Laboratoire de prothèse (dentaire)
Laurent Bluche * Pierre Bousquet **
*
Chargé de cours à la faculté
dentaire de Toulouse
DU Implantologie
35, boulevard Jean-Jaurès
11000 Carcassonne
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Céramiste
38, rue des Amants
34410 Marseillan
La réalisation de prothèses transitoires de longue durée est un sujet important, lorsque l'on réalise des réhabilitations de grandes étendues, pour des raisons de maturation osseuse et tissulaire et un développement esthétique et fonctionnel. Un cas clinique comprenant 8 implants Twist® (Spline® Centerpulse, Ca, USA) maxillaire est présenté dans cet article. Nous détaillons une technique utilisant les fibres Targis® (Ivoclar, Liechtenstein) associées à de la résine Ivocron® (Ivoclar, Liechtenstein) positionnées sur des piliers provisoires en titane. Cette réalisation assure la rigidité des prothèses transitoires, l'aménagement des tissus péri-implantaires et fournit les références indispensables lors de la réalisation des prothèses d'usage.
Long term full arch provisional partial denture is important for the maturation of bone and soft tissue. Temporary fixed partial denture gives the basis for esthetics and function. A full arch maxillary temporary partial denture supported by 8 implants (Centerpulse®, CA, USA) is set out in this article. The technique includes temporary titanium abutments, Vectris® fibers frame (Ivoclar®, Liechtenstein) and Ivocron® layer (Ivoclar®, Liechtenstein). This technique gives a high rigidity of the provisional prosthesis and permits to create new interdental papilla. The soft tissue modelling and rigidity help to create esthetics and function.
La réalisation de prothèses transitoires de longue durée en implantologie est importante [1-6], surtout dans des secteurs où les aménagements tissulaires sont nécessaires pour une intégration esthétique des prothèses. Les prothèses transitoires sont indispensables pour obtenir le modèle de la prothèse d'usage et guider ainsi le céramiste pour la réalisation finale [7-12]. Classiquement, les prothèses provisoires en prothèse fixée permettent d'évaluer différents paramètres :
• esthétiques :
- la ligne du sourire [13, 14] ;
- la forme des dents [19-22] ;
- le profil d'émergence [23-28] ;
• fonctionnels :
- la phonation ;
- le schéma occlusal (important en implantologie) [29, 30] ;
- la relaxation neuromusculaire après une longue période de port d'une prothèse amovible transitoire [31, 32].
Avec le guidage antérieur, la phonation et l'aspect esthétique sont primordiaux au maxillaire. Le travail préliminaire, réalisé avec la maquette prospective en cire et le guide chirurgical qui en est issu, doit être finalisé lors de la réalisation des prothèses fixées transitoires. La clinique et le laboratoire doivent œuvrer en étroite collaboration pour adapter et modifier les prothèses transitoires jusqu'à l'obtention d'un résultat qui puisse être reproduit de manière exacte par la réalisation finale.
Le but de cet article est de décrire, à partir d'un cas clinique, les séquences de réalisation de prothèses fixées sur implants utilisant un matériau à vocation esthétique (Ivocron®, Ivoclar, Liechtenstein) renforcé par des fibres (Vectris®, Ivoclar) [32-35].
Il s'agit d'une patiente de 62 ans (fig. 1) ayant subi des extractions multiples à la suite d'une parodontite chronique de l'adulte prise à son stade terminal. Seules quelques dents à la mandibule ont pu être sauvées après une chirurgie parodontale d'assainissement appropriée.
Après le traitement parodontal et le port d'une prothèse transitoire, 8 implants ont été posés au maxillaire (fig. 2 et 3).
Sur les sites de 11, 13, 14, 15 : implants TPS Spline® (Centerpulse Dental division, CA, États-Unis) (ø : 4 -4 -3,25 -3,25 mm) et sur les sites de 21, 23, 24, 25 : implants TPS Spline® (ø : 4 -3,25 -3,25 -4 mm).
