Séquences orthodontiques préprothétiques
 

Les cahiers de prothèse n° 120 du 01/12/2002

 

Orthodontie (ODF)

Stéphane Barthelemi *   Alexis Moreau **  


* Docteur en chirurgie dentaire
spécialiste qualifié en ODF-CECSMO
MCU-PH Faculté d'odontologie de Reims
2, rue du Général Koenig
51100 Reims
** Docteur en chirurgie dentaire
interne des hôpitaux
CHR Reims

Résumé

L'orthodontie préprothétique est en plein essor grâce aux progrès réalisés dans la connaissance de la physiologie du parodonte, à la maîtrise des systèmes biomécaniques utilisés en vue d'optimiser une réhabilitation prothétique et à l'esthétique des appareillages. Le premier thème abordé est le redressement de piliers de bridge : un contrôle de la biomécanique permet de paralléliser les axes dentaires et de répartir les piliers prothétiques afin de réaliser une restauration prothétique dans les meilleures conditions. L'égression dentaire orthodontique avec ou sans accompagnement du parodonte par modulation de la force utilisée est un excellent moyen de pallier les problèmes des fractures coronaires sous-gingivales, en permettant une meilleure adaptation des coiffes prothétiques. Enfin, l'orthodontie s'avère une aide précieuse dans les cas d'agénésies impliquant une réhabilitation sur implants : les axes radiculaires des dents adjacentes et l'aménagement de l'espace dévolu aux implants peuvent être parfaitement contrôlés.

Summary

Preprosthetic orthodontics séquences : clinical applications

Preprosthetic orthodontics has become increasingly popular. Progress in the areas of biomechanics systems, periodontology and aesthetics of appliances explain the interest for this discipline. First, we look at the advantages of uprighting molars and distribution of bridge abutments by orthodontic appliances : better distribution of occlusal strength and easiness for building the prosthetic reconstruction. Orthodontic extrusion, with or without periodontal ligament and bone, is helpful in cases of deep crown fractures, hence permitting better adaptation of restorative prosthetic. Finally, orthodontics is quite crucial in case of dental agenesis when implant supporting prostheses are indicated : axis of dental roots and management of space for the implants are perfectly controlled.

Key words

biomechanics, fixed prostheses, orthodontics

L'orthodontie a pour but d'améliorer l'esthétique du visage et de la denture, de restaurer une fonction occlusale optimale et de contribuer à la longévité du système stomatognathique. Depuis 15 ans, l'essor de l'orthodontie adulte est considérable grâce à une meilleure connaissance de la physiologie et de la pathologie du parodonte, aux progrès de la chirurgie orthognathique et à l'apparition de techniques orthodontiques plus esthétiques.

La collaboration orthodontie-prothèse s'adresse plus fréquemment aux patients adultes, mais n'est pas pour autant exclue chez l'enfant et l'adolescent.

L'apport de l'orthodontie permet au chirurgien-dentiste de travailler dans une sphère oro-buccale optimisée. En effet, la présence de malocclusions et malpositions auxquelles le patient s'est accoutumé peut entraîner à l'âge adulte des complications lors de la réhabilitation prothétique. C'est pourquoi il faut intégrer l'orthodontie préprothétique dans l'élaboration d'un plan de traitement global au même titre que la parodontologie, l'odontologie conservatrice, la chirurgie ou l'implantologie.

Cet article a pour objectifs d'illustrer l'intérêt de l'orthodontie préprothétique : le redressement de piliers supports de bridge, les aménagements corono-radiculaires préprothétiques ainsi que les aménagements pré-implantaires dans le cas d'agénésie bilatérale des incisives latérales maxillaires.

Concepts biomécaniques

Physiologie du déplacement provoqué

L'organe dentaire est un ensemble tissulaire fonctionnel, constitué par la dent et par le parodonte. L'os est un tissu de structure complexe, en perpétuel remaniement, composé principalement de collagène, mais aussi d'autres constituants comme des protéoglycanes (macromolécules protéiques) et des glycoprotéines. Lors du déplacement dentaire orthodontique, les forces appliquées provoquent une dissolution de la partie minérale par le biais des ostéoclastes ainsi qu'une digestion de la matrice collagénique. Cette dégradation du collagène fait intervenir des enzymes protéolytiques, en particulier les métallo-protéinases matricielles sécrétées par les ostéoblastes [1].

Les forces appliquées par le moyen de l'appareillage orthodontique s'expriment donc par un système de forces du type « pression-tension » au niveau du desmodonte. Celui-ci, en raison de sa structure, est compressible ou extensible. Il reçoit les informations au niveau des mécano-récepteurs et peut ainsi les transmettre à l'ensemble du système biologique, donc aux cellules impliquées dans le remaniement.

Réactions histologiques du côté pression

La résorption osseuse est modulée par l'intensité de la force appliquée. Si la force est légère, continue, répartie uniformément sur la surface radiculaire, la résorption osseuse est directe (Macapanpan cité par Langlade [2]). Dans le cas de forces lourdes, produisant un écrasement important du ligament alvéolo-dentaire, on constate un ralentissement très important de la vascularisation dans la zone de compression et l'apparition du phénomène de hyalinisation [3]. Dans un premier temps, aucun déplacement dentaire n'est observé, la dent est bloquée dans son alvéole, puis un déplacement brutal est constaté : le phénomène de résorption osseuse s'accomplit à partir des espaces médullaires intra-osseux et l'os alvéolaire est détruit par l'intérieur, ce qui provoque l'effondrement de la table osseuse desmodontale et le déplacement brutal de la dent. L'analyse expérimentale des effets des forces selon leur intensité, leur rythme d'application indique que les forces légères sont préférables pour assurer un déplacement dentaire sans à-coups.

