Situations occlusales préprothétiques : pourquoi et comment intervenir ?
 

Les cahiers de prothèse n° 112 du 01/12/2000

 

Occlusodontie

Catherine Turlay  

Ancienne assistante
hospitalo-universitaire Paris V
9, rue Philibert Lucot -75013 Paris

Résumé

L'occlusion dentaire et ses incidences esthétiques et fonctionnelles sont une préoccupation quotidienne du chirurgien-dentiste. L'observation et l'analyse occlusale minutieuses permettent de détecter une occlusion perturbée avant d'insérer tout élément prothétique dans la cavité buccale. Les schémas occlusaux offrent un cadre normatif définissant l'occlusion optimale. Si la situation occlusale initiale montre des dysfonctionnements, il est nécessaire de l'améliorer pour supprimer les causes de perturbations occlusales et ne pas dépasser les capacités adaptatives du patient en introduisant de nouvelles contraintes. Analyser et modifier l'occlusion est parfois indispensable et toujours bénéfique pour faciliter l'intégration prothétique.

Summary

Pre-prosthetic occlusal situations : why intervene and how?

The initial occlusal situation must be examined with attention to detect some harmful occlusal disturbances before any prosthetic restoration. The occlusal observation and analysis allow to notice four essential criteria of evaluation: the degree of integrity of the occlusal anatomy, the respect of the orientation of occlusal curves, the presence of a central and stable dental position, the possible freedom of the gnathic moves. The observation of clues of the disturbed occlusion allow to settle a diagnosis of occlusal dysfunctioning jeopardizing the quality and durability of the prosthetic restorations. The occlusal outlines follow optimum occlusal rules and principles that we adapt to a clinical and prosthetic reality depending on the individual characteristics. The initial occlusal preparation favours an improvement of the function and of the aesthetics whether it is through selective grinding or through more complex processes like prosthesis, orthodontics or surgery.

Key words

dental occlusion, prosthodontics, occlusal relationships

L'examen occlusal préprothétique permet d'observer le système manducateur d'un patient afin d'appréhender son fonctionnement, son niveau d'adaptation et de prévoir éventuellement son évolution. L'observation et l'analyse occlusale se réalisent à partir de l'examen minutieux des dents, du parodonte, des courbes et des plans qu'elles dessinent. La rencontre mandibulo-crânienne et les mouvements fonctionnels autorisés en interrelation avec les muscles et l'articulation temporo-mandibulaire complètent l'examen. De la qualité de la position mandibulaire et de la précision de la rencontre des dents entre elles découlent les possibilités d'assurer la fonction de mastication.

L'objectif dans l'observation clinique d'un patient est de rechercher toutes les perturbations, altérations ou anomalies occlusales. Un diagnostic de la fonction occlusale est posé et peut alors révéler une situation occlusale défavorable qui peut s'aggraver ou qui ne serait pas compatible avec l'exigence prothétique. C'est la phase décisionnelle des corrections occlusales dont les moyens vont des actions locales à un changement total occlusal. Les schémas occlusaux imposés par les contraintes prothétiques et les moyens de corrections occlusales préprothétiques seront détaillés.

Les dysfonctions musculaires et articulaires ne seront pas abordées ici. Elles devront cependant toujours être traitées et stabilisées avant d'envisager une réhabilitation prothétique.

Observation et analyse occlusale

L'observation et l'analyse du système manducateur se font après un entretien clinique qui permet d'établir la relation thérapeutique et pendant lequel l'anamnèse des symptômes a été clairement discutée.

L'examen occlusal, partie de l'examen clinique, comporte l'observation plus spécifique de :

- l'unité dentaire ;

- l'organisation intra-arcade ;

- l'organisation interarcades ;

- la position mandibulaire spécifique à la relation centrée ;

- les mouvements mandibulaires ;

- les interférences.

Examen de l'unité dentaire

Les critères occlusaux d'observation de l'unité dentaire ou de l'élément prothétique qui la remplace permettent d'évaluer sa morphologie. Ils regroupent la morphologie linguale des dents antérieures et toutes les faces occlusales. La convexité des cuspides dont l'affrontement réalise les fosses, l'acuité et la hauteur cuspidiennes, la présence et la situation des structures d'échappement (sillons, embrasures) ainsi que la forme des crêtes marginales permettent de visualiser la forme et l'orientation de la table occlusale.

Les perturbations de l'occlusion peuvent se traduire par des signes de vieillissement de la couronne clinique allant de l'altération de la morphologie occlusale par abrasions ou fêlures jusqu'à la perte de substance par fracture (fig. 1a, 1b et 1c).

L'altération non physiologique des éléments est repérée de manière globale ou localisée par des facettes d'usure fonctionnelle ou parafonctionnelle entraînant parfois des signes dentaires de sensibilité ou de douleur.

Les malpositions dentaires résultant des migrations, versions ou égressions modifient les contraintes subies lors des déplacements mandibulaires dans la répartition et l'intensité des forces occlusales pouvant entraîner des usures prématurées des dents ou des mobilités.

L'orientation du grand axe de la dent est repérée dès lors qu'il n'est pas aligné avec les dents voisines et qu'il n'est pas dans la même direction que la résultante axiale des forces occlusales.

Les différents caractères anatomiques dentaires, qu'ils soient occlusaux ou radiculaires, ont une justification ergonomique. Les cuspides par leur convexité sont à la fois efficaces du point de vue masticatoire, stabilisantes, favorables à l'éruption dentaire et peu sensibles à l'usure [1]. Il faut repérer si l'unité dentaire assure son rôle fonctionnel ou si elle est en hypofonction ou hyperfonction, ce qui entraîne une distribution inégale des forces. Une anatomie occlusale valide apparaît d'importance fondamentale pour qu'un fonctionnement harmonieux de la musculature masticatrice accomplisse la mastication, la déglutition, la phonation ou le maintien de la position mandibulaire [2].

