Approche rationnelle de l'édentement complet maxillaire - Cahiers de Prothèse n° 130 du 01/06/2005
 

Les cahiers de prothèse n° 130 du 01/06/2005

 

Prothèse amovible complète (ou totale)

Amal Sefrioui *   Salwa Berrada **   Nadia Merzouk ***   Ahmed Abdedine ****  


* Chirurgien-dentiste spécialisé en
prothèse amovible

** Professeur de l'enseignement
supérieur en prothèse amovible

*** Professeur agrégé en prothèse
amovible

**** Professeur de l'enseignement
supérieur en prothèse amovible - Chef de service

Département de prothèse amovible
Université Mohamed V
Faculté de médecine dentaire de Rabat
6212 Instituts, Madinat Irfane, Rabat-Maroc.

Résumé

La complexité du traitement de l'édentement complet unimaxillaire réside dans la recherche, en présence de courbes occlusales perturbées par les organes dentaires antagonistes, de la stabilité de la restauration complète intégrée à un schéma occlusal intégralement équilibré. Une démarche thérapeutique méthodique permet d'aborder rationnellement toute situation clinique. Elle repose sur une analyse occlusale pour évaluer les altérations occlusales et des moulages de diagnostic pour apprécier l'importance des aménagements occlusaux et définir la succession des étapes du traitement. Si la mandibule est partiellement édentée, la conception des restaurations prothétiques des deux arcades est réalisée simultanément, le montage directeur mandibulaire servant de guide.

Summary

Rational treatment of the complete maxillary edentulism

In case of an occlusal plane disturbed by antagonistic teeth, the complexity of the treatment of a completely-edentulous single-arch lies in researching the stability of the complete restoration in a fully-balanced occlusal scheme. A methodical therapeutic approach is required to solve any clinical situation rationally. It is based on an occlusal analysis to evaluate occlusal plane's alterations and diagnostic models as well as to appreciate the importance of occlusal adjustments and define treatment sequences. If the mandibular arch is partially edentulous, prosthodontics restorations of both arches are conceived simultaneously, the directory mounting is used like a guide.

Key words

directory mounting, occlusal balance, occlusal plane

La réhabilitation prothétique d'un édentement complet maxillaire opposé à une arcade mandibulaire totalement ou partiellement dentée est souvent considérée comme une reconstitution complexe, le praticien étant confronté à de nombreuses difficultés. L'occlusion constitue le problème essentiel et spécifique de la prothèse complète unimaxillaire [1] : le schéma occlusal existant, qui est défini par les dents naturelles antagonistes, est souvent perturbé et incompatible avec les exigences fonctionnelles de la prothèse amovible totale pour laquelle une occlusion intégralement équilibrée est recherchée.

Devant la multiplicité et la diversité des situations cliniques rencontrées, la reconstruction prothétique implique une démarche analytique et une approche rationnelle pour appréhender avec méthode les difficultés de conception et établir la chronologie des étapes du traitement. Cette approche fait appel à des techniques variées pour analyser le plan de référence occlusal, considéré comme une composante majeure indispensable à l'obtention de la stabilité prothétique [2], et à des moulages de diagnostic, avec un montage directeur servant de guide de réalisation et matérialisant la proposition thérapeutique.

La présentation de deux cas cliniques et des traitements mis en œuvre montre la démarche rationnelle qui doit être appliquée pour assurer l'esthétique et la pérennité des fonctions occlusales.

Problématique

L'édentement complet maxillaire est accompagné d'une rupture de l'équilibre anatomo-physiologique interarcades qui se traduit par des déplacements dentaires au niveau de l'arcade dentée antagoniste, une perturbation des courbes occlusales, et une perte de repères de la dimension verticale d'occlusion [3]. Les difficultés thérapeutiques sont spécifiques au traitement de l'édentation totale et résident dans la résolution des compromis nécessaires pour concilier, dans un schéma occlusal intégralement équilibré, l'esthétique, la phonation et la stabilité de la prothèse complète maxillaire [2, 4]. Ces objectifs sont d'autant plus difficiles à atteindre en présence de courbes occlusales perturbées et d'un décalage squelettique sagittal et/ou frontal important [5] entre l'arcade maxillaire édentée, où la résorption est centripète, et l'arcade mandibulaire dentée ou partiellement dentée, à résorption centrifuge.

