Traitement des agénésies dentaires par bridges tout céramique - Cahiers de Prothèse n° 121 du 01/03/2003
 

Les cahiers de prothèse n° 121 du 01/03/2003

 

Prothèse fixée

Béatrice WALTER  

MCU-PH
Faculté de chirurgie dentaire
Département de prothèse fixée
1, place de l'Hôpital
67000 Strasbourg

Résumé

Dans cet article sont décrits les cas de deux jeunes patientes qui présentent des agénésies dentaires. Pour l'une, il s'agit des prémolaires maxillaires gauches et, pour l'autre, de l'incisive latérale maxillaire gauche dans le cadre d'une fente palatine. Dans les deux cas, les sites édentés de la taille d'une seule dent ne permettent pas la pose d'implants à cause d'importants défauts osseux. Pour remplacer les dents absentes, et en tenant compte d'indications très précises, des bridges tout céramique IPS Empress 2® sont proposés. Ils sont réalisés dans le strict respect des critères de mise en œuvre exigés par le système Empress®. Leur intégration esthétique et fonctionnelle témoigne de résultats cliniques très satisfaisants.

Summary

Treatment of dental agenesias with all ceramic bridges

In this publication, the cases of two young women who present congenitally absent permanent teeth are described. These teeth are respectively the maxillary left premolars for the first woman and the maxillary left lateral incisor associated with a cleft lip and palate for the second one. In these two cases, an orthodontic treatment reduced the width of the edentulous ridges for only one tooth but the sites are not favorable to put dental implants. So, to replace the absent teeth, all ceramic IPS Empress 2® bridges are proposed, because of their aesthetic qualities and biomecanical properties. The bridge which replaces the premolars consist of an all ceramic crown on a vital canine and of an inlay-onlay on a vital first molar. The bridge which replaces the lateral incisor is built as a « Maryland bridge » adhesively luted only on the prepared palatal faces of an incisor and a canine. To realize these all ceramic bridges, the strict observance of the putting into practice is required. The clinical results are very satisfactory because of good natural aesthetic and fonctionnal integration.

Key words

dental agenesia, all ceramic bridge, adhesive prosthesis

Une agénésie dentaire est une absence de germe dentaire qui se traduit par une anomalie de nombre par défaut. Elle est souvent évoquée dans les cas d'absence de dents permanentes chez les adolescents et les adultes jeunes. À l'exclusion des dents de sagesse, les incisives latérales maxillaires et les deuxièmes prémolaires représentent environ 85 % des agénésies diagnostiquées [1]. Comme pour toutes les absences dentaires, elles posent un problème fonctionnel et esthétique, ce dernier aspect étant d'autant plus important que les patients sont jeunes. Généralement, pour diagnostiquer une agénésie dentaire, un interrogatoire et un examen clinique complétés par un examen radiographique suffisent. La consultation est presque toujours pluri-disciplinaire : orthodontique, implantaire et prothétique. L'âge du patient, le nombre de dents absentes et leur répartition topographique sur les arcades sont les facteurs pris en considération pour la décision thérapeutique. Selon le cas, elle associe ou non une prise en charge elle aussi orthodontique, implantaire et prothétique. Dans ce contexte, deux jeunes filles présentant une agénésie dentaire respectivement dans les secteurs prémolaire et incisif maxillaires se sont présentées à la consultation de prothèse fixée. Elles sont arrivées toutes deux à la fin d'un traitement orthodontique qui a donné aux espaces naturellement édentés des dimensions compatibles avec une prothèse fixée esthétique.

Dans cet article, deux situations cliniques et, pour chacune d'elles, une thérapeutique originale, esthétique et fonctionnelle, en rapport avec les particularités dues aux agénésies, sont présentées.

Premier cas clinique

Description

Il s'agit d'une patiente âgée de 21 ans qui consulte pour le remplacement des deux prémolaires maxillaires gauches (fig. 1 et 2).