Le degré d'intégrité de l'anatomie occlusale constitue la première clé de l'analyse occlusale.

Le maintien de la dent en bonne position est fonction de son parodonte qui doit être évalué. Certains symptômes comme la mobilité, la récession gingivale ou l'inconfort ont été souvent reliés à des problèmes occlusaux. L'occlusion traumatique est un facteur de risque dans la progression des maladies inflammatoires parodontales [3], un cofacteur dans l'étiologie des maladies parodontales qui entraîne l'approfondissement d'une lésion préexistante [4, 5]. Plus la perte de support parodontal est grande, plus le contexte occlusal devient important. On doit toujours garder présente à l'esprit l'interrelation entre le parodonte et l'occlusion, sachant que le contrôle de l'occlusion ne peut être que bénéfique.

Organisation intra-arcade

L'analyse du groupe de dents que forme une arcade permet de connaître les possibilités de répartition des forces et de rencontre interarcades de par la forme, l'intégrité et la continuité de l'arcade. La qualité et la situation des contacts proximaux, la hauteur des crêtes marginales, l'alignement des faces vestibulaires et linguales forment une harmonie contenue dans un « tunnel imaginaire » ininterrompu et stabilisant.

Les exigences d'organisation intra-arcade démontrent une solidarité et une interdépendance entre l'arc antérieur (de canine à canine) et les courbes postérieures qui seront révélées dans la fonction. L'arc antérieur est caractérisé par son inclinaison vestibulo-linguale, la situation de la ligne du sourire et par son rôle d'arc relationnel. Il forme une entité esthétique et fonctionnelle très différente des courbes postérieures définies par les courbes occlusales de Spee et de Wilson dont le rôle est la trituration.

• En vue sagittale, selon Spee, les surfaces masticatoires des molaires s'alignent selon une courbe convexe vers le bas pour l'arcade supérieure et une courbe concave vers le haut pour l'arcade inférieure. Cette courbe de Spee est schématisée par la courbe antéro-postérieure passant de la pointe canine aux pointes cuspidiennes vestibulaires des prémolaires et des molaires mandibulaires. C'est une courbe concave parasagittale (fig. 2a et 2b) qui est en relation intime avec la pente condylienne.

Si la courbe de Spee est très accentuée en postérieur, c'est une inclinaison défavorable pour obtenir une désocclusion postérieure en denture naturelle comme en prothèse fixée. En revanche, en prothèse amovible complète, elle favorise l'obtention d'un « trépied » stabilisateur.

Si la courbe de Spee est plate, cela entraîne une désocclusion facilitée, mais les forces occlusales ne sont alors pas orientées selon le grand axe des dents.

• En vue frontale, la courbe de Wilson traduit l'orientation vestibulo-linguale des faces occlusales des dents et le recouvrement des dents mandibulaires par les dents maxillaires. Elle est schématisée par une courbe à concavité supérieure passant par les pointes cuspidiennes vestibulaires et linguales des dents pluricuspidées. C'est une courbe concave frontale (fig. 3a et 3b). Slavicek précise que les axes des dents convergent vers le haut et vers le milieu. C'est la zone de pression par excellence. La transmission des forces se fait axialement vers la voûte palatine [7]. Toute perturbation excessive de l'orientation ad linguam des faces occlusales des dents peut entraîner des interférences lors de la cinématique mandibulaire.

L'observation de ces deux courbes permet de visualiser l'orientation des tables occlusales. Le plan d'occlusion est une surface virtuelle passant par les bords libres des incisives mandibulaires et les faces occlusales des dents postérieures. C'est un précieux outil de référence pour situer les dents par rapport aux condyles et au crâne dans la reconstruction prothétique.

Les courbes et plans occlusaux sont révélateurs de l'ensemble des axes des dents, du respect des règles de continuité de l'arcade et, donc, des possibilités de distribution, de répartition des forces et d'interaction occlusale lors de la rencontre interarcades.

Les anomalies de l'arc antérieur ou des courbes postérieures peuvent engendrer des perturbations occlusales par migrations dentaires (versions, rotations, égressions…), surcharges occlusales (interférences, mobilités…) et/ou être incompatibles avec les possibilités de reconstruction (fig. 4, 5, 6 et 7).

L'orientation et la continuité donc l'harmonie des courbes occlusales de Spee et de Wilson forment la deuxième clé de l'analyse occlusale.

Organisation interarcades

Le mouvement de fermeture amène les dents en contact dans une position mandibulaire et articulaire précise : c'est la rencontre interarcades déterminée par l'occlusion d'intercuspidie maximale (OIM) avec un engrènement maximal. Elle détermine également la dimension verticale d'occlusion (DVO).

Deux niveaux d'analyse sont abordés :

- l'arc antérieur et ses contacts ;

- les deux courbes postérieures et leurs contacts.

L'observation et l'analyse occlusale au niveau de l'arc antérieur permettent de noter la situation des bords libres des incisives mandibulaires et maxillaires : le recouvrement vertical, le surplomb horizontal (fig. 8a et 8b), la présence d'une béance ou d'une supraclusie (fig. 9 et 10), l'alignement ou le décalage des points interincisifs, la présence ou non de contacts occlusaux légers sans frémitus.

