Prothèse et économie tissulaire - Cahiers de Prothèse n° 124 du 01/12/2003
 

Les cahiers de prothèse n° 124 du 01/12/2003

 

Éditorial

Jean Geoffrion  

En quatre décennies, les progrès de la science ont engendré des découvertes majeures et instauré dans tous les domaines de notre existence de véritables mutations. Notre profession, fort heureusement, n'a pas échappé à ce phénomène.

Une recherche odontologique spécifique, tant fondamentale que clinique, est passée d'un balbutiement besogneux à une vraie rigueur scientifique.

Successivement, sont apparues de nouvelles disciplines : occlusodontie, parodontie,...


En quatre décennies, les progrès de la science ont engendré des découvertes majeures et instauré dans tous les domaines de notre existence de véritables mutations. Notre profession, fort heureusement, n'a pas échappé à ce phénomène.

Une recherche odontologique spécifique, tant fondamentale que clinique, est passée d'un balbutiement besogneux à une vraie rigueur scientifique.

Successivement, sont apparues de nouvelles disciplines : occlusodontie, parodontie, implantologie, esthétique, prévention, ergonomie, informatique..., mais aussi de nouvelles techniques associées à de nouveaux matériaux. Cet ensemble, par voie de conséquence, a suscité des théories, des concepts et des approches thérapeutiques totalement différents. Ainsi, progressivement, mais logiquement, nos actes sont devenus plus conservateurs et moins invasifs.

Il est donc apparu naturel, pour faire le point, qu'un numéro spécial des Cahiers de prothèse soit consacré au thème « Prothèse et économie tissulaire ».

Cette économie tissulaire se manifeste à différents niveaux : certains concernent l'acte prothétique aussi bien dans sa conception que dans son exécution, d'autres sont en rapport avec des traitements pluridisciplinaires préprothétiques.

L'évolution de l'acte prothétique résulte essentiellement de la découverte de nouveaux matériaux dont les propriétés ont révolutionné la pratique, en particulier les produits de collage. Ceux-ci, parce qu'ils possèdent un pouvoir adhésif et rétentif trois fois supérieur aux classiques ciments aux phosphates de zinc, ont favorisé une approche plus conservatrice. Par exemple, ils ont permis d'éliminer, dans un certain nombre de situations cliniques, les mutilantes préparations coronaires périphériques destinées aux coiffes céramo-métalliques pour les remplacer avantageusement, comme le démontrent Olivier Izambert et Claude Launois, par des facettes pelliculaires plus respectueuses des tissus dentaires.

De même, il devient possible de faire un choix entre les différentes expressions cliniques des onlays pour les restaurations unitaires ou les moyens d'ancrage de bridges, à sceller de façon conventionnelle ou à coller dans des circonstances impensables par le passé. C'est le cas des bridges collés en matériaux composites très économes pour l'intégrité des piliers. Oubliés les délabrements excessifs ! Les preuves sont apportées par les articles de Stéphane Viennot et al. et de Gérard Aboudharam et al .

Tous ces procédés réussissent le tour de force de concilier environnement parodontal, résistance mécanique, rétention, sans oublier le paramètre fondamental de notre époque, l'esthétique.

Évolution, également, dans le domaine des reconstitutions corono-radiculaires (RCR). Les dangereux effets des tenons radiculaires sont désormais connus. Cela a conduit Patrick Pissis et al. à mettre au point le collage d'éléments céramiques monoblocs qui autorisent leur suppression dans certaines conjonctures cliniques. Toutefois, les indications de ce procédé restent limitées, rendant nécessaire le recours aux reconstitutions avec tenons radiculaires, mais avec une approche prenant en compte le comportement des tissus et des matériaux en présence.

À titre de comparaison, les modules d'élasticité des alliages des inlays cores et des tenons métalliques sont dix fois supérieurs à ceux de la dentine coronaire et radiculaire. Dans ces conditions, il est logique de comprendre que les RCR sont incapables d'absorber le stress occlusal qui, conjugué aux préparations canalaires, explique les causes des fractures radiculaires.

Aujourd'hui, la tendance est de subroger le métal par les composites associés à des tenons renforcés par des fibres en carbone, quartz ou verre pour la simple raison que leurs modules d'élasticité sont voisins de ceux de la dentine. De plus, ces tenons passifs, fixés par un matériau de collage adhérant à la fois à la dentine et à la matrice du tenon, sont aptes, par l'homogénéité de l'ensemble, à amortir les contraintes occlusales. C'est ce principe qui est défendu par Jean Geoffrion et Michel Bartala.

L'approche pluridisciplinaire des situations cliniques est devenu une nécessité.

La prothèse a profité de l'évolution des disciplines qui appartiennent aux traitements préprothétiques : l'occlusodontie, la parodontie, l'endodontie ont bouleversé un certain nombre de concepts donnant à nos réalisations une autre dimension. Les objectifs de restaurer les dents lésées et de remplacer celles qui manquent par la prothèse demeurent, mais celle-ci a, en plus, l'obligation de s'intégrer à l'équilibre du système manducateur et préserver l'intégrité des tissus parodontaux en assimilant tous les paramètres qui favorisent l'hygiène : profils d'émergence, embrasures proximales, respect du sulcus...

Grâce aux techniques endodontiques actuelles, il est possible de sauver des dents qui, autrefois, auraient été condamnées, mais avec le souci de ne pas prendre de risques pour le choix des piliers prothétiques. C'est ce thème qui est abordé par Frédéric Bukiet et al .

Pour ajouter un critère de décision pour la conservation de dents pluriradiculées présentant des lésions parodontales ou périapicales, Linda Jaoui aborde le problème du pronostic des amputations radiculaires face à l'alternative de l'extraction de la dent et du recours à la prothèse sur implant.

En effet, l'implantologie, révolution majeure, ouvre des perspectives exceptionnelles : elle permet le remplacement d'une ou plusieurs dents manquantes, évite la mutilation des dents proximales et en préserve le capital osseux. C'est cet aspect de l'économie tissulaire qui est parfaitement mis en évidence par Xavier Assémat-Tessandier.

Ce numéro spécial des Cahiers de prothèse ne peut être exhaustif. D'autres aspects de l'économie tissulaire en prothèse auraient pu y trouver place. Son objectif devrait cependant transparaître : susciter la réflexion du praticien face aux évolutions des techniques et des matériaux pour actualiser, voire remettre en cause sa pratique quotidienne.