L'examen des arcades permet de constater que sont également absentes les deux prémolaires maxillaires droites, les deuxièmes prémolaires et la deuxième molaire droite mandibulaire, ainsi que les quatre dents de sagesse. L'agénésie dentaire est confirmée par une radiographie de fin de traitement d'orthodontie (fig. 3). Les dents présentes sont toutes saines ou traitées avec des obturations peu importantes. Pour éviter tout appui prothétique, le comblement des espaces édentés a été envisagé avec des prothèses sur implants. Ainsi, dans trois des quatre secteurs, respectivement prémolaire maxillaire droit et prémolaire mandibulaire droit et gauche, il y a des implants en phase d'ostéointégration (fig. 4). Ils sont tous destinés à des prothèses fixées unitaires : l'orthodontie a réduit les diastèmes à la taille d'une prémolaire. Seul le quatrième secteur (prémolaire maxillaire gauche) n'a pu bénéficier d'un implant : une concavité vestibulaire, associée à un important rétrécissement de la largeur de la crête, n'offre pas en effet une épaisseur favorable à une telle pose, situation fréquemment observée dans les cas d'agénésie dentaire (fig. 2).

La radiographie confirme l'impossibilité d'implanter : la hauteur d'os alvéolaire est insuffisante sous le sinus maxillaire gauche (fig. 3 et 4). L'éventualité d'une augmentation de volume de la crête osseuse avec une greffe tissulaire a été évoquée, mais n'a pu être retenue, le lit tissulaire n'ayant pas les qualités requises pour ce faire.

Choix thérapeutique

Une fois la solution implantaire pour restaurer le site édenté définitivement écartée, il ne reste que la solution prothétique conventionnelle sous la forme d'un bridge avec un seul élément intermédiaire. Cette notion d'élément unique est essentielle car elle permet actuellement de proposer quatre types de bridges : le bridge collé avec une armature métallique, le bridge céramo-métallique, le bridge en composites et le bridge tout céramique. S'agissant d'un secteur visible où l'esthétique domine, la patiente, sachant qu'il est indispensable de prendre appui respectivement sur la canine et la première molaire maxillaire gauches, émet le souhait d'une solution prothétique sans alliage qui respecte l'aspect naturel de ses dents. Parmi les quatre possibilités, c'est certainement le bridge tout céramique qui répond le mieux à cette demande car il est le plus esthétique et ne comporte pas de métal.

Deux questions sont alors à résoudre : quelle variété de céramique serait compatible avec l'élaboration d'un bridge tout céramique et, surtout, le contexte clinique est-il favorable à une telle solution ?

Description d'un système pour bridge tout céramique

Depuis 1998, le système tout céramique IPS Empress 2® est commercialisé [2, 3]. Il a succédé avantageusement au système tout céramique IPS Empress® [4, 5] dont nous avions déjà une certaine expérience, l'ayant utilisé avec succès pour de nombreuses restaurations unitaires. Le système IPS Empress2® a été mis au point par la société Ivoclar pour étendre aux restaurations multiples le champ d'application clinique des prothèses esthétiques sans alliage [6]. C'est un nouveau système en vitrocéramique composé d'une infrastructure à base de cristaux de disilicate de lithium, qui constituent l'armature (noyau) en céramique pressée, et d'une céramique de stratification (cosmétique) à base de cristaux de fluoro-apatite. Cette micro-structure fortement cristalline donne au matériau des propriétés caractéristiques et des conditions de mise en œuvre qu'il convient de décrire.

Les propriétés de ce matériau sont [7] :

- mécaniques. En ce qui concerne la résistance à la flexion (340 MPa ± 20) et à la fracture, les valeurs obtenues grâce à l'armature en céramique pressée sont suffisantes pour permettre la réalisation d'armatures de bridge avec un seul élément intermédiaire ;

- esthétiques. Elles sont obtenues avec une céramique à l'armature translucide qui peut être maquillée et glacée dans les mêmes conditions que la céramique cosmétique stratifiée dont la structure et les propriétés optiques sont similaires à celles de la dent naturelle ;

- de biocompatibilité, par la stabilité chimique dans la salive, la faible agressivité abrasive vis-à-vis de la dent naturelle antagoniste et la plus grande solidité pour une épaisseur réduite autorisant une meilleure conservation de la structure des piliers préparés. En effet, cette vitrocéramique peut être mordancée avec de l'acide fluorhydrique pour obtenir des reliefs en surface [8]. L'ancrage de la céramique dans son assemblage par collage aux dents supports s'en trouve facilité, les valeurs de l'adhésion améliorées et les qualités physiques de l'ensemble dent-colle-céramique augmentées pour une dent moins réduite et une céramique moins épaisse qu'avec d'autres matériaux.