La rencontre interarcade au niveau postérieur se traduit par les contacts dentaires. Leur nombre, leur situation, leur répartition, leur intensité, leur surface sont des indicateurs de la stabilité qu'ils peuvent engendrer. La quantité, la précision et la simultanéité des contacts ainsi que la symétrie de cette distribution maintiennent cette stabilité. On note si les impacts occlusaux s'orientent selon le grand axe des dents cuspidées. La synergie axiale des forces occlusales orientées verticalement selon le grand axe des dents est une orientation optimale des forces pour la stabilité des dents.

Maness précise que le centre des efforts de la mastication est dans la région des première molaire et deuxième prémolaire, ce qui en fait une zone de contacts privilégiés [9].

L'écoute du son que font les dents (tap tap) à la fermeture est un moyen limité d'évaluation, car un bruit clair et net peut également traduire des contacts stables dans une position excentrée [10].

La position des contacts dentaires en OIM est évolutive dans le temps, marquée par le vieillissement et l'usure. Elle se différencie également selon le jour et la nuit ainsi que le moment de la journée (matin ou soir) par le nombre et la qualité des contacts [11].

L'OIM est un repère de calage pour effectuer la déglutition. Elle est reproductible dans un temps limité et permet une contraction maximale des muscles élévateurs. L'OIM constitue la référence d'analyse le plus facilement utilisable. La qualité et la quantité des contacts occlusaux déterminent la stabilité de la position de l'OIM. Cette stabilité de l'OIM est renforcée par la symétrie, la synergie axiale et la simultanéité des contacts dentaires.

La stabilité de l'OIM est la troisième clé de l'analyse occlusale.

Lors de l'observation des rapports interarcades, il est d'usage de se référer à la classification d'Angle. Elle détermine une classification des malocclusions uniquement fondée sur les rapports dans le sens mésiodistal de la première molaire mandibulaire avec la première molaire maxillaire, ainsi que sur la position des canines. La normoclusion est définie par la classe I : la 1re molaire mandibulaire a une position mésiale par rapport à la 1re molaire maxillaire ; la canine maxillaire a une position distale d'une demi-dent par rapport à la canine mandibulaire.

Les autres situations occlusales sont définies comme des malocclusions. La classe II est caractérisée par une distoclusion de la 1re molaire mandibulaire et une mésioclusion de la canine maxillaire. La classe III est caractérisée par la mésioclusion de la 1re molaire mandibulaire et une distoclusion de la canine maxillaire. Cette classification se réfère à une norme anatomique qui ne tient pas compte du caractère fonctionnel de l'occlusion.

Recherche de la position mandibulaire spécifique à la relation centrée

En 1984, la relation centrée est définie par le Collège national d'occlusodontie comme étant la situation de coaptation condylo-disco-temporale haute, simultanée, enregistrable à partir d'un mouvement de rotation, obtenue par guidage non forcé, répétitive avec précision dans un temps donné, pour une posture donnée [1].

Seulement 10 % de la population a une coïncidence entre l'occlusion en relation centrée (ORC) et l'occlusion d'intercuspidie maximale (OIM). Dans la majorité des cas, le mouvement axial terminal en rotation pure lors de la fermeture amène la mandibule en ORC à établir des contacts occlusaux spécifiques appelés « prématurités ». L'ORC présente alors peu de contacts et principalement sur les prémolaires. Les critères d'observation des contacts sont les mêmes que dans l'OIM, et les contacts inégaux, asymétriques ainsi que l'anormalité du décalage ORC-OIM sont notés.

Observation et analyse des mouvements mandibulaires

En partant de la position de l'OIM, il est habituel de demander aux patients de réaliser des mouvements centrifuges, comme la propulsion et la latéralité, et de les observer à partir de l'OIM (fig. 11). Or, Lauret et Le Gall précisent que la mastication se réalise principalement par des mouvements centripètes qui aboutissent à une pluralité et une intimité de contact plus importante que dans les mouvements habituellement simulés [12-14], d'où l'importance de l'observation des guidages dentaires à la fois d'un point de vue classique (centrifuges), mais aussi d'un point de vue fonctionnel (centripètes).

Ces mouvements mandibulaires déterminent une enveloppe fonctionnelle dont le but est l'accomplissement de la mastication, de la déglutition et de la phonation. Ils s'inscrivent dans une enveloppe maximaliste des mouvements limites guidés et limités par les structures articulaires et ligamentaires. Par opposition, la présence de mouvements en dehors des actes à finalité fonctionnelle [15] définit les mouvements parafonctionnels.

Mouvement d'ouverture-fermeture

Le trajet d'ouverture mandibulaire est observé et mesuré. Sa déviation ou sa limitation peuvent être révélatrices de perturbations occlusales. L'amplitude moyenne du mouvement d'ouverture maximale est de 40 mm.

Lorsqu'un patient serre doucement les dents depuis la posture de repos jusqu'à l'OIM, aucun obstacle ne doit dévier le mouvement [6]. Or, celui-ci peut être perturbé par une mauvaise coordination musculaire et aboutir à une OIM acquise par évitement des contacts occlusaux nocifs [17].

Le mouvement de fermeture permet alors de révéler le premier contact, puis le dérapage pour accéder à l'OIM. Les interférences lors de la fermeture peuvent être ainsi notées.

La mise en charge musculaire est régulée par la transmission des informations desmodontales au système nerveux central. Grâce aux réflexes proprioceptifs et nociceptifs, la manducation est autoprotégée [15].