De plus, la complexité du traitement dépend étroitement des altérations occlusales de l'arcade antagoniste et de la prédominance de la proprioception desmodontale. Les dents naturelles, par leur anatomie occlusale, leur cuspidation et leur diamètre supérieur à celui des dents prothétiques, génèrent des pressions occlusales importantes, déstabilisatrices pour la prothèse complète unimaxillaire et nuisibles pour l'os sous-jacent, principalement si la courbe occlusale est altérée. Elles incommodent le traitement à différents stades de la réalisation prothétique, lors de la détermination du plan de référence occlusal et du rapport maxillo-mandibulaire ainsi que lors du choix des dents prothétiques et de leur montage [6].

Démarche analytique

L'équilibration occlusale constituant la difficulté majeure et la particularité de la prothèse complète unimaxillaire, l'analyse occlusale des moulages d'étude, transférés sur articulateur à une dimension verticale d'occlusion correcte et en relation centrée, permet de définir les critères occlusaux de reconstruction [7], d'évaluer les perturbations des courbes occlusales et les corrections à apporter, et de matérialiser le projet prothétique par une maquette directrice de dents prothétiques montées sur base de cire.

Conditions de l'équilibre occlusal

La stabilité d'une prothèse totale réclame l'instauration d'une occlusion intégralement équilibrée [8]. Les facteurs qui régissent cet équilibre occlusal ont été énumérés et formulés par Thielemann selon l'équation suivante [8, 9] :

En prothèse complète bimaxillaire, puisque tous les repères ont disparu, on peut, le plus souvent, agir sur tous les facteurs, excepté sur la pente condylienne qui traduit des particularités anatomiques et physiologiques propres au patient et qui doit être enregistrée en début de traitement [9]. En prothèse complète unimaxillaire, tous ces paramètres sont difficilement modifiables, car plus ou moins figés par la situation des dents naturelles antagonistes. Pour établir un équilibre occlusal, des aménagements occlusaux sont nécessaires, allant du simple meulage amélaire à d'importantes corrections justifiant la réalisation de prothèses fixées, voire d'extractions.

Ainsi, la pente incisive est influencée par l'implantation des incisives mandibulaires naturelles et par les incisives maxillaires, dont la position dans le plan sagittal est guidée par le soutien esthétique de la lèvre supérieure et dans le plan frontal par la prononciation des phonèmes « Fe » et « Ve ». Il convient alors d'évaluer le caractère favorable ou défavorable de la situation du bord libre des incisives mandibulaires et de déterminer l'amplitude des rectifications.

L'orientation du plan de référence occlusal et la profondeur de la courbe de compensation sont imposées et les modifications qui peuvent être apportées doivent intéresser ces deux facteurs.

La forme et l'inclinaison de la courbe de compensation sont fonction de la pente condylienne, de la pente incisive et de l'angle cuspidien [8]. Si la pente condylienne est importante, la courbe de compensation doit être plus marquée. Or, en denture naturelle, force est de constater que c'est rarement le cas.

Le guidage condylien et le guidage incisif influencent la hauteur des cuspides : une augmentation de leur valeur implique un relief cuspidien marqué [9]. L'orientation des versants cuspidiens doit être en harmonie avec les trajectoires condyliennes en propulsion et en diduction.

Analyse occlusale

En prothèse complète unimaxillaire, comme pour toute situation clinique complexe, la démarche analytique repose sur l'évaluation diagnostique et la détermination des paramètres de l'équilibre occlusal que sont la dimension verticale d'occlusion, la relation maxillo-mandibulaire, le plan d'occlusion et le concept occlusal [10]. Le plan axio-orbitaire représente la référence spatiale utilisée pour assurer la reproductibilité des données lors des différents transferts sur articulateur [7]. La dimension verticale d'occlusion est déterminée par approches successives et par confrontations de différentes techniques, esthétique, phonétique ou fonctionnelle [10].