Quant aux critères d'élaboration d'un bridge en IPS Empress2®, ils tiennent surtout compte des propriétés mécaniques [7]. La longueur maximale de l'élément intermédiaire est de 9 mm pour une prémolaire et de 11 mm pour une incisive centrale. Actuellement il semble encore hasardeux de remplacer une molaire. Les zones de jonction contribuent pour l'essentiel à la solidité du bridge. Elles doivent présenter :

- dans la région latérale, 5 mm dans le sens occluso-gingival et 4 mm dans le sens vestibulo-lingual pour une section de 20 mm2 ;

- dans la région antérieure, 4 mm dans le sens occluso-gingival et autant dans le sens vestibulo-lingual pour une section de 16 mm2.

D'après les données de la société Ivoclar, des sections minimales de 16 mm2 dans la région latérale et de 12 mm2 dans la région antérieure peuvent suffire [6, 9].

Les préparations des dents piliers répondent à des notions précises :

- la réduction homothétique minimale axiale est de 1 mm et de 1,5 à 2 mm pour les faces occlusales concaves et les bords incisifs ;

- la limite cervicale supragingivale, ou tout au plus juxtagingivale, est un congé d'une profondeur de 1 mm ;

- les zones de transition entre les faces préparées sont arrondies.

Situation clinique

Dans le cas présenté (fig. 1 et 2), l'hygiène est bonne et le parodonte est sain. Le secteur prémolaire édenté d'une largeur de 8 mm est limité par une canine intacte et une première molaire pulpée, obturée avec un amalgame occluso-palatin.

Les hauteurs occluso-gingivales des faces proximales sont de 4 mm respectivement pour les faces distale de la canine et mésiale de la première molaire. La position d'intercuspidie maximale montre un très léger recouvrement de la canine sur la première prémolaire antagoniste ainsi qu'un très léger contact occlusal entre les premières molaires maxillaire et mandibulaires gauches. Le mouvement de diduction gauche est guidé par la pointe de la canine et l'incisive latérale du même côté.

Décision thérapeutique

En considérant la description clinique de ce site et les impératifs théoriques énoncés précédemment pour la construction d'un bridge tout céramique IPS Empress 2®, nous constatons que la hauteur de la face mésiale de la première molaire est légèrement inférieure à celle qui est préconisée pour la zone de jonction d'un bridge. Or, la situation occlusale étant particulièrement favorable, il est tout à fait possible de donner à la zone de jonction du bridge une hauteur légèrement supérieure à celle de cette face mésiale et d'obtenir ainsi une section dont la surface soit acceptable. Par conséquent, s'il suffit de satisfaire à cette dernière condition pour que tous les paramètres favorables à la construction d'un bridge tout céramique IPS Empress2® soient réunis, il est permis de retenir définitivement cette solution prothétique et de la proposer à la jeune patiente. Les qualités biomécaniques reconnues de ce système confirment ce choix. Par ailleurs, dans le cadre d'une bonne collaboration, avant toute décision thérapeutique définitive, la concertation avec le prothésiste est indispensable, son expérience professionnelle et son analyse pragmatique étant souvent les clés du succès.

Traitement

Les étapes du traitement pour la mise en place par collage d'un bridge tout céramique ne sont pas fondamentalement différentes de celles qui conviennent pour la confection d'un bridge céramo-métallique scellé sur dents pulpées.

Et comme pour toute restauration esthétique sans alliage, il est nécessaire de mettre en application les critères qui viennent d'être énoncés en les adaptant à la spécificité du cas.

Préparation (fig. 5 et 6)

• Canine

La préparation de la canine (fig. 7) destinée à une couronne tout céramique doit tenir compte de deux impératifs : la conservation de la vitalité pulpaire et la situation de la limite cervicale compatible avec le collage de la céramique.

La limite se présente sous forme d'un congé périphérique d'une profondeur moyenne de 1 mm suivant le contour de la gencive marginale dans le respect du profil d'émergence. La dépouille axiale est de 5° et la face palatine est concave.