Réactions histologiques du côté tension

De ce côté se produit une apposition osseuse. Les fibres desmodontales sont étirées, produisant un élargissement du ligament ; les vaisseaux sont largement ouverts, les fibres ligamentaires et les cellules sont allongées dans le sens de la traction. En bordure osseuse, l'os fasciculé montre des ostéoblastes actifs (cellules polygonales ou cubiques, à noyau apical) et une apposition de tissu ostéoïde. En outre, l'activité mitotique des fibroblastes est augmentée dans la zone de tension. Cette apposition assure le maintien de la largeur desmodontale malgré le déplacement provoqué. En quelque sorte, la dent se déplace avec son alvéole (Macapanpan cité par Langlade [2]). L'augmentation d'intensité de l'activité cellulaire est intensifiée dès 24 à 36 heures après l'application de la force orthodontique.

Ce tissu ostéoïde de transition sert de matrice organique sur laquelle se déposera ultérieurement la substance minérale osseuse.

Théories du déplacement dentaire

Depuis le milieu des années 60, de nombreuses théories sur le déplacement dentaire ont vu le jour. Actuellement, les progrès de la biologie et de la signalétique cellulaire ont mis en évidence l'importance des interactions cellulaires dans le déplacement dentaire et le remaniement osseux. Ostéoblastes, ostéocytes, ostéoclastes, mais également les fibroblastes du ligament alvéolo-dentaire sont impliqués de façon active dans le remaniement de l'os alvéolaire. L'application d'une force orthodontique induit la libération de médiateurs de l'inflammation comme les prostaglandines, les cytokines, les facteurs de croissance, qui sont à l'origine des remaniements cellulaires observés [4]. Beaucoup de questions demeurent sur les mécanismes biochimiques et physiques, en particulier les effets du stress mécanique sur les cellules des débris épithéliaux de Malassez et sur les espaces médullaires de l'os alvéolaire ainsi que les interactions de ces cellules avec celles du ligament alvéolo-dentaire.

Particularités du déplacement dentaire provoqué sur un parodonte adulte affaibli

Chez l'adulte, le remaniement de l'os alvéolaire est lié au processus de la migration physiologique des dents. Il est cependant évident que la fonction occlusale joue un rôle capital dans ce processus. Chez l'homme, le déplacement des dents au cours de l'existence se fait en direction mésio-occlusale. Cependant, si on se réfère au concept de l'occlusion attritionnelle de Begg, les dents effectuent un déplacement horizontal et un déplacement vertical (égression) qui se combinent harmonieusement en un mouvement unique.

La jonction gingivo-dentaire est constituée par un manchon épithélial qui sertit le collet des dents. La zone fonctionnelle proprement dite ou attache épithéliale est un ensemble biologique constituant une barrière physique et physiologique qui crée une séparation avec la cavité buccale. Cette attache épithéliale n'est pas une structure statique, mais se situe à différents niveaux au cours de la vie de la dent. Avec l'éruption passive qui compense l'usure des faces occlusales, parallèlement à une apposition osseuse et cémentaire au niveau apical, on observe une migration apicale de l'attache épithéliale. Au cours de ce phénomène, les cellules basales migrent progressivement à un niveau plus apical. La morphologie du sulcus et le maintien de sa profondeur sont assurés par un double jeu d'autodestruction cellulaire et de régénérescence des cellules de l'assise basale externe.

Avec l'âge, le support osseux se réduit, l'attache épithéliale et le fond du sulcus migrent progressivement à un niveau plus apical, le rapport couronne clinique/racine devient moins favorable aux mouvements orthodontiques. Les expérimentations menées chez le chien Briquet par Ericsson ont montré qu'en l'absence de plaque dentaire, les forces orthodontiques ne provoquaient pas la destruction des tissus parodontaux ni la formation de poches. En revanche, en présence de plaque, des forces d'intensité identique provoquaient l'apparition de défauts angulaires et, avec des mouvements de version ou d'ingression, les forces étaient capables de transformer une lésion gingivale établie en une lésion accompagnée d'une perte d'attache.

Les travaux de B. Melsen [5] ont même démontré que l'ingression incisive dans le cadre d'un parodonte affaibli avec perte de hauteur d'os alvéolaire, réalisée avec une force et une maintenance parodontale contrôlées, permet de redonner un meilleur environnement parodontal avec augmentation du support osseux périradiculaire de ces dents.

Chez l'adulte, la réponse ralentie au déplacement lors de l'application des forces orthodontiques vient du fait que les tissus sont dans une phase statique avant le traitement. Il y a peu d'éléments cellulaires et les faisceaux de fibres sont plus forts et plus épais. Une force légère, continue et définie, doit être appliquée initialement chez l'adulte pour permettre une mise en action lente et progressive du remaniement osseux par la formation de néocellules. La prolifération cellulaire apparaît 8 à 10 jours après l'application de la force alors qu'elle peut être observée dès 2 à 3 jours chez les enfants. Après quatre semaines, on considère que le tissu osseux adulte atteint un stade de prolifération optimal. À ce stade, les dents peuvent être déplacées avec des forces légères quasiment aussi rapidement que chez les patients en croissance. Les techniques orthodontiques permettent de recréer un environnement parodontal favorable. En effet, lorsque l'alignement dentaire est réalisé, le contrôle de la plaque dentaire par le patient est plus aisé, ce qui permet de pérenniser la denture [6].

Applications cliniques de l'orthodontie préprothétique

Généralités

La force orthodontique est caractérisée par le rythme d'application (forces intermittentes, discontinues, continues), l'intensité, la direction, le point d'application de la force et la résistance mécanique des tissus. Le point d'application de la force ne peut se faire sur le centre de résistance de la dent : un mouvement de rotation est induit, la translation pure (gression) est donc plus difficile à obtenir avec les systèmes mécaniques utilisés quotidiennement. La mécanique orthodontique permet de réaliser des mouvements de version (il s'agit souvent d'un mouvement parasite indésirable), de gression, de rotation, d'ingression, d'égression et de torque. Le positionnement idéal des axes dentaires impose très souvent une combinaison de ces différents mouvements, d'où la nécessité d'une parfaite connaissance de la biomécanique.