Glissement antérieur

Le trajet en propulsion permet le glissement des bords libres des incisives mandibulaires contre les concavités palatines des incisives maxillaires de l'OIM au bout à bout incisif. Ce trajet est déterminé par la position et l'anatomie des dents antérieures qui constituent le guide incisif. Le trajet a une direction médiane dans le plan sagittal. On note son amplitude et sa déviation. L'amplitude moyenne du mouvement de propulsion est de 10 mm. La qualité du trajet est fonction de la participation de chaque unité, de la densité et de la forme du trajet : linéaire, interrompu ou en relais. L'efficacité et la répartition des forces pendant l'incision dépendent de cette participation. Les contacts en bout à bout marquent les limites du guide antérieur par leur usure spécifique. On observe la possibilité de désocclusion des secteurs postérieurs en propulsion.

Glissement latéral

Le trajet en diduction se réalise dans le plan frontal par rapport au plan sagittal médian et intéresse différentes unités dentaires. Le glissement du bord libre de la canine mandibulaire sur la concavité palatine de la canine maxillaire est la fonction canine. Le glissement de la canine et d'autres dents antérieures est la fonction de groupe antérieure. Le glissement de la canine et d'autres dents postérieures est la fonction de groupe postérieure. L'amplitude moyenne du mouvement de latéralité, mesuré par rapport au déplacement du point interincisif, est de 10 mm. On observe la possibilité de désocclusion du côté non travaillant.

Glissement en arrière

Au cours de la manducation, les contacts qui s'établissent en rétraction-protraction sont exceptionnels [15]. Cependant, l'ORC étant de repère condylien et l'OIM de repère dentaire, plus ces deux positions sont proches, plus il y a une harmonie occlusale.

La trajectoire de rétraction mandibulaire s'effectue par le glissement dentaire de la position OIM à la position ORC. La trajectoire de protraction mandibulaire s'effectue par le glissement dentaire de la position ORC à la position OIM. Ce trajet est encore appelé le glissement ou le décalage ORC-OIM.

La méthode d'appréciation clinique la plus simple consiste à amener la mandibule du patient en ORC et de lui demander ensuite de serrer fermement les dents. Les dents glissent les unes contre les autres de l'ORC à l'OIM sans contrainte.

On note les dents qui entrent en contact en ORC, puis celles qui participent au glissement jusqu'à la fin du mouvement pour terminer en OIM. Dans la majorité des cas, ce glissement de l'arrière vers l'avant, de bas en haut, médian ou latéral, est assuré par les cuspides palatines des 1res prémolaires maxillaires (pan mésial de la cuspide linguale) et s'appelle le guide anti-rétrusif (GAR) [1]. Ce guide anti-rétrusif doit être équilibré, bilatéral, symétrique et simultané pour éviter toute déviation mandibulaire.

La trajectoire du décalage déviant du plan sagittal médian en latéralité gauche ou droite a une signification plus importante que dans le plan vertical [1, 18, 19]. La mesure de la composante horizontale du décalage est en général de 3/10 ou 4/10 de mm avec des variations allant jusqu'à 2 mm.

Certaines modalités de l'occlusion constituent un terrain favorable à l'apparition de dysfonctionnements de l'appareil manducateur. Seligman et Pullinger ont montré que la présence d'une béance antérieure squelettique, un glissement ORC-OIM supérieur à 2 mm, un surplomb horizontal supérieur à 4 mm ou un édentement postérieur de 5 dents ou plus sont fréquents dans une population de patients présentant des désordres cranio-mandibulaires [20].

Recherche des interférences

Une interférence est définie comme une surface dentaire en contact qui dévie la mandibule lors d'un mouvement normal donné [21]. Ces contacts sont mis en évidence lors des différents mouvements mandibulaires à l'aide de papiers marqueurs colorés. L'interférence provoque une mauvaise répartition des charges occlusales. Elle induit une restriction de l'aire du champ fonctionnel des mouvements et donc parfois des symptômes musculaires [22].

Okeson distingue les interférences aiguës, qui provoquent une réponse musculaire protectrice limitant l'activité fonctionnelle (cocontraction), des interférences chroniques qui impliquent une modification de la réponse musculaire. Celles-ci entraînent soit une modification des engrammes musculaires par apprentissage d'un trajet différent (évitement de conflit), soit l'apparition d'un désordre musculaire douloureux. Une interférence aiguë se traduit par des symptômes immédiats alors qu'une interférence chronique engendre des troubles musculaires et articulaires. Les contacts qui affectent le plus intensément les fonctions musculaires sont ceux qui altèrent l'intercuspidation [23].

• L'interférence peut se situer effectivement lors de la fermeture à l'approche de l'OIM ou à l'approche de l'ORC lors du mouvement axial terminal et dans tous les départs ou arrivées des glissements mandibulaires. Entre ORC et OIM, l'interférence est un contact qui provoque une déviation latérale de la mandibule supérieure à 0,5 mm [19].

Le contact non travaillant est une interférence (médiotrusive) quand il se substitue au contact travaillant pendant le mouvement. Les contacts non travaillants ne sont pas interférents quand ils sont simultanés aux contacts travaillants.

Le contact travaillant est une interférence (postérieure latérotrusive) si le contact postérieur pendant le mouvement prend en charge la désocclusion à la place du secteur incisivo-canin.

Le désengrènement du secteur antérieur en propulsion peut être provoqué par un contact postérieur (interférence postérieure protrusive) ou par un contact antérieur (interférence antérieure protrusive) (fig. 12a, 12b et 12c).

La suppression des interférences conduit à répartir les fonctions de guidage sur les autres dents. En propulsion et en latéropulsion, une ou plusieurs dents peuvent intervenir de concert ou en relais (fig. 13a, 13b, 13c et 13d).

La quatrième clé de l'analyse occlusale est la liberté de mouvements mandibulaires sans résistance musculaire [24].