L'enregistrement du rapport maxillo-mandibulaire à la dimension verticale d'occlusion établie est effectué dans une position de référence réitérative, la relation centrée. Après transfert des moulages sur articulateur, ce n'est qu'une fois les éléments squelettiques mis en place et définis par leur position condylienne, la dimension verticale et la relation maxillo-mandibulaire en relation centrée, qu'il est possible de situer les éléments dentaires [7] et d'évaluer les courbes occclusales.

Celles-ci sont avant tout déterminées dans le plan frontal: le bloc incisivo-canin mandibulaire est le premier élément dentaire évalué, déterminé et corrigé en fonction des repères anatomiques, le bord incisif se situant au niveau de la lèvre inférieure. C'est un préalable indispensable [2], car sa situation permet ainsi le montage des dents antérieures maxillaires selon les critères esthétiques et phonétiques. De plus, elle conditionne l'évaluation de la courbe de compensation au niveau des secteurs latéraux.

À partir du condyle et du groupe incisivo-canin mandibulaire, l'orientation du plan de référence occlusal est définie par rapport au plan de Camper [7] au moyen de différentes techniques et matérialisé par un montage directeur.

Évaluation du plan de référence occlusal

Les altérations des courbes occlusales, dans les plans sagittal et frontal, sont dues à des malpositions des dents restantes, des égressions dentaires ou ostéodentaires au niveau de l'arcade dentée, ou sont le résultat d'hypertrophie tubérositaire ou d'hyperplasie muqueuse de l'arcade édentée [2, 11]. L'orientation adéquate du plan de référence occlusal est nécessaire à la construction d'une occlusion intégralement équilibrée. Plusieurs techniques plus ou moins précises permettent d'en évaluer les perturbations [2, 6] et de déterminer sa situation et l'orientation de ses composantes.

• Le praticien peut être guidé par les repères anatomiques sachant que le plan occlusal de référence se situe à la mandibule, antérieurement, légèrement sous le bord de la lèvre inférieure, latéralement, à 1 mm sous le maximum de convexité de la joue et du plan équatorial de la langue et distalement au milieu du trigone rétromolaire (fig. 1).

Ces structures anatomiques permettent de déterminer la composante antérieure du plan occlusal sachant que la courbe des bords libres des incisives et canines maxillaires doit répondre aux critères esthétiques et phonétiques en respectant les critères définis par Frush et Fischer [12] ainsi que Louis et al. [13] et la ligne du sourire. Le recours à ces repères au niveau postérieur est plus aléatoire pour définir les composantes postérieures des courbes fonctionnelles.

• Celles-ci peuvent être définies par des techniques découlant du concept de la sphère de Monson comme la calotte manuelle, la calotte montée sur articulateur ou la technique du drapeau. Les calottes sont des portions métalliques de la sphère de Monson de 104 mm de rayon et sont indiquées pour visualiser de faibles anomalies de la courbe occlusale (fig. 2). La méthode du drapeau consiste à définir, sur un drapeau positionné dans le plan sagittal médian de l'articulateur, le centre de la sphère à partir duquel la courbe occlusale moyenne est tracée.

Wadsworth individualise le rayon de courbure de la sphère par la distance séparant le dentalé du condyle. Les branches du compas matérialisant cet écart, un premier arc de cercle est tracé en plaçant la pointe du compas au niveau du point interincisif. Le deuxième arc est obtenu en plaçant la pointe du compas au centre du condyle. À l'intersection des deux arcs se trouve le centre de la sphère à partir duquel la courbe de compensation est tracée sur les moulages (fig. 3).

Selon Orthlieb, le drapeau est positionné sur le même plan vertical que l'hémi-arcade à restaurer. L'arc antérieur est tracé en plaçant la pointe du compas au niveau de la canine après avoir déterminé le rayon de courbure par une analyse céphalométrique [14].

• Pour définir le rayon de courbure de la sphère adapté au type squelettique du patient, l'analyse céphalométrique reste la plus précise.