Redressement de piliers supports de bridge

Généralités

La première molaire qui est la dent la plus atteinte par le processus carieux est, de ce fait, la dent la plus souvent absente dans la denture adulte. Sa perte non compensée, de par les forces et les courbes occlusales, entraîne une version mésiale de la deuxième et de la troisième molaire si celle-ci est présente. La malposition de la première molaire conduit à une perturbation de l'engrènement dentaire et s'oppose à la construction d'une prothèse satisfaisante [7]. Sur le plan parodontal, les versions molaires provoquent l'apparition de pseudo-poches dans la zone mésiale qui, avec le temps, peuvent laisser place à une poche réelle avec perte d'attache [8]. Le processus d'ostéolyse est accéléré par la mauvaise répartition des forces occlusales qui provoquent une zone de pression au niveau cervical mésial [9]. De plus, les versions molaires non compensées provoquent une perturbation du plan d'occlusion avec égression des dents antagonistes.

Le système mécanique utilisé pour le redressement provoque un pivotement de la dent autour de son centre de résistance, avec pour corollaire une égression et une distalisation de la dent. Ce mouvement, relativement aisé à obtenir, ne nécessite pas un ancrage très important, mais l'égression n'est pas souvent souhaitée, car elle perturbe le plan d'occlusion et oblige lors de la préparation prothétique à réduire la hauteur de couronne clinique.

Un système mécanique plus sophistiqué permet un déplacement du centre de résistance en direction mésiale, voire apicale. Ce mouvement, plus difficile à obtenir, doit être précédé d'une étude mécanique soigneuse et nécessite un bon ancrage et un traitement plus long [10].

De nombreux moyens mécaniques grâce aux techniques multi-attaches permettent ce redressement molaire. La segmentation de l'arcade avec une zone antérieure de prémolaire à prémolaire, solidarisée par un arc en acier rectangulaire rigide, et une zone postérieure, constituée par les molaires à redresser par des arcs sectionnels, semble la solution la plus judicieuse. Sur le plan biomécanique, elle permet le meilleur contrôle de l'ancrage et du mouvement à effectuer sur les molaires mésio-versées. Selon les techniques utilisées, ces sectionnels présentent différentes formes.

À noter que Fontenelle [11] propose la mésialisation des piliers postérieurs par une technique qui permet aux forces de passer le plus près possible du centre de résistance avec pour avantages de n'avoir que très peu d'effets parasites de version, et d'être esthétiquement invisibles, mais pour inconvénients le coût important et l'encombrement de l'appareillage.

Le redressement de l'axe de la molaire versée permet souvent de conserver la vitalité pulpaire et de limiter les risques de pathologie parodontale. De plus l'insertion de la prothèse sera facilitée. L'angle de dépouille idéal doit être de 6°. D'autre part, le redressement des piliers favorise la rétention de la future prothèse en augmentant la hauteur des préparations (fig. 1). Le redressement molaire permet de situer les limites cervicales à un niveau juxtagingival, voire supragingival, chaque fois que les conditions cliniques l'y autorisent. La position de la dent à reconstituer peut être modifiée de façon à orienter les forces masticatoires selon leur grand axe. En effet, plus l'angle formé par la résultante de ces forces et l'axe de la dent est grand, plus on facilite l'installation de troubles parodontaux.

L'importance des contraintes imposées à un bridge augmente avec son étendue. Par exemple, si les autres facteurs mécaniques restent constants, une travée de 2 dents intermédiaires fléchit 8 fois plus que si elle n'en comporte qu'une et 27 fois plus si 3 dents sont remplacées. Ceci peut expliquer l'échec de certains bridges avec des conséquences désastreuses [12]. Quelle que soit la longueur de la travée d'un bridge, celle-ci subit des forces de flexion. De plus, viennent s'ajouter des efforts de torsion. Ces contraintes transmises par les dents intermédiaires aux appuis dentaires sont différentes en intensité et en direction de celles qui sont imposées aux reconstitutions unitaires. Ces indices défavorables nécessitent l'augmentation du nombre de dents-supports ou le recours à un appareillage orthodontique permettant de mieux répartir les piliers, si le contexte osseux le permet, pour diminuer la longueur des travées et donc améliorer le pronostic de la réalisation prothétique.

Cas clinique n° 1

• Motif de consultation

Une patiente de 34 ans est adressée par son chirurgien-dentiste traitant pour une mésio-version secondaire des secteurs molaires mandibulaires qui rend difficile une reconstitution prothétique stable.

• Examen clinique

À l'arcade maxillaire, on note l'absence de 14, 16, 18, 23 (extraite il y a plusieurs années, car elle était incluse), 25, 28. À l'arcade mandibulaire, on constate l'absence de 35, 36, 46, avec mésio-version sévère des deuxièmes et troisièmes molaires mandibulaires (fig. 2). De plus, on peut constater une image radioclaire importante au niveau de l'apex de la racine mésiale de 48 et une atteinte de la furcation de la 37. Il existe une importante perte des milieux incisifs liée à l'absence de la 23.

• Objectifs thérapeutiques

La patiente ne souhaitant pas d'intervention au niveau de l'arcade maxillaire, le plan de traitement, en collaboration avec le chirurgien-dentiste traitant, comporte le redressement de 47 et 38, et les extractions de 48 et 37, ce redressement ayant pour but de faciliter la reconstitution prothétique prévue par deux bridges mandibulaires. Une solution implantaire après redressement des molaires n'a pas été envisagée. Dans ce cas, vu le déficit osseux du secteur édenté dans le sens vestibulo-lingual, il n'a pas été possible de distaler la 34 pour mieux répartir les piliers. Un comblement osseux n'a pas été accepté par la patiente.

• Moyens thérapeutiques

Il a été décidé de redresser les molaires par une technique multi-attaches. La 47 doit être redressée pour rouvrir l'espace de la 46 absente ; la 38 doit également être redressée et, dans la mesure du possible, mésialée tout en gardant des rapports occlusaux corrects avec l'arcade maxillaire qui n'a pas été appareillée.