• À ce stade d'analyse, le montage des moulages d'étude sur l'articulateur facilite l'examen et donne la possibilité d'approfondir ses connaissances des rapports occlusaux du patient (fig. 13e et 13f) [25]. C'est un examen complémentaire profitable quand le cas est complexe, car il réduit le temps d'observation clinique. Cela permet d'informer le patient, de lui présenter le cas et d'obtenir son consentement si nécessaire [26].

Ainsi, quatre critères incontournables dans l'observation et l'analyse occlusale sont mis en évidence pour évaluer la situation occlusale initiale :

- l'intégrité de l'anatomie occlusale ;

- l'harmonie des courbes occlusales de Spee et de Wilson ;

- la stabilité de l'OIM ;

- la liberté des mouvements mandibulaires.

La constatation de perturbations, d'altérations ou d'anomalies de ces quatre critères de l'occlusion permet de poser un diagnostic de dysfonctionnement occlusal. Par exemple, la perte d'efficacité masticatoire, l'instabilité mandibulaire, les anomalies de la DVO, la perte de calage postérieur, la béance antérieure, l'occlusion inversée, la présence d'interférence ou de prématurité sont des dysfonctionnements occlusaux [1] avec ou sans troubles fonctionnels objectivés.

• L'examen clinique occlusal révèle la spécificité qu'a chacun de réaliser la fonction manducatrice. Chaque individu organise un système occlusal très personnel, très précis, avec de petites « manies occlusales » qu'il développe pour compenser certains défauts ou obstacles.

Pour éviter les interférences, il existe un phénomène réflexe contrôlé par le système neuro-musculaire entraînant une hyperactivité musculaire.

Cette hypertonicité de la musculature reste dans les capacités adaptatives du patient. Clayton parle d'une dysfonction musculaire asymptomatique [21]. Les patients ne ressentent aucune gêne. L'absence de symptomatologie est un critère d'équilibre et correspond à une occlusion tolérée et adaptée qui peut durer toute une vie.

Cet équilibre peut être rompu et devenir potentiellement pathogène si la réduction de la capacité de résistance, donc le seuil de tolérance, est abaissée par l'introduction de nouvelles perturbations occlusales ou par les contraintes psychiques et émotionnelles faisant basculer une occlusion « équilibrée, adaptée » en occlusion pathogène. Elle se caractérise par l'apparition de gêne, de fatigue, d'inconfort ou de douleur. L'observation et l'analyse occlusale évitent de tomber dans ce piège car ils permettent la correction des signaux d'alarme avant toute réalisation prothétique.

Schémas occlusaux

La perte des éléments dentaires, quelle qu'en soit l'origine, peut poser des difficultés de détermination d'une position dentaire et de sa reconstruction prothétique. Les concepts occlusaux ont été créés pour apporter une réponse à la perte de référence mandibulaire et dentaires. Trois concepts occluso-prothétiques servent généralement de base aux reconstructions prothétiques [27, 28].

L'occlusion intégralement équilibrée se traduit par des contacts multiples des surfaces occlusales durant les mouvements excentrés. Batarec précise qu'il faut au moins trois contacts occlusaux non alignés (trépied) [29] :

- contacts simultanés du côté travaillant et non travaillant en diduction ;

- contacts simultanés des dents antérieures et postérieures en propulsion ;

- la position de référence est l'occlusion en symétrie centrée.

L'occlusion unilatéralement équilibrée se conçoit avec pour point de départ l'ORC avec toutes les dents en contact et une aire de tolérance sagittale et frontale (wide et long centric) à la dimension verticale d'occlusion. (C'est un concept plus théorique que pratique.) Les rapports interdentaires sont de 1 dent sur 2 dents de type cuspide-crêtes marginales :

- en latéralité, on observe une fonction de groupe du côté travaillant et une absence de contact du côté non travaillant. Côté travaillant, les contacts s'établissent entre les versants travaillants avec une désocclusion de tous les versants non travaillants ;

- la propulsion permet, de l'ORC jusqu'au bout à bout incisif, le glissement des incisives mandibulaires sur les incisives maxillaires avec une désocclusion immédiate des dents cuspidées.

• L'occlusion mutuellement protégée propose en ORC des contacts fermes et intimes des secteurs postérieurs avec des contacts antérieurs légers. Les rapports interdentaires sont du type tripodique cuspide-fosse (1 dent sur 1 dent) :

- la latéralité permet le glissement, du côté travaillant, de l'ORC au bout à bout de la canine seule (fonction canine ou protection canine) avec une désocclusion des dents du côté non travaillant ;

- en propulsion, les 6 dents antéro-inférieures glissent sur les concavités palatines des incisives maxillaires avec séparation des dents cuspidées.

Les concepts occluso-prothétiques définissent une occlusion idéale, normative, réalisable dans des conditions de reconstruction très spécifiques. Mais le caractère individuel et spécifique de chaque patient dans son fonctionnement, les difficultés de réalisations techniques et les contraintes prothétiques ouvrent la discussion sur la possibilité de réaliser cette occlusion idéale. Une cohérence doit se créer entre le respect du système occlusal du patient et les contraintes prothétiques imposées par les différents moyens de reconstruction.

Le but de tout schéma occlusal est de créer une position mandibulaire de reconstruction qui corresponde à une occlusion dentaire précise et stable (fig. 14). Effectuer des mouvements mandibulaires harmonieux et efficaces sans fatigue musculaire et obtenir un équilibre articulaire, musculaire et dentaire inscrit dans la globalité du corps est alors possible.

Pour déterminer des schémas occlusaux proches de la réalité clinique et prothétique, trois principes sont essentiels :

- trouver une position dentaire stable ;

- développer une fonction avec un soutien mutuel des structures ;

- rétablir le sourire.

