Profil type du patient âgé - Cahiers de Prothèse n° 115 du 01/09/2001
 

Les cahiers de prothèse n° 115 du 01/09/2001

 

Prothèse amovible complète ( ou totale)

André Sacy *   Fady El Hage **  


* Professeur
** Maître assistant
Faculté de médecine dentaire
Université Saint-Joseph
Beyrouth
Liban

Résumé

Suite au vieillissement de la population et à l'allongement de l'espérance de vie, aux progrès de la médecine et au développement des mesures d'hygiène et de prévention, l'âge moyen de la population est en constante progression. Il est aujourd'hui possible de dresser un profil type du patient âgé qui fréquentera les cabinets dentaires dans les quelques décennies à venir. Ce patient sera vraisemblablement une femme active, présentant des signes multipathologiques divers tant généraux que locaux, maigre, optimiste, aux revenus limités, partiellement ou, le plus souvent, totalement édentée, peu réceptive aux nouvelles techniques et plus ou moins dépendante de son entourage.

Summary

Typical profile of the aged patient

Due to population ageing, prolonged life expectancy, medical progress, hygiene and preventive therapies, the average age of the population is in constant progression. We are able today to sketch the profile of our future geriatric patient. This patient is most probably an active female, with multiple pathologies, whether local or general, thin looking, optimistic, with limited financial resources, partially or totally edentulous, not very receptive to new techniques, and more or less depending on her usual surrounding.

Key words

geriatrics, gerodontology , geroprosthodontics

En règle générale, l'âge est un processus qui atteint l'ensemble des êtres vivants. Le vieillissement est universel, inéluctable, progressif et irréversible. Ses effets sont cumulatifs et totalement individuels [1] en ce sens qu'il n'existe, contrairement à la pédiatrie, aucune constante biologique par tranche d'âge. Chaque individu est donc, à un certain âge, le résultat du vieillissement incoordonné de ses différents constituants [2]. L'âge entraîne de façon générale une diminution des fonctions immunitaires et intellectuelles, de la force musculaire et de la sensation de bien-être globale.

Classiquement, on peut parler de « jeunes » âgés entre 60 et 64 ans, de groupe de transition entre 65 et 74 ans (les papys, les mamies, les seniors, le 3e âge… généralement à la retraite) et de « vieux » âgés au-delà de 75 ans.

Si l'espérance moyenne de vie est connue en France (77 ans pour les femmes et 70 ans pour les hommes en 2000 - sources OMS), il n'est pas moins vrai qu'avec les progrès de la médecine et de l'odontologie, la proportion de personnes âgées totalement édentées est en train de chuter, du moins dans les régions évoluées du monde.

Si, en 2000, les études nord-américaines chez les personnes âgées de plus de 75 ans montrent la présence moyenne de 10 dents en bouche et 44 % d'édentés, les prévisions pour 2020 laissent prévoir 16 dents en bouche et 22 % de patients totalement édentés. Cela représente une diminution de 50 % de la proportion de patients totalement édentés par rapport à la population actuelle [3]. Toutefois, et cela est moins évident, les études démographiques certifient qu'avec le vieillissement des populations, le nombre total de patients totalement édentés restera sensiblement le même pour au moins les 30 années à venir. Ces chiffres confirment, s'il le faut, la nécessité de pouvoir cerner, compte tenu des différences et variations individuelles inévitables, le profil type du patient âgé, statistiquement le plus fréquent et que les cabinets dentaires auront à traiter [4].

Profil type

Sexe

Selon les études statistiques de Jones de l'University College de Londres, si, pour les naissances enregistrées, il y a 105 garçons pour 100 filles et, à 16 ans, 103 pour 100, à 65 ans, le nombre de femmes vivantes est supérieur de 50 % à celui des hommes. Comme les femmes fréquentent déjà plus souvent les cabinets dentaires que les hommes et se sentent plus concernées par leur apparence (1,6 visite annuelle contre 1,2 pour les hommes) [5], ceci conforte notre conviction selon laquelle les occasions de traiter des patientes âgées plutôt que des patients seront plus nombreuses.

Corpulence et apparence

L'obésité étant exceptionellement synonyme de longévité, cette patiente type aura toutes les chances d'être maigre, plutôt courte et tassée. Sa peau sera ridée. Elle présentera une diminution de l'étage inférieur de la face, des joues rentrantes et un menton souvent fuyant en avant, profil caractéristique des patients totalement édentés de longue date (fig. 1a et 1b).

Possibilités financières

Souvent veuve et bénéficiant de rentes ou de retraites et avec un pouvoir d'achat diminué et limité, ses possibilités de dépenses non couvertes par la Sécurité sociale ou les mutuelles complémentaires ne lui permettront pas l'accès aux techniques plus sophistiquées et forcément plus onéreuses, comme les prothèses sur implants et toutes autres formes de prothèses supra-dentaires à attachements divers [6]. Cependant, certains cas limites ne pourront être résolus que par la pose de 2 implants mandibulaires uniquement [7] (fig. 2 et 3). Les pics de dépenses pour les soins dentaires se situent actuellement au niveau de la tranche d'âge 50-60 ans et diminuent ensuite [4].

