Traitement prothétique des séquelles d'une division palatine - Cahiers de Prothèse n° 114 du 01/06/2001
 

Les cahiers de prothèse n° 114 du 01/06/2001

 

Prothèse maxillo-faciale

Pierre Le Bars *   Yves Amouriq **   Bernard Giumelli ***  


* Maître de conférence
des universités, praticien hospitalier

** Ancien assistant hospitalo-
universitaire, chargé de cours

*** Professeur des universités,
praticien hospitalier

Faculté de chirurgie dentaire de Nantes
1, place A-Ricordeau
44000 Nantes

Résumé

La prise en charge prothétique d'une patiente présentant des anomalies congénitales avec perte de plusieurs dents et avec des rapports intermaxillaires défavorables est exposée, la chirurgie orthognathique étant écartée. Dans un premier temps le maxillaire est réhabilité avec une prothèse amovible recouvrant les dents naturelles résiduelles. Après deux années, afin de remédier à la perte de la rétention, une overdenture est envisagée : le système d'attachement Ceka-Revax®, avec une partie mâle solidarisée à un coping et une partie femelle incluse dans l'intrados de l'overdenture maxillaire, améliore notablement la rétention. Chez cette patiente les objectifs fonctionnels et esthétiques ont été atteints avec des attache-ments de précision supportant une overdenture.

Summary

Prosthodontic treatment for a patient with cleft palate sequelae

This paper reports the treatment strategy for a patient with congenital anomalies, including missing teeth, whose aberrant jaw size precluded orthognathic surgery. Maxillary teeth were first restored using a removable maxillary cast denture built over the teeth. After two years, a maxillary overdenture solved the problem of retention loss. Retention was improved by soldering the male stud-type attachment of the Ceka-Revax® system to a coping and achieving fixation by embedding the female housing in the maxillary overdenture. This provided a good aesthetic effect and functional efficiency.

Key words

cleft palate, overdenture, removable partial denture

La prothèse dento-maxillo-faciale a pour objectifs non seulement la réhabilitation fonctionnelle et esthétique de la cavité buccale mais aussi la correction des anomalies liées à la perte de substance des maxillaires.

Le traitement des défauts congénitaux comme les divisions « labio-palato-vélaires » a bénéficié des progrès de la chirurgie et du suivi pluridisciplinaire permettant d'atteindre l'âge adulte avec des séquelles limitées tant du point de vue morphologique que fonctionnel [1-3]. S'il subsiste malgré tout des anomalies, la prothèse de recouvrement et/ou dento-implanto portée permet de remédier aux problèmes liés à l'occlusion (malposition, édentement) [4]. Elle facilite la restauration d'une dimension verticale d'occlusion physiologique et peut aussi rectifier la forme et la situation des courbes fonctionnelles. Elle joue aussi un rôle esthétique, en favorisant le soutien des joues et des lèvres grâce à son extra-dos et au volume des fausses gencives. Elle lutte également contre les rétractions tissulaires cicatricielles susceptibles d'apparaître après les interventions chirurgicales [5].

La chronologie des séquences thérapeutiques ne doit pas hypothéquer la fin de la croissance de la sphère orofaciale et trouve son aboutissement dans la réalisation d'une véritable prothèse d'usage.

Cas clinique

À l'âge de 19 ans, après de nombreuses interventions chirurgicales suite à une division palatine et vélaire, Mademoiselle T. est amenée à consulter. En effet, il subsiste des anomalies au niveau de l'articulé avec un retrait dans le plan frontal et sagittal de l'arcade maxillaire par rapport à l'arcade mandibulaire. La sangle musculaire des lèvres présente une forte tonicité et s'oppose au développement osseux. Le résultat se traduit par un aspect inesthétique : les lèvres sont pincées et présentent un rétrécissement disgracieux. Fonctionnellement, ces préjudices entraînent une gêne pour l'articulation de certaines consonnes explosives comme P et B ou rétro-incisives comme T et D.