Stabilité de la position de reconstruction à une dimension verticale acceptable dans une bonne relation condylienne

Comme il existe une position de repos, il est nécessaire de réaliser une position dentaire stable. Elle sert de repère pour la déglutition. Elle permet une bonne répartition des forces occlusales et la possibilité d'exercer des forces musculaires avec un appui précis. Cette position stable peut être soit l'OIM, soit l'ORC.

La stabilité de l'unité dentaire avec un parodonte sain dépend de la possibilité d'établir une morphologie occlusale efficace avec des contacts occlusaux précis. En OIM, les dents antérieures sont légèrement en contact et ne subissent pas de forces importantes dans cette position (fig. 15). Les impacts et les charges occlusales en OIM sont assurés par les dents postérieures [2].

Romerowski et Bresson, cités par Sarfati [28], préconisent pour la stabilité des contacts :

- soit une relation cuspide-fosse (Stuart et Thomas) (fig. 16a et 16b) ;

- soit une relation cuspide-embrasure (Payne et Lundeen) (fig. 16c et 16d) ;

- soit des relations mixtes cuspide-fosse et cuspide-embrasure.

La qualité et la quantité des contacts postérieurs sont facteurs de stabilité s'ils sont les plus nombreux possible, sans frémitus, équitablement répartis entre les côtés droit et gauche en respectant une symétrie sagittale, simultanés et égaux en intensité. Ils permettent une activation simultanée des récepteurs parodontaux, une activation synchrone et de même intensité des muscles.

L'orientation des charges occlusales selon le grand axe des dents (synergie axiale des forces) implique le respect de la construction des courbes occlusales. De Boever pense que le facteur occlusal le plus important est la stabilité occlusale se référant à une position stable des mâchoires quel que soit le nombre de dents [30].

Le premier élément (postérieur) des schémas occlusaux est la stabilisation par les contacts occlusaux.

Soutien mutuel des structures pour la liberté de mouvements

Le soutien mutuel représente le respect de l'accord forme-fonction des structures entre elles. Les incisives coupent, les canines dilacèrent, les dents cuspidées écrasent. Le système musculaire actionne. L'anatomie des condyles impose des limites et guide les mouvements.

Les structures de l'appareil manducateur se protègent mutuellement. Les dents postérieures par leurs contacts fermes en OIM protègent les dents antérieures. Les dents antérieures protègent les dents postérieures en prenant en charge le guidage. Les condyles sont protégés par la butée avant des incisives, par la butée latérale des canines et par la butée arrière des prémolaires. Les mouvements mandibulaires sont libres d'interférences : pas d'interférence entre OIM et ORC, pas de contacts non travaillants en latéralité et pas de contacts postérieurs en propulsion [2, 21, 31].

Chaque structure établit une sorte de relais et de complémentarité, en fonction de la forme et de la fonction de chacune. L'organisation du système de soutien permet d'optimiser l'aptitude de chacun à effectuer la fonction avec un minimum d'usure.

• En prothèse conjointe, on tend à instaurer une occlusion mutuellement protégée. Le choix de la fonction canine s'impose pour des facilités de réalisation technique, mais la fonction de groupe, bien équilibrée, reste une alternative en fonction de la situation et des possibilités des dents voisines [24]. Dans les deux cas, on observe la désocclusion des dents du côté non travaillant.

Ce type de schéma occlusal est difficile à obtenir en classe II ou III d'Angle et dans les cas d'occlusions inversées [32].

• En prothèse complète, nous utilisons l'occlusion intégralement équilibrée.

• En prothèse amovible partielle, le principe occlusal du soutien mutuel est un compromis entre le système occlusal du patient et les impératifs prothétiques qui dépendent de la nature et de la situation de l'édentement des deux arcades. Si une prothèse partielle est opposée à une prothèse complète, le concept de l'occlusion bilatéralement équilibrée doit être respecté. La complexité des situations cliniques impose un compromis afin d'éviter les mouvements de bascule de la prothèse et les trop fortes contraintes sur les dents naturelles. Lorsque la canine est restaurée, il y a un risque de bascule de l'élément prothétique ; il est préférable alors de créer une fonction de groupe postérieure. Schittly précise que les dents naturelles protègent systématiquement les dents prothétiques [33]. Nous ajouterons qu'elles se soutiennent pour répartir les forces occlusales.

• Dans les cas de prothèse implantoportée, on observe une occlusion implantaire protégée par les dents naturelles avec des points de contacts occlusaux très légers, limités aux forces axiales sur les implants, une diminution, voire une suppression des forces latérales, pas de contact sur les dents intermédiaires, pas d'extension [34]. Par exemple, la canine implantaire doit céder la place à une fonction de groupe postérieure.

Le soutien des structures entre elles induit un minimum de contraintes pour chaque élément.

Le deuxième élément (antérieur et postérieur) des schémas occlusaux est le soutien mutuel des structures pendant la fonction.

Rétablir le sourire

Le sourire est lié à la composition et à l'agencement de l'arc antérieur. Il représente un potentiel relationnel et de communication immédiat. Il est dans le visible. Il correspond à un phénomène culturel et de société auquel il est important d'être attaché. L'esthétique est une des priorités de nos patients.

Les objectifs esthétiques obéissent à un certain nombre de règles comme la position, la forme, la taille, le profil, la teinte de chaque dent, la proportion des dents entre elles et par rapport au visage, la situation du point interincisif médian, le recouvrement et le surplomb, l'orientation, la forme et la position de l'arc incisif supérieur par rapport aux dents inférieures, aux lèvres et au visage, etc. Le respect de ces règles permet d'améliorer ou de reconstruire le sourire sans altérer la personnalité du patient.