Sur le plan mécanique, le nivellement a d'abord été réalisé sur les secteurs antérieur et prémolaire. Une fois le nivellement antérieur réalisé, un arc acier .017 × .025 rigide permet de solidariser ce secteur. La 38 présentant un axe défavorable dans le sens vestibulo-lingual a été redressée par un arc sectionnel avec une boucle en M (fig. 3). Un sectionnel à insertion verticale qui comporte une partie en fil à mémoire souple (nickel-titane .016 × .022) et une partie rigide en acier .016 × .022 ajustable (fig. 4) permet de redresser la molaire en délivrant des forces douces, continues et de minimiser les effets parasites d'égression lors du redressement (Foresta-dent®, Forestadent). Ce système mécanique a été utilisé pour le redressement de la 37. Ensuite, un arc de fermeture d'espaces à boucles en 17 × 25 avec courbures de compensation a permis de mésialer 38 sans qu'une nouvelle mésio-version parasite ne se produise. Une fois le redressement obtenu, la contention a consisté en un bridge provisoire posé immédiatement après la dépose des attaches (fig. 5). La prothèse définitive a été élaborée quelques mois plus tard (fig. 6).

En comparant les orthopantomogrammes du début et de la fin du traitement orthodontique, qui a duré 11 mois (fig. 2 et 7), on peut constater que 38 a été redressée de 21° et mésialée de 4,5 mm ; 47, quant à elle, a été redressée de 29°, ce qui facilite les préparations prothétiques et améliore le pronostic parodontal et prothétique.

Un mouvement axial pour un élément prothétique

Généralités

L'objectif majeur des égressions orthodontiques à visée prothétique consiste en la réalisation d'une élongation coronaire sans sacrifier à l'esthétique de l'alignement des collets. On oppose à ces égressions orthodontiques les élongations coronaires par chirurgie parodontale qui, par souci de respect de l'espace biologique, obligent à déplacer le feston gingival en direction plus apicale [13]. Ceci peut être envisageable dans les secteurs postérieurs, mais devient incompatible avec les considérations esthétiques, lorsqu'il s'agit d'une reconstitution dans la zone antérieure [14], et a fortiori si le sourire découvre la gencive. Cette thérapeutique recouvre deux indications majeures : les fractures sous-gingivales avec un rapport couronne/racine restant cependant favorable, et les caries sous-gingivales.

La principale difficulté réside dans la gestion de la gencive marginale puisque l'on poursuit un objectif esthétique avec conservation de la ligne des collets. On distingue deux techniques :

- l'égression lente avec des forces orthodontiques de faible amplitude (de l'ordre de 30 à 60 g) qui a pour effet de déplacer tout le support parodontal en direction coronaire. Ceci peut être parfois souhaitable (cas clinique n° 3), mais n'est le plus souvent pas recherché ;

- une égression forcée, avec réalisation d'une fibrotomie supracrestale (sulculaire) circonférentielle initiale, qui consiste à désinsérer les fibres desmodontales au-dessus de la crête alvéolaire. Ce geste est ensuite renouvelé pendant la traction, avant application d'une force orthodontique plus lourde (100 à 120 g) [15]. La résection fibrillaire, annulant la force de tension exercée sur l'os alvéolaire, supprime le stimulus susceptible de provoquer toute apposition d'os crestal. Cette technique entraîne la seule égression dentaire sans concerner les tissus parodontaux qui ne suivent pas l'égression (cas cliniques n° 2 et 5). Le temps d'égression est diminué [16], la chirurgie postorthodontique inutile. Cependant, une chirurgie muco-gingivale de finition peut s'avérer nécessaire :

- gingivectomie à biseau interne afin de réaligner les collets dans les cas où la hauteur de gencive kératinisée le permet ;

- lambeau déplacé apicalement si la hauteur de gencive kératinisée est insuffisante.

Une autre difficulté concerne le profil et la surface d'émergence de la racine (fig. 8). En raison de la forme conique des racines, cette surface est d'autant plus réduite que la quantité d'égression est importante, ce qui risque de poser un problème esthétique lors de la phase prothétique. Par ailleurs, la forme des racines, notamment dans leur portion vestibulaire (par exemple un méplat comme dans le cas clinique n° 4), ne permet pas toujours de restituer ad integrum l'esthétique du pourtour gingival.

La technique utilisée chez les patients présentés ci-après (sauf cas clinique n° 2) comporte la confection d'une couronne provisoire à tenon en méthode indirecte sur laquelle sera collée l'attache orthodontique. Cette technique comporte un triple avantage :

- esthétique ;

- gestion précoce du pourtour gingival ;

- possibilité de déplacer la racine dans les 3 sens de l'espace via l'attache orthodontique.

Cette couronne provisoire est scellée avec un ciment définitif de façon à éviter tout descellement durant le traitement.

Le traitement orthodontique comporte 2 phases :

- une phase d'égression proprement dite qui dure de 2 à 6 mois selon la hauteur d'égression voulue ;

- une phase de contention de 2 mois. Les appareillages multi-attaches permettent un contrôle précis des forces exercées et de la direction de traction de l'élément dentaire. L'utilisation de l'attraction magnétique de deux aimants peut être utilisée pour égresser une racine avec des forces douces et continues, mais ce dispositif reste très onéreux, difficile à régler et surtout très encombrant dans la cavité buccale, rendant l'hygiène difficile [17].

Cas clinique n° 2

• Motif de consultation

Une patiente de 18 ans se présente en consultation à la suite d'une perte de connaissance ayant entraîné une chute et un traumatisme alvéolo-dentaire au niveau de 23.

• Examen clinique

On note une fracture amélo-dentino-pulpaire oblique de toute la face vestibulaire de 23 qui se poursuit 3 mm sous la gencive en vestibulaire. La fracture en biseau au niveau de la 23 chez cette patiente, qui présente une fonction canine marquée en diduction gauche, ne permet pas de réaliser un collage durable de la face vestibulaire de la dent. La gencive fine interdit toute reconstitution prothétique fixée qui risquerait, en ne respectant pas l'espace biologique, d'entraîner une récession à moyen terme.

