Développement d'un système d'aide au diagnostic des dysfonctionnements de l'appareil manducateur - Cahiers de Prothèse n° 115 du 01/09/2001
 

Les cahiers de prothèse n° 115 du 01/09/2001

 

Articulation temporo-mandibulaire (ATM)

Claude Lefèvre *   Bruno Picart **   Thierry Delcambre ***  


* Attaché universitaire -
Chargé d'enseignement

** MCU-PH
*** MCU-PH
Faculté d'odontologie de Lille
sous-section de prothèses (responsable : Pr P.H.
Dupas)
Place de Verdun
59000 Lille

Résumé

Le développement d'un système informatique d'aide au diagnostic doit répondre à une méthodologie de mise en place. L'étude du domaine d'application montre la possibilité de développement d'une recherche informatique pour les dysfonctionnements de l'appareil manducateur. La réflexion sur l'élaboration d'un diagnostic conduit à mettre en place une codification des signes cliniques, ainsi qu'une méthode d'analyse fondée sur la comparaison des faits avec la base de données. Les grands principes étant posés, la réalisation s'effectue en trois phases :

- la conception du logiciel ;

- la confection de la base de données ;

- la validation du système expert.

Les résultats obtenus sur une base de données de 200 cas encouragent le développement de cet axe de recherche.

Summary

Development of a system of aid to the diagnosis of the dysfunctions of the gnathic system

The development of a computerized system of aid to the diagnosis must meet the requirements of a methodology of implementation. The study of the field of application shows the possibility of developing a computeriezd research on the dysfunctions of the gnathic system. The reflection on the building-up of a diagnosis leads to the implementation of codes for the clinical signs as well as a method of analysis based on the comparison of the facts with the database.

The main principles being determined, the realization follows three stages :

- the conception of a software;

- the making of a database;

- the validatio of the expert system.

The results that are obtained on a 200 cases database encourage the development of such a research.

Key words

aid to the diagnosis, computer science, cranio-mandibular disorders (CMD)

Face à la difficulté d'élaborer un diagnostic de dysfonctionnement de l'appareil manducateur [1] rencontrée par les praticiens non spécialistes et les étudiants, l'idée est née de mettre au point un système informatique d'utilisation simple pour les aider dans leur démarche. L'aide informatique peut sembler intéressante pour l'élaboration de diagnostics dans les cas de pathologies complexes qui nécessitent souvent l'avis d'un expert. Il faut cependant rester prudent quant à son utilisation. Ceci ne doit conduire qu'à une aide et, par là, susciter à l'utilisateur une réflexion dans son jugement.

Le développement d'un système expert doit obligatoirement répondre à des impératifs de mise en place.

Étude du domaine d'application

Le choix du domaine d'application nécessite l'étude des différents éléments composant les examens cliniques et complémentaires des dysfonctionnements de l'appareil manducateur (DAM). Ceux-ci ont la particularité de présenter de nombreux signes bien souvent inconstants et plusieurs signes communs Certains signes sont d'intensité variable sans pour cela induire un degré de gravité. Une deuxième particularité est due à l'anatomie même de la mandibule : chaque dysfonctionnement d'un côté retentit sur l'autre.

Une troisième particularité des perturbations cranio-mandibulaires est de présenter de nombreuses possibilités de diagnostics. Bon nombre de ces propositions sont peu fréquentes [2-4]. Souvent, les propositions pour la droite et pour la gauche sont différentes.

L'autre facette du domaine d'application consiste à analyser et à définir la méthode de réflexion que l'expert utilise lors de l'établissement d'un diagnostic. Une fois ce principe posé, il faut vérifier si cette modélisation de raisonnement peut être transposée au niveau informatique [5].

Détermination du diagnostic

La réflexion et l'analyse des données de l'anamnèse et des signes cliniques collectés dans les différents examens déterminent les prémisses du raisonnement. Différentes hypothèses s'affinant au fur et à mesure sont alors envisagées. Les examens complémentaires reprennent le même raisonnement et confortent certaines hypothèses. Un choix peut être alors envisagé pour aboutir à l'établissement du diagnostic.

L'analyse et la schématisation de la méthode de raisonnement humain dans l'établissement d'un diagnostic est une étape indispensable dans la modélisation informatique ultérieure (fig. 1).

Stratégie de fonctionnement

Le principe général de fonctionnement du groupe de logiciels permettant l'analyse et le raisonnement doit disposer de 3 éléments : la base de connaissance, la base de faits et le moteur d'inférence [6, 7] (fig. 2).