La pose de l'implant au niveau de 25 a été associée à un « soulevé de sinus » par voie alvéolaire (fig. 4).
Du fait des greffes, de l'expansion osseuse et du soulevé sinusien par voie alvéolaire en position de 25 (fig.5), la réalisation prothétique doit être différée par une mise en charge sur prothèse transitoire après 6 mois d'ostéointégration. Au maxillaire, ces prothèses provisoires de longue durée permettent en même temps d'aménager les tissus mous en vue d'une amélioration de l'esthétique ainsi que de la phonation.
Dans cet article, seule est décrite la réalisation prothétique transitoire faisant intervenir une base de fibres Vectris®.
La prise d'empreinte est faite juste après la deuxième phase chirurgicale pour que les tissus puissent finir leur maturation autour des piliers provisoires [36].
Prise d'empreinte à l'aide de piliers d'empreinte repositionnés (Impregum®, ESPE, Allemagne). À la mandibule, la prise d'empreinte des piliers dentaires est suffisante pour la gestion des éléments provisoires.
Les moulages sont coulés en plâtre extra-dur (Fuji-Rock® EP, GC, Belgique). Le maxillaire est monté sur un articulateur et sa mise en situation spatiale se fait grâce à un arc facial de transfert. La relation intermaxillaire est réalisée à l'aide d'une cire d'occlusion sur base résine dure maxillaire et mandibulaire en position de relation centrée, à la dimension verticale correspondant à celle des prothèses transitoires portées par la patiente pendant la phase d'ostéointégration.
Ces maquettes maxillaire et mandibulaire sont faites en s'inspirant du montage directeur correspondant à la prothèse amovible transitoire maxillaire et du wax-up mandibulaire initial. Des clés en silicone de ce projet finalisé sont prises (fig. 11, 12et 13).
Le diamètre implantaire étant plus réduit dans sa section que celui d'une racine au même niveau, il est important de sculpter sur le plâtre des évasements depuis la tête implantaire jusqu'à la base cervicale du wax-up. En s'aidant des clés réalisées précédemment, les profils d'émergence sont dessinés (fig. 14) au crayon cire rouge et le plâtre est harmonieusement éliminé (fig. 15). Une clé de ce profil d'émergence permet de réaliser la fausse gencive souple au niveau des zones péri-implantaires (fig. 16).
La marque Centerpulse Dental® (CA, États-Unis) propose des piliers prothétiques provisoires en titane qu'il faut mettre en place et ajuster en tenant compte de la taille et de l'angulation de piliers qui n'engagent pas le système antirotationnel. Les piliers provisoires sont placés et, à l'aide des clés du wax-up, sont ajustés à la bonne dimension et selon le bon axe (fig. 17, 18 et 19).
Les piliers prothétiques sont sablés et nettoyés à la vapeur puis une fine couche de Targis Link® (Ivoclar) est appliquée au pinceau pour servir de liant entre le métal et l'Opaquer Targis®. Les piliers sont ensuite opacifiés (Opaquer Targis® Ivoclar) en deux couches. La première est passée en lait, comme sur une céramo-métallique ; la seconde recouvre les piliers sans laisser transparaître le métal. Cette couche est photopolymérisée durant 10 minutes (fig. 20 et 21).
Une réplique en cire est réalisée à la base des piliers prothétiques provisoires, représentant la zone de Vectris® (Ivoclar) qui assurera la résistance de la construction. Ce wax-up est vérifié pour évaluer sa compatibilité avec le volume global des prothèses à l'aide des clés en silicone (fig. 22), puis intégré à une empreinte au silicone (fig. 23). La cire est éliminée et des fibres Vectris® (Fibres Pontic) sont insérées dans cette clé puis placées dans l'appareil Vectris® (VS1, Ivoclar) (fig. 24). Lorsque la polymérisation est terminée, cette infrastructure est ébarbée, repositionnée sur le modèle et collée (Vectris Glue®, Ivoclar). Ensuite, l'infrastructure est sablée et enduite du liquide Wetting Agent® (Ivoclar) permettant d'augmenter la mouillabilité pour recevoir le matériau à vocation esthétique (fig. 25).
