Gouverner, c'est prévoir ! - Cahiers de Prothèse n° 123 du 01/08/2003
 

Les cahiers de prothèse n° 123 du 01/08/2003

 

Éditorial

Jean Schittly  

Rédacteur en chef

Paru dans le Journal of Prosthetic Dentistry de juillet 2002, l'article de S. K. Hummel et al., Qualité des prothèses partielles amovibles portées par la population adulte des États-Unis, est de nature à susciter quelques réflexions de la part de la profession. Il rapporte les résultats et conclusions d'une étude menée sur un nombre important de patients selon les données du NHANES III : National Health and Nutrition Survey. Parmi 17 884 adultes...


Paru dans le Journal of Prosthetic Dentistry de juillet 2002, l'article de S. K. Hummel et al., Qualité des prothèses partielles amovibles portées par la population adulte des États-Unis, est de nature à susciter quelques réflexions de la part de la profession. Il rapporte les résultats et conclusions d'une étude menée sur un nombre important de patients selon les données du NHANES III : National Health and Nutrition Survey. Parmi 17 884 adultes examinés, 1 303 porteurs de prothèses partielles amovibles métalliques (PPAM) ont été retenus pour évaluer celles-ci selon 5 critères : intégrité de la prothèse, dégradation des dents artificielles, présence de matériaux de rebasage temporaires ou d'adhésif, stabilité et rétention. Les résultats mettent en évidence un certain nombre de constatations qui peuvent paraître étonnantes :

- en dépit de la diminution de la perte de dents, les PPAM sont toujours prescrites pour des patients de tout âge, y compris de jeunes adultes ;

- 65 % des prothèses ont au moins un défaut, le manque de stabilité étant le plus fréquent. Les PPAM mandibulaires présentent un manque de rétention ; les PPAM maxillaires posent des problèmes liés à la présence de matériau de rebasage ou de perte d'intégrité (dents usées, crochets fracturés…). Dans la discussion, les auteurs considèrent que, compte tenu de l'augmentation croissante de patients âgés, nombre d'individus (plus de 14 millions) devront, dans un futur proche, avoir recours à la PPA pour restaurer leur fonction masticatoire. Ils émettent l'hypothèse que les défauts présentés par les PPAM contribueraient à augmenter le nombre des prothèses totales pour les groupes de patients âgés examinés.

Le non-renouvellement, à temps, des PPAM défectueuses accentuerait le phénomène. L'âge n'interviendrait pas uniquement : sur un million de patients de moins de 40 ans, un quart ont une PPAM et, parmi ceux-ci, seulement 1/3 ne présentent pas de problèmes liés à la prothèse. En conclusion, les auteurs indiquent que les désagréments rencontrés avec ce type de prothèse sont significatifs et vont continuer dans le futur si une amélioration de la qualité n'intervient pas rapidement.

La diminution importante du temps consacré, lors des études dentaires, à l'enseignement de la prothèse amovible serait l'une des principales causes des problèmes évoqués. Une utilisation de matériaux plus performants, faciles à mettre en œuvre, des techniques de conception et de fabrication simplifiées devraient permettre à tous les chirurgiens-dentistes de réaliser des prothèses stables et fonctionnelles, à contrôler régulièrement et à remplacer dès que cela est nécessaire.

Que penser de ce bilan effectué aux États-Unis ?

Plus de trente années de pratique clinique en prothèse, ponctuées par de nombreuses rencontres de praticiens lors de cours postuniversitaires et de congrès nous permettent de penser que cette situation est pratiquement transposable à notre pays. On peut même ajouter un certain nombre d'éléments qui pourraient accentuer encore les difficultés :

• l'enquête ne comptabilise pas le nombre important de patients édentés qui devraient bénéficier d'une restauration par prothèse partielle amovible métallique ;

• les causes des défauts constatés ne sont pas évoquées. Par ordre de fréquence, on peut citer : - une intégration occlusale défectueuse et, en particulier, une absence de rétablissement de courbes fonctionnelles correctes, le plus souvent à l'origine de la PPA ;

- l'usure des dents en résine qui contribue à l'apparition rapide de troubles occlusaux ;

- l'absence de préparation des structures d'appui qui conduit à une instabilité ou une dégradation de la prothèse.

La PPAM est la discipline la plus exigeante en matière de séquences préprothétiques, pratiquement toujours pluridisciplinaires.

Les carences d'enseignement soulignées ci-dessus semblent également superposables : quel doyen de faculté n'est pas confronté à la disparition des travaux pratiques de prothèse amovible faute de crédits et/ou d'enseignants motivés et formés pour cette discipline ?

Enfin, un dernier argument peut être proposé : un nombre considérable de prothèses partielles en résine, qualifiées de « définitives », sont encore réalisées pour des raisons économiques alors qu'elles ne devraient être que transitoires compte tenu des pathologies qu'elles génèrent à moyen terme.

Certes, certains vont penser que l'implantologie, thérapeutique moderne, efficace, confortable, a été oubliée. Pour de nombreuses situations cliniques, la prothèse sur implants ne devrait-elle pas placer la prothèse amovible au rang des techniques obsolètes ? Cette avancée incontestable dans le domaine de l'odontologie prothétique est à considérer toutefois au travers de données chiffrées.

Si l'on se réfère aux études fournies par le groupe de recherche canadien Millennium (www.mrg.net) dans le domaine du marché européen pour les implants dentaires, force est de constater qu'il existe encore un fossé profond entre espoir et réalités. Pour l'année 2002 :

- 111 000 implants ont été vendus en France par l'ensemble des sociétés distributrices ; - la croissance prévisible du marché jusqu'en 2007 est d'environ 13 % par an ;

- la France, qui est en 4e position derrière l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, compte environ 5 800 praticiens qui posent des implants. Ils sont 23 000 en Italie, 13 400 en Allemagne…

- le marché implantaire français a la pénétration la plus faible d'Europe de l'Ouest : on peut estimer actuellement à 19 le nombre d'implants posés pour 10 000 habitants.

Les raisons invoquées de ces faibles données seraient liées aux :

- mode d'exercice en majorité par des praticiens seuls ;

- travail fréquent sans assistante ;

- coût élevé de la formation postuniversitaire ;

- faible revenu des cabinets dentaires par rapport à leurs homologues européens ; - absence de prise en charge pour les patients des prothèses sur implants.

Ces deux études ne peuvent qu'inciter à revenir à des réalités quotidiennes : si la prothèse fixée sur dents naturelles peut résoudre un nombre non négligeable de problèmes cliniques, la progression de l'implantologie ne sera pas suffisante pour supplanter les autres modes de traitement des édentements. La prothèse partielle amovible est plus que jamais une discipline d'avenir même si son approche est moins prestigieuse que celle de la prothèse fixée sur implants.

Encore faut-il que ses conditions de réalisation correspondent à l'objectif de qualité tant recherché actuellement par les instances professionnelles.

Si « gouverner, c'est prévoir », il apparaît comme une évidence de mettre rapidement en place dans notre pays, des enquêtes d'évaluation selon le modèle NHANES III, seul moyen de mettre ensuite en adéquation les programmes de formation initiale et continue du chirurgien-dentiste avec les besoins réels, actuels et futurs de la population en matière de prothèse odontologique.