Syndrome « GAPO » chez l'adulte : réhabilitation prothétique complète sur dents temporaires - Cahiers de Prothèse n° 113 du 01/03/2001
 

Les cahiers de prothèse n° 113 du 01/03/2001

 

Prothèse composite

Béatrice Walter *   William Bacon **   Abdessamad Boukari ***   Henri Tenenbaum ****  


* MCU-PH
** PU-PH
*** MCU-PH
**** PU-PH
Faculté de Chirurgie Dentaire
Département de Prothèse Fixée
1, place de l'Hôpital
67000 Strasbourg

Résumé

Le syndrome GAPO associe un retard de croissance, une alopécie, une pseudo-anodontie et des anomalies oculaires. Un patient âgé de 27 ans, atteint de ce syndrome, représente le seul cas recensé en France et le 24e dans le monde. Il consulte pour une malocclusion qui se traduit par la persistance sur les arcades des dents temporaires et, radiographiquement, par la rétention dans le maxillaire et la mandibule des dents permanentes. L'ankylose de toutes les dents contre-indique leur extraction et oriente la démarche thérapeutique vers la réalisation de couronnes télescopes sur les dents temporaires et de prothèses complètes amovibles supradentaires à châssis métalliques.

Summary

« GAPO » syndrome in adult: prosthetic treatment with full overdenture on temporary teeth

This rare case of GAPO syndrome (Growth retardation, Alopecia, Pseudoanodontia and Optic dystrophy) presented unique features. Orally, this patient showed the presence of all primary teeth with the exception of 51 and 81, as well as impacted 75 and 85. All permanent teeth were impacted but 11 and 41. The temporary dentition was worn and ankylosed with arrested vertical growth of the dento-alveolar process and showed an absence of significant root resorption. At rest, lower face height appeared acceptable while in the occluding position the lack of vertical support rotated the mandible to a strong and ungra-ceful prognathic position with reduced lower face height. Extractions of temporary and permanent teeth could not be envisaged here without dangerously threatening the mandible or complication the rehabilitation process. It was therefore decided to treat the patient with telescope crowns on the primary teeth and full overdentures. Periodontal preparation of the temporary dentition necessitated crown elongations. The vertical dimension of the face was increased by 17 mm. The dentures were well tolerated and provided a remarkable improvement of the patient's aesthetic and functional comfort. At 6 years post treatment, no detrimental side effect could be detected.

Key words

cranio-facial dysmorphism, GAPO syndrome, overdentures, pseudoanodontia, temporary teeth

Le syndrome GAPO est rapporté pour la première fois en 1947 (sous une appellation différente) par Anderson et Pindborg [1]. Ils décrivent un garçon d'origine danoise, âgé de 19 ans, qui présente tous les signes du syndrome GAPO tel qu'il est connu aujourd'hui. Le terme GAPO (acronyme anglo-saxon de Growth retardation, Alopecia, Pseudoanodontia and Optic dystrophy ) est proposé par Tipton et Gorlin en 1984 [2] et signifie retard de croissance, alopécie, pseudo-anodontie et anomalies oculaires. C'est un syndrome extrêmement rare: seuls 24 cas ont été identifiés et publiés dans le monde à ce jour.

Le seul cas recensé en France est présenté dans cet article [3, 4]. Il s'agit d'un jeune homme âgé de 27 ans, qui consulte pour une malocclusion, pour laquelle il recherche une solution essentiellement esthétique. Outre cette malocclusion, due à la présence sur les arcades de dents temporaires et de seulement deux dents permanentes, 11 et 41, ce patient présente des malformations qui imposent une description de sa morphologie générale, cranio-faciale et bucco-dentaire.

Des signes caractéristiques, en particulier une pseudo-anodontie, sont décrits. Ils se retrouvent chez les 23 cas déjà publiés et permettent, par comparaison, d'établir le diagnostic d'un syndrome GAPO chez ce patient. En réponse à sa demande, à l'issue de ce diagnostic, une réhabilitation prothétique lui est proposée.

La phase préprothétique, puis les étapes d'élaboration des prothèses transitoires et, enfin, des prothèses d'usage sont décrites successivement pour une bonne compréhension de ce traitement particulier.

