Réhabilitation esthétique et fonctionnelle par prothèse complète immédiate - Cahiers de Prothèse n° 126 du 01/06/2004
 

Les cahiers de prothèse n° 126 du 01/06/2004

 

Prothèse composite

Stéphane Viennot *   Christophe Moyencourt **   Catherine Millet ***   Danielle Buch ****  


* Docteur en chirurgie dentaire
- Assistant hospitalo-universitaire -
Ancien interne en odontologie

** Attaché hospitalier, section prothèse -
Service d'odontologie des hospices civils de Lyon

*** Maître de conférences des Universités
- Responsable de l'Unité fonctionnelle de Prothèses
Hospices civils de Lyon
6-8, place Depér et
69365 Lyon cedex 07
**** Professeur des universités -
Chef de service en odontologie -
Praticien hospitalier

UFR d'Odontologie
Université René Descartes -Paris V
1, rue Maurice-Arnoux
92120 Montrouge

Résumé

Le clinicien est souvent confronté à des patients présentant des structures dento-parodontales déficientes. Lorsque le passage à l'édentation totale est décidé, le recours à la prothèse complète immédiate d'usage peut s'envisager comme une thérapeutique de choix. Cette technique parfaitement codifiée impose rigueur et maîtrise de toutes les étapes cliniques et de laboratoire par le praticien. La prothèse d'usage insérée guide la cicatrisation ostéo-muqueuse en rétablissant immédiatement fonction et esthétique. Lors de la dernière séance, l'extraction des dents antérieures est suivie d'une plastie raisonnée de l'os alvéolaire grâce à l'utilisation d'un guide chirurgical, véritable réplique de la prothèse complète immédiate d'usage, elle-même insérée en fin d'intervention. Les auteurs exposent étape par étape la réalisation de la technique à l'aide d'un cas clinique illustré.

Summary

Aesthetic and functional rehabilitation by immediate complete denture: clinical steps

The clinician is often faced with patients with deficiencies of the dento-periodental structure. When they accept to have all their teeth extracted, a choice therapeutics can be to resort to the usual immediate complete denture. This perfectly-codified technique imposes for the practitioner to be rigorous and to master all the clinical and laboratory steps. The usual prosthesis which will be inserted will guide the osteo-mucous healing while immediately restoring function and aesthetics. During the last appointment, the extraction of the fore teeth will be followed by a well thought-out plastic surgery of the alveolar bone thanks to the use of a surgical guide, which will be the true replica of the usual immediate complete denture (which will be inserted as well at the end of the intervention). The authors explain step by step the realisation of the technique thanks to one illustrated clinical case.

Key words

aesthetics, immediate denture, occlusal dysharmony, surgical guide

Nos contemporains, quel que soit leur âge, sont davantage attentifs à leur apparence. Notre discipline doit tenir compte de cet intérêt, car les patients se montrent de plus en plus exigeants sur l'esthétique de leur sourire. Parmi eux, certains seront de futurs candidats à la prothèse amovible complète. Un véritable défi se présente alors au praticien qui doit non seulement rétablir une fonction masticatoire correcte, mais proposer également une reconstruction esthétique naturelle qui préserve l'harmonie du sourire et du visage [1-3]. Le praticien dispose de différentes solutions thérapeutiques comme le recours à une prothèse immédiate transitoire ou la confection d'une prothèse immédiate d'usage. Les possibilités offertes par cette dernière technique répondent au mieux à l'exigence esthétique tout en plaçant le patient dans des conditions idéales pour l'intégration fonctionnelle de la prothèse, tant sur le plan anatomique et physiologique que psychique [4, 5].

