Prothèses monoblocs céramo-titane unitaires et plurales - Cahiers de Prothèse n° 132 du 01/12/2005
 

Les cahiers de prothèse n° 132 du 01/12/2005

 

Implantologie

Philippe Barthèlemy *   Jean-François Barret **  


* Attaché de consultation à la faculté de chirurgie dentaire Paris V
82, Boulevard Haussmann
75008 Paris
** Prothésiste dentaire
6, rue Campo Formio
75013 Paris

Résumé

Cet article décrit une technique de restauration prothétique sur implants, utilisée pour traiter les édentements unitaires ou partiels. La prothèse monobloc est constituée d'une armature en titane usinée (Procera®) sur laquelle une céramique spécifique (Triceram®) est cuite. L'utilisation de cette technique depuis 4 ans par le laboratoire pour réaliser 192 prothèses n'a donné lieu qu'à 5 retours au laboratoire pour des fractures de céramique. La précision de l'usinage associée à la biocompatibilité du titane et à la sécurité d'une construction transvissée sont des avantages qui donnent aux restaurations monoblocs céramo-titane une place de choix dans l'arsenal prothétique implantaire.

Summary

Single on multiple one-piece ceramo-titanium prostheses

This article describes a new approach of implant restoration to treat partial edentulisms. The one-piece prosthesis is made with machined titanium framework (Procera®) on witch specific ceramic (Triceram®) is fired. In this study, 192 prosthesis have been made with this technic for more than four years. Only 5 were returned to the laboratory because of a ceramics breakdown. The accuracy of the machining, the biocompatibility of titanium and the safety of screwed prostheses are some of the avantages of these one-piece ceramic-titanium prostheses.

Key words

CAD/CAM, ceramics on titanium, implant prosthesis, titanium framework

Classiquement, en prothèse sur implants, deux options sont possibles :

- la première utilise des piliers usinés, précis, biocompatibles, mais non anatomiques ;

- la seconde fait appel à des piliers anatomiques coulés en alliage métallique, mais moins précis.

En 1998, l'apparition du système Procera® (Nobel Biocare) qui emploie la technologie CAD-CAM autorise la réalisation de piliers implantaires conciliant précision, biocompatibilité et forme anatomique. Ce système permet actuellement la réalisation d'armatures en titane, alumine ou zircone. Il est couramment utilisé pour des piliers unitaires dans le cadre d'une restauration scellée ou pour des armatures en titane supportant des dents du commerce dans les édentements complets.

Le but de cette étude est d'associer le système Procera® et la technique de cuisson de la céramique sur titane pour le traitement des édentements unitaires ou partiels par des prothèses mono-blocs céramo-titane transvissées.

Technique Procera® titane : rappel

La technique consiste à utiliser une fraiseuse numérique guidée par ordinateur pour réaliser des piliers ou des armatures de bridge très précises.

Auparavant, le prothésiste doit réaliser au laboratoire de prothèse une maquette de l'élément à fraiser. Celle-ci peut être :

- soit réelle, en cire ou en résine ; elle est alors scannée et les informations numériques sont transmises à l'ordinateur qui contrôle la fraiseuse ;

- soit virtuelle, grâce à un logiciel de CAO 3D. La maquette est alors directement réalisée sur l'écran de l'ordinateur.

Les données numériques ainsi recueillies sont transmises à la machine à fraiser par l'intermédiaire d'un modem. La machine usine alors un bloc de titane commercialement pur et réalise une réplique précise de la maquette.

Cette armature en titane est ensuite contrôlée, dégrossie et polie, puis envoyée au prothésiste pour terminer la prothèse.

Étapes de réalisation

La réalisation d'une prothèse transvissée directement sur l'implant nécessite un positionnement précis des implants pour que l'orifice d'accès à la vis soit situé au centre de la face occlusale de la prothèse. Cela suppose la réalisation d'un montage prospectif afin de visualiser la future prothèse et d'un guide chirurgical issu de ce montage. La chirurgie est ainsi guidée en fonction de la future prothèse. Les étapes cliniques sont alors très simplifiées :

- première séance : une empreinte initiale à l'alginate est prise avec des transferts coniques. À partir du modèle obtenu, le prothésiste réalise un tube porte-empreinte pour l'empreinte au plâtre ;

- deuxième séance : l'empreinte finale est réalisée ; elle doit très précisément enregistrer les positions respectives des implants, car l'armature en titane ne pourra pas être soudée en cas de mauvais ajustage.