Le syndrome GAPO

Le syndrome GAPO [3, 4] se caractérise par :

- quatre signes cardinaux : un retard de croissance, une alopécie, une pseudo-anodontie et des anomalies oculaires ;

- des pathologies associées : cutanées, cardiovasculaires, neurologiques et organiques internes, osseuses et ligamentaires.

Le phénotype GAPO

Les 24 patients répertoriés à ce jour ont tous un aspect similaire caractéristique. Ils sont de petite taille, bien proportionnés: les membres sont courts, les pieds grands mais les mains et les doigts sont petits. Un retard de croissance n'est observé que vers l'âge de 6 mois car, à la naissance, le poids paraît normal alors que la taille est parfois réduite.

La dysmorphie cranio-faciale est évidente: la hauteur du visage est réduite alors que la tête est large avec des bosses aux niveaux frontal, occipital et temporal.

Les oreilles peuvent être épaisses, les narines sont antéversées, l'ensellure nasale est prononcée, les paupières sont gonflées et les lèvres protruses. L'arête supra-orbitale et les globes oculaires sont saillants. Les cils sont épars et les sourcils absents. Le cuir chevelu et le front sont parcourus de veines proéminentes et marqués par des replis cutanés qui se retrouvent dans le visage, lui donnant un aspect vieilli, et sur l'ensemble du corps, lui donnant une apparence musclée.

Si, dans certains cas, des cheveux existent à la naissance, ils finissent par tomber progressivement et l'alopécie est alors totale vers l'âge de 2 à 3 ans.

Embryologie

Le syndrome GAPO est classé parmi les dysplasies ectodermiques. Au nombre de 117, elles sont désignées par un codage et classées en sous-groupes [5]. Le syndrome GAPO (une tricho-dento-onychodysplasie) appartient au sous-groupe codé 1-2-3, associant des troubles du développement, des cheveux, de la pilosité, des ongles et des anomalies dentaires.

Anatomie

Nous décrivons les différentes parties anatomiques associées à chacun des signes du syndrome.

Retard de croissance

La croissance est normale jusque vers l'âge de 1 an, diminue progressivement et, à l'âge adulte, la taille est inférieure à la moyenne. Des examens radiographiques du crâne et du squelette montrent un retard de l'âge osseux de 1 à 2 ans mais aucune dysplasie. Les dosages des hormones de croissance donnent des valeurs normales et n'expliquent pas ce retard.

Alopécie

L'alopécie est un signe constant du syndrome GAPO. Une analyse d'échantillons de cheveux montre qu'ils sont fins mais de structure normale. Des biopsies du cuir chevelu montrent un épiderme fin et des papilles conjonctives remplies d'un matériau hyalin et de fibres de collagène.

Pseudo-anodontie

C'est la rétention totale dans le maxillaire et la mandibule de toutes les dents permanentes. Dans presque tous les cas, le diagnostic est établi lorsque les parents consultent, inquiétés par l'absence chez leur enfant des dents temporaires et permanentes. Cependant, dans 3 cas sur les 24 rapportés, des dents temporaires ont fait leur éruption. Les examens radiographiques confirment dans les maxillaires et les mandibules hypodéveloppées, dans un chaos général, la présence des dents temporaires et des dents permanentes. Les couronnes et les chambres pulpaires sont normalement développées, mais les racines sont courtes [6]. Des biopsies de gencive révèlent des faisceaux de fines fibres de collagène et des cellules endothéliales hypertrophiées le long des capillaires. Il est essentiel de préciser que la pseudo-anodontie n'existe dans aucun autre syndrome: c'est un signe unique, clé du diagnostic du syndrome GAPO.

Anomalies oculaires

Elles sont inconstantes et variables dans leur évolution. Si elles sont décrites, il s'agit d'atrophies optiques, de cataracte bilatérale, de glaucome congénital ou juvénile, ou de nystagmus horizontal.

Pathologies associées

Un certain nombre de signes pathologiques sont décrits dans le GAPO, les uns occasionnels, les autres plus fréquents.

• Pathologie cutanée

Elle se traduit par un excès de peau qui forme des plis sur l'ensemble du corps. Des biopsies montrent une augmentation du nombre des fibres de collagène dans les espaces extracellulaires et une diminution du nombre des fibres élastiques.