• Première molaire

La première molaire est également pulpée mais, à la différence de la canine intacte, elle est obturée avec un amalgame occluso-palatin excluant d'emblée une préparation conventionnelle pour une couronne tout céramique. Avant d'envisager la forme de la préparation pour cette molaire, la dépose de l'amalgame s'impose. Elle fait découvrir, en regard de la face distale, une récidive de carie. Après l'éviction du tissu carieux et la mise de dépouille des parois internes, on obtient une cavité occluso-disto-palatine avec un fond pulpaire peu profond et deux boîtes, l'une distale et l'autre palatine, toutes deux en situation nettement supragingivale. À ce stade, une préparation périphérique n'est pas indiquée car l'épaisseur des parois restantes après réduction de 1 mm serait trop faible pour assurer solidité et rétention. La priorité étant la préservation de la vitalité, après une estimation précise des tissus dentaires disponibles, notamment de l'épaisseur des parois à leur base, cette préparation est transformée pour lui donner la forme préconisée pour un inlay-onlay en céramique. La possibilité de coller et le souhait de vouloir reconstituer une dent pulpée postérieure délabrée de façon esthétique ont déterminé cette décision. En outre, cet inlay-onlay étant destiné à faire partie d'un bridge, il est nécessaire, pour la zone de jonction, d'intégrer la préparation de la face mésiale sous forme de boîte. Pendant toute la phase de préparation, l'attention doit être portée sur le parallélisme entre les parois externes de la canine et internes de la cavité de la première molaire avec ses boîtes mésiale, distale et palatine.

Prothèse provisoire

Un bridge provisoire en résine préparé au laboratoire de prothèse selon la technique des prétailles est prêt à être essayé. Il est ajusté puis, après décontamination des surfaces, il est scellé avec un ciment provisoire sans eugénol pour ne pas inhiber la photopolymérisation pendant le collage.

Prothèse d'usage

Une empreinte complète du maxillaire est réalisée en double mélange au moyen de silicone par addition (fig. 8). Au préalable, la gencive parfaitement saine a permis d'ouvrir délicatement les sulcus pour une bonne définition des limites cervicales dans les endroits où les préparations sont juxtagingivales. L'empreinte de l'arcade antagoniste est réalisée avec un alginate. Le praticien fournit au laboratoire de prothèse un enregistrement de la relation d'intercuspidie maximale et la teinte relevée à l'aide du référentiel de teintes Chromascop®, le tout accompagné de photographies prises avant traitement. Au laboratoire, le maître modèle coulé en plâtre extra-dur (fig. 9) est préparé avec le soin habituel pour mettre en évidence le profil d'émergence (fig. 10). La confection du bridge IPS Empress 2® commence par l'armature en céramique pressée qui est ensuite recouverte avec une céramique cosmétique selon la technique de stratification. Étant donné que les valeurs mécaniques du bridge vont dépendre directement de celles de l'armature, sa conception doit se faire dans le respect scrupuleux du mode d'emploi [9].

• Réalisation du bridge

• Armature

L'armature utilise la technique de coulée à cire perdue. Sur les moignons en plâtre recouverts de 20 µm d'espaceur incolore, une maquette en cire inerte est modelée selon les données indiquées par le fabricant. Elle doit rigoureusement respecter les critères d'épaisseur et de volume exigés par le matériau de l'IPS Empress 2® car sa forme préfigure celle de l'armature pressée [10]. Pour ce cas, les épaisseurs mesurées de la cire correspondent toutes aux paramètres exigés (fig. 11 et 12) :

- pour la zone de jonction canine-élément prémolaire, la hauteur est de 4 mm, l'épaisseur de 4,5 mm et la section de 18 mm2 ;

- pour la zone de jonction molaire-élément prémolaire, la hauteur est de 4 mm, l'épaisseur de 5,5 mm et la section de 22 mm2 ;

- pour la canine, l'épaisseur est de 0,9 mm en moyenne, voire légèrement plus pour les faces distale et palatine, sachant qu'il est nécessaire d'avoir au minimum 0,8 mm. À ce stade, le contrôle de l'occlusion sur l'articulateur est essentiel.