L'alignement correct des collets, l'absence de toute maladie parodontale et la localisation antérieure de la dent n'autorisent cependant pas une élongation coronaire par chirurgie parodontale qui provoquerait un dommage esthétique certain.

• Objectifs thérapeutiques

Il s'agit d'égresser la portion dentaire résiduelle de 3 mm de façon à réaliser une reconstitution prothétique esthétique en évitant que le parodonte ne suive cette égression.

• Moyens thérapeutiques

Il est décidé :

- de dépulper la 23 et de réaliser son obturation canalaire ;

- d'effectuer ensuite une élongation coronaire de 4 mm (légère surcorrection) par égression orthodontique avec éventuellement une chirurgie parodontale de correction ;

- de placer la dent en contention pendant 2 mois, puis confectionner un inlay-core et une couronne Procera® (Nobel Biocare).

La face vestibulaire de la 23 est provisoirement collée au Super-Bond® (Morita) le temps de l'égression. Sa cuspide ainsi que sa face palatine seront diminuées au fur et à mesure de l'égression pour autoriser les mouvements de diduction et permettre l'égression.

La phase orthodontique comprend la mise en place d'un multi-attaches complet à l'arcade maxillaire. Une fibrotomie supracrestale est réalisée à chaque activation pour que l'égression dentaire soit réalisée sans égression du parodonte superficiel.

La première étape consiste en la mise en place d'un arc nickel-titane .016 pour niveler les dents.

Ensuite, la mise en place d'un arc β titane .016 × .022 avec une information de 2e ordre permet de commencer à égresser la 23. La facette collée est meulée au niveau du bord libre et en palatin (fig. 9, 10 et 11).

Au cours du traitement, on accentue l'information de 2e ordre au niveau de 23 par une nouvelle fibrotomie et meulage de la facette. L'information de 2e ordre se poursuit jusqu'à l'obtention de l'égression désirée. Une fois celle-ci obtenue, une contention collée au composite au niveau de la face palatine doit rester en place pendant 2 mois (fig.12).

La phase prothétique est entreprise par confection et scellement de l'inlay-core, puis de la couronne Procera® (fig. 13).

Le traitement a duré 6 mois entre la première consultation et le collage de la couronne, ce qui peut sembler un peu long, mais se révèle tout à fait cohérent en regard du résultat esthétique satisfaisant obtenu notamment en ce qui concerne le respect du dessin de la ligne des collets, que seule une égression orthodontique peut apporter. Les fibrotomies supracrestales ont permis d'éviter le recours à une chirurgie gingivale correctrice en fin d'égression. La faible égression orthodontique (4 mm) a permis de réaliser une couronne prothétique reproduisant le profil d'émergence de la couronne avant fracture.

Cas clinique n° 3

• Motif de consultation

Un patient âgé de 45 ans consulte suite à un traumatisme alvéolo-dentaire au niveau de 11.

• Examen clinique

On note une fracture amélo-dentinaire oblique de 11, dépulpée depuis de nombreuses années, qui intéresse toute la couronne clinique et qui se prolonge 5 mm sous la gencive vestibulaire. L'urgence esthétique a consisté en la réalisation d'une contention collée 12-11-21 avec un arc en acier et des plots en composite.

On note l'absence de 15 et 25 et une mésio-version de 16 et 26.

À la dépose de la reconstitution provisoire réalisée en urgence, apparaît une récession vestibulaire de 3 mm due à l'absence de support parodontal profond. La gencive est légèrement enflammée (fig. 14).

• Objectifs thérapeutiques

Il s'agit d'égresser la racine pour permettre une reconstitution prothétique fixée et redonner un meilleur environnement parodontal et esthétique à la future prothèse en supprimant la récession gingivale. Il aurait été souhaitable de redresser 16 et 26, mais le patient recherche une phase orthodontique la plus rapide possible.

Dans un premier temps, une couronne provisoire à tenon est confectionnée et scellée. Dans un deuxième temps, une égression orthodontique de 6 mm (légère surcorrection) avec meulage occlusal progressif de la couronne provisoire est réalisée. Le recours aux fibrotomies n'est pas indiqué, car on souhaite que le parodonte profond suive l'égression de la racine pour supprimer la récession en utilisant des forces légères de traction sur la dent. La dent est ensuite placée en contention pendant 2 mois, puis un inlay-core et une couronne Procera® sont réalisés.

• Moyens thérapeutiques

La couronne provisoire (fig.15 et 16) est réalisée en méthode indirecte pour obtenir le meilleur ajustage cervical possible malgré la mauvaise visibilité des limites. Ensuite un appareillage multi-attaches complet est posé au maxillaire, avec mise en place d'un arc D-RECT® .016 × .022 pour le nivellement. Ce type d'arc allie la souplesse nécessaire à une section rectangulaire pour pouvoir contrôler le torque dès le départ. Cet arc peut être déformé à la pince pour l'égression progressive de la dent en délivrant une force douce et relativement continue, souhaitable dans ce type de cas pour lequel le parodonte doit suivre l'égression de la racine (30-60 g).

L'information de 2e ordre au niveau de 11 est accentuée jusqu'à ce que l'on obtienne l'égression désirée. À chaque séance, le bord libre de la couronne provisoire est meulé pour permettre l'égression (fig. 17 et 18). Une fois la position désirée obtenue, on réalise une contention collée au composite en palatin (fig. 19). Après 2 mois de contention, on commence la confection de l'inlay-core et de la couronne Procera® (fig. 20).

Le résultat obtenu est conforme aux objectifs fixés au préalable : la récession a été totalement supprimée, la gencive est saine et la couronne réalisée s'intègre parfaitement à l'environnement gingival. La phase d'égression a duré 6 mois en raison des 6 mm d'égression désirés et de la nécessité d'obtenir la descente concomitante du parodonte à celle de la dent par le recours à des forces de faible intensité.