Une ostéotomie de l'étage moyen de la face pourrait corriger le recul de l'arcade mais cette éventualité est écartée par la patiente qui refuse toute nouvelle intervention. Par ailleurs, l'orthopédie dento-faciale présente des limites en fin de croissance et ne nous dispense pas de la restauration de la région incisivo-canine maxillaire. La prothèse de recouvrement constitue un recours simple et efficace pour remédier à la plupart de ces anomalies.

Ce choix prothétique devrait permettre d'atteindre un double objectif : fonctionnel, en réhabilitant la totalité de l'articulé dentaire, et esthétique, en améliorant le profil par un meilleur soutien des téguments suite à la restauration du bloc incisivo-canin maxillaire. La rétention et la stabilisation prothétique n'échappent pas aux règles fondamentales de la prothèse amovible conventionnelle. Le maximum d'appuis postérieurs est nécessaire pour contre-balancer le porte-à-faux constitué par la partie antérieure de la prothèse.

Séquences thérapeutiques

Cette patiente présente des brides cicatricielles à la suite de nombreuses interventions chirurgicales consécutives à une division palatine congénitale (fig.1). Une radiographie panoramique permet de mettre en évidence le déficit osseux antérieur (fig. 2) ; le moulage de la voûte palatine objective la dysmorphose (fig.3) ; un montage des moulages d'études sur un articulateur met en évidence les rapports verticaux et horizontaux ainsi que l'espace prothétique disponible (fig. 4).

Une analyse au paralléliseur (fig. 5) met en évidence les zones exploitables pour favoriser la rétention et la stabilisation de la future prothèse. Une empreinte anatomo-fonctionnelle au Permlastic® (Kerr)enregistre le joint périphérique et l'amélioration du soutien de la lèvre supérieure (fig. 6). Après le port d'une gouttière de repositionnement et son intégration, un châssis métallique est réalisé muni de billes, de treillis pour l'accrochage de la résine et des dents prothétiques ainsi que de crochets pour la rétention (fig. 7). Une première prothèse de recouvrement (fig. 8a et 8b) préserve les rapports intermaxillaires et améliore l'esthétique (fig. 9).

Au bout de deux années, la diminution de la rétention et de la stabilité a nécessité la réalisation d'une nouvelle prothèse recouvrant la totalité de la voûte palatine (fig. 10a et 10b). Cette conception, comme la première, ayant montré ses limites a conduit, pour les mêmes raisons et au bout d'un délai identique, à envisager des moyens de rétention plus efficaces. La temporisation indispensable en attendant la fin de la croissance a permis d'acquérir l'acceptation de la part de la patiente de ce type de réalisation prothétique.

À l'âge de 25 ans, toutes les dents du maxillaire étant dépulpées, leur recouvrement sous forme de chapes les protège et facilite le positionnement idéal de quatre boutons-pression (Ceka®, Ceka) [6]. Après la préparation de 14 et de 24 afin de recevoir des attachements axiaux, réalisant des ancrages radiculaires, des empreintes sectorielles sont réalisées pour confectionner des transferts (fig. 11). Ensuite, une empreinte en deux temps « wash technic » (fig. 12) permet d'enregistrer l'ensemble des autres préparations. Les attachements sont positionnés idéalement (fig. 13). Puis, une empreinte aux élastomères (Monopren transfert®, Kettenbach Dental) à la fois anatomo-fonctionnelle et de transfert emporte les éléments de prothèse fixée (fig. 14). Le châssis métallique est essayé en bouche (fig. 15). L'effet rétenteur des quatre boutons-pression permet d'envisager le dégagement de la voûte palatine (fig. 16). Le schéma occlusal choisi satisfait aux règles d'équilibre de la prothèse amovible complète unimaxillaire. En conséquence, des coronoplasties sont effectuées sur l'arcade mandibulaire grâce à une calotte reproduisant les courbes fonctionnelles (fig. 17). La relation intermaxillaire est fixée par un enregistrement avec des clés aux élastomères (fig. 18) puis elle est contrôlée et validée durant les essayages après vérification par rapport aux précédentes réalisations (fig. 19).