• Pathologie cardiovasculaire, neurologique et organique interne

Il s'agit de pathologies valvulaires, vasculaires avec des anomalies circulatoires. Dans presque tous les cas, une hernie ombilicale est décrite.

• Pathologie osseuse et ligamentaire

Une hyperlaxité ligamentaire est souvent rapportée. Les examens radiographiques montrent des anomalies osseuses qui se situent essentiellement au niveau des maxillaires avec une absence de pneumatisation des sinus.

Étiologie

Le syndrome GAPO semble se transmettre selon un mode autosomal récessif. Ce choix est orienté par le fort pourcentage (68,5 %) de consanguinité. En effet, dans 15 cas sur les 24 décrits, les parents des patients ont des ancêtres communs.

Le patient

Motif de la consultation et examen général

En 1992, un patient de sexe masculin, âgé de 27 ans, est adressé par son praticien à la Faculté de chirurgie dentaire de Strasbourg pour une réhabilitation prothétique. En réalité, cette consultation est motivée par le souhait de ce jeune homme « d'avoir des dents qui se voient pour ne plus paraître édenté et pouvoir sourire ». D'emblée, on est surpris par l'allure générale du patient. Il est de petite taille et trapu, sa tête paraît large, il porte une perruque mais son visage paraît petit (fig. 1). Dans la cavité buccale sont présentes des petites dents très usées (fig. 2).

Ces premières constatations suscitent immédiatement un interrogatoire, facilité par la présence de la mère, pour apporter d'éventuels renseignements sur les antécédents familiaux et l'enfance de son fils. Le patient est français, et toute sa famille est originaire de Franche-Comté. Ni ses parents, ni ses deux frères ne présentent une anomalie déclarée, ni d'ailleurs aucun autre membre de la famille. Une consanguinité parentale est bien établie et, d'après l'arbre généalogique, elle remonte à quatre générations du côté maternel et à trois générations du côté paternel, son taux s'élevant à 1/64. La mère rapporte que l'enfant était normal à la naissance, pesait 3,700 kg, avait des cheveux et des sourcils.

À l'âge de 4 ans, un retard de croissance a été constaté mais le développement psychomoteur était normal. À l'âge de 5 ans a commencé une calvitie qui était totale à l'âge de 17 ans (fig. 3) et cachée depuis par le port d'une perruque. Le jeune homme a perdu les sourcils mais non les cils, et se rase.

Le retard de croissance et l'alopécie ont fait l'objet de nombreuses consultations en milieu hospitalier, qui n'ont contribué ni à la compréhension du tableau clinique, ni à l'orientation vers un diagnostic. Si le patient se contente de cette absence d'informations car il est peu gêné par ces deux anomalies, il est cependant très pré-occupé par son problème dentaire. En effet, il s'inquiète de la persistance de ses petites dents, supposées être des dents temporaires, car apparues normalement pendant la petite enfance, mais n'ayant jamais été remplacées.

Et, depuis l'âge de 18 ans, il consulte pour trouver une solution esthétique à ce pseudo-édentement, ne se plaignant d'aucune gêne sur le plan fonctionnel. Cependant, malgré ces nombreuses consultations, aucune proposition concrète ne lui est faite. Complexé et de plus en plus affecté dans sa vie relationnelle, il s'isole de la société et ne communique plus qu'avec son proche entourage ; sur son lieu de travail, il se montre compétent mais muet. Sur les conseils d'un praticien de la région, il consulte alors avec l'espoir de trouver enfin un début de réponse à son problème. Au cours de cette consultation, l'interrogatoire, riche en renseignements pour le moins surprenants, incite à compléter l'observation par un examen général plus approfondi.

Ce jeune adulte mesure 1,61 m et pèse 62 kg. Il est en bonne santé et s'exprime correctement malgré son déficit sur le plan dentaire. Les membres supérieurs et inférieurs sont bien proportionnés mais, par rapport à la taille, les membres inférieurs sont proportionnellement courts avec des grands pieds. Quant aux mains, elles sont petites avec des doigts courts (fig. 1).

Examen exobuccal

Il révèle une dysmorphie cranio-faciale marquée par une tête large et un visage petit, avec des téguments épais et peu fermes qui rendent les traits « grossiers ». Le front haut est marqué d'une bosse frontale, l'occiput est proéminent, l'alopécie est complète. L'arête supra-orbitale est proéminente et dépourvue de sourcils, les globes oculaires sont saillants et les paupières bordées de cils épars. L'ensellure nasale est prononcée, les narines sont antéversées et les ailes du nez bien délimitées.