La prothèse complète immédiate d'usage est une prothèse complète définitive, confectionnée avant la séance des dernières extractions. Elle répond à des étapes de réalisation technique rigoureuses et parfaitement définies. Elle comporte toutes les caractéristiques qui font la réussite d'une prothèse d'usage classique [6-10]. Ses objectifs sont multiples [9, 11, 12] :

- constituer un réel pansement qui contient l'œdème postopératoire et maintient le caillot sanguin ;

- favoriser la cicatrisation osseuse en guidant et minimisant la résorption osseuse grâce au rétablissement d'une occlusion stable et équilibrée ;

- protéger le site d'extraction en maintenant une bonne coaptation des lambeaux, ce qui favorise une cicatrisation de première intention, moins douloureuse et de meilleure qualité ;

- conserver, voire améliorer, l'esthétique du patient, en lui évitant le réel handicap de l'édentation durant les phases de réalisation des prothèses ;

- conserver l'activité fonctionnelle manducatrice en évitant au patient la longue période de rééducation qui suit l'édentement non appareillé.

Lors de la mise en place des prothèses, le praticien est souvent confronté à une épaisseur exagérée de la fausse gencive vestibulaire antérieure ou à un déficit d'espace prothétique disponible. Ce volume est pourtant nécessaire pour loger les dents artificielles et l'épaisseur de la base. Pour en réduire les aspects négatifs, il existe différentes approches chirurgicales (extractions simples, alvéoloplastie vestibulaire et/ou intraseptale) avec chacune leurs indications. Ces interventions chirurgicales ont des conséquences différentes sur la résorption osseuse, mais quelle que soit la technique, ces différences tendent à s'estomper sur le long terme, en 2 à 3 ans [13, 14].

L'utilisation d'un guide chirurgical, conçu comme une réplique de l'intra-dos de la prothèse d'usage, guide le remodelage des tissus ostéo-muqueux.

Présentation d'un cas clinique étape par étape

Une patiente de 61 ans, en bonne santé, souhaite remédier aux désordres fonctionnels et esthétiques créés par son état buccodentaire qui se dégrade depuis une dizaine d'années.

Examens cliniques

L'examen exobuccal met en évidence des problèmes esthétiques, de face comme de profil. La proalvéolie maxillaire ne permet pas de contact entre les lèvres. L'espace libre d'in-occlusion est inexistant (fig. 1a à c). L'efficacité masticatoire de la patiente est très diminuée. Elle se plaint également de problèmes d'élocution lors de la prononciation des labiodentales.

L'examen endobuccal révèle une atteinte parodontale généralisée, associée à des malpositions dentaires. Une parodontite chronique de l'adulte est diagnostiquée avec des poches parodontales de 4 à 5 mm à la mandibule et plus accentuées au maxillaire. La gencive marginale présente une inflammation avec du tartre sus-et sous-gingival. L'examen occlusal révèle un rapport maxillo-mandibulaire perturbé présentant une forte supraclusion et une dimension verticale d'occlusion diminuée.

L'orthopantomographie met en évidence une alvéolyse généralisée et des sinus maxillaires procidents. Ces paramètres doivent être considérés lors de l'extraction des dents postérieures (fig. 2).

La réalisation des moulages d'étude, montés sur articulateur (fig. 3a et3b), remplit 3 objectifs principaux :

- permettre l'analyse du cas et aider à l'établissement du plan de traitement ;

- jouer un rôle pédagogique pour expliquer le projet prothétique ;

- servir de document de référence.

Plan de traitement

Le plan de traitement est proposé à la patiente, en tenant compte des différents paramètres de l'étude préliminaire. Au maxillaire, il comprend la réalisation d'une prothèse complète immédiate d'usage. Le traitement débute par l'extraction des dents postérieures, immédiatement suivie d'une phase de repos thérapeutique autorisant un début de cicatrisation ostéo-muqueuse avant la réalisation des empreintes primaires. Cette période d'attente favorise l'établissement de surfaces d'appuis de qualité pour les enregistrements occlusaux ultérieurs. Pour l'arcade mandibulaire, après examen clinique et radiographique des structures osseuses et des dents bordant les édentements [15, 16], il est convenu d'effectuer 2 couronnes solidarisées sur 44-45 et 34-33 avec 44 et 33 pulpées, puis de réaliser une prothèse amovible partielle métallique. Au préalable, un traitement initial étiologique (détartrage et curetage mandibulaire) est entrepris. Il est suivi de la reprise des traitements endodontiques sur les dents 34 et 45.