Le résultat esthétique est amélioré (fig. 20) par la création de légers diastèmes et un choix approprié des dents prothétiques (fig. 21).

Remarques

• La fréquence des fentes labio-maxillaires associées ou non à une fente palatine est évaluée entre 1 et 2 pour 1 000 naissances tandis que la fréquence des fentes palatines isolées est de 1 pour 2 500 naissances [1].

• L'approche prothétique est étroitement dépendante du degré de co-opération du patient, notamment en ce qui concerne l'hygiène dentaire et alimentaire ; d'autres disciplines médicales après l'intervention du chirurgien, comme l'orthophonie et l'orthodontie, permettent une meilleure prise en charge du patient.

Précautions

• Un des principaux inconvénients des séquelles des divisions palatines est la persistance d'une communication bucco-nasale ou sinusienne. Une simple fissure parfois non visible est la plupart du temps signalée par le patient. Durant la prise d'empreintes des mèches vaselinées en coton évitent la pénétration des matériaux (fig. 14).

• L'étroitesse de l'ouverture buccale ne permettant pas l'introduction d'un porte-empreinte standard, des empreintes sectorielles, notamment en prothèse fixée, sont souvent nécessaires dans les cas de préparations multiples et étendues. La reconstitution de l'arcade est ensuite réalisée au laboratoire grâce à des clés de positionnement.

La chronologie et la durée des principales séquences cliniques mettent en évidence l'investissement nécessaire pour mener à bien un tel traitement.

Première réalisation

1. empreintes des deux arcades à l'alginate : 30 min ;

2. montage sur articulateur, analyse au paralléliseur : 1 h ;

3. empreinte anatomo-fonctionnelle (adaptation du PEI, préparations des logements des plans guide, empreinte) : 45 min ;

4. essayage du châssis, enregistrement de la relation centrée : 30 min.

Deuxième réalisation

5. préparation des dents naturelles en plusieurs étapes, confection des prothèses provisoires : 2 h ;

6. empreinte pour les prothèses fixées, accès aux limites cervicales (7 éléments) : 45 min ;

7. empreinte anatomo-fonctionnelle et de transfert : 15 min ;

8. vérification de l'enregistrement de la relation centrée, contrôles : 30 min.

Conclusion

Le traitement des défauts congénitaux comme les divisions « labio-palato-vélaires » relève actuellement essentiellement de traitements chirurgicaux. Des séquelles souvent irréversibles qui peuvent subsister chez l'adulte nécessitent une restauration prothétique. Une approche progressive facilite l'intégration et l'acceptation d'une prothèse amovible. Une réhabilitation de qualité passe le plus souvent par une rétention efficace et un résultat esthétique.

Remerciements au Laboratoire Sellenet pour les deux premières réalisations et au Laboratoire Vendre pour la dernière réalisation.

bibliographie

  • 1 Osuji OO. Preparation of feeding obturators for childrens with cleft lip and palate. J Clin Pediatr 1995;19:211-214.
  • 2 Rouhana B, Farha S, Dagher R, Sfeir E. Les fentes labio-palatines: prise en charge dans la première enfance. Act Odonto-Stomatol 1998;202: 157-166.
  • 3 Erbe M, Stoelinga PJW, Leenen RJ. Long-term results of segmental repositioning of the maxilla in cleft palate patients without previously-grafted alveolo-palatal clefts. J Cranio Maxillofac Surg 1996;24:109-117.
  • 4 Dichamp J, Leydier MC, Leydier J. Prothèse vélo-palatine. Paris : Éditions techniques, Encycl Méd Chir, Stomatologie et Odontologie 1993: 18-22066-B50.
  • 5 Vojvodic D, Jerolimov V, Celebic A. Prosthetic rehabilitation of a cleft palate patient: a clinical report. J Prosthet Dent 1996;76:230-232.
  • 6 Amzalag G, Batarec E, Buch D, Assémat-Tessandier X. Prothèses supraradiculaires : « over-dentures ». Paris : Éditions CdP, 1988.