Caractère

Les études les plus récentes confirment un taux de survie de 19 % supérieur à la moyenne chez les optimistes. Ce taux est nettement inférieur à la moyenne chez les individus considérés comme pessimistes selon une classification établie 30 ans auparavant [8]. Toutefois, cette catégorie de patients n'est généralement pas très réceptive ni ouverte aux nouvelles techniques et refuse souvent les interventions chirurgicales ainsi que les implants. Cela en dépit de la certitude actuelle que l'âge n'est pas, en soi, une contre-indication. La phobie de toute douleur anticipée est souvent un obstacle à cette catégorie de traitements.

Activités

Les personnes âgées ayant une activité tant physique que mentale et intellectuelle, avec des responsabilités et parfois des pouvoirs de décision, présentent un taux de survie et une forme bien supérieurs à la moyenne, contrairement aux personnes sédentaires et marginalisées qui se sentent souvent inutiles [9].

Dépendance vis-à-vis de son entourage

L'accumulation des problèmes inhérents au grand âge (mémoire, vue, audition, équilibre…) implique que cette patiente type se fera souvent accompagner, lors de ses visites, par un proche (inversion de la relation parents-enfants) dont il faudra tenir compte et dont l'avis pèsera souvent lors de la prise des décisions thérapeutiques, financières et esthétiques.

État de la cavité buccale

Cette patiente sera le plus souvent totalement édentée uni-ou plus vraisemblablement bimaxillaire. La proportion de patients âgés édentés tend à diminuer, mais pas le nombre total d'édentés. Quelques dents seront toutefois présentes en bouche, le plus souvent dans la région antérieure de la mandibule, parfois quelques racines conservables pour retarder le passage à l'édentation totale (fig. 4 et 5).

Il est évident que les variations seront importantes en fonction du milieu social, des conditions financières, du lieu d'habitation, des habitudes alimentaires et de l'hygiène, mais aussi des différents traitements dentaires passés. Cette patiente portera des prothèses amovibles, réalisées en moyenne 15 à 20 ans auparavant, instables et, le plus souvent, avec des dents en résine usées. Les stomatites prothétiques, les mobilités tissulaires, voire même certaines hypertrophies et hyperplasies ne seront pas rares, surtout chez les patients n'ayant pas ou ne pouvant pas maîtriser les enseignements de l'hygiène minimale des prothèses ou ayant disparu des cabinets dentaires depuis de nombreuses années (fig. 6a et 6b , fig. 7).

Cette perte d'habitude de consulter un chirurgien-dentiste est souvent mise en évidence par l'adoption de pratiques d'autoadaptation des prothèses comme, par exemple, la mise en place (plutôt par les femmes) de coton hydrophile sous les prothèses totales mandibulaires instables et douloureuses ou des corrections à la lime (chez les hommes, plus « bricoleurs ») (fig. 8).

L'utilisation de quantités importantes de poudres adhésives est également souvent constatée.

Quant aux motifs de la consultation au cabinet dentaire, les doléances des personnes âgées seront relatives à des prothèses inadaptées (89 %), une mastication difficile (72 %), des muqueuses sensibles (44 %), des fractures de prothèses (28 %) et seulement 22 % pour des parodontopathies et 17 % pour des caries.

La prothèse amovible, partielle ou totale est d'ailleurs la seule discipline thérapeutique et le seul traitement dont la fréquence dans les cabinets augmente régulièrement avec l'âge [3].

Médications

Pour diverses raisons propres à chaque individu, les personnes âgées prennent en moyenne 4 médicaments différents par jour et ce, de façon permanente (fig. 9). L'association de ces divers médicaments, beaucoup plus que le type, est connue aujourd'hui pour être responsable, entre autres, d'une asialie plus ou moins importante décelée souvent chez ces patients [11].

État de santé général

La patiente type présentera le plus souvent de multiples maladies, mais avec des variations individuelles en fonction de son passé et des conséquences du vieillissement incoordonné de ses divers organes et appareils. On retrouve chez 46 % de ces patients des problèmes cardiaques et circulatoires, suivis de très loin par des problèmes musculaires et osseux (13 %), allergies et asthmes (11 %), et divers cancers (10 %) [11]. À ces signes, il convient d'ajouter les problèmes d'ouïe (surdité pas toujours compensée, d'où un dialogue difficile), de vue (diminution de l'acuité visuelle et de la perception des couleurs), de goût (diminution des sensations gustatives et doléances quant au rôle incriminé des prothèses) ainsi que des troubles de la mémoire (mêmes questions posées plusieurs fois, souvent à quelques minutes d'intervalle). Également, de l'ostéoporose plus ou moins avancée (fractures du col du fémur ou du poignet), une diminution notoire de l'habileté musculaire, avec arthrites et accidents divers et de l'acceptation psychique (avec, comme conséquences pratiques, un temps plus long d'adaptation lors du passage des traitements par prothèse fixée aux traitements par prothèse amovible, une difficulté de manipulation si les crochets et attachements sont très rétentifs et des fractures répétées des prothèses qui échappent des mains lors de leur entretien).