Empreintes

Les empreintes primaires sont réalisées de préférence à l'aide de porte-empreintes du commerce, non perforés, de type Rim-Lock® (Caulk) et garnis d'un alginate de classe A, hydrocolloïde irréversible (fig. 4a et b).

Les deux porte-empreintes individuels (PEI) sont conçus sur les moulages primaires. Au maxillaire, l'enregistrement de la limite fonctionnelle du fond du vestibule antérieur présente une difficulté, car la contre-dépouille est liée au mur alvéolaire vestibulaire des dents restantes. La limite du bord du PEI est située dans cette zone, très à distance du fond du vestibule, pour ne pas provoquer de sur-épaisseur au niveau labial. Ce PEI maxillaire (fig.5) a la particularité d'être démontable dans sa partie antérieure grâce à la présence de cavaliers métalliques. Cela prévient tout risque de fracture des dents antérieures lors du démoulage de l'empreinte du fait de la forte contre-dépouille [17]. À la mandibule, le PEI est mis en œuvre comme il convient, dans le but de réaliser une empreinte secondaire destinée à la confection d'une prothèse partielle amovible métallique [16].

Les joints postérieur et périphérique au niveau des secteurs édentés sont réalisés sur le PEI maxillaire, à l'aide de pâte de Kerr® thermoplastique verte en commençant par les secteurs latéraux. Une fois le porte-empreinte bien stabilisé, on peut procéder à la réalisation du joint antérieur.

La réalisation d'un joint antérieur souple s'impose pour enregistrer la limite fonctionnelle du fond du vestibule. Le produit à empreinte utilisé est un polyéther type Impregum® ou Permadyne® orange (Espe-3M). Ces matériaux ont la propriété d'être suffisamment fluides pour mettre en évidence toute surépaisseur ou surextension malgré une forte contre-dépouille, tout en étant assez rigides et élastiques pour subir une correction à la fraise avant de recevoir un nouvel apport de matériau. Le polyéther est déposé sur le bord antérieur du PEI, puis modelé par le jeu musculaire de la lèvre supérieure. De simples meulages sont réalisés autant de fois qu'il est nécessaire au niveau des zones où le PEI transparaît, jusqu'à obtenir une fine couche de polyéther recouvrant entièrement la résine du PEI, ce qui signe l'absence de surépaisseur ou surextension (fig. 6).

L'empreinte maxillaire secondaire [18-20] est réalisée avec un élastomère polysulfure de basse viscosité de type Permlastic light® (Kerr) ou Neoplex light® (Surgident) (fig. 7). D'utilisation ancienne, ce matériau présente néanmoins des propriétés physico-chimiques excellentes et très appréciées par de nombreux praticiens. Sa fluidité facilite l'insertion du PEI. Son élasticité après polymérisation facilite la désinsertion malgré la présence des dents restantes sur l'arcade. Après l'insertion du PEI garni, le patient exécute des mouvements fonctionnels qui mobilisent tous les muscles agissant à la périphérie de la prothèse.

Après aménagement des courbes fonctionnelles par coronoplastie soustractive, le réglage du PEI mandibulaire et l'empreinte secondaire sont réalisés en suivant les directives habituelles en prothèse partielle amovible métallique [16].