Une fois la maquette du bridge mise en revêtement, le cylindre est prêt à être placé dans un four. Un lingotin (disilicate de lithium) de la teinte choisie est alors pressé à une température de 920 °C pour constituer l'armature [11]. Après refroidissement et démoulage du cylindre, cette armature pressée est d'abord contrôlée sur le maître modèle puis observée au microscope pour détecter le moindre défaut susceptible d'engendrer une fissure (fig. 13 et 14). Dans les parties du bridge qui seront visibles en bouche, la forme et les épaisseurs de l'armature aménagent la place nécessaire au matériau cosmétique pour assurer l'esthétique (fig. 15). En revanche, il n'est prévu que peu, voire pas de céramique cosmétique dans les parties non visibles du bandeau lingual, des zones de jonction et de l'élément intermédiaire en regard du parodonte. Dans ce cas, ceci est valable aussi pour l'inlay-onlay de la molaire (fig. 16). En effet, pour privilégier les qualités mécaniques de l'armature pressée, il est indiqué pour tous ces sites de se contenter d'un maquillage et d'un glaçage comme pour toute céramique cosmétique classique [9]. Il est prudent d'essayer l'armature en bouche pour contrôler la stabilité, l'ajustage et les rapports avec le parodonte au niveau des zones de jonction et sous l'élément intermédiaire.

• Finition du bridge

La céramique est appliquée par stratification dans les endroits prévus sur l'armature. Après cuisson, maquillage et glaçage, le bridge est terminé (fig. 17) [11-13].

Collage

Bien que le scellement avec un verre ionomère à très faible expansion soit recommandé dans certains cas cliniques, la technique adhésive est préconisée et reste la méthode la plus fiable [9]. Pour optimiser le succès clinique à long terme, elle nécessite une attention soutenue pour chaque détail et doit suivre un protocole précis dont les étapes fondamentales sont décrites ci-dessous [14].

Après la dépose du bridge provisoire, les préparations sont nettoyées avec le système Air-flow qui consiste à projeter de l'eau et une poudre (bicarbonate de sodium micronisé additionné de silice amorphe modifiée au goût de citron naturel) pour une élimination efficace de toute trace de ciment. Le bridge est essayé en bouche pour apprécier l'aspect esthétique, la situation et l'intensité des contacts proximaux, l'adaptation sur les préparations et, enfin, les profils d'émergence en harmonie avec la morphologie de la gencive. L'occlusion ne sera vérifiée qu'après le collage comme pour toute restauration tout céramique. Si cet essai clinique est concluant, l'intrados du bridge est préparé comme suit :

- mordançage avec de l'acide fluorhydrique pendant 20 à 30 secondes (gel IPS Ceramic, Ivoclar-Vivadent) ;

- neutralisation de l'acide par lavage avec de l'eau mélangée à une poudre neutralisante composée de carbonate de calcium et de carbonate de sodium (IPS Ceramic poudre neutralisante®, Ivoclar-Vivadent) ;

- après séchage, deux applications successives de silane (Monobond S®, Ivoclar-Vivadent) laissées à l'évaporation pendant 60 secondes chacune ;

- enfin, application uniforme d'une fine couche d'adhésif amélo-dentinaire (Excite®, Ivoclar-Vivadent) sans photopolymérisation.

Le bridge ainsi préparé est placé à l'abri de la lumière du scialytique pour éviter toute amorce de polymérisation. En bouche, la préparation des piliers est la suivante [15] :

- isolement de la salive et du sang avec des cotons salivaires et des fils de rétraction ;

- décontamination à l'aide d'une solution antiseptique (chlorhexidine) ;

- mordançage total avec un gel d'acide orthophosphorique à 37 % pendant 30secondes (Total Etch®, Ivoclar-Vivadent) ;

- après rinçage et séchage modéré, application de l'adhésif amélo-dentinaire en une fine couche, photopolymérisée pendant 20 secondes ;

- enduction à la fois des préparations et de l'intrados du bridge avec un composite de collage « dual » de teinte transparente (Variolink2®, Ivoclar-Vivadent) ;

- mise en place de la restauration en appliquant une pression douce et continue.

Le bridge est maintenu avec un bâton de buis pendant 10 à 15 secondes de photopolymérisation. Cette durée varie en fonction de la puissance de la lampe, mais elle est généralement suffisante pour permettre d'enlever, à l'aide d'une spatule à bouche, la collerette de colle en excès sur le pourtour de chaque préparation. La photopolymérisation est ensuite complétée pendant 40 secondes sur chacune des faces des deux piliers. Après retrait du fil de rétraction, les limites sont méticuleusement examinées et plus particulièrement dans les embrasures. Toute trace de colle est éliminée avec une curette parodontale (petite CK 6) et du fil (Superfloss®) (fig. 18).