Le troisième élément (antérieur) des schémas occlusaux est le respect des règles de construction du sourire du patient.

Objectifs des schémas occlusaux

Le plaisir

Selon Dawson, le premier but de l'occlusion thérapeutique est de ne pas avoir d'inconfort dans la région de l'ATM ou dans les muscles masticateurs même lors d'un serrement maximal des dents [17]. À la question : « Qu'est-ce que vous attendez de vos dents ? », on peut imaginer la réponse : « Ne pas y penser » donc apprécier un confort dans la mastication sans fatigue et sans douleur. Nous y ajouterons le plaisir de manger et de sourire. Une occlusion efficace et confortable est un facteur de bien-être.

La protection réciproque

L'occlusion est protégée, car le système proprioceptif limite les sollicitations. L'OIM répartit les forces occlusales. Les dents antérieures protègent les dents postérieures par un guidage antérieur efficace. La seule présence de contacts antérieurs et la désocclusion postérieure empêchent la contraction maximale des élévateurs, ce qui protège les ATM. Une occlusion symétrique, que ce soit par les contacts occlusaux ou par les guidages, facilite un recrutement musculaire alterné et synchrone. La protection concerne toutes les structures depuis les dents, les muscles, les ATM et le corps entier qui sont en interrelation. Il s'agit de créer une occlusion qui s'inscrive sans nuire dans le système corporel et préserve les tissus.

La pérennité

Toutes les conditions mises en place comme le souci de fabriquer un beau sourire, de définir une position stable et précise et de développer le soutien mutuel doivent être maintenues dans le temps pour préserver la santé du système manducateur. Les phénomènes d'adaptation permettent d'atteindre un équilibre [1]. La conception d'une restauration prothétique doit rester dans les capacités adaptatives du patient sans induire de nouvelles contraintes. Adapter au mieux la forme à la fonction pour empêcher l'apparition d'une parafonction, tel doit être l'objet de tout concept occlusal [27].

Trois éléments déterminent les schémas occlusaux pour une occlusion optimale : la stabilisation des contacts occlusaux (fig. 17), le soutien mutuel des structures et le respect des règles de construction du sourire (fig. 18). Les objectifs de ces schémas sont le plaisir, la protection réciproque et la pérennité des structures.

Aménagements occlusaux préprothétiques

Préalablement à des restaurations prothétiques, vouloir normaliser les rapports intra-et interarcades est justifié pour atteindre des objectifs d'amélioration de la fonction et de l'esthétique. Il convient de modifier les causes des perturbations occlusales afin d'éviter l'altération structurelle des éléments dentaires et le dépassement du seuil de tolérance du patient.

La préparation initiale occlusale favorise une mise en condition dentaire et neuro-musculo-articulaire permettant d'envisager la réhabilitation prothétique dans de meilleures conditions [16]. Avoir un contrôle sur l'occlusion du patient avant d'intervenir permet d'être plus fonctionnel et de prévoir les résultats [35]. Plusieurs outils sont à notre disposition comme l'équilibration occlusale, les gouttières occlusales, l'orthodontie ou la chirurgie maxillo-faciale. Nous avons choisi de décrire dans cet article trois degrés d'évolution pour réorganiser l'occlusion selon l'état occlusal initial et la complexité des cas cliniques : le meulage sélectif, l'ajustement occlusal et la réhabilitation occlusale globale [26, 36].

L'usure prématurée et excessive de la denture dans le cas du bruxisme, est traitée par le port de gouttières de libération occlusale. Associer un traitement des perturbations d'ordre psychique et émotionnel au traitement symptomatique peut éviter les récidives.

Meulage sélectif préprothétique

Il vise à améliorer les conditions occlusales pour faciliter la future intégration de l'élément prothétique (fig. 19a et 19b). Tant que le patient ne peut être amené en position de relation centrée sans douleur ou réaction musculaire, on n'entamera pas de meulage, car on ne dispose pas d'une position stable, reproductible [30]. Le port d'une gouttière occlusale est alors indispensable pour autoriser l'accès à l'occlusion de relation centrée par la sédation des symptômes [35].

Les signaux d'alarme comme les fractures, les fêlures, les mobilités, les migrations, l'usure excessive localisée, les facettes d'usure non fonctionnelle, les frémitus, des trajets mandibulaires déviés ou limités ou douloureux peuvent être la conséquence d'interférences occlusales [32, 37, 38] et impliquent alors une vérification et une correction de l'occlusion. Les fractures à répétition ou les fêlures ou descellements des restaurations prothétiques sont attribués à une charge occlusale défavorable [39].

Le meulage sélectif est le remodelage d'une ou de plusieurs dents pour réduire ou changer les contacts occlusaux indésirables [26]. C'est une modification amélaire par soustraction, acte irréversible, qui a des limites et ne peut résoudre toutes les situations cliniques. Les contre-indications majeures de ce meulage sont la sensibilité dentaire et les conditions psychologiques défavorables.

La phrase de Wirth, citée par Kohaut, doit rester présente à l'esprit : « Ce que l'on perd en émail doit être compensé par ce que l'on gagne en morphologie. » [40].

Le meulage sélectif visera surtout une meilleure stabilité occlusale plutôt que la création d'un profil d'occlusion idéal. La correction des indices cliniques de l'occlusion perturbée tend à créer un système sans interférences occlusales (SIO) pour une activité fonctionnelle sans restriction ou inconfort [21].