Position du point interincisif

Le choix de la position du point interincisif prothétique est primordial et représente la clé de voûte de la réussite esthétique [21]. Ce point n'est pas facile à déterminer à cause des dents restantes dont les malpositions relatives modifient le soutien musculaire labial antérieur. Par conséquent, le futur point interincisif ne peut pas toujours être déterminé par les moyens classiques. Lorsque sa position est conservée, il suffit de l'enregistrer sans difficulté par une clé. Les repères cliniques sont également possibles lors d'un déplacement vertical du point interincisif. Lorsqu'il faut le déplacer sagittalement, ce qui est la situation la plus fréquente, il n'y a pas de validation intrabuccale possible. Le praticien doit alors faire appel à son sens clinique pour visualiser globalement le cas pour appréhender les conséquences esthétiques du choix du futur point interincisif.

Pour ce cas clinique (fig. 8), il a fallu déplacer le point interincisif verticalement, mais aussi dans le plan frontal vers la gauche et dans le plan sagittal pour le ramener dans une position plus postérieure. Une fois déterminée, la position du futur point est reportée sur des clés en élastomère (la confection des clés sera précisée à l'issue du transfert sur articulateur des deux moulages).

Enregistrement des rapports maxillo-mandibulaires

Une base d'occlusion maxillaire mince et résistante en résine est élaborée et préfigure postérieurement la future prothèse [19, 20]. La base d'occlusion mandibulaire a comme support le châssis de la prothèse métallique. Des bourrelets d'enregistrement en cire Moyco® sont solidarisés à ces deux bases d'occlusion. Les deux maquettes ainsi réalisées sont stabilisées sur leurs moulages secondaires préalablement hydratés, à l'aide de pâte à l'oxyde de zinc.

Les maquettes d'occlusion sont réglées en situation clinique. La maquette maxillaire est insérée ; son plan d'occlusion parallèle au plan de Camper est contrôlé à l'aide d'une règle de Fox. La maquette maxillaire permet le transfert du moulage maxillaire sur l'articulateur grâce à un arc facial. L'utilisation de la table de montage de l'articulateur est, dans ce cas, contre-indiquée compte tenu de l'approximation imposée par la situation erronée du point interincisif dans le plan horizontal comme dans le plan vertical.

La dimension verticale d'occlusion optimale (DVO) est déterminée à ce stade. Elle correspond généralement à une dimension verticale située entre la dimension verticale de repos et la dimension verticale actuelle du patient avec ses dents restantes. Dans ce cas, il a fallu l'augmenter par rapport au stade initial, car les patients candidats à la prothèse immédiate ont une dimension verticale d'occlusion résiduelle plus ou moins pathologique et affaissée [22]. Cela impose d'enregistrer le rapport maxillo-mandibulaire (RMM) à une dimension verticale légèrement surélevée par rapport à la position d'intercuspidie maximale existante. On parle alors de dimension verticale d'enregistrement (DVE). Celle-ci est obtenue sans interférence dentaire perturbatrice pouvant « fixer » une dysfonction acquise et conduire à un enregistrement erroné [9].

Les bourrelets de la base d'occlusion mandibulaire sont réglés de façon à coïncider intimement avec ceux de la base d'occlusion maxillaire, dans une position d'équilibre neuromusculaire. Ces bourrelets doivent être rigoureusement plans [23, 24].

L'enregistrement du rapport maxillo-mandibulaire est effectué après ces étapes. Une série de mouvements d'ouverture/fermeture de faible amplitude sont effectués par le patient l'incitant à prendre une position d'équilibre prothétique, en l'absence d'interférences au niveau des dents restantes. Pour ce cas, il a été sciemment choisi d'enregistrer le RMM avec des contacts dents/bourrelets pour stabiliser les maquettes d'occlusion. Il y avait en effet des bourrelets latéraux mandibulaires courts présentant une faible surface d'appui avec un risque de bascule non négligeable lors de l'enregistrement.