Le rayon individuel de la courbe de Spee est déterminé par l'analyse de Ricketts selon l'équation : R = 134,46 mm - (DPO × 1,42), DPO étant la distance séparant perpendiculairement le plan axio-orbitaire du plan occlusal passant par le point inter-incisif et le point Xi [2, 6, 14]. Indiquée pour les grands désordres occlusaux, cette méthode nécessite la détermination de l'axe charnière réel par axiographie et la matérialisation radio-opaque du centre du condyle, du point sous-orbitaire et du point interincisif après évaluation esthétique, lors de la réalisation de la téléradiographie de profil, à une dimension verticale correcte et en relation centrée (fig. 4a et 4b). Néanmoins, Xi n'est pas un point localisable sur le cliché, mais tracé à partir de plusieurs parallèles, ce qui peut être source d'erreurs. Il est préférable d'appliquer la méthode d'Orthlieb [14] : le rayon de courbure est déterminé à l'intersection des médiatrices des segments passant par le condyle, le point interincisif et le déterminant parodontal après localisation du contact occlusal postérieur (fig. 5).

• Enfin, on peut utiliser l'arcade édentée pour orienter le remodelage de l'arcade dentée. La maquette d'occlusion maxillaire dont la surface occlusale du bourrelet est réglée à l'aide du plan de Fox ou de la calotte de l'articulateur permet de visualiser les altérations occlusales. De même, la prothèse complète maxillaire peut servir de guide de correction pour individualiser l'orientation du plan occlusal, pour affiner les corrections occlusales, sachant qu'il n'existe pas de méthode pour déterminer la courbe de Wilson et pour assurer la stabilité de la ou des restaurations amovibles, aussi bien lors de l'intercuspidation que lors des mouvements excentrés.

L'analyse occlusale de la denture antagoniste débouche sur l'indication des rectifications à apporter sous forme de corrections occlusales additives, soustractives ou de déplacement.

Aménagements occlusaux

Ils ne sont que l'application des modifications réalisées au niveau des moulages de diagnostic qui préfigurent le projet prothétique par le biais de coronoplasties additives et/ou soustractives des dents restantes, ainsi que par le montage des dents prothétiques restaurant les secteurs édentés [10]. Ces aménagements sont définis avant l'exécution du plan de traitement et permettent de prévoir la chronologie des différents actes à réaliser.

Après avoir tracé la courbe occlusale projetée sur les moulages, les corrections s'effectuent sur les dents ne s'inscrivant pas dans l'harmonie occlusale, par sculpture du plâtre ou par cire ajoutée. Les retouches légères par soustraction conduiront à de simples meulages amélaires et seront reportées en bouche à l'aide d'un guide vestibulaire de réduction ou d'une gouttière. Les retouches plus importantes vont imposer l'indication de reconstructions fixées, voire d'extractions.

En regard des dents délabrées ou en sous-occlusion, les coronoplasties additives font appel à des restaurations foulées (composite, amalgame), modelées (onlays composite ou céramique) ou coulées (onlays, couronnes, taquets à recouvrement occlusal) [2, 6].

L'arcade maxillaire et les secteurs édentés mandibulaires sont restaurés par montage de dents artificielles selon la courbe occlusale prédéterminée. Ce montage directeur est une maquette de travail directrice intervenant tout au long du traitement, tant pour le clinicien au cours des aménagements occlusaux ou des préparations dentaires, que pour le prothésiste dentaire, servant de guide de réalisation lors de l'élaboration des reconstitutions fixées [10].

Il matérialise les paramètres occlusaux établis et concrétise les objectifs à atteindre, à savoir l'orientation adéquate du plan occlusal et l'établissement d'une occlusion équilibrée, servant même de guide de correction. Polymérisé, il permet de valider les choix esthétiques et occlusaux retenus et peut être utilisé comme prothèse transitoire pour une mise en condition tissulaire et neuromusculaire.

Procédure clinique

En prothèse complète unimaxillaire, les situations cliniques le plus souvent rencontrées sont celles de :

- l'édentement complet maxillaire opposé à une arcade mandibulaire totalement dentée ;

- l'édentement complet maxillaire opposé à un édentement bilatéral terminal mandibulaire.