Ces signes caractéristiques forment un ensemble cohérent de probabilités spécifiques de la future patientèle gériatrique. Il faut bien évidemment ajouter les nombreuses variables individuelles liées à la sénilité et au grand âge, à savoir : sentiment d'inutilité et de solitude, phobies, égoïsme, indécision, anxiété, etc.

Conséquences pratiques

Les études prospectives montrent toutes que, si dans un grand nombre de facultés d'odontologie, les programmes académiques comportent des cours sur le vieillissement en tant que processus pathologique, peu d'entre elles traitent des aspects sociaux, biologiques, émotionnels, politiques et économiques liés au vieillissement [12].

Les cabinets dentaires à vocation de prothèse gériatrique ou, en tout cas, appelés à traiter un grand nombre de patients très âgés devront, à l'avenir, être conçus en fonction de cette clientèle, à savoir : facilité d'accès (pas d'ascenseurs et de couloirs étroits), espaces plus larges (chaises roulantes), absence de tapis, marches et autres obstacles ou sources d'accidents vite arrivés, bon éclairage et contrastes dans les couleurs, possibilité de soigner le patient sur son fauteuil roulant, etc.

La gestion du temps consacré, ainsi que les traitements proposés, seront également à prévoir en fonction des possibilités de chaque patient. Les rendez-vous seront plus longs, le temps de parole et d'explication également. Ils seront parfois annulés en dernière minute pour diverses raisons. Certaines étapes des traitements conventionnels pourront être simplifiées, certains examens complémentaires éliminés et le recours à des spécialistes hors de mise. Les matériaux à prise rapide seront privilégiés. Pour certains de ces patients, des traitements évolutifs, provisoires, d'attente, de mise en condition et d'évaluation seront utiles, voire nécessaires. Pour d'autres, au contraire, le traitement a minima, ponctuel et rapide, de la doléance sera souvent suffisant.

Le personnel soignant devrait être idéalement moins jeune, expérimenté, plus compatissant, prévenant, rassurant et patient. Il devra être d'une assistance accrue dès l'accueil et accompagner la patiente tout le long de sa présence au cabinet. Il sera parfois appelé à répéter les conseils du praticien, sitôt oubliés. Ceci n'est souvent malheureusement pas le cas du personnel des centres hospitaliers et maisons de retraite pour lesquels les études montrent toutes non seulement une ignorance quasi totale des soins bucco-dentaires et prothétiques à prodiguer, mais également une répugnance vis-à-vis de ces soins classés parmi les plus désagréables [13].

bibliographie

  • 1 Tavernier-Vidal B, Mourey F. Réadaptation et perte d'autonomie physique chez le sujet âgé. Paris : Frison Roche, 1999.
  • 2 Blonde-Cynober F et al. Particularités du bilan biologique du sujet âgé en bonne santé en région parisienne - Praticiens et 3e âge 1998;135:73-78.
  • 3 Shuman SK, Davidson GB. Patient age, service mix and dental practice productivity. Gerodontology 1994;11(1):50-56.
  • 4 Sacy A. Quelles prothèses pour le patient âgé ? Quintessence du congrès - ADF 1999;210-12.
  • 5 La santé bucco-dentaire en chiffres. Les Dossiers de l'ADF, 1998
  • 6 American Association of Retired Persons (AARP). Costs double for the elderly. J Dent Hyg 1994;68:156-158.
  • 7 Mericske-Stern R. Treatment outcomes with implant supported overdentures. J Prosthet Dent 1998;79:66-73.
  • 8 Mayo Clinic Publications. Rochester (États-Unis), Janvier 2000.
  • 9 Roizen M. Real age: are you as young as you can be ? Chicago : Chicago Univ Press, 1999.
  • 10 Lewis DW. Optimized therapy for the edentulous predicament: cost effectiveness considerations. J Prosthet Dent 1998;79:93-99.
  • 11 Sreebny LM, Schwartz SS. A reference to drugs and dry mouth. Gerodontology 1997;14(1): 33-47.
  • 12 Mann J, Blomberg T, Holtzman J, Berkey D. The effect of dental geriatric curricula on attitudes toward the elderly. J of Dental Ed 1988;52(9):516-517.
  • 13 Wardh I, Anderson L, Sorensens. Staff attitudes to oral health care. A comparative study of registered nurses, assistants and home care aids. Gerontology 1997;14(1)28-32.