Les maquettes d'occlusion sont ensuite retirées et des chevrons maxillaires peu profonds sont sculptés, puis vaselinés. Deux gouttes de matériau thermoplastique (type cire Aluwax® ou pâte de Kerr® verte) sont déposées en regard des chevrons sur les bourre-lets mandibulaires. Les maquettes d'enregistrement sont rapidement replacées en bouche et le patient est invité à faire coïncider les bourrelets dans la même position d'équilibre que précédemment (fig. 9). L'enregistrement ainsi réalisé permet le transfert du moulage mandibulaire sur l'articulateur.

Contrôle du rapport maxillo-mandibulaire

L'étape du montage postérieur provisoire consiste à contrôler le RMM enregistré, car de nombreuses sources d'erreurs peuvent exister [9] :

- dents restantes souvent mal positionnées ou égressées ;

- risque de proglissement durant l'enregistrement ;

- dimension verticale d'enregistrement surélevée par rapport à la DVO ;

- risque de bascule lors du contact entre les bourrelets maxillaires et mandibulaires, la surface d'appui étant réduite ;

- erreurs liées au transfert sur articulateur.

Dans cette perspective de contrôle, des montages de dents prothétiques sur base en cire sont confectionnés sur les moulages maxillaire et mandibulaire, montés sur articulateur. Toutefois, pour éviter des erreurs d'appréciation dues à l'utilisation de cire, il convient de favoriser la réalisation de base dure et de maquette en résine « monobloc », type montage directeur polymérisé, voire une réplique partielle de la prothèse terminée, n'intéressant que les secteurs édentés et présentant toutes les caractéristiques du schéma occlusal final [25].

Le patient est invité à effectuer des mouvements d'ouverture/fermeture de faible amplitude afin de vérifier l'engrènement correct des dents postérieures (fig. 10). Ceci valide le RMM enregistré.

Préparation du moulage maxillaire

La résection du moulage maxillaire [26] suit l'étape du montage postérieur provisoire. La position des dents à extraire est enregistrée par l'intermédiaire de deux clés en élastomère haute viscosité [9] :

- une clé vestibulaire maxillaire antérieure enregistre la forme et la position des dents ;

- une clé vestibulaire mandibulaire antérieure sur laquelle est effectué un « mordu » sur l'articulateur. Sur ce « mordu » est reportée la position du point interincisif déterminé cliniquement.

Ces clés permettent non seulement de sauvegarder la situation des dents naturelles en conservant leur forme et la référence de leur position, mais aussi de mettre en évidence la modification apportée au relief de la crête antérieure lors de la préparation du moulage en plâtre. La résection est impérativement réalisée par le praticien qui doit assumer toutes les responsabilités du travail qu'il engage. La préparation doit tenir compte des données cliniques du sondage parodontal et des données radiologiques sur la profondeur et la topographie des poches parodontales. Le meulage du moulage s'arrête avant la ligne de réflexion muqueuse et évite la papille rétro-incisive.

La rectification raisonnée et « raisonnable » du moulage en plâtre peut être observée en comparant le moulage rectifié au moulage en plâtre avant rectification (fig. 11 et 12). Ce remodelage comporte 4 étapes :

- suppression des dents restantes jusqu'au niveau de leur collet ;

- suppression des zones vestibulaires en contre-dépouille (sans interférer avec le frein incisif) en anticipant la résorption de l'os alvéolaire. Cette résection ménage l'espace nécessaire à l'épaisseur de la fausse gencive et la position esthétique des futures dents ;

- réalisation d'un biseau vestibulaire rejoignant les collets palatins des dents restantes ;

- finition en arrondi du moulage, soigneusement poli et dépourvu de reliefs agressifs.

Réalisation de la prothèse immédiate

La prothèse complète immédiate maxillaire est directement réalisée sur le moulage en plâtre rectifié. Les dents antérieures sont situées selon la clé mandibulaire de type « mordu » où figure le repérage du point interincisif choisi. Cette clé est d'ailleurs transformée en table de montage.