En position de repos, la face est bien équilibrée et, bouche fermée, les lèvres sont épaisses et protruses (fig. 4a et 4b). En revanche, en position d'occlusion, la hauteur de l'étage inférieur est fortement réduite, la relation inter-maxillaire est de type classe III d'Angle avec un aspect prognathique particulièrement disgracieux (fig. 5a et 5b).

Examen endobuccal

À l'arcade maxillaire, la denture temporaire est complète à l'exception de la 51, et toutes les dents permanentes sont absentes à l'exception du bord triturant de la 11 qui est à peine visible.

À l'arcade mandibulaire, la denture temporaire est complète à l'exception de 81, 75 et 85, et toutes les dents permanentes sont absentes à l'exception de 41 (fig. 2 et 5a, 5b).

Toutes les dents temporaires, maxillaires et mandibulaires, sont fortement abrasées, à l'exception de 54, 55, 64 et 65 qui ont conservé leur morphologie occlusale (fig. 6). Les rapports d'occlusion de classe III d'Angle expliquent cette différence : 53 et 63 sont en contact respectivement avec 84 et 74, alors que 54, 55, 64 et 65, sans antagonistes, sont fonctionnellement peu sollicitées (fig. 5b).

L'hygiène est bonne, les dents sont indemnes de carie et ne présentent aucun signe de mobilité. La gencive est saine, épaisse et fortement kératinisée. Les crêtes alvéolaires sont également épaisses, larges et irrégulières. Les tubérosités postérieures sont absentes. Le palais et les vestibules sont peu profonds et, bouche ouverte, toute la cavité buccale est occupée par une grosse langue qui tend à s'interposer entre les deux arcades (fig. 2).

Examen radiographique

Orthopantomogramme (fig. 7)

Il confirme la présence sur les deux arcades des dents temporaires à l'exception des 51, 75, 85 et 81. Leurs racines n'ont subi qu'une rhizalyse partielle. Mais il montre aussi ce qu'aucun signe externe n'a laissé soupçonner jusqu'ici : l'existence des dents permanentes retenues de façon anarchique dans le maxillaire et la mandibule. Leur encombrement est tel qu'il rend leur identification difficile mais il permet néanmoins de dénombrer les dents permanentes, dents de sagesse comprises, ainsi que les secondes molaires temporaires mandibulaires. Ces dents sont toutes de morphologie normale : leur développement coronaire et radiculaire est normal, de même que leur volume pulpaire ; l'apexification est terminée excepté pour les 2es et 3es molaires mandibulaires. L'os alvéolaire est quasi inexistant, et l'os cortical est dense et épais, sauf à certains endroits, donnant alors l'impression que la dent sous-jacente, presque sous-muqueuse, est prête à percer pour faire son éruption. Mais cette évolution paraît très incertaine car toutes les dents, temporaires et permanentes, semblent montrer des signes d'ankylose, l'interligne os/dent étant réduit, voire inexistant par endroits.

Téléradiographies

En position de repos et en position d'occlusion (fig. 8), elles permettent une étude céphalométrique dont on retient :

- la forte extension de la base du crâne ;

- l'absence de pneumatisation cranio-faciale qui se traduit par l'absence des sinus frontaux, ethmoïdaux et maxillaires ;

- l'hypoplasie du complexe septo-ethmoïdal ;

- la relation intermaxillaire: le maxillaire de petite taille, en position rétrusive, et la mandibule, bien développée en position protrusive, sont en relation de classe III squelettique. Si, à l'examen exobuccal, elle est frappante en position d'occlusion, elle est, en revanche, insoupçonnée en position de repos car masquée par les tissus mous ;

- l'absence de développement alvéolo-dentaire qui, associée à la forte abrasion des dents temporaires et aux signes d'ankylose, a pour conséquences une dimension verticale d'occlusion fortement réduite et, en position de repos, un espace libre d'inocclusion très important.