Cas clinique n° 1

Édentement complet maxillaire opposé à une arcade mandibulaire totalement dentée

Une patiente de 55 ans consulte pour une mobilité des dents antérieures maxillaires et pour l'instabilité des prothèses partielles métalliques existantes. Au maxillaire, on note la protrusion et l'égression de 11, 21 et 22, un traumatisme occlusal engendré par les canines mandibulaires, très égressées, la persistance de 13, 14 et 17 avec atteinte de la furcation sur 17, et en regard du secteur latéral gauche, une crête très résorbée, dotée d'une fibromuqueuse enflammée (fig. 6). La mandibule peut être considérée comme une arcade complètement dentée puisque seules sont absentes les incisives mandibulaires et les secondes molaires ( fig. 7a et 7b).

La dimension verticale est définie par les couples dentaires restants. Sur les moulages d'études transférés sur un articulateur semi-adaptable, l'évaluation de la courbe de compensation par la technique du drapeau a révélé une légère égression des dents postérieures mandibulaires. Pour le tracé de l'arc antérieur, la pointe sèche du compas est placée sur la canine après estimation esthétique de l'orientation frontale du plan d'occlusion et du niveau adéquat de la pointe canine (fig. 3).

Compte tenu de la valeur parodontale réduite des dents restantes maxillaires, leur extraction et la restauration par une prothèse complète maxillaire ont été envisagées. À la mandibule, un bridge céramo-métallique de canine à canine compensera l'édentement antérieur et remplacera la prothèse amovible.

Le passage de l'édentement partiel à l'édentement complet maxillaire s'est fait progressivement. La solution thérapeutique par une prothèse totale immédiate, décidée d'emblée, est écartée au risque d'un échec thérapeutique, car la patiente présente un réflexe nauséeux et appréhende une plaque palatine pleine.

Une préparation psychologique et tissulaire de la région vélo-palatine s'impose. L'extraction des dents antérieures maxillaires et leur remplacement immédiat sur la prothèse existante ont été réalisés. Une extension de la plaque palatine par adjonction de résine augmente la surface de sustentation et contribue à habituer progressivement la patiente à la présence d'un corps étranger au niveau du palais. Les dents restantes, supports de crochets, participent à la rétention durant cette phase d'adaptation et seront extraites ultérieurement (fig. 8). À la mandibule, un bridge provisoire de première génération de canine à canine corrige leur importante égression.

Après quelques semaines de cicatrisation, une empreinte anatomo-fonctionnelle de l'arcade mandibulaire est réalisée. Le moulage maxillaire est transféré sur articulateur par le biais d'une maquette d'occlusion et substitué au moulage d'étude. Sur le moulage mandibulaire, un bridge de seconde intention est réalisé. L'essayage esthétique a permis de valider la situation du bloc incisivo-canin et le montage antérieur maxillaire. Les dents restantes au maxillaire sont éliminées et le montage fonctionnel est réalisé après aménagement de l'occlusion par retouches du plâtre selon la courbe occlusale tracée (fig. 9). Ces meulages corrigent la courbe de Spee, mais aussi la courbe de Wilson, car les courbes de compensation sont définies plus précisément avec la mise en place du schéma occlusal équilibré. Grâce au montage directeur maxillaire, l'orientation des versants cuspidiens mandibulaires est harmonisée avec celle de la trajectoire condylienne en propulsion et en diduction (fig. 10). Le diamètre des dents mandibulaires est par ailleurs légèrement réduit au niveau du tiers occlusal pour le rapprocher de celui des dents prothétiques choisies.

Ces modifications simulées sur le moulage mandibulaire sont reportées dans la cavité buccale au moyen d'une gouttière thermoformée (fig. 11). La prothèse complète immédiate a servi de guide de cicatrisation après extraction des dents restantes et de guide de correction lors de l'aménagement des courbes de compensation. Durant la phase de temporisation, elle est progressivement prolongée par apport de résine jusqu'à la création d'un joint vélo-palatin efficace (fig. 12).

Ainsi, la prothèse transitoire participe à l'intégration fonctionnelle, esthétique et psychologique de la restauration complète, car elle prépare le sujet à l'édentation totale en le familiarisant progressivement avec le volume et l'amovibilité de la future prothèse totale [15]. Véritable test clinique, elle permet de valider l'esthéique et les paramètres occlusaux ou de les reconsidérer au cours de la conception des restaurations définitives.

