Embout intrabuccal personnel pour plongée et pour nage avec palmes - Cahiers de Prothèse n° 118 du 01/06/2002
 

Les cahiers de prothèse n° 118 du 01/06/2002

 

Occlusodontie

Henri Lamendin  

DSO, Dr ès sciences.
Laboratoire de la performance motrice
Faculté du sport et de l'éducation physique
BP 6237
45062 Orléans 02

Résumé

Il existe une pathologie de la plongée subaquatique découlant d'une attitude inhabituelle due au port d'embouts standard, entraînant des dysfonctions concernant les dents et les gencives, mais aussi articulaires, musculaires et auriculaires. La réalisation d'un embout « personnel » permet de remédier à ces troubles ou de les prévenir. De plus, il élimine les risques de transmission du sida, de l'hépatite B… qui résultent de l'emploi, par plusieurs personnes, d'un même embout standard, comme cela se produit souvent.

Summary

Personal mouth piece for diving and flipper swimming

Scuba diving can lead to a pathology which arises from an unusual attitude caused by the wearing of standard mouth pieces. This translates in teeth and gums' as well as articular, muscular, and auricular dysfonctions. The realization of a “personal” mouth piece allows to remedy these disorders or to prevent them. Moreover, it eliminates the risks of transmitting AIDS or hepatitis B... which can result from the use of the same standard mouth piece by several persons, as this is often the case.

Key words

diving, flipper swimming, personal mouth piece, posture, prevention, therapeutics

L'homme intervient dans le monde aquatique grâce à l'apport d'un artifice s'adaptant à l'appareil respiratoire humain, au niveau buccal, par l'intermédiaire d'un embout. Celui-ci termine, de façon proximale, les systèmes respiratoires que sont les tubas et détendeurs. L'embout intrabuccal standard, classique, est une collerette de caoutchouc ou de silicone, comportant deux tétons sur lesquels le sportif doit mordre, au niveau prémolaire (fig. 1). Pour ce type d'embout, la forme de la collerette demande au plongeur, ou nageur, une propulsion mandibulaire afin d'assurer l'étanchéité, en couvrant la partie basse de l'embout avec sa lèvre inférieure.

Le tuba est employé par tous les sportifs subaquatiques, plus particulièrement en pêche sous-marine et dans les compétitions de nage avec palmes ou de hockey. Ces épreuves sont parfois de longue durée (5 à 6 heures pour la pêche; 1 à 2 heures pour les descentes de rivières…) et, ce, dans une eau généralement froide sous nos latitudes. Bien que passée sous la sangle du masque, ou maintenue frontalement, la tubulure de caoutchouc est sujette à de constantes vibrations, dues au « frottement » de l'eau lors des déplacements. Le tuba constitue donc une sorte de levier tendant à écarter les arcades dentaires, ce que la musculature manducatrice doit équilibrer.

Pour les plongeurs, l'embout intrabuccal complète le détendeur à un étage (composé de deux tuyaux annelés se rejoignant) ou le détendeur à deux étages (dont le second comportant valves et clapets) qui se trouve juste devant les lèvres et auquel il est directement relié [1].

Pathologies occlusales de la plongée

Le milieu environnant demande une certaine adaptation et induit un stress plus ou moins bien maîtrisé. Le vertige de l'immensité, l'anxiété, le silence, le froid, la fatigue sont autant de facteurs aggravants. Les sensations ressenties et les automatismes acquis sur la terre ferme n'existent plus.

Le port de l'embout standard provoque une attitude inhabituelle entraînant des dysfonctions concernant les dents et les gencives, mais aussi articulaires, musculaires et auriculaires. La dysfonction de l'ensemble neuromusculaire, à laquelle s'ajoute la tension psychique, est à l'origine de troubles des articulations temporo-mandibulaires, se traduisant par une agression, dont la réponse est inflammatoire. La grande souplesse du système manducateur permet d'abord une adaptation sans signes pathologiques. Cependant, les atteintes tissulaires peuvent occasionner des algies, d'ailleurs accrues par le froid. À l'examen, on peut alors détecter des « craquements » des articulations temporo-mandibulaires, parfois accompagnés de trismus.