Diagnostic

Les examens révèlent chez ce patient quatre caractères essentiels : un retard de croissance, une alopécie, une pseudo-anodontie et un visage caractéristique. Ils lui donnent une apparence spécifique, semblable à celle des 23 cas déjà publiés, permettant ainsi d'orienter le diagnostic et d'établir qu'il s'agit d'un syndrome GAPO. La pseudo-anodontie étant un signe pathognomonique du GAPO, elle constitue un élément distinctif reconnaissable pour le syndrome et déterminant pour ce diagnostic.

Bien que l'absence des dents permanentes suscite véritablement l'inquiétude chez tous les parents au point d'être souvent la première motivation pour la consultation, à ce jour aucun traitement n'est décrit pour les 23 autres cas.

Thérapeutique

Seule une restauration prothétique peut répondre aux souhaits esthétiques de ce patient. Mais, étant donné la complexité du tableau clinique, un plan de traitement multidisciplinaire doit s'envisager. Avant son élaboration, il faut poser le problème quant à :

- la qualité tissulaire des dents temporaires saines mais très abrasées et leur stabilité parodontale pour une éventuelle utilisation prothétique ;

- l'attitude à adopter pour toutes les dents permanentes retenues, sachant que des signes d'ankylose sont suspectés sur toutes les dents.

Afin d'appréhender ce problème et notamment celui de l'ankylose, une traction orthodontique est envisagée pour la 11 après extraction des 61, 62 et 52, nécessaire pour la mise en place du système de traction (fig. 9). L'extraction de la 61 s'est faite avec beaucoup de difficulté et, inévitablement, une partie de l'os alvéolaire est retirée avec la dent. Par ce fait, l'hypothèse de l'ankylose pour les dents temporaires se précise et se confirme sur des coupes histologiques de la 61 avec son os alvéolaire. Ces coupes révèlent dans certaines zones une ankylose directe os/dentine sans tissu inflammatoire ni ostéoclastes (fig. 10). Dans d'autres zones, moins nombreuses, on peut observer un phénomène de résorption définitive de la dentine avec présence de cellules inflammatoires. Ces phénomènes de résorption active, discrets et parsemés, impliquent une relative stabilité alvéolo-dentaire. Cette ankylose confirmée contre-indique formellement l'extraction des dents temporaires car elle risquerait de délabrer le support ostéo-muqueux, d'exposer les germes définitifs sous-jacents et, surtout, de compromettre une réhabilitation prothétique [7, 8].

Quant à la traction de la 11, après plusieurs semaines de tentatives infructueuses, elle confirme à son tour l'ankylose de cette dent permanente et contre-indique toute intervention sur les autres dents permanentes retenues. La volonté thérapeutique s'oriente donc vers la réalisation de prothèses sur les dents temporaires.

Plan de traitement

Choix prothétique

Malgré l'absence de support labial en position de repos, le profil du patient est acceptable grâce à l'épaisseur des lèvres et des téguments (fig. 4a). Cette position est donc considérée comme la position de référence et, l'espace libre d'inocclusion étant de 19 mm, une augmentation de la dimension verticale d'occlusion de 17 mm est envisagée pour la confection des prothèses. Mais une telle augmentation ne permet pas d'envisager des prothèses fixées plurales sur les dents temporaires, celles-ci n'offrant pas de rétention suffisante.

La confection de prothèses complètes amovibles supradentaires reste alors la solution de choix. Du fait de la présence des germes définitifs sous-jacents qui, par ailleurs exclut la pose d'implants, et du fait de l'anatomie radiculaire des dents temporaires, le maintien de leur vitalité est décidé. La possibilité de réaliser des coiffes à ancrages radiculaires pour attachements axiaux est ainsi éliminée. Et la seule alternative pour une bonne utilisation de ces dents temporaires pulpées consiste à les recouvrir de couronnes télescopes présentant, en outre, l'avantage de les protéger de l'abrasion et de la carie.

De plus, du fait des conditions peu favorables à la réalisation de prothèses complètes amovibles compte tenu de l'hypodéveloppement des bases osseuses, du palais et des vestibules peu profonds, de l'absence de tubérosités postérieures, les couronnes télescopes constituent d'excellents moyens de rétention et de stabilisation prothétique. Leur réalisation pose toutefois le problème de la faible hauteur coronaire disponible : la rétention offerte par les dents supports pulpées serait insuffisante. Par conséquent, avant l'élaboration prothétique, une élongation coronaire s'impose.