Cas clinique n° 4

• Motif de consultation

Un patient de 22 ans a subi un traumatisme facial lors d'un match de basket-ball qui s'est traduit par la perte des deux couronnes cliniques de 21 et 22.

• Examen clinique

On constate les fractures obliques sous-gingivales de 21 et 22 (fig. 21). Ces 2 dents avaient déjà subi un traitement endodontique (fig. 22). On note, au niveau de 22, une lésion apicale à traiter.

La longueur radiculaire et le niveau de fracture à 2 mm sous la jonction amélo-cémentaire rendent envisageable la conservation des racines. Cependant, la localisation (incisives maxillaires) et le sourire légèrement gingival de ce patient donnent à la conservation de la ligne des collets un caractère incontournable et contre-indiquent le recours à une élongation coronaire par chirurgie parodontale.

Un diastème en mésial de 13 complique la réalisation d'un bridge respectant l'harmonie de forme des deux incisives.

Compte tenu de cette situation clinique, le traitement orthodontique présente la meilleure indication.

• Objectifs thérapeutiques

Il s'agit d'égresser 21 et 22 dans le même temps pour permettre la confection de deux couronnes prothétiques, tout en veillant à la gestion de la papille interdentaire située entre 21 et 22, et à la conservation du parallélisme des racines de ces deux dents pendant la phase d'égression.

• Moyens thérapeutiques

La confection de 2 couronnes provisoires sur 21 et 22 est réalisée préalablement à l'égression orthodontique qui doit être d'environ 5 mm. Elles seront meulées à chaque séance au fur et à mesure de l'égression. L'appareillage orthodontique multi-attaches est placé de première prémolaire à première prémolaire, ce qui constitue un ancrage suffisant pour contrecarrer les forces ingressives réactionnelles à l'égression des incisives. Les attaches sur 21 et 22 sont collées plus gingivalement et dans leur position idéale en fin de traction (soit 5 mm plus haut que les autres attaches), ce qui permet de ne pas avoir à les recoller au cours du traitement, et surtout d'avoir un guide précis de la quantité d'égression obtenue. En effet, quand la gorge des attaches se situe dans le même plan horizontal que les autres, on est sûr d'avoir obtenu 5 mm d'égression. Les mouvements dentaires sont obtenus grâce à la mise en place d'un arc en nickel-titane thermique de section ronde .016, puis de section rectangulaire .016 × .022, dont la propriété martensitique lui permet de garder sa forme originelle en mémoire. L'arc aura donc tendance à s'aplanir induisant ainsi l'égression des 2 racines (NB : La transformation martensitique est une déformation réversible sous contrainte par le biais d'un phénomène cristallographique se traduisant par la transformation réversible d'une phase austénitique vers une phase martensitique. Cette transformation, également appelée mémoire de forme ou superélasticité, est caractéristique des alliages à base de nickel-titane utilisés en orthodontie).

Les séances de contrôle suivantes permettent de vérifier le bon déroulement des égressions. Au bout de 9 semaines, l'arc est plan et les racines semblent suffisamment égressées (fig. 23). L'appareillage multi-attaches est déposé et les dents sont placées en contention (fig. 24). Le parodonte a largement accompagné l'égression des 2 racines, ce qui nécessite de pratiquer une élongation coronaire assez importante pour réaligner les collets.

Deux mois après la chirurgie parodontale et la contention, on réalise 2 inlay-cores céramisés et 2 couronnes Empress® (Ivoclar-Vivadent) (fig. 25 et 26).

Après égression des 2 racines, les 2 couronnes ont été réalisées et la papille interdentaire a été recréée. Cependant, il n'y a pas eu assez de surcorrection au niveau de 22 dans sa portion distale et la fracture plus oblique que prévue de ce côté a rendu la prise d'empreinte difficile.

Par ailleurs, pour recréer la papille interdentaire, il n'y a pas eu de fibrotomie supracrestale, ce qui a nécessité de pratiquer 2 véritables élongations coronaires à la fin du traitement. Enfin, l'égression des racines de près de 5 mm a très largement diminué, leur surface cervicale compliquant en cela le profil d'émergence des couronnes prothétiques. Si l'on ajoute à cela la présence d'un méplat dans l'angle antéro-vestibulaire de la racine de 21, on comprend que le résultat esthétique ne soit pas totalement à la hauteur des moyens employés.

Cas clinique n° 5

• Motif de consultation

Une patiente de 24 ans est adressée par son chirurgien-dentiste traitant, désirant réaliser une couronne sur 35. Or, cette dent est délabrée et présente une carie sous-gingivale.

• Examen clinique

La dent présente en effet une carie distale fortement sous-gingivale. La réalisation d'une couronne à ce niveau nécessite une élongation coronaire qui peut être soit chirurgicale soit orthodontique. Le choix de l'orthodontie n'est pas une évidence, car il s'agit d'une 2e prémolaire mandibulaire dont l'importance esthétique n'est pas flagrante, mais la patiente a un grand souci de l'alignement de ses collets.

• Objectifs thérapeutiques

L'objectif est d'égresser la racine de 4 mm de façon à réaliser une couronne prothétique tout en conservant un bon alignement des collets.

• Moyens thérapeutiques

Il est convenu de réaliser une couronne provisoire par méthode indirecte, d'égresser la dent de 4 mm en réalisant des fibrotomies supracrestales. Enfin, la dent placée en contention pendant 2 mois peut recevoir un inlay-core et une couronne. La couronne provisoire est tout d'abord mise en place (fig. 27), puis un appareillage multi-attaches de 47 à 43 est posé à l'arcade mandibulaire. Pour supprimer d'éventuels effets parasites sur le secteur antérieur, une attelle d'ancrage linguale entre 43 et 33 est positionnée permettant une invisibilité de l'appareil dans ce secteur. La phase de nivellement commence par la mise en place d'un arc .016 nickel-titane (fig. 28).

L'égression est réalisée avec une information de 2e ordre sur un arc β titane .016 × .022 au niveau de 45, en coordination avec une fibrotomie supracrestale et un meulage de la surface occlusale de 45 (fig. 29).