Le guide chirurgical, réplique exacte issue de la prothèse immédiate, est d'une importance capitale pour la réalisation d'une chirurgie précise [27]. Il est confectionné en résine transparente, par mise en moufle de la prothèse immédiate polymérisée. Il comprend une base et des segments dentés postérieurs inamovibles. Le volume denté antérieur du guide est supprimé, mais en ménageant une fine épaisseur de résine. Ces précautions assurent une excellente visibilité lors de la phase chirurgicale (fig. 13).

Séquence chirurgicale

La séquence précédant l'intervention chirurgicale [28] consiste à apprécier la texture et la qualité de la gencive, puis à sonder à nouveau les poches parodontales. Cet examen, qui a déjà servi à préparer le moulage en plâtre, détermine le niveau de l'incision. Les clichés radiographiques réalisés avant l'intervention renseignent également sur la topographie osseuse.

Une incision vestibulaire à biseau interne est réalisée au niveau des dents à extraire en sectionnant d'emblée les papilles. L'incision est prolongée en distal sur la crête ; son étendue est fonction de la correction osseuse et gingivale à effectuer. Elle peut délimiter un triangle entièrement excisé, ce qui permet une meilleure coaptation du lambeau en fin d'intervention.

Le décollement de pleine épaisseur du lambeau est obligatoire et préserve la zone de réflexion muqueuse pour que la base du lambeau reste adhérente à l'os (fig. 14).

Les avulsions des dents antérieures sont réalisées avec précaution en vue de préserver la table osseuse externe même si celle-ci est en partie réséquée. En effet, une fracture peropératoire ne peut être prévue dans la résection initiale du moulage en plâtre (fig. 15 et 16).

La résection osseuse consiste à supprimer le rebord vestibulaire au plus proche de la prévision sur le moulage en plâtre, en tenant compte des différents paramètres évoqués précédemment [29]. Une première correction est effectuée à la fraise ou à la pince gouge. Le lambeau muco-périosté est réappliqué ; le guide est ensuite introduit d'avant en arrière, puis plaqué au niveau du palais avec l'index pour exercer une pression axiale et uniforme. Les zones de compression nécessitant une nouvelle plastie sont mises en évidence par un blanchiment de la gencive tant au niveau vestibulaire que sur la crête ou encore au niveau du joint périphérique (fig. 17).

Pour parfaire les corrections, le guide est mis en place de la même manière que précédemment et il est demandé au patient de « serrer les dents ». La « mise en occlusion » du guide permet de vérifier que le rapport occlusal des futures prothèses n'engendrera pas de surpressions à l'origine de résorptions osseuses excessives sur certaines zones alvéolaires antérieures [9].

Lorsque le guide placé correctement en bouche révèle une pression régulière sur les tissus (y compris au niveau du joint postérieur) et qu'il présente une rétention comparable à celle d'une prothèse complète classique bien adaptée, la prothèse d'usage peut être insérée.

En cas d'excès tissulaire, les bords du lambeau sont régularisés. Dans la plupart des cas, il n'y a pas nécessité de sutures, car les lambeaux viennent s'affronter et sont maintenus par la prothèse.

Insertion de la prothèse

La prothèse est insérée de la même manière que le guide chirurgical en veillant à ce que les lambeaux restent correctement plaqués. Le patient serre sur 2 rouleaux de cotons interposés entre les arcades pendant 10 minutes pour asseoir la prothèse et chasser une partie de l'œdème postopératoire. L'occlusion est alors contrôlée pour obtenir, dans un premier temps, des contacts équilibrés, essentiellement postérieurs, sans prématurités évidentes. La prothèse assure une véritable herméticité des berges de la plaie et joue le rôle de « pansement chirurgical » et de « guide de cicatrisation » [30].

Le patient ne doit en aucun cas retirer sa prothèse avant 48 heures sous peine d'une réinsertion difficile en raison de l'œdème postopératoire. De plus, la cicatrisation non guidée prendrait un caractère anarchique. Il existerait également un risque de déplacement du lambeau non suturé si le patient tentait de remettre lui-même la prothèse. Passé ces 2 jours, le patient peut déposer sa prothèse pour les soins d'hygiène et la remettre en place immédiatement.

