Principes et précautions! - Cahiers de Prothèse n° 122 du 01/06/2003
 

Les cahiers de prothèse n° 122 du 01/06/2003

 

Éditorial

Éric robbiani  

Rédacteur en chef adjoint

Le débat sur la toxicité potentielle des amalgames a fait la une des médias. Le monde scientifique et la littérature professionnelle mettent en évidence l'absence de preuve de toxicité. Et pourtant, il a été préconisé de ne plus utiliser d'amalgame chez l'enfant et la femme enceinte en vertu du « principe de précaution ».

En vertu de ce même principe, la campagne de vaccination scolaire contre l'hépatite B a été stoppée par le Dr Kouchner, alors en charge du...


Le débat sur la toxicité potentielle des amalgames a fait la une des médias. Le monde scientifique et la littérature professionnelle mettent en évidence l'absence de preuve de toxicité. Et pourtant, il a été préconisé de ne plus utiliser d'amalgame chez l'enfant et la femme enceinte en vertu du « principe de précaution ».

En vertu de ce même principe, la campagne de vaccination scolaire contre l'hépatite B a été stoppée par le Dr Kouchner, alors en charge du ministère de la Santé, car il y aurait eu des cas de sclé-rose en plaques liés à cette vaccination. En fait, aucune étude n'a établi ce lien de cause à effet. En revanche, les avantages de cette vaccination en termes de santé publique sont prouvés. Alors, pourquoi de telles décisions?

Chaque année, en France, l'alcool est la cause de centaines de décès par accidents sur les routes. Chaque année, en France, il y a plus de 20 000 décès par cancer du poumon lié à la consommation de tabac. Si le même principe était appliqué dans ces deux cas, le taux d'alcoolémie au volant devrait être nul et le tabac hors la loi. Or, il n'en est rien. Le principe de précaution a été énoncé dans la loi Barnier sur l'environnement de 1985 et ensuite décliné dans divers autres domaines dont la santé.

« L'absence de certitude, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées, visant à prévenir un risque de dommage grave et irréversible à l'environnement, à un coût économiquement acceptable. »

Ce qui a changé depuis l'apparition et le développement de ce principe, c'est qu'il n'y a plus besoin d'avoir un risque identifié, quantifié pour agir. L'évocation d'un risque supposé peut suffire à prendre, « par précaution », des mesures pour éviter un mal hypothétique ou en limiter les conséquences.

L'avantage de cette méthode de résolution de problème est la rapidité de prise de décision. L'inconvénient est qu'elle n'est pas fondée sur une évaluation scientifique et raisonnée de la situation, qui par nature a besoin de temps.

Par exemple, dans le cas de la « crise de la vache folle », à chaque fois qu'un cas d'ESB était diagnostiqué dans un troupeau, tout le troupeau était abattu sans que l'on prenne le temps de s'assurer que les autres bovins étaient touchés.

Le coût économique d'une telle option a été considérable. Mais, ces choix intervenaient après les affaires du sang contaminé dans lesquelles des enjeux politico-industriels n'avaient pas permis de prendre les précautions nécessaires. Dans ce cas, le coût politique avait été énorme. Et désormais, les décideurs, politiques ou administratifs, ont tendance à se protéger contre toute possibilité d'accusation de ne pas avoir pris les « précautions nécessaires ».

Dans un dossier réalisé pour le site MedHermes (www.medhermes.fr), les professeurs Maurice Tubiana, Georges David et Claude Sureau de l'Académie nationale de médecine évoquent les dangers de certaines dérives: un des effets pervers d'une décision prise au nom du principe de précaution est la validation de facto du risque évoqué dans la décision. En effet, si les décideurs ont pris des mesures même sous la seule pression de l'opinion, c'est bien que le risque existe! Et même si ensuite il y a un retour en arrière, comme dans le cas des vaccinations contre l'hépatite B, le mal est fait et il reste toujours un doute dans l'esprit du public.

Ce principe de précaution implique une pression accrue sur les différents décideurs. En effet, celui-ci s'oppose à la politique de prévention habituelle qui a pour but de mettre en œuvre les moyens adaptés pour diminuer un risque défini et évalué. Les rapports bénéfice/risque/sécurité sont évalués et la stratégie adaptée. Ainsi, lorsque la prévalence de la tuberculose était élevée, il était justifié, pour des raisons économiques et médicales, de pratiquer des radiographies pulmonaires de dépistage systématique. Ce dépistage n'est plus justifié, en fonction des critères retenus, lorsque la prévalence est plus faible. La prévention se fixe des limites d'intervention, la précaution n'en a pas.

Un autre risque évoqué est celui de la manipulation de l'opinion par des groupes de pression industriels, politiques ou idéologiques. Cela suppose de pouvoir fournir une information fiable et objective, dans des délais courts afin de ne pas laisser s'installer des rumeurs fantaisistes.

Un autre danger de ce principe de précaution est qu'il est un obstacle à la démarche scientifique et aux innovations technologiques. Il ne s'agit plus alors d'évaluer les rapports bénéfices/risques, mais plutôt de vouloir éviter tout risque, ce qui est impossible, car toute action ou abstention comporte des risques que la démarche scientifique est en mesure d'évaluer, certes avec du temps et des moyens (le problème des budgets consacrés à la recherche est un sujet très actuel en France).

Un autre risque me semble apparaître au sein des professionnels de santé. Celui d'adapter, consciemment ou non, sa pratique non plus aux données acquises de la science, mais au moindre risque de procès pour le praticien.

Le domaine des prescriptions des chirurgiens-dentistes est sûrement sensible à cette dérive possible, notamment pour les antibiotiques.

Les recommandations sur la prophylaxie de l'endocardite infectieuse en 2002 publiées par l'ANAES permettent d'illustrer la démarche rationnelle qui devrait être systématiquement la nôtre. D'un côté, la multiplication des souches bactériennes résistant aux antibiotiques est une préoccupation majeure pour les professionnels de santé. De l'autre, 1500 cas d'endocardite infectieuse par an en France, avec un taux de mortalité de 15 à 25 %, représentent aussi un problème de santé publique important. Après mise à jour des recommandations de 1992 avec la littérature parue depuis 10 ans, « le groupe de travail suggère de maintenir le principe de l'antibioprophylaxie lors de la réalisation des gestes à risque chez des patients ayant une cardiopathie dite à risque, mais d'en réduire les indications aux situations où le rapport bénéfice individuel/risque individuel est le plus élevé ».

Le principe de réévaluer nos pratiques à la lumière des dernières informations scientifiques disponibles me semble la meilleure précaution que nous puissions prendre pour le bien-être de nos patients.

PS: Le hors série qui est joint à ce numéro 122 des Cahiers de prothèse fait le point sur la prescription en pratique quotidienne. Les antibiotiques, les sédatifs, les antalgiques et autres anti-inflammatoires et bains de bouche qui font l'essentiel de nos prescriptions sont successivement détaillés. Les prescriptions inutiles en endodontie font l'objet d'un chapitre à part. Une lecture fort utile.