Lors de l'occlusion des prémolaires sur l'embout classique, les forces musculaires sont intenses afin de contrebalancer les composantes de désinsertion, forces inconsciemment augmentées par la vigueur que donne l'instinct de conservation. Les sensations de fatigue sont principalement ressenties au niveau des masséters et ptérygoïdiens latéraux (stabilisateurs de l'ensemble musculo-condylien) et des temporaux. Elles disparaissent lorsque le sujet revient en position de repos, mais peuvent réapparaître à l'occasion de la mastication. Le « travail » demandé à ces muscles pendant de longues durées et dans le froid (rappelons-le) engendre souvent la douleur. L'algie massétérine se manifeste surtout à l'angle goniaque, mais peut irradier vers la région cervicale, alors que celle venant des ptérygoïdiens latéraux le fait plutôt vers la région auriculaire et maxillaire. La persistance du stress peut accroître cette sensation de douleur [2].

Découlant de ces dysfonctions arthro-musculaires peuvent survenir des sensations d'oreille bouchée, ressenties unilatéralement (le plus souvent), consécutivement à une mauvaise pressurisation auriculaire. La trompe d'Eustache est, on le sait, un organe essentiel pour l'équilibration intra-auriculaire chez le sportif subaquatique. Elle autorise le passage de l'air dans le sens cavum-caisse du tympan à la descente et, dans le sens inverse, à la remontée, sert de « soupape d'échappement ». Pour réaliser les manœuvres d'équilibration, il faut provoquer l'ouverture des trompes d'Eustache par contraction des muscles péristaphylins, muscles élévateurs du voile du palais. La déglutition à vide est un des moyens, simple, d'obtenir ce résultat. Mais la déglutition à vide s'exécute en occlusion d'intercuspidie maximale, laquelle est entravée par l'interposition des tétons de l'embout entre les arcades, d'autant plus que ceux-ci sont très épais. De plus, une inflammation des articulations temporo-mandibulaires, découlant de la posture, peut provoquer un dysfonctionnement de ces conduits [1].

Embout thérapeutique et préventif

La thérapeutique [3] consiste tout d'abord en une meilleure adaptation de l'embout intrabuccal, classique, à la morphologie du sportif, pour faire disparaître toute pathologie découlant de son emploi et lui apporter un plus grand confort. Pour cela, la collerette doit être ajustée pour dégager le fond des vestibules et les freins, les tétons désépaissis jusqu'à 2-3 mm et prolongés par des plans d'occlusion bilatéraux comportant les indentations du sujet (fig. 2, 3 et 4). La répartition des forces sur les segments postérieurs des arcades, de façon bilatérale et égale, réduit l'intensité des forces d'occlusion nécessaires au maintien du système respiratoire et soulage ainsi les muscles élévateurs. Une pression est maintenue au niveau des articulations temporo-mandibulaires, mais les interférences occlusales sont éliminées et les muscles « décontractés ». Il n'existe plus de forces traumatogènes pour les prémolaires et, si une mobilité est présente, les dents sont stabilisées. De plus, une édentation prémolaire ne peut plus être un facteur défavorable à la pratique, cette « personnalisation » autorisant une parfaite tenue en bouche [4]. L'adjonction des plans d'occlusion permet également d'écarter la collerette de la muqueuse gingivale, évitant ainsi les frottements, cependant déjà amoindris par une meilleure stabilité de l'ensemble [1].

Ce qui est décrit ci-dessus concerne la « personnalisation » d'embout standard classique [4], mais un véritable embout « personnel » avec plans d'occlusion bilatéraux (d'une seule pièce et d'un seul matériau, tel que « Thermoform® », le polychlorure de vinyle plastifié, le polyéthylène acétate de vinyle…) peut être réalisé [5]. Celui-ci est fait à partir d'empreintes des arcades dentaires, prises au cabinet dentaire et d'un « enregistrement d'inocclusion contrôlé » permettant le réglage de l'occluseur au laboratoire de prothèse. L'utilisation de l'embout « personnalisé » pour cet enregistrement est préférable, si un tel embout a d'abord été confectionné. Sinon, après avoir diminué la hauteur des tétons (car étant trop épais, ils entraînent un effort musculaire pour sa tenue en bouche), afin de permettre l'enregistrement dans une position de convenance (de quasi-repos et de confort), celui-ci se fait avec des boudins de cire adjoints latéralement, de telle façon qu'il réponde bien à un « maintien sans presque serrer les dents », donc avec « un minimum de contraction musculaire » (fig. 4). Ce temps est assez difficile à réaliser et demande l'acquisition d'une certaine expérience. Évidemment, cet enregistrement ne doit pas être effectué en hyperextension cervicale ni appui rétrocapital. L'embout « personnel » est une « orthèse » relevant, ainsi que la « personnalisation » d'embout standard classique, de la capacité professionnelle des chirurgiens-dentistes ou médecins stomatologistes [6].