L'obtention d'un modèle de raisonnement fait appel à l'utilisation de différentes logiques (logiques booléenne, trivalente, incertaine, floue). Les stratégies de fonctionnement répondent au principe de raisonnement par déduction, induction, filtrage et comparaison [8]. Une des phases importantes consiste à rechercher une modélisation des solutions adaptées au domaine d'application.

Devant la complexité de la pathologie et l'impossibilité de lui appliquer un raisonnement classique, il a été nécessaire de raisonner sur une méthode prenant en compte la fréquence d'apparition des signes. Le logiciel est fondé sur la comparaison de faits (cas cliniques existants ou signes pathognomoniques). Ce principe, très souple d'utilisation, permet des réponses multiples ou l'absence de réponse, laissant donc le libre choix au consultant.

Cahier des charges

Le cahier des charges pour le développement d'un système expert doit répondre en premier aux questions : pourquoi ? et pour qui ?

Une fois les objectifs définis, les moyens de mise en place puis les outils de développement et, enfin, la vérification et la validation du système seront examinés :

positif des dysfonctionnements de l'appareil manducateur ;

- programme à destination des étudiants en chirurgie dentaire ;

- développement sur micro-ordinateur ;

- possibilité de diffusion sur bornes interactives ;

- logiciel permettant une organisation par types d'examens pour faciliter l'environnement pédagogique ;

- nombre de questions réduit au minimum pour ne pas alourdir la consultation ;

- formulation simple des questions ;

- réponse par choix multiple ;

- acceptation des réponses multiples ;

- acceptation d'absence de réponse ;

- possibilité de ne pas connaître la réponse ;

- possibilité de donner un coefficient aux différents examens ;

- obtention d'un diagnostic avec un taux de probabilité suffisant ;

- obtention d'une aide pour les différents types d'examens ;

- obtention d'une aide sur l'utilisation du logiciel ;

- transfert d'expertise simple (de même type que la consultation) ;

- vérification et modification de la base de connaissance ;

- autotest sur la base de connaissances pendant la phase de développement.

Mise en place du système

Réalisation d'un questionnaire

Afin d'éviter une explosion de signes de façon désordonnée, il a été nécessaire de mettre en place une structure de collecte. Le questionnaire est une fiche guide remplie par le praticien soit en fonction des réponses du patient, soit du fait de sa propre observation.

Une fiche ou un questionnaire exhaustif serait trop fastidieux, impossible à réaliser et trop long à remplir pour le praticien comme pour le patient. Cette fiche doit être aussi concise que possible, mais elle doit comprendre les éléments essentiels pour établir un diagnostic.

Le choix s'est porté sur une réalisation en rubrique. Chaque rubrique correspondant aux grandes orientations des éléments du diagnostic, plusieurs paramètres d'observation sont disponibles.

Conception du logiciel

L'établissement du cahier des charges a permis de définir un programme permettant, tout d'abord, d'introduire les données pour créer la base de données puis, avec la même présentation, de valider les faits pour la consultation. Chaque feuille d'examen est composée de plusieurs questions, nécessaires pour fixer des limites de langage que reconnaîtra le système.

Selon le type d'examen, les réponses peuvent être uniques ou multiples. L'absence de réponse à quelques questions dans une feuille d'examen est possible sans affecter ni bloquer le fonctionnement du programme. Ceci n'engendrera qu'une diminution de la précision du diagnostic. L'absence totale de réponse à une feuille d'examen aura le même effet, sauf bien évidemment si toutes les feuilles d'examen sont sans réponse.

Chaque feuille ou « écran » sert au déclenchement et à l'exécution du programme ou à la collecte des signes de chaque examen.

Le fonctionnement du traitement des données est complètement indépendant du nombre de signes pour chaque pathologie, et ceci dans chaque groupe de diagnostic.

Douze écrans ou feuilles d'examen avec un choix de questions sélectionnées sont réalisés (cas clinique). Le choix s'oriente vers une présentation en fenêtre avec une ligne de commande supérieure et un écran manipulable avec la souris, bien connue des utilisateurs de micro-ordinateur. Au démarrage du logiciel, la feuille de présentation invite au lancement du programme en mode consultation ou création de fiche ainsi que le paramétrage et chemin d'accès des fichiers [9] (fig. 3).

Après les renseignements sur l'état civil (nom, prénom, âge, sexe, adresse) permettant une classification des fiches, différents examens sont passés en revue : l'anamnèse, la douleur, la palpation musculaire, l'écoute des bruits articulaires (fig. 4), l'examen des arcades dentaires, l'investigation de la posture [10] (fig. 5), la radiographie, le diagramme de Farrar, (fig. 6), les tracés axiographiques (fig. 7). La dernière feuille ou écran correspond au diagnostic.