À ce stade, l'occlusion statique et dynamique est vérifiée et, en cas de correction, la zone retouchée est soigneusement polie. Une radiographie prise à la fin de la séance permet l'ultime vérification de la parfaite élimination du composite de collage radio-opaque (fig. 19).

Une semaine plus tard, la patiente est convoquée pour une visite de contrôle. Tant sur les plans esthétique que fonctionnel, la satisfaction est totale. Le bridge s'intègre par sa forme, sa teinte et ses rapports avec le parodonte (fig. 20 et 21). L'objectif est atteint : l'aspect naturel est préservé pour les dents préparées, reconstruites et remplacées. Les visites régulières depuis 2 ans et demi permettent de témoigner de la vitalité des dents piliers, de la bonne réaction gingivale, même si on peut déplorer une légère récession dont la « discrétion est assurée » grâce au joint de céramique collé et de la stabilité esthétique et fonctionnelle (fig. 22).

Second cas clinique

Description

Il s'agit d'une jeune fille âgée de 19 ans qui consulte pour le remplacement d'une incisive latérale maxillaire gauche (fig. 23). Cette dent est remplacée provisoirement par une prothèse amovible en résine qui assure également la contention postorthodontique de tout le secteur incisivo-canin (fig. 24). L'examen exobuccal montre une légère asymétrie de la lèvre supérieure et une zone cicatricielle au niveau de 21 et 22. L'examen endo-buccal montre qu'en dehors de l'absence de cette incisive latérale et des 4 dents de sagesse, toutes les dents sont présentes et en très bon état. La désinsertion de la prothèse met en évidence une zone de tissu muqueux cicatriciel qui s'étend du fond du vestibule en regard du secteur édenté jusqu'au milieu du palais à la hauteur des faces mésiales des premières molaires (fig. 23 et 25). L'observation clinique et l'interrogatoire conduisent à suspecter la présence d'une fente palatine fermée superficiellement avec du tissu muqueux. La confirmation est apportée par l'examen radiographique : un orthopantomogramme et, plus particulièrement, une radiographie rétro-alvéolaire centrée sur l'espace édenté (fig. 26) montrent de façon formelle l'existence d'une fente osseuse triangulaire, large d'environ 2 mm au sommet et de 6 mm à sa base sur le rebord alvéolaire. L'étiologie de l'absence de l'incisive latérale ne fait plus aucun doute : il s'agit d'une agénésie dentaire, l'un des signes pathognomoniques de la fente palatine.

Le site édenté, à ce stade, est le résultat de nombreuses interventions chirurgicales et d'un traitement d'orthodontie. L'aménagement morphologique de la muqueuse est satisfaisant et la largeur de l'espace édenté, égale à 6 mm, est aussi celle du diamètre mésio-distal de l'incisive latérale maxillaire droite. À 19 ans, si on peut considérer que la croissance est terminée et la stabilité sur les plans muqueux et dentaire assurée, il est enfin permis d'envisager une solution prothétique définitive fixée pour tenter de restaurer l'esthétique et la fonction le plus naturellement possible.