Comme le préconise Rignont-Bret [16], dans les cas d'édentement complet opposé à une arcade totalement dentée, l'empreinte anatomo-fonctionnelle du maxillaire est réalisée sous pression occlusale à une dimension verticale d'occlusion correcte et en relation centrée. Elle tient compte des forces physiologiques du sujet et assure ainsi une meilleure distribution et un centrage des pressions.

Pour conserver dans le temps le rapport maxillo-mandibulaire obtenu, des dents en céramique ont été choisies (fig. 13). La prothèse complète d'usage et le bridge céramo-métallique mandibulaire sont conçus simultanément, la prothèse totale reproduisant les critères occlusaux et l'esthétique testés par la prothèse transitoire (fig. 14 et 15).

Cas clinique n° 2

Édentement complet maxillaire opposé à un édentement bilatéral postérieur mandibulaire

Une patiente de 45 ans, totalement édentée au maxillaire et partiellement à la mandibule, consulte pour le renouvellement de ses prothèses amovibles en résine, instables et inesthétiques. À l'examen clinique, on note la présence d'un bloc incisivo-canin mandibulaire égressé, au parodonte réduit et d'une inflammation de la muqueuse antérieure maxillaire, conséquence du traumatisme causé par les dents antagonistes et d'une conception erronée de la prothèse totale maxillaire, réalisée sans fausse gencive antérieure ni joint postérieur (fig. 16). On relève un léger proglissement mandibulaire, mais sans troubles musculo-articulaires.

Dans le cas d'un édentement complet maxillaire opposé à un édentement bilatéral terminal mandibulaire, on rencontre souvent, chez un sujet porteur d'anciennes prothèses, des modifications anatomiques et fonctionnelles. On assiste à un effondrement de la dimension verticale, à une inversion de la courbe occlusale et éventuellement à des troubles neuro-musculo-articulaires. Ces dysharmonies occlusales, décrites initialement par E. Kelly et approfondies plus tard par F. Sebbah [17], définissent le syndrome de Kelly (fig. 17).

Le phénomène déclenchant est la perte de calage postérieur consécutive à une résorption des crêtes mandibulaires et à l'enfoncement des selles prothétiques. Le sujet propulse, sollicitant la proprioception des dents restantes. Cette mastication antérieure, associée à l'égression du bloc incisivo-canin mandibulaire, suscite une surcharge de la région antérieure maxillaire, une résorption de la crête et une fibromatose réactionnelle de la muqueuse de recouvrement. Elle provoque un basculement postérieur de la prothèse et une excroissance des tubérosités. Les courbes occlusales s'inversent et la dimension verticale s'effondre.

Pour éviter cet engrenage, les objectifs thérapeutiques sont :

- rechercher une stabilité occlusale ;

- pallier le tassement des tissus sous les selles ;

- empêcher l'égression des dents restantes ;

- maintenir dans le temps et l'espace le rapport maxillo-mandibulaire établi.

La thérapeutique sous-entend :

- une préparation préprothétique comprenant des aménagements au maxillaire et à la mandibule ;

- la détermination de la situation et de l'orientation du plan de référence occlusal validé par un montage directeur ;

- une conception simultanée et conjointe des prothèses amovibles maxillaire et mandibulaire ;

- le maintien du rapport maxillo-mandibulaire établi par des contrôles réguliers de la stabilité occlusale et, si nécessaire, par des rebasages périodiques des selles mandibulaires.

La prothèse totale existante est modifiée par apport de résine chémopoly-mérisable remodelant la fausse gencive antérieure et restaurant le joint vélo-palatin (fig. 18). Chargée de résine à prise retardée, elle permet, associée aux mesures d'hygiène, une mise en condition tissulaire et un assainissement de la fibromuqueuse enflammée. La prothèse partielle mandibulaire, rebasée également à la résine à prise retardée (Fitt®, Kerr) pour pallier le tassement des tissus, est dotée de plan de morsure pour assurer un recul mandibulaire.