À noter que les utilisateurs de ce type d'orthèse ont non seulement vu leurs surcharges parodontales et leurs symptômes pathologiques disparaître (notamment craquements et douleurs des articulations temporo-mandibulaires, contractures musculaires, irradiations algiques cervicales, etc.), mais ont aussi ressenti un plus grand confort, une plus grande sécurité qui sont des facteurs de meilleure pratique [7]. De plus, une meilleure protection thermique contre les agressions directes du froid a été constatée parce que les embouts « personnels » s'appliquent évidemment mieux sur les dents et les gencives. L'emploi d'embout « personnel » est donc tout à fait indiqué, en particulier lorsque les troubles arthro-musculaires ou parodontaux atteignent une certaine chronicité [28]. Il convient pourtant de faire remarquer que l'usage d'un tel embout (ne pouvant en principe servir avec une suffisante sécurité à quelqu'un d'autre, puisque personnel) requiert l'adjonction d'un second détendeur, avec embout standard, par souci d'assistance.

Sauf pour les débutants, les règlements actuels rendent d'ailleurs obligatoire ce second détendeur. Ce problème n'existe pas pour le tuba [1]. Pour la plongée sous-marine, les prothèses amovibles doivent être réglementairement déposées. De ce fait, les embouts personnels comblant les espaces édentés tiennent d'autant mieux en bouche, sans aucun effort (fig. 5). À noter que pour les patients totalement édentés, des embouts personnels (fig. 6) peuvent aussi être réalisés [9]. Cependant, les embouts personnels ne concernent pas les jeunes en période de dentition mixte. Ceux-ci peuvent employer un nouveau modèle (enfant) d'embout standard avec plans occlusaux, apparu sur le marché ces dernières années.

L'usage d'un embout « personnel » n'est pas réservé à la seule thérapeutique. Il est aussi préconisé, bien entendu, à titre préventif. De plus, en plongée les saignements gingivaux ne sont pas exceptionnels. Des risques de contamination par échange d'embouts (ce qui se produit couramment dans les clubs) existent donc, malgré leur nettoyage et leur désinfection (souvent relative). Posséder un embout « personnel » est donc, à cet égard, le moyen le plus sûr de faire face à ces risques, ce qui constitue un avantage supplémentaire, justifiant d'autant plus son indication et son institution (évidemment, cette recommandation concerne l'hépatite B, le virus HIV pour lesquels, on le sait, le sang est un agent effectif de transmission) [10].

Contacts occlusaux et posture

Pour des nageurs avec palmes [6], il a été constaté que le port d'un embout « personnel » (mieux adapté à leur plus important besoin de ventilation que pour la plongée) modifiait la position de la nuque, donc corporelle dans l'eau, ce qui favorise l'aisance gestuelle et, par conséquent, les performances. Cette observation mérite réflexion et souligne l'importance, même en milieu aquatique, du positionnement occlusal dentaire dans le domaine de la posture, mais également en matière de syncinésie, suite à une « économie », au niveau des muscles manducateurs que permet le bon maintien en bouche de l'embout sans pratiquement avoir besoin de serrer les dents [1].

En 1987, à l'occasion d'une journée scientifique de la Société française d'odonto-stomatologie du sport à l'École interarmées des sports (ex-Bataillon de Joinville), des embouts personnels avaient été fabriqués pour des nageurs avec palmes. Bien entendu, ces embouts avaient été réglés pour qu'ils tiennent en bouche sans qu'ils aient pratiquement besoin de serrer les dents (donc sans contractions musculaires, en position de confort). Une modification favorable de posture corporelle des nageurs fut constatée par les entraîneurs ainsi qu'une tendance à de meilleures performances [11, 12]. Il ne s'agissait alors que d'une expérimentation, mais, depuis lors, ces observations ont été confirmées et exploitées.