Traitement préprothétique

Il consiste en une intervention chirurgicale parodontale [9] visant à rallonger les couronnes cliniques de façon substantielle par remodelage osseux et repositionnement apical. Pour pouvoir être utilisée en situation sous-prothétique, une dent doit nécessairement être entourée de 2 à 3 mm de gencive attachée [10]. Entre les hauteurs respectives de gencive attachée nécessaire et de couronne clinique acceptable, un compromis a permis d'obtenir cette valeur après cicatrisation (fig. 11). En cours d'intervention, on observe une dureté de l'os alvéolaire et une forte kératinisation du tissu gingival, qualités favorables à l'objectif prothétique.

Traitement prothétique [11, 12]

• Prothèses transitoires

Les prothèses transitoires sont considérées comme un moyen de choix pour aboutir à une restauration prothétique d'usage parfaitement intégrée sur le plan esthétique et, dans ce cas, tout particulièrement sur le plan fonctionnel, une augmentation de la dimension verticale d'occlusion de 17 mm ayant été décidée.

Les prothèses transitoires consistent en :

- des couronnes unitaires sur les dents temporaires ;

- des prothèses complètes supra-dentaires, maxillaire et mandibulaire.

• Prothèses d'usage

Après une période d'observation, les prothèses transitoires donnent satisfaction, et la confection des prothèses d'usage est envisagée. Elles consistent en :

- des couronnes télescopes sur les dents temporaires ;

- des prothèses complètes amovibles supradentaires à châssis métallique, maxillaire et mandibulaire [13].

Prothèses transitoires

Couronnes transitoires unitaires sur dents temporaires

Un isomoulage en silicone est indiqué avant les préparations. Pour ces dents pulpées au volume réduit, elles sont minimales et consistent en un congé cervical et une dépouille de 3 ° à 5 °, assurant une rétention suffisante à des couronnes télescopes (fig. 12a et 12b). Les couronnes transitoires en résine sont ensuite réalisées à partir de l'isomoulage (fig. 13a et 13b).

Prothèses complètes transitoires supradentaires, maxillaire et mandibulaire

Il s'agit de prothèses en résine qui ont la particularité de présenter dans l'intrados des cavités de dépouille destinées à loger les couronnes transitoires (fig. 14). Les empreintes sont réalisées couronnes transitoires en place. L'enregistrement de la dimension verticale d'occlusion tient compte des 17 mm d'augmentation décidés. Le support labial obtenu avec des bourrelets en cire est tout à fait satisfaisant et compatible avec le profil en position de repos (fig. 15).

Le montage des dents artificielles, en reproduisant cette situation, est immédiatement accepté par le patient. Sur le plan fonctionnel, les prothèses transitoires lui apportent un tel confort que le fait de les enlever l'incommode: c'est dire que l'adaptation est totale. L'élocution se fait sans difficultés, et le contentement du jeune homme s'exprime par un visage transformé, garant de l'intégration esthétique (fig. 16).

Cette phase transitoire a pour objectifs :

- d'observer le silence pulpaire et l'absence de mobilité des moignons ;

- de contrôler l'élimination rigoureuse de la plaque bactérienne ;

- d'observer que la dimension verticale d'occlusion et la relation inter-maxillaire restent inchangées ;

- de constater que la fonction est asymptomatique.

Une radiographie effectuée après 6 mois ne montre aucune image apicale pathologique et aucune modification du niveau osseux alvéolaire. La phase ultime, les prothèses d'usage, est envisagée.

Prothèses d'usage

Il s'agit de prothèses complètes amovibles supradentaires à châssis métalliques dont la rétention est assurée par des ancrages composés chacun d'une partie primaire, la couronne télescope, et d'une partie secondaire, l'ancrage secondaire solidaire du châssis [13].

Les ancrages

Pour la confection des couronnes télescopes, des empreintes globales au silicone sont réalisées (fig. 17a). Sur les moulages issus de ces empreintes (fig. 17b), les couronnes unitaires métalliques et de forme cylindrique sont confectionnées puis parallélisées entre elles selon un axe unique qui sera l'axe d'insertion de la prothèse amovible (fig. 18). Les ancrages secondaires en forme de douilles (fig. 19a) sont confectionnés directement sur les couronnes sur lesquelles ils viennent s'emboîter jusqu'à une position terminale d'arrêt permettant d'obtenir une friction optimale. Lors de l'essayage en bouche (fig. 19b) sont contrôlées :

- la précision respectivement des joints dento-prothétiques et des joints couronne/ancrage secondaire ;

- la rétention des couronnes et leur friction sur les ancrages secondaires.