Choix thérapeutique

Il est évident que, dans ce cas, il y a non seulement exclusion de la solution implantaire car il n'y a pas d'os (fig. 26), mais aussi de toute autre forme d'intervention chirurgicale déstabilisatrice pour le site. Comme pour le cas précédent, seule la solution prothétique conventionnelle sous la forme d'un bridge fixé avec un seul élément intermédiaire peut s'envisager. Dans la situation présente, les dents supports, l'incisive centrale et la canine maxillaires gauches, ne présentent aucune mobilité et, parce qu'elles sont intactes, il est souhaitable d'envisager de les préparer a minima pour une restauration dite conservatrice. On tentera de préserver l'intégrité des faces vestibulaires ; en revanche, des appuis palatins et proximaux sont dans tous les cas nécessaires. L'absence de contacts palatins sur ces dents et leur très faible recouvrement des antagonistes dans la position d'intercuspidie maximale, de même que les trajets courts seulement en fin de propulsion et de diduction gauche (fig. 27) permettent de tels appuis. Dans ce contexte, un bridge collé conventionnel avec une armature métallique peut être proposé, tous les principes de réalisation pouvant être suivis [16]. Ce type de bridge a néanmoins toujours l'inconvénient des ailettes métalliques qui, dans le secteur antérieur, sont souvent à l'origine d'ombres grisâtres visibles à travers les dents jeunes. D'autres inconvénients sont liés à la biocompatibilité limitée de certains alliages non précieux ainsi qu'aux problèmes de corrosion. Alors, pour ne pallier que les désagréments causés par le métal et néanmoins bénéficier des nombreux avantages qu'offre cette forme de bridge collé, notamment la préparation peu mutilante des dents supports, beaucoup d'auteurs ont cherché à remplacer le métal par de la céramique. Ainsi, en 1997, Pospiech [17] propose une nouvelle conception de bridges collés tout céramique pour le secteur antérieur. Leur fabrication utilise le système In-Ceram® de Vita et seules des rainures proximales en assurent la rétention avec une résistance mécanique suffisante. En 1999, Sorensen [7] rapporte de façon anecdotique l'utilisation du système IPS Empress 2® pour des bridges antérieurs avec le concept des ailettes du « bridge Maryland ». En 2000, Fradeani [11] décrit un bridge IPS Empress 2® postérieur sur onlays qui, pour l'auteur, reste encore « expérimental ».

Décision thérapeutique

Bien que dans la quasi-totalité des publications, il soit bien mis en évidence que les techniques présentées ci-dessus ne pourront être généralisées qu'après la parution de résultats à long terme, la réalisation d'un bridge tout céramique IPS Empress 2® est proposée à cette patiente, avec des ailettes palatines sur les deux dents supports, l'incisive centrale et la canine maxillaire gauches. Cette solution évite des restaurations coronaires plus volumineuses sur des préparations plus délabrantes. À cause de cette conception originale, il faut toutefois considérer, comme d'autres auteurs, que ce bridge est « expérimental ». Cette proposition est jugée possible compte tenu des conditions favorables rencontrées dans le secteur concerné, à savoir (fig. 23 et 27) l'inocclusion en intercuspidie maximale qui est presque une situation de bout à bout, la faible participation en fin de propulsion et de diduction gauche ainsi que les hauteurs respectives de 5 mm pour la face distale de l'incisive centrale et de 4 mm pour la face mésiale de la canine, tout comme l'espace édenté d'une largeur de 6 mm.

D'après l'ensemble de ces données, on peut estimer que les critères de volume au niveau des zones de jonction du bridge (telles qu'elles sont décrites dans le premier cas) peuvent être respectés pour une résistance mécanique suffisante, les ailettes n'étant prévues que pour un collage exclusivement amélaire contribuant à la rétention et à la stabilisation du bridge. Après concertation avec le prothésiste et simulation des préparations sur un modèle d'étude pour rendre compte de la faisabilité de la solution prothétique, celle-ci est soumise à la jeune fille qui l'accepte sans la moindre hésitation. Même considérée comme « expérimentale », elle présente l'avantage d'être esthétique car sans métal apparent, biocompatible et surtout peu délabrante.

Traitement

Pour les protocoles clinique et de laboratoire, seules les préparations et la forme du bridge qui en résulte diffèrent du cas précédent. Ces deux aspects seront décrits parmi toutes les étapes mises en application pour la confection d'un bridge tout céramique IPS Empress 2® collé avec deux ailettes palatines et un élément intermédiaire.

Préparations

Les préparations ne concernent que les faces palatines et les faces proximales en regard de l'édentement. Elles sont identiques pour les 2 dents supports du bridge et leur morphologie émane du respect de certains principes (fig. 28, 29 et 30).