Les principales règles du meulage sont les suivantes :

- remodeler les surfaces occlusales : approfondissement des sillons, restauration de l'acuité cuspidienne ; pour une anatomie occlusale efficace (clé 1) ;

- augmenter le nombre de contacts et améliorer la situation des contacts : situer les contacts sur les pointes cuspidiennes et fosses antagonistes au plus près du centre de la dent, pour la stabilité de l'occlusion de la position de reconstruction (clé 2) ;

- améliorer la continuité, la régularité et la stabilité des arcades et l'orientation des courbes occlusales (clé 3) ;

- répartir et harmoniser les guidages : guidages incisif, canin ou fonction de groupe, anti-rétrusif, afin qu'ils soient fonctionnels pour assurer la liberté de mouvement sans interférences occlusales (clé 4).

Le montage des moulages sur l'articulateur permet l'étude de la faisabilité du remodelage occlusal et éventuellement d'en poser la contre-indication. À cause de la nature dynamique du système masticateur, les résultats du meulage sélectif sont rarement permanents et demandent à être réévalués et contrôlés [41].

Ajustement occlusal

Il s'agit de l'étape du compromis occlusal où il est nécessaire de procéder à l'ajustement de l'occlusion du patient pour pouvoir réaliser une reconstruction prothétique, fixe, amovible ou implanto-portée (fig.20a et 20b).

Les moyens d'ajustement occlusaux dépassent le meulage sélectif et utilisent, pour la conception de nouvelles courbes occlusales ou pour déterminer de nouvelles références esthétiques, la prothèse, l'orthodontie ou la chirurgie orthognathique.

La rupture de la courbe de Spee par édentement précoce et non compensé entraîne l'égression des dents antagonistes qu'il faut soit corriger par un élément prothétique fixé (onlay de recouvrement, CCM, etc.), soit extraire pour réaménager une courbe postérieure sans interférence ou augmenter l'espace prothétique. Le montage des modèles sur articulateur et la réalisation de cires de diagnostic permettent d'évaluer les possibilités d'intégration des éléments prothétiques dans le système occlusal du patient.

En présence de dysmorphose dento-alvéolaire (version, égression, ectopie) ou squelettique (prognathie, béance), les possibilités orthodontiques et chirurgicales sont multiples et améliorent grandement les possibilités prothétiques [42]. On peut citer, entre autres, les redressements orthodontiques des axes dentaires pour corriger les versions, migrations, rotations ; les contrôles des espaces d'édentement pour autoriser l'ouverture ou la fermeture d'espace ou la mise en place d'une canine incluse ; les rectifications des articulés inversés. Dans ces situations, si l'analyse occlusale n'a pas détecté les indices d'une occlusion perturbée et si les corrections n'ont pas été faites, il existe un risque d'accumuler des contraintes qui pourraient faire dépasser les capacités d'adaptation de l'appareil manducateur [43].

Réhabilitation occlusale globale

Elle a pour objectif de produire un nouveau schéma occlusal spécifique quand les références dentaires sont insuffisantes, inexistantes ou erronées. La conception du nouveau système occlusal est entièrement imaginée selon les schémas occlusaux connus et choisis en fonction du patient (fig. 21a, 21b et 12c). Ce sont les cas de changement de position mandibulaire, d'augmentation de la dimension verticale et de reconstruction des surfaces occlusales trop altérées (bruxisme).

Les moyens d'aménagements occlusaux comme les gouttières occlusales aident à déterminer une position mandibulaire. La réalisation des wax-up sur des modèles montés sur articulateur teste la faisabilité du schéma occlusal choisi. Les prothèses provisoires le valident ultérieurement ainsi que la possibilité d'augmenter la dimension verticale. L'orthodontie et la chirurgie permettent des corrections de sens vertical, transversal, du décalage des bases squelettiques et du plan d'occlusion supérieur. Chacune de ces étapes nécessite des périodes de temporisation qui permettent de tester les réponses du patient aux modifications apportées. Ce n'est qu'après une parfaite adaptation et tolérance de ces changements que la restauration globale finale peut être terminée.

Conclusion

Les contraintes imposées par la perte d'éléments dentaires obligent à poser un diagnostic de l'occlusion du patient pour intégrer les restaurations prothétiques sans risque. L'analyse occlusale est un outil de dépistage des perturbations de l'occlusion. Plusieurs clés sont à notre disposition pour établir ce diagnostic occlusal :

- l'intégrité de l'anatomie occlusale ;

- l'harmonie des courbes occlusales de Spee et de Wilson ;

- une position médiane et stable en OIM ou en ORC ;

- la liberté des mouvements mandibulaires.

Les schémas occlusaux tendent à se rapprocher d'une occlusion optimale physiologique avec des principes de réalisation qu'il convient de moduler en fonction de la situation clinique. Avoir des règles mécaniques de reconstruction est nécessaire, mais améliorer nos connaissances fonctionnelles de la musculature et de l'occlusion est indispensable. Lorsque nous devons réaliser une réhabilitation prothétique, il est judicieux de corriger les facteurs occlusaux qui induisent des signes et symptômes mais aussi ceux qui seraient susceptibles d'en favoriser l'apparition.

La restauration de l'occlusion vise des objectifs de protection des structures, de pérennité, de santé orale et de confort. Pour cela, la réhabilitation occluso-prothétique repose sur des valeurs spécifiques : un repère dentaire conséquence d'une position stable, des guidages dento-dentaires assurant une mobilité optimale et puis la possibilité relationnelle d'offrir un sourire.

Remerciements : l'auteur remercie vivement les Docteurs Denis Dowek et Jean-Charles Kohaut pour leur aide et les Docteurs Alain Decker et Patrick Renault pour le prêt de leur iconographie.

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