Les prothèses amovibles

Les couronnes télescopes et les ancrages secondaires sont d'abord placés en bouche pour la prise d'empreinte, puis placés sur les moulages de travail pour la confection des châssis métalliques (fig. 20a).Les ancrages secondaires et les châssis métalliques sont ensuite solidarisés par brasage (fig. 20b), et l'ensemble est essayé en bouche (fig. 21), couronnes télescopes en place sur les moignons (fig. 22).

On apprécie :

- la friction qui doit être équivalente pour toutes les pièces qui s'emboîtent les unes dans les autres ;

- la stabilité des châssis.

La dimension verticale d'occlusion initialement choisie pour les prothèses transitoires est conservée, de même que l'allure générale du montage (fig. 23). Après polymérisation (fig. 24 et 25a et 25b), on observe un important décalage dans le sens antéro-postérieur entre les dents prothétiques et les ancrages secondaires (fig. 26). Ce décalage matérialise la compensation du manque tissulaire nécessaire pour obtenir une prothèse esthétique. En 1993, à la fin de l'année, les prothèses d'usage sont mises en place. L'équilibre prothétique et le support harmonieux des tissus mous rendent l'esthétique et le résultat fonctionnel évidents (fig. 27a). Lors des visites de contrôle, le patient exprime son contentement et les changements occasionnés dans sa vie sociale et relationnelle transformée (fig. 27b).

Conclusion

Les malformations cranio-faciales, d'abord considérées comme des signes divins ou maléfiques, sont depuis longtemps abordées sous un angle objectif ou scientifique. Leur connaissance a été rendue possible par l'étude et la compréhension des mécanismes génétiques et embryologiques. Parmi ces malformations, il en est une, extrêmement rare, le syndrome GAPO caractérisé par quatre signes cardinaux : un retard de croissance, une alopécie, une anomalie oculaire et une pseudo-anodontie, ce dernier signe le différenciant de tous les autres syndromes.

Sur les 24 cas identifiés et publiés dans le monde, ce patient est à l'heure actuelle le seul en France. En 1992, âgé de 27 ans, il consulte car il souhaite améliorer son sourire. Son physique caractéristique, la persistance des dents temporaires, la présence de toutes les dents permanentes enclavées dans le maxillaire et la mandibule ont permis à des odontologistes d'établir le diagnostic et surtout d'avoir une nouvelle approche de ce syndrome avec une option thérapeutique. Les examens histologiques confirment ce qui a été suspecté à la radiographie : l'ankylose de toutes les dents et, par voie de conséquence, la faible évolutivité de l'état buccal, favorisant le choix quant à la réhabilitation prothétique.

Afin de préserver le capital dentaire, osseux et proprioceptif, il a été décidé de conserver les dents temporaires sur les arcades et de réaliser des prothèses complètes amovibles supradentaires à châssis métallique. L'aménagement des tissus parodontaux a permis un allongement des couronnes cliniques destinées à être préparées vivantes pour des couronnes télescopes. Les prothèses transitoires ravissent d'emblée le patient qui, enfin, retrouve le sourire. Après une période d'observation de l'adaptation fonctionnelle à l'augmentation de la dimension verticale d'occlusion de 17 mm, l'élaboration des prothèses complètes amovibles d'usage est envisagée. Le rendu esthétique est très satisfaisant, et le résultat fonctionnel semble combler le patient. Par son sourire, il exprime l'intensité de son bonheur d'avoir, après tant d'années, enfin « des dents qui se voient ». En effet, pour ce jeune homme, la frustration et le préjudice esthétique causés par la non-éruption des dents permanentes étaient énormes.

Ces prothèses, en fonction depuis 6 ans, font l'objet de contrôles annuels et sont la preuve que, devant un cas exceptionnel, l'approche thérapeutique est forcément particulière et la reconnaissance du patient unique.

Remerciements : les auteurs remercient le Pr Kreiborg (Copenhague) et le Pr Hall (Sydney) pour l'aide au diagnostic.

bibliographie

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