En mode création de base des connaissances par l'expert, les maladies sont choisies par des options à cocher. En mode consultation, un pourcentage reflétant le mode de calcul apparaît à la suite de la maladie la plus probable. Une autre possibilité permet l'obtention des probabilités de présence de chaque signe en fonction des dysfonctionnements ainsi que toutes les propositions de diagnostic et leur pourcentage trouvé par le système.

Confection de la base de données

La base de données est en fait la mémoire, la référence du système expert. Il est important qu'elle soit créée avec la plus grande attention.

Pour ne pas provoquer de problèmes d'incohérence entre la base qui sert de référence et la base de consultation, la base de données est enregistrée à l'aide de la même grille de questions que la consultation.

Une première base théorique pour laquelle chaque couple de dysfonctionnements droite/gauche est prise en compte. Pour chacun, les signes pathognomoniques sont marqués et validés. Tous les autres éléments de diagnostic incertain ou correspondant à d'autres maladies seront volontairement laissés sans réponse afin de ne pas altérer le diagnostic.

La méthode de réflexion employée ici répond à la question : « Pour cette maladie, quels sont les signes rencontrés ? » Cela s'apparente à une méthode d'apprentissage : « Pour ce résultat : il me faut tel et tel éléments »

Dans un tel système, il faut prendre en compte toutes les combinaisons pathophysiologiques possibles, ce qui ne permet pas au cogniticien « ou ingénieur de la connaissance chargé de mettre en forme une expertise afin de réaliser un système expert » [11] de prendre en compte tous les méandres de la nature vivante. Ce type de méthode donne un choix complet des dysfonctionnements, mais présente des éléments de diagnostic non définis.

Cela permet de gérer les fiches de cas simples ou académiques. Cette base comprend 133 fiches d'examen qui sont stockées dans un fichier appelé « base théorique ».

Une deuxième base est réalisée à partir des fiches cliniques d'examen. On recherche un échantillonnage aussi complet que possible des couples de maladies droite/ gauche, sachant que certaines combinaisons sont quasiment impossibles à trouver en même temps chez un patient. C'est une méthode de réflexion qui fait appel à un savoir acquis. En fonction de la combinaison des différents éléments, on obtient un certain résultat. On se rapproche ici de la manière d'élaborer un diagnostic. Pour les praticiens cela semble se rapprocher de la réalité clinique. C'est en fait l'avantage de cette méthode qui permet de définir des éléments inconstants présents pour certains dysfonctionnements, mais son inconvénient majeur reste la valeur de son échantillonnage. Soixante-sept examens sont ainsi retenus pour cette base de données stockée sous le nom de « base patient ».

La troisième base de 200 références, fondée sur une partie d'examen clinique sélectionnée par l'expert humain, l'autre partie regroupant les signes pathognomoniques des 64 possibilités de diagnostic, est retenue pour la mise au point et les vérifications. Elle correspond simplement à la combinaison des deux précédentes. Les avantages de l'une et de l'autre permettent de réduire les déficiences. Cela reste cependant dans l'absolu imparfait et incomplet, mais le moteur de raisonnement possédera les éléments nécessaires pour évoquer un résultat.

Principe d'application

Le stockage des données s'effectue sous forme de tableau à plusieurs dimensions. Un calcul sur 3 niveaux permet d'obtenir la répartition d'un même signe sur l'ensemble des maladies.

Cette approche préliminaire sur la base de connaissances permet :

- d'harmoniser la répartition des signes en fonction des maladies ;

- d'intégrer les absences de réponse ;

- d'intégrer la multiplicité des signes ;

- de tenir compte des interactivités des signes.

Validation du système expert

Lorsque la phase de développement est terminée, le système expert doit être testé pour vérifier s'il répond aux objectifs fixés [11].

La validation d'un système expert en matière médicale ne peut intervenir que sur la pertinence de l'utilisation du système et de la stratégie employée pour interpréter la base de connaissances. En aucun cas on ne peut remettre en cause les critères de l'examen médical préalablement validés et les signes cliniques qui en découlent. Deux niveaux d'expertise sont envisagés.

La première validation se propose de répondre à la question : « Quelle est la proposition de l'autodiagnostic pour les trois types de bases de connaissances ? » Les données de chaque fiche de la base de connaissances sont traitées comme s'il s'agissait d'une base de faits dans le mode consultation afin d'obtenir un diagnostic. Chaque diagnostic proposé est vérifié avec celui établi par l'expert. En cas de différences, une interprétation qualitative est apportée par ce dernier. Son interprétation qualitative est classée dans la catégorie des maladies proches ou acceptables lorsqu'elles sont voisines (exemple de signes cliniques : une antéposition discale réductible en début d'ouverture et une antéposition discale réductible en milieu d'ouverture).