À la mandibule, le secteur incisivo-canin nécessite une correction importante de l'égression des dents restantes. Leur contention est assurée par un bridge provisoire et l'assainissement du parodonte par une chirurgie parodontale (fig. 19a et 19b).

L'empreinte anatomo-fonctionnelle du maxillaire est effectuée sous pression digitale. L'empreinte secondaire sous pression occlusale est à proscrire, car le réflexe de propulsion est inhérent à la persistance du bloc incisivo-canin, le sujet recherchant d'instinct la proprioception au niveau des dents restantes [5].

L'orientation du plan de référence occlusal est abordée de façon classique : dans le plan frontal, parallèle à la ligne bipupillaire et dans le plan sagittal, parallèle au plan de Camper. Le bridge provisoire est préalablement validé pour l'esthétique par rapport à la lèvre inférieure (fig. 20) et, sur le plan fonctionnel, par rapport au bourrelet maxillaire, préservant ainsi une inocclusion antérieure compatible avec le soutien de la lèvre supérieure. Les moulages sont transférés sur articulateur en relation centrée par le biais de maquettes d'occlusion à une dimension verticale d'occlusion correcte.

Le bridge provisoire représente la composante frontale antérieure du plan d'occlusion. Associé au montage directeur mandibulaire, il guide le montage des dents prothétiques maxillaires et détermine les composantes sagittale et frontale de la courbe occlusale dans le schéma de l'occlusion intégralement équilibré (fig. 21). Les paramètres occlusaux sont testés au cours de l'essayage fonctionnel de la maquette en cire maxillaire et du montage directeur mandibulaire. La situation du plan d'occlusion mandibulaire est jugée correcte après estimation de son rapport avec les éléments anatomiques environnants: le montage directeur mandibulaire s'intègre bien entre la convexité de la joue et le plan équatorial de la langue.

L'empreinte des préparations mandibulaires a entraîné le montage directeur pour conserver les informations occlusales et éviter une autre séance d'enregistrement du rapport maxillo-mandibulaire. Le bridge céramo-métallique comporte des fraisages destinés à recevoir la barre cingulaire du châssis métallique (fig. 22). La prothèse amovible mandibulaire exploite la dualité tissulaire des structures d'appui grâce à une empreinte composée globale et par une conception raisonnée, majorant la sustentation et la stabilisation grâce aux fraisages.

Les prothèses amovibles sont réalisées simultanément et conjointement : la prothèse complète maxillaire, élaborée en fonction du bridge provisoire mandibulaire et du montage directeur mandibulaire, sert à son tour de guide de réalisation pour le bridge définitif et pour le montage des dents prothétiques du châssis mandibulaire, reproduisant ainsi l'occlusion équilibrée préétablie (fig. 23).

Avant la polymérisation, les paramètres occlusaux sont testés et validés : dimension verticale, courbes fonctionnelles, occlusion en relation centrée et intégralement équilibrée (fig. 24 et 25). La contention des dents mandibulaires par le bridge, les contrôles occlusaux ultérieurs permettent de stabiliser l'occlusion et d'éviter l'engrenage du syndrome de Kelly.

Conclusion

Le principal problème posé lors du traitement d'un édentement complet uni-maxillaire est celui de l'occlusion. Une analyse occlusale préprothétique du cas clinique, l'élaboration de moulages de diagnostic et l'assainissement des tissus supportant les éléments prothétiques sont des préalables indispensables à une bonne gestion de l'occlusion. Des contrôles occlusaux ultérieurs réguliers permettent de maintenir les rapports maxillo-mandibulaires établis.

Devant la diversité des cas cliniques, la démarche analytique et thérapeutique suivante peut être proposée :

- transfert des moulages d'étude à la dimension verticale correcte, en relation centrée ;

- évaluation du bloc incisivo-canin mandibulaire selon les critères fonctionnels et esthétiques ;

- correction du bord incisif du secteur antérieur mandibulaire ;

- évaluation sagittale du plan de référence occlusal ;

- élaboration des moulages de diagnostic ;

- aménagements occlusaux de l'arcade dentée, la prothèse complète uni-maxillaire servant de montage directeur ;

- concrétisation du projet prothétique suivant la succession des étapes établies.

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