des prothèses définitives. Le rebasage est à renouveler jusqu'à la matérialisation précise des limites de préparation. Il se fait avec un matériau de la même famille que le matériau de base lorsque la préparation de la dent est terminée. Pour plus de précision, il est souhaitable d'utiliser des résines présentant un coefficient de rétraction plus faible, généralement employées pour la fabrication d'inlay en méthode directe afin d'accroître la précision comme la résine Piku-plast® (Bredent) transparente ou orangée (fig. 32). Elle peut s'appliquer par dépôt successif de poudre et de liquide, ce qui autorise des rebasages très fins des limites.

Le polissage est effectué à l'aide des disques abrasifs en papier (Pop-on® de 3M) permettant, grâce à leurs quatre granulométries différentes, un résultat acceptable (fig. 33 et 34). En clinique, le polissage global de la pièce prothétique se fait à l'aide de brossettes et de pierre ponce en stick. Le lustrage se fait avec une pâte lustrante et des pointes montées en feutre (Bredent) (fig. 35).

La qualité du rebasage et le polissage doivent être appréciés à la loupe binoculaire pour contrôler l'état de surface.

Une fois les ajustages cervicaux, occlusaux, proximaux vérifiés et bien finis, la pièce prothétique est enduite au pinceau d'une couche de résine liquide (Jetseal, LangDental MFG. Co, Inc. Denteco) ou de résine composite fluide faiblement chargée (Forfity® de Bisico). Cette dernière couche de finition a pour but de combler les microporosités de surface et donner un aspect brillant à la prothèse. La prothèse peut alors être scellée.

Les ciments provisoires résine comme le Tem-Rex® provisoire sans eugénol conviennent parfaitement. Ils présentent une fluidité favorisant une interface de scellement très fine et une excellente étanchéité (fig. 36). Les excédents de ciment sont facilement et totalement éliminés, ce qui réduit d'autant les sources d'irritation du parodonte marginal. La prothèse est vérifiée au cours d'une ou plusieurs séances cliniques, au cours desquelles des modifications peuvent être apportées facilement tant au niveau du schéma occlusal que de l'esthétique ou de l'environnement parodontal (fig. 36).

La prothèse transitoire indirecte permet également de visualiser, tant pour le praticien que pour le patient, différents choix possibles dans la forme et le positionnement des dents sur l'arcade (fig. 37, 38, 39, 40 et 41). Elle permet de prendre le temps d'une décision pour le choix esthétique, celui-ci pouvant ainsi être soumis à l'appréciation du patient et de son entourage.

Cette appréciation de l'esthétique est délibérément limitée au choix de la forme et du positionnement des dents ainsi qu'à l'harmonisation des volumes et des courbes d'arcades. Il apparaît délicat, voire risqué, à ce stade, de soumettre à l'essai et à l'appréciation du patient, la palette des couleurs et des compositions de teintes possibles.

Lorsque la prothèse de transition est de longue durée, la qualité esthétique peut être améliorée en utilisant, par exemple, une nouvelle génération de résines composites (Enamel Plus Temp® de Bisico), susceptibles d'être travaillées par stratification, ce qui donne un résultat temporaire plus satisfaisant.

À quoi sert la prothèse transitoire ?

Les méthodes directe, semi-directe ou indirecte ont toutes pour finalité une bonne intégration parodontale, occlusale et esthétique de la prothèse définitive. Ce maillon de la chaîne prothétique que représente la prothèse transitoire donne les moyens d'atteindre le but fixé en permettant de temporiser et de tester les options choisies, cela par souci de réussite de la thérapeutique prothétique.

L'intégration parodontale

Elle ne peut être obtenue que sur un parodonte sain. Or, une dent délabrée qui nécessite la pose d'une prothèse présente très souvent un parodonte marginal ou sous-jacent inflammatoire. La prothèse provisoire ou transitoire permet d'attendre la guérison du parodonte ou la stabilisation de la maladie (fig. 42, 43, 44, 45 et 46).

Il faut noter qu'un parodonte sain peut être victime d'une préparation agressive dont la cicatrisation est assurée par un ajustage précis, cervical et proximal de la prothèse transitoire (sans négliger l'occlusal) et des conseils d'hygiène bucco-dentaire, rappelés au patient. La prise d'empreinte pour la prothèse définitive sera alors plus facile et de meilleure qualité.

Si la lésion parodontale est plus profonde, des soins plus spécifiques peuvent être nécessaires. La prothèse transitoire est alors réadaptée au niveau cervical au fur et à mesure de la cicatrisation par des rebasages successifs. Elle est un moyen de temporisation et de contention.

L'intégration occlusale

Elle est difficile à obtenir d'emblée, surtout en propulsion et en diduction, car la cinématique mandibulaire est rarement reproductible avec fidélité par les simulateurs d'occlusion actuels. Les réglages fins peuvent être effectués en clinique, souvent par addition de matériaux, ce qui s'avèrerait impossible à réaliser sur une prothèse terminée.

Dans le cas de grande reconstruction, le schéma occlusal proposé doit être validé in vivo. La prothèse transitoire prend là toute son expression thérapeutique.

Lorsque après les essais, les modifications apportées s'avèrent efficaces, une empreinte précise est prise et le laboratoire pourra soit s'inspirer de la nouvelle morphologie des faces occlusales soit créer une table incisive fonctionnelle pour enregistrer les paramètres de guidage antérieurs du simulateur de manière suffisamment approchée (fig. 47). En procédant ainsi, le plus souvent, seules des retouches soustractives mineures sont à effectuer lors de l'essai des prothèses définitives.

L'intégration esthétique

Les patients sont de mieux en mieux informés et de plus en plus exigeants dans ce domaine. La prothèse transitoire est un moyen parmi d'autres pour obtenir, après les essais, un consensus entre le patient et son entourage, le praticien et le prothésiste.

Les essais consistent à contrôler l'harmonie des courbes d'arcades avec les lignes du sourire, à rechercher les formes, les volumes et les implantations dentaires adéquates, à prendre l'avis et obtenir l'agrément du patient (fig. 48, 49, 50 et 51).

Conclusion

L'adjectif « provisoire » donnant une connotation péjorative à cette phase essentielle de la thérapeutique prothétique, il est préférable de qualifier celle-ci de « transitoire » ou d'employer la locution « prothèse de transition » pour lui accorder, par les mots, l'importance qu'elle présente dans la pratique.

Bibliographie

  • 1 Sanial A, Henné M. Philosophie du Gnathos Study Group. Conférence Gat, IXe journées, Paris, novembre 1990 et 1991.
  • 2 Barber G, Prat V. Proposition d'une méthode pour une réhabilitation bimaxillaire par prothèse composite. Cah Prothèse 1997;97:7-29.
  • 3 Braden M, Clarke RL, Pearson GJ, Campbell Key SW. A new temporary crown and bridge resin. Brit Dent J 1976;141:269-272.
  • 4 Combe EC. Notes on dental materials. Edinburgh : Churchill Livingstone, 1981.
  • 5 Meyer JM, Belser U. Les matériaux pour couronnes et ponts provisoires. Réalités Cliniques 1994;5(1);15-24.
  • 6 Al-Mulla MAS, Huggett R, Brooks C, Murphy WM. Some physical and mechanical properties of a visible light actuated material. Dent Mater 1988;4:197-200.