Contrôles

Le contrôle de la cicatrisation est primordial à 48 heures, puis à 1 semaine et toutes les semaines pendant le premier mois, puis à 3 et 6 mois [10]. Ces contrôles permettent également de vérifier l'équilibration occlusale et de la corriger si nécessaire par l'enregistrement d'un articulé de Tench [31]. La répartition homogène et régulière de la charge occlusale sur l'ensemble de la prothèse est la condition pour prévenir toute résorption pathologique. Elle dépend d'abord de la mise en place correcte de la prothèse lors de l'intervention et de la qualité du rapport maxillo-mandibulaire établi. Le schéma occlusal est celui de l'occlusion intégralement équilibrée propre à toute prothèse complète.

Enfin, un contrôle tous les 3 mois à partir du 6e mois permet de vérifier si la base prothétique est toujours bien adaptée. Un rapide essai du guide chirurgical en occlusion permet de contrôler la présence d'un contact intime et régulièrement réparti entre l'intrados et la muqueuse. La littérature rapporte quelques rares cas pour lesquels il a été nécessaire de procéder à une réfection de la base à 6 mois.

Le guide de la cicatrisation par la prothèse donne de très bons résultats (fig. 18, 19 et 20). Un an après l'intervention, la prothèse complète est toujours bien adaptée et aucun rebasage n'est envisagé.

La comparaison entre le moulage en plâtre rectifié (sur lequel a été confectionnée la prothèse d'usage) et la crête cicatrisée à 5 mois et demi permet de constater que les profils gingivaux se superposent (fig. 21). Ceci prouve le rôle du guide chirurgical et démontre le véritable modelage de la crête gingivale par l'intrados de la prothèse.

Sur le plan fonctionnel, le traitement effectué a permis de rétablir une relation maxillo-mandibulaire correcte à une dimension verticale d'occlusion bien tolérée, ne provoquant pas de douleurs au niveau des articulations temporo-mandibulaires. La patiente confirme que sa fonction masticatoire et sa phonation sont tout à fait satisfaisantes. Une année après la pose, la prothèse demeure confortable, stable et équilibrée, sans aucun problème de rétention.

Sur le plan esthétique, la patiente retrouve un profil harmonieux et un sourire conforme à ses attentes (fig. 22a et 22b, 23a et b). La comparaison des visages de la mère et de sa fille, du fait de leur ressemblance saisissante, peut constituer une aide non négligeable lors du choix des dents prothétiques pour réussir un montage harmonieux et « familial » [33] (fig. 24a et b).

Conclusion

Lorsque le praticien est confronté à un patient présentant un édentement de type classe I de Kennedy pour lequel l'indication du passage de l'édentation partielle à l'édentation totale est posée, le recours à la prothèse complète immédiate d'usage peut être envisagé comme une thérapeutique de choix.

Cette thérapeutique, proposée ici en 6 séances cliniques, affiche désormais plus de 20 années de recul. Les buts de départ des concepteurs [6, 8, 11] n'ont pas changé : qualité et précision de la phase préparatoire sont les « clés » de la réussite. Au cours des années et en dehors des querelles d'école sur l'utilisation de tel ou tel matériau, les améliorations techniques lors des diverses étapes cliniques et de laboratoire ne font qu'augmenter la fiabilité de ce traitement.

La gestion de la cicatrisation ostéo-muqueuse par l'obtention d'une occlusion stable et l'application précoce de stimuli fonctionnels est une des bases de ce traitement. De plus, le patient retrouve ou conserve avec satisfaction ses « habitudes esthétiques » immédiatement après l'étape des extractions. Actuellement, ces atouts s'affirment plus que jamais comme des exigences thérapeutiques pour asseoir la confiance des patients.

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