La résine Ivocron® a été préférée au compomère Targis® pour des raisons de facilité d'utilisation au niveau du repositionnement des index en silicone et à cause d'une possible modification à la clinique plus facile à gérer. Targis® reste bien entendu plus esthétique et résistant car il s'agit d'un matériau de restauration définitive.
En fonction de la teinte de base choisie, la résine est placée dans les clés complètes prises sur le wax-up. Des tenons de repositionnement de type Pindex® sont placés dans les fûts des piliers provisoires pour assurer l'accès aux vis de serrage (fig. 26). La résine est appliquée sur les piliers prothétiques. L'ensemble est placé dans l'eau chaude d'une enceinte sous pression, à 65 °C pendant 30 minutes. Après démoulage, la prothèse transitoire est désinsérée et ébarbée. Les bords incisifs sont éliminés de même que les parties proximales pour ménager la place des caractérisations et de la résine « incisale » (fig. 27).
Il existe un kit de caractérisation qui permet d'appliquer des effets aux niveaux incisif et proximal de chaque dent (fig. 27) (Stains Targis®, Ivoclar). Cette palette de caractérisation est vaste, facile à utiliser et prête à l'emploi (fig. 28). La prothèse fixée en résine est sablée à l'oxyde d'alumine 50 µm et soufflée à l'air sec pour éliminer la poussière restante. Sur la prothèse est apposée au pinceau une fine pellicule de Composiv® (Ivoclar) qui est photopolymérisée 30 secondes. Après ces étapes, les Stains® peuvent être disposés en surface. Ils sont photo-polymérisés 10 minutes avant l'application de la résine « incisale ». L'ensemble est placé dans les clés repositionnées et mis dans une cocotte sous 2 bars de pression pendant 30 minutes [37-39]. Après ébarbage et polissage, les prothèses transitoires sont placées dans un bac à ultrasons avec un liquide tensioactif pour éliminer les dépôts et les débris (fig. 29, 30 et 31).
Les prothèses transitoires sont transvissées [40] sur les implants (fig. 32) en prenant soin de vérifier la passivité de l'ensemble par la méthode de Sheffield, c'est-à-dire en vissant la partie la plus distale et en vérifiant à l'aide de radiographies le positionnement correct. Dix jours plus tard, les profils d'émergence sont satisfaisants (fig. 33). Trois semaines après, les tissus mous sont en fin de maturation (fig. 34). Une surveillance radiographique et clinique est nécessaire jusqu'à la réalisation prothétique finale. De la résine peut être ajoutée ou éliminée pour façonner des « papilles » susceptibles d'améliorer fonction et esthétique.
Parler de prothèse transitoire actuellement semble aller à contre-courant face à la frénésie de l'implantation et de la mise en charge immédiate. Toutefois, force est de constater que les réalisations prothétiques concernées par des mises en charge immédiates sont souvent mandibulaires, secteur où les problèmes liés à l'esthétique et à la phonation sont moins cruciaux. La réalisation de prothèses transitoires de longue durée (14 mois) trouve toujours sa place dans les plans de traitement pour de nombreuses situations cliniques. L'évolution de l'implantologie ne doit pas tourner le dos aux techniques qui ont fait leurs preuves depuis de nombreuses années. Les chirurgies d'augmentation de volume osseux et d'expansion osseuse s'accommodent mal d'une mise en charge trop rapide et demandent un temps supplémentaire dans la réalisation des travaux prothétiques. Bien que le coût de ces prothèses ne soit pas négligeable, elles présentent l'avantage de donner au patient une idée réelle de la réalisation finale et d'éviter ainsi les approximations conduisant inévitablement à de multiples retouches.