Elles prennent la forme de parallélogrammes, légèrement concaves sur une épaisseur minimale de 0,5 mm et placées exclusivement dans l'émail pour optimiser le collage. Leurs limites se situent à une distance de 2 à 2,5 mm respectivement du bord incisif et de la pointe canine pour préserver d'une part la translucidité et d'autre part les contacts avec les antagonistes au cours des trajets de propulsion et de diduction gauche. Dans les zones proximales, les limites se situent dans la plus grande épaisseur de l'émail à environ 1 mm de la zone de contact mésiale pour l'incisive centrale et distale pour la canine. En revanche, dans les zones proximales en regard de l'espace édenté, les préparations s'arrêtent sous la forme d'une rainure bien marquée juste en arrière du point de contact pour éviter de rendre visible la future ligne de collage. La rainure permet de donner du volume à la future zone de jonction, de stabiliser le bridge et de le guider dans la position adéquate pour le collage. Au niveau cervical, un congé d'une profondeur de 0,8 mm est placé dans l'épaisseur de l'émail supragingival. Il permet, outre la stabilisation du bridge, de donner à l'armature l'épaisseur minimale exigée sans créer de surcontour. Dans la mesure où l'incisive latérale est remplacée par la prothèse amovible et que les préparations amélaires ne provoquent pas de réactions de sensibilité, les préparations palatines ne nécessitent pas de protection provisoire.

Prothèse d'usage

En accord avec le prothésiste, la prothèse est réalisée dans un délai relativement court (fig. 31, 32, 33, 34, 35 et 36). Comme pour le cas précédent, la maquette en cire et le bridge tout céramique terminé ont des valeurs quasiment identiques qui respectent les critères exigés, c'est-à-dire :

- pour la zone de jonction incisive centrale-élément intermédiaire, la hauteur est égale à 4 mm et l'épaisseur à 3 mm, soit une section de 12 mm2 ;

- pour la zone de jonction canine-élément intermédiaire, la hauteur et l'épaisseur sont égales à 3,5 mm, soit une section de 12,25 mm2 ;

- l'épaisseur des ailettes est en moyenne de 1 mm.

Après le collage, toujours réalisé selon le même protocole, le bridge ne modifie ni l'esthétique vestibulaire des dents supports ni la fonction occlusale du côté palatin (fig. 37, 38 et 39). L'épaisseur de l'armature pressée se traduit par une légère convexité palatine que l'excellent état de surface glacé de la céramique rend imperceptible (fig.39). Le résultat esthétique est très convaincant : c'est une priorité. La radiographie après collage montre que le bridge « enjambe discrètement le vide » (fig. 40). La satisfaction de la patiente est totale et au bout de 18 mois, le bridge « expérimental » fonctionne toujours… avec de bonnes probabilités de pronostic favorable à long terme.

Conclusion

Les deux exemples d'agénésies dentaires sont une bonne illustration du problème posé, chez l'adulte jeune, par le remplacement unitaire de dents esthétiquement importantes. Actuellement, la restauration prothétique avec une couronne unitaire sur implant est incontestablement la solution idéale. Mais si le site édenté ne présente pas les caractéristiques favorables à la pose d'un implant, seule une solution de prothèse fixée conventionnelle peut être proposée sous la forme d'un bridge. À l'ère de l'esthétique avant tout, de la conservation tissulaire chaque fois que cela est possible, de l'adhésion physico-chimique toujours plus performante et de l'élaboration de systèmes biomécaniques toujours plus résistants, il s'agit de trouver le meilleur compromis pour déterminer le type de bridge qui convient le mieux. Après une analyse précise des deux situations cliniques et pour avoir déjà une certaine expérience des restaurations tout céramique, nous avons choisi le bridge tout céramique avec le système IPS Empress 2®. Sa mise en œuvre exige rigueur et application stricte des critères désormais connus. La sélection des cas pour ce type de restauration sans métal doit inciter à une certaine prudence. Les contre-indications sont formées par les conditions d'occlusion défavorables et l'impossibilité de respecter les critères d'épaisseur de matériau. Pour les deux jeunes patientes dont les cas ont été présentés ici, les résultats cliniques, tant pour le rétablissement d'une esthétique naturelle que pour une bonne intégration fonctionnelle, sont à ce jour tout à fait satisfaisants, voire encourageants.

Avec Fradeani [11], il convient d'affirmer que « d'autres essais cliniques prospectifs seraient très utiles, permettant au praticien d'avoir des critères précis pour faire le choix du système approprié à chaque cas ».

Remerciements à M.A.Meyer, prothésiste dentaire du laboratoire Flecher, pour la réalisation des bridges.

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