L'information de 2e ordre est accentuée jusqu'à obtenir l'égression désirée que l'on contrôle facilement par le biais de radiographies rétro-alvéolaires étant donné qu'il s'agit de la face distale de la dent (fig. 30).

Après obtention de l'égression souhaitée, la contention est mise en place pendant 2 mois (fig. 31) pour conduire à la confection de l'inlay-core, de la couronne provisoire et de la couronne (fig. 32). Les objectifs ont été atteints, mais le manque relatif d'hygiène de la patiente n'a pas optimisé les fibrotomies supracrestales réalisées à chaque activation, ce qui a obligé à pratiquer une très légère élongation coronaire chirurgicale pour réaligner les collets.

Aménagement orthodontique préimplantaire dans le cadre du traitement d'agénésies d'incisives latérales maxillaires

Généralités

Les pourcentages d'agénésies varient selon les auteurs. Pour autant, un consensus s'établit sur le fait que l'agénésie de l'incisive latérale maxillaire est la plus fréquemment observée après celle des troisièmes molaires et des deuxièmes prémolaires mandibulaires [18].

De nombreux facteurs entrent en ligne de compte dans la décision thérapeutique de fermer ou d'ouvrir, voire maintenir les espaces dévolus aux incisives latérales avec l'appareillage orthodontique : esthétique du visage et typologie faciale, dysharmonie dento-maxillaire associée, anatomie dentaire et facteurs socio-économiques en sont les principaux. La décision de conserver ou ouvrir les espaces s'adresse principalement aux patients présentant une occlusion de classe I molaire sans anomalies associées. L'ouverture des espaces permet l'établissement orthodontique d'une classe I canine. D'autre part, dans les cas de classe III par déficit maxillaire, la fermeture réduit l'arcade maxillaire. Celle-ci est donc à éviter [19].

Dans les cas présentant une morphologie de la canine défavorable, la réouverture d'espaces s'impose. En effet, l'adaptation coronaire de la canine pour la « transformer » en incisive latérale, aussi bien du côté vestibulaire (aspect esthétique) que du côté palatin (aspect fonctionnel), serait un compromis complètement inadapté par rapport aux objectifs fixés initialement [20].

L'avantage majeur de la réouverture/maintien des espaces par rapport à la fermeture est d'ordre occlusal : la classe I molaire et canine est respectée. D'autre part, la position de la canine permet le respect de la bosse canine dans sa fonction esthétique de soutien de la lèvre. En effet, lors de la mise en place de la canine en position d'incisive latérale, ce relief canin est plus mésial, ce qui change légèrement la morphologie labiale supérieure.

En revanche, le traitement est long et coûteux, car la phase orthodontique est associée à une restauration prothétique. Dans la plupart des cas, le traitement orthodontique n'est commencé que tardivement, car la solution implantaire ne peut être envisagée qu'en fin de croissance. Un traitement précoce oblige le patient au port d'une plaque de contention avec une dent prothétique de remplacement jusqu'à la restauration prothétique définitive.

Dans le cas d'une contention d'une durée supérieure à 6 mois, celle-ci doit prendre la forme d'une prothèse amovible avec plaque-base métallique, ce qui augmente encore le coût du traitement.

Les techniques multi-attaches quelles qu'elles soient sont le moyen thérapeutique de choix pour la réouverture d'espaces. En effet, les techniques amovibles ne permettent pas de paralléliser les axes des dents, voire de créer une légère divergence entre l'axe de l'incisive centrale et la canine afin de faciliter la pose de l'implant. L'espace existant ou aménagé grâce à l'orthodontie entre les incisives centrales et les canines doit être suffisant. Une angulation corono-radiculaire dans le plan mésio-distal de l'incisive centrale est à prendre à considération. La phase de finition du traitement est très importante, nécessitant le plus souvent des plicatures de deuxième ordre sur l'arc de type « esthetic bend » afin d'obtenir les axes les plus favorables pour la phase implantaire. Pour optimiser le parallélisme dentaire, il est possible d'utiliser des redresseurs d'axes (uprighting springs) issus de la technique de Begg, placés comme auxiliaires sur l'appareillage multi-attaches [21].

En général, un implant de 3,3 à 3,5 mm est dévolu au remplacement d'une incisive latérale. Il existe des implants plus étroits (2,6 mm) mais ces derniers posent un problème esthétique. En effet, la largeur insuffisante au niveau de l'émergence de l'implant conduit à une coiffe prothétique triangulaire à base cervicale étroite peu esthétique. Il faut ajouter 2 mm pour les septa osseux d'où la nécessité d'avoir un espace de 7,3 mm au minimum pour obtenir des conditions favorables à la pose d'un implant. L'épaisseur de l'os dans le sens vestibulo-palatin est aussi à prendre en considération. En début de traitement, si l'incisive centrale se trouve accolée à la canine, la réouverture d'espace peut conduire parfois à un effondrement osseux lors de l'ouverture de l'espace dévolu à l'incisive latérale. Il est nécessaire d'utiliser des mécaniques orthodontiques délivrant des forces douces pour minimiser au maximum cet effet parasite. Toutefois, dans certains cas, le support osseux n'offre pas une épaisseur ni une hauteur suffisantes et un protocole d'élargissement de la crête doit être envisagé, ce qui allonge la durée du traitement. Un examen tomodensitométrique en coupes axiales UHD avec reconstructions radiales à l'échelle 1 est systématiquement demandé pour apprécier le volume osseux disponible pour la pose de l'implant.

Cas clinique n° 6

• Motif de la consultation

Un patient de 13 ans qui est gêné surtout dans son sourire (fig. 33), par l'absence des incisives latérales supérieures et par la position des canines en rotation et en mésio-position.

• Examen clinique

Le patient présente une très légère classe II molaire, une classe II canine, un très faible encombrement à la mandibule ainsi qu'une perte des milieux incisifs par mésio-position de la 21 (fig. 34). Les agénésies de 12 et 22 sont confirmées par un bilan radiographique. L'analyse céphalométrique révèle une discrète classe III squelettique et une typologie normodivergente.