Le deuxième niveau correspond à la mise en situation réelle du programme sur cas cliniques. La démarche est inversée : le diagnostic du programme est comparé au diagnostic proposé par l'expert. Le protocole est réalisé en double aveugle (tabl. I).

Discussion

On note que sur la base de données théoriques, les valeurs sont supérieures aux valeurs des autres bases de données. Ceci s'explique par le fait qu'il existe très peu de signes cliniques sur chaque fiche de la base de données théoriques, réduisant ainsi la sélection pour établir le diagnostic.

La diminution des pourcentages sur l'analyse de la base de données cliniques et de la base de travail résulte simplement de l'introduction de données plus ou moins subjectives comme la douleur, la palpation musculaire, l'axiographie, l'examen de la posture, les gnathosonies… Cette différence de résultat entre les bases est confortée par un test du chi carré (Χ2 = 27,45, nombre de degrés de liberté = 2, p = 0,000 0…).

Dans tous les cas de diagnostic, l'expert humain a été privilégié lors de l'interprétation des tests. Il faut remarquer cependant que le logiciel offre la possibilité d'afficher tous les diagnostics calculés avec leur valeur en pourcentage. Dans plus de 84 % des cas, la deuxième proposition équivalait à celle de l'expert.

Cas clinique (fig. 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20 et 21)

L'absence de certains éléments d'examen (examens non réalisés ou incomplets, difficultés d'interprétation des tracés axiographiques) n'empêche pas l'établissement d'un diagnostic pertinent. Le diagnostic proposé reste identique à la proposition du praticien.

Conclusion

L'objectif du développement de ce système n'est pas une recherche fondamentale sur l'intelligence artificielle. Il s'agit simplement d'un moyen d'aide dans l'élaboration des diagnostics des dysfonctionnements de l'appareil manducateur assistée par l'informatique.

La complexité des interactions des signes cliniques n'a pas permis de réaliser une méthode de raisonnement avec une arborescence simple.

L'option de comparer les différents signes de la consultation avec les signes cliniques validés par l'expert humain permet une grande souplesse d'utilisation. Cette méthode laisse un libre choix au consultant.

L'intelligence artificielle, existant officiellement depuis 1956, a encore un grand avenir. Ses différentes orientations offrent de nombreuses perspectives [12, 13]. Dans l'application médicale, les modélisations de raisonnement restent difficiles et les logiciels d'aide au diagnostic sont loin de remplacer l'être humain. Celui qui est proposé ici s'inscrit dans le cadre d'une utilisation à visée pédagogique pour un groupe d'étudiants prenant en charge le diagnostic des dysfonctionnements de l'appareil manducateur et encadrés par des praticiens qui assurent ou non la validation des données recueillies.

bibliographie

  • 1 CNO. Occlusodontologie : lexique. Paris : Quintessence international, 2001.
  • 2 Dupas PH. Diagnostic et traitement des dysfonctions cranio-mandibulaires. Guide clinique. Paris : Éditions CdP, 1993.
  • 3 Hue O. Manuel d'occlusodontie. Paris : Masson, 1992.
  • 4 Rozencweig D. Algies et dysfonctionnements de l'appareil manducateur. Propositions diagnostiques et thérapeutiques Paris : Éditions CdP, 1994.
  • 5 Fieschi M. Intelligence artificielle en médecine. Paris : Masson, Méthodes +Programmes, 1984.
  • 6 Farreny H. Les systèmes experts : principes et exemples. Toulouse : CEPADUES, 1989.
  • 7 Grémy F. Informatique médicale. Introduction à la méthodologie en médecine et santé publique. Paris : Flammarion, 1987.
  • 8 Shortliffe EH. Computer-based medical consultations. MYCIN American Elsevier, 1976.
  • 9 Lefèvre C. Mise au point d'un logiciel d'aide au diagnostic pour les pathologies temporo-mandibulaires. Thèse d'université en odontologie, Lille, 1999.
  • 10 Dupas PH, Dupas G. Occlusodontie et posture. Cah Prothèse 2000;110:21-34.
  • 11 Fargeas X, Frydman F. Les systèmes experts en médecine. Paris : Hermès, 1988.
  • 12 Demaizière F. Systèmes experts et enseignement assisté par ordinateur. Paris : Ophrys, 1991.
  • 13 Wenger E. Artficial intelligence and tutoring systems. Computational and cognitive approaches to the communication of knowledge. Los Altos : Morgan Kaufmann Publishers, 1987:261-287.