Temps de laboratoire

Pour un embout « personnel », la maquette en cire est confectionnée sur les moulages montés sur occluseur ou sur articulateur. La pièce permettant la jonction avec le tuba est modelée sur un tube rond, chromé, du diamètre voulu, écrasé du côté bouche pour éviter une trop grande ouverture des lèvres et permettre une bonne ventilation par la béance inter-incisivo-canine (fig. 7, 8, 9, 10, 11 et 12). Pour l'utilisation d'un détendeur, un moulage mâle de son orifice doit être réalisé, pour permettre la fixation de l'embout sur celui-ci (fig. 13). Il est utilisé comme le tube chromé décrit précédemment (fig. 14, 15, 16, 17, 18 et 19). Après mise en moufle et élimination de la cire, un matériau thermoplastique est bourré à chaud. Le moufle est ensuite placé sous presse jusqu'à refroidissement complet, etc. (la réalisation technique présentée est de Louis Bougrat). Actuellement, on emploie plutôt une méthode par injection.

Conclusion

Bien que l'appareil manducateur présente d'énormes possibilités d'adaptation et de compensation, il faut être attentif à sa symptomatologie assez fréquente, découlant de dysfonctions arthro-musculaires à ce niveau et de désordres parodontaux. Soulager le sportif subaquatique par la réalisation d'un embout intrabuccal « personnel » (optimal) est une opportunité à laquelle il faut penser avant d'engager tout autre traitement. Soulager certes, mais également prévenir ces troubles [1]. De plus, la prévention des risques de transmission du sida, de l'hépatite B que fait courir le passage de bouche en bouche d'embouts standard peut être effective grâce aux embouts « personnels » [10].

Pour la petite histoire, en ce qui concerne les clichés illustrant cet article:

- le tube chromé pour la confection de l'embout personnel de tuba provient d'un pied de tabouret (fortuitement et heureusement au diamètre voulu) ;

- le modèle mâle, employé pour l'embout personnel de détendeur, a été coulé avec des écrans métalliques de films radiographiques rétroalvéolaires, récupérés ;

- les embouts personnels présentés ont été faits avec des chutes de « Thermoform® », mises de côté lors de la fabrication de gouttières pour application de gel fluoré.

Pour la réalisation d'embouts « personnels »:

- au cabinet, le point délicat (qui demande de l'expérience) est l'enregistrement d'inocclusion (ou occlusion corrigée) qui doit être fait en position adéquate et relâchée, en laissant une béance suffisante pour la ventilation en fonction de l'activité pratiquée (plongée, nage avec palmes), mais cependant pas trop importante, afin de ne pas induire de contractures musculaires ;

- au laboratoire, la fabrication d'embout « personnel » est très simple et ne présente aucune difficulté technique, quelle que soit la méthode employée (bourrage ou injection).

bibliographie

  • 1 Delbar P, Lamendin H, Courteix D. L'embout intrabuccal. Pathologie thérapeutique - prévention. Act Sport Méd 1996;50:23-25.
  • 2 Delbar P, Lamendin H. Thérapeutiques dento-maxillaires dans les activités subaquatiques. Cinésiologie 1985;103:387-390.
  • 3 Delbar P, Lamendin H. L'embout intrabuccal personnel : indications thérapeutiques et préventives. Chir Dent Fr 1999;926:183-185.
  • 4 Delbar P. Personnalisation des embouts intrabuccaux dans les sports subaquatiques. Inform Dent 1983;16:1389-1392.
  • 5 Lamendin H. Pour la plongée subaquatique: de la personnalisation d'embout standard à l'embout personnel. Bull Off Cons Nat Ordre Chir-Dent 1985;4:53-54.
  • 6 Delbar P, Lamendin H. Embout intrabuccal et nage avec palmes. Act Sport Méd 1991;5:17-19.
  • 7 Delbar P, Lamendin H. Enquête à propos de la personnalisation d'embouts intrabuccaux dans la plongée subaquatique. Cinésiologie 1985;103:387-390.
  • 8 Delbar P, Lamendin H. Intérêts des embouts personnels dans les activités subaquatiques. Actes du XXIIIe Congrès international des médecins de langue française de l'hémisphère américain, 1994:112-113.
  • 9 Lamendin H. Gouttières thermoformables dentaires et pratique sportive: leurs diverses utilités. Cinésiologie 1987;114:171-176.
  • 10 Lamendin H. Protections dento-maxillaires, embouts de plongée et sida. Spécialiste Méd Sport 1997;8:20.
  • 11 Lamendin H. Journée sur la prévention bucco-dentaire et faciale pour les activités physiques ou sportives. Chir Dent Fr 1987;405:54-55.
  • 12 Perdrix G, Lamendin H, Ginisty J. Posture et occlusion dentaire. In : Posture, pratique sportive et rééducation. Paris: Masson, 2001.