• Objectifs thérapeutiques

La morphologie très conique et la teinte jaune de la canine par rapport à l'incisive centrale ainsi que la légère classe III squelettique contre-indiquent un traitement par fermeture des espaces. Le choix thérapeutique s'est donc porté sur un traitement avec réouverture des espaces de 12 et 22, mise en classe I molaire et canine et restauration sur implants de 12 et 22 après le traitement actif et la contention. Le patient, âgé de 13 ans, est loin d'avoir terminé sa croissance pubertaire ; le début du traitement est donc différé pour ne pas le contraindre à porter une très longue contention en attente de l'acte prothétique. Des prothèses sur implants constituent la meilleure indication.

• Moyens thérapeutiques

Une force extra-orale haute d'ancrage à port nocturne est appliquée pour obtenir une classe I molaire correcte. Un appareillage multi-attaches complet maxillaire et mandibulaire est posé. La première étape a permis le nivellement et les dérotations des canines grâce à des arcs de type nickel-titane thermique. Ensuite, un arc en acier .016 × .022 est placé au maxillaire pour distaler les prémolaires et les canines par mécanique de glissement. Les milieux incisifs sont réalignés et les incisives centrales réunies. Une fois l'espace suffisant obtenu pour 12 et 22, deux dents prothétiques en résine sont incorporées à l'appareillage multi-attaches pour restaurer l'esthétique du secteur antérieur et les axes radiculaires sont contrôlés (fig. 35). À ce stade, on note une importante angulation couronne-racine des incisives centrales dans le sens mésio-distal, en particulier sur la 21, ce qui va nécessiter une phase de finition avec des courbures esthétiques. Un compromis doit être trouvé entre le positionnement de la racine qui doit être mésialée et le bord occlusal qui, de fait, ne va plus se trouver horizontal. Une légère plastie du bord mésial occlusal permet de réharmoniser la ligne du sourire, le facteur le plus important étant l'espace nécessaire au futur implant. Le traitement actif a duré 21 mois. Le jour de la dépose de l'appareillage multi-attaches, une plaque de contention maxillaire avec adjonction de 2 dents prothétiques en remplacement de 12 et 22 est posée (fig. 36), ce qui assure au patient un confort esthétique (fig. 37). Cette dernière est laissée jusqu'à ce que la phase prothétique soit mise en place. La classe I molaire et canine a été obtenue, le recouvrement incisif est de 1,5 mm, ces facteurs créant des conditions optimales pour une solution implanto-portée de remplacement de 12 et 22 en cours de réalisation. L'espace obtenu pour 12 et 22 est de 7,7 mm au niveau coronaire, et un examen tomodensitométrique en coupes axiales UHD et reconstructions radiales à l'échelle 1 permet d'apprécier la quantité d'os disponible. Dans la portion la plus étroite, l'espace entre l'incisive centrale et la canine est de 7,2 mm à gauche et 7,5 mm à droite, ce qui pourra permettre une phase implantaire sans préparation préalable du site receveur.

Limites

Limites liées aux conditions biologiques du traitement chez l'adulte

Chez le patient adulte, la denture est souvent incomplète et la forme des dents peut être altérée (abrasions, reconstitutions prothétiques), ce qui peut rendre délicate la pose de l'appareillage orthodontique. Toutefois, les progrès liés aux matériaux de collage sont tels qu'il est possible actuellement de coller des attaches sur des éléments prothétiques céramiques ou métalliques. Il n'est donc plus nécessaire, dans ces cas, d'avoir recours à des bagues scellées qui sont très inesthétiques et obligent parfois à sectionner des bridges existants pour pouvoir être placées.

Le remaniement osseux étant plus lent chez l'adulte, et le tissu osseux souvent affaibli, en particulier chez la femme après la ménopause, il y a un risque de modifier le rapport couronne/racine clinique par récession osseuse ou phénomène de rhizalyse pendant le traitement. Une maintenance parodontale et une hygiène très rigoureuse sont des facteurs clés du traitement.

Limites liées à la psychologie de l'adulte

La signification émotionnelle des dents et l'intégrité de la cavité orale rendent les dents très importantes du point de vue esthétique et psychologique. Comme l'affirme Julien Philippe [22], « L'adulte est un être au parodonte faible, mais au caractère fort. » Un appareil multi-attaches vestibulaire est souvent considéré comme un handicap par le patient adulte dans notre pays, alors qu'il peut être un signe de « fierté de se soigner » dans d'autres. La longueur et le coût du traitement orthodontique sont souvent un frein à la motivation du patient adulte.

Conclusion

La plasticité et le remaniement du tissu osseux, quel que soit l'âge du patient, rendent le déplacement dentaire possible tout au long de la vie. Avec des précautions d'hygiène, de contrôle des forces appliquées et une maintenance parodontale, les mouvements dentaires ne sont pas beaucoup plus délicats chez l'adulte, voire la personne âgée que chez l'enfant. L'orthodontie préprothétique connaît actuellement un essor considérable parce que ses possibilités sont restées longtemps méconnues des chirurgiens-dentistes, et parce que les exigences esthétiques des patients se sont fortement accrues. Les progrès considérables, ces dernières années, des matériaux à notre disposition (fil à mémoire de forme, attaches esthétiques) ont permis de rendre les traitements orthodontiques moins inconfortables pour les patients adultes.

L'avenir de l'orthodontie adulte en général et préprothétique en particulier passe par une pluridisciplinarité des soins où le chirurgien-dentiste, le parodontologiste, l'occlusodontiste, voire parfois le chirurgien maxillo-facial vont collaborer pour procurer le meilleur sourire possible au patient et optimiser la fonction occlusale.

Remerciements aux Dr Gilles Charbonnier pour la réalisation prothétique du cas n° 1, Guillaume Feys pour la réalisation prothétique du cas n° 3, au Laboratoire Stéphane Margo pour la réalisation de la plaque de contention du cas n° 6.

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