Des patients abandonnés…
 

Les cahiers de prothèse n° 127 du 01/09/2004

 

Éditorial

Jean Schittly  

Rédacteur en chef

Il est de plus en plus fréquent de voir en consultation des patients désemparés, abandonnés par leur praticien traitant : « je suis un cas trop difficile, mon (ma) dentiste ne veut plus s'occuper de moi ! ». Or, il s'agit le plus souvent de cas cliniques présentant les formes habituelles de dégradations fonctionnelles et/ou esthétiques, liées à des abrasions dentaires importantes, des atteintes parodontales, des courbes fonctionnelles altérées, des pertes de dimension...


Il est de plus en plus fréquent de voir en consultation des patients désemparés, abandonnés par leur praticien traitant : « je suis un cas trop difficile, mon (ma) dentiste ne veut plus s'occuper de moi ! ». Or, il s'agit le plus souvent de cas cliniques présentant les formes habituelles de dégradations fonctionnelles et/ou esthétiques, liées à des abrasions dentaires importantes, des atteintes parodontales, des courbes fonctionnelles altérées, des pertes de dimension verticale…

Cette situation est le résultat d'une certaine négligence de la part du patient, mais également, il faut bien le reconnaître, d'une succession de « réparations » sectorielles s'intégrant, à chaque fois, à un environnement de plus en plus dégradé.

Pour rendre service à ces patients, la seule solution à envisager est un traitement global des pertes fonctionnelles et esthétiques et il faut s'interroger sur les raisons qui provoquent cette réticence de la part de nombreux praticiens à proposer ce type d'approche, le plus souvent pluridisciplinaire ?

La réponse à cette question est de toute évidence multifactorielle :

- le praticien, prisonnier d'une pratique constituée exclusivement d'actes pris en charge par les caisses de l'assurance maladie, n'a ni le temps ni la motivation pour expliquer au patient les limites de cette nomenclature ;

- il est nécessaire de réaliser des moulages d'étude, de les transférer sur articulateur après enregistrement des rapports maxillo-mandibulaires. Or, si l'on interroge sur ce sujet des responsables de laboratoires de prothèse de province, ils estiment à moins de 10 % le nombre de leurs clients praticiens utilisant un articulateur semi-adaptable ;

- il est nécessaire de réfléchir sur le cas clinique considéré, d'établir un plan de traitement avec les solutions alternatives et ensuite seulement d'en évaluer les coûts et d'informer le patient pour obtenir de sa part un réel « consentement éclairé ». Or, il n'est pas possible, à l'issue d'une longue journée de travail au fauteuil, de réaliser cet acte d'analyse, de réflexion et de rédaction. Il faut pour cela avoir la volonté de s'organiser pour dégager le temps indispensable ;

- pour ne pas occulter des solutions que l'on qualifie « conformes aux données acquises de la science » et en connaître les avantages et les inconvénients pour le patient, des connaissances globales dans tous les domaines de la prothèse, de la parodontie, de l'occlusodontie… sont indispensables. Or, on connaît les déficits de fréquentation des formations en ces domaines, observables non seulement en postuniversitaire, mais également chez les étudiants en formation initiale ;

- la crainte de prendre la responsabilité de traitements longs et complexes, la culpabilité toujours présente pour de nombreux praticiens de demander des honoraires élevés justifiés par ces actes intellectuels de conception, ces séquences thérapeutiques, chirurgicales, techniques, psychologiques, doivent être également prise en compte ;

- enfin, il y a ce penchant naturel à considérer (à tort) qu'il est plus facile dans la pratique quotidienne, plus intéressant pour l'équilibre financier du cabinet, de réaliser 10 prothèses unitaires pour 10 patients différents plutôt que 10 éléments prothétiques sur un même patient.

Cette analyse, loin d'être exhaustive, devrait toutefois mettre en évidence les causes principales des lacunes relevées ci-dessus dans la pratique de l'odontologie prothétique, en particulier.

Pour contribuer à favoriser une prise en charge plus globale des patients en ce vaste domaine, la rédaction des Cahiers de prothèse a décidé, pour 2005, de créer une nouvelle rubrique « plan de traitement », animée par Jean Geoffrion et de développer, sous la direction d'Éric Robbiani, les analyses bibliographiques des revues internationales.