L'utilisation d'un plâtre extra-dur à prise rapide (Pico-stone speed®, Pico-dent 1), injecté dans le tube porte-empreinte en matière plastique, réalise une clé de positionnement qui est emportée dans une surempreinte réalisée avec un matériau silicone (fig. 1).

Les rapports intermaxillaires sont enregistrés, la teinte est déterminée et toutes les informations sont envoyées au laboratoire de prothèse.

Au laboratoire de prothèse :

- un modèle de travail avec fausse gencive amovible est tiré de l'empreinte ;

- une maquette en résine de l'armature est confectionnée ; elle doit laisser la place à la couche de céramique dont l'épaisseur est d'environ 1,5 mm ;

- cette maquette est ensuite soit scannée au laboratoire pour les dents unitaires, soit envoyée avec le modèle de travail à l'unité de production Procera® en Suède pour les bridges, où le scannage optique puis l'usinage sont réalisés. L'armature est alors renvoyée au laboratoire de prothèse ;

- le prothésiste reçoit l'armature de titane, il la finit (grattage), puis la prépare pour recevoir la céramique Tri-ceram® (Esprident 2). La préparation consiste en un nettoyage par passage au four pour éliminer tous les résidus de lubrifiant d'usinage, puis un sablage à la poudre d'alumine de 110 μm sous 2 kg de pression ; l'armature est alors laissée en attente 10 minutes afin de la passiver (fig. 2).

Après l'application et la cuisson d'un agent de liaison spécifique (fig. 3) et d'un opaque, la céramique est montée comme une céramique classique (fig. 4, 5 et 6). La température de cuisson est comprise entre 795 °C pour l'agent de liaison et 755 °C pour les masses dentine.

Ce protocole des étapes cliniques et de laboratoire est utilisé pour les cas d'édentements unitaires et partiels depuis avril 2001. Certaines situations cliniques sont illustrées dans les figures 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 et 16 .

Résultats

Depuis avril 2001, 192 prothèses de tout type (unitaire, partielle ou complète) représentant 352 éléments ont été réalisées au laboratoire selon ce protocole. Seules 5 prothèses ont dû être refaites à la suite de fractures de la céramique. Les causes probables de ces échecs sont les suivantes :

- manque de soutien de la céramique par l'armature ;

- mauvais réglage des contacts occlusaux ;

- mauvais ajustage de l'armature ;

- mauvaise préparation du métal (bulle dans la céramique).

Discussion

De nombreuses études expérimentales ont mis en évidence la plus grande précision des armatures Procera® titane comparée à celle des armatures métalliques coulées traditionnelles [1-5]. De plus, cette précision n'est pas affectée par la cuisson d'une céramique basse fusion [3].

Pour valider cette technique, plusieurs études cliniques [6-10] ont été réalisées et les résultats à 5 ans sont équivalents à ceux obtenus avec les techniques traditionnelles concernant la survie des implants comme celle des prothèses.

Céramique sur titane

En odontologie, la cuisson de la céramique sur le titane est une technique récente qui s'est développée dans les années 1990 parallèlement à la maîtrise de la coulée du titane. Les industriels ont dû mettre au point des céramiques spécifiques compte tenu des propriétés physiques et chimiques du titane [11-13].

Actuellement, plusieurs céramiques basse fusion sont proposées pour la cuisson sur titane. Les études cliniques concernent principalement la prothèse conventionnelle sur dents naturelles et montrent des résultats satisfaisants, bien qu'inférieurs à ceux de la céramique sur or. En effet, la plupart de ces études signalent pour la céramique sur titane des fractures plus fréquentes que pour la céramique sur or [14, 15] et une modification de la teinte avec le temps [16-18].

Toutefois, ces études publiées entre 1998 et 2000 portent sur des céramiques déjà anciennes. La génération actuelle de céramiques pour titane, dont fait partie la céramique Triceram®, apparue en 1999, montre une amélioration significative de leurs performances qui égalent celles des céramiques conventionnelles. La résistance à la flexion de la Triceram® atteint 90 MPa [11, 19], soit presque le double de la norme ISO minimale. Il en est de même pour son adhésion au titane : 42 MPa pour une norme minimale de 25 MPa. La stabilité de la teinte lors des cuissons successives est également signalée [13].

Pour obtenir un bon résultat fonctionnel et esthétique, la prothèse sur implants doit répondre à des critères spécifiques. Parmi ceux-ci, l'adaptation passive de la prothèse est sans doute le principal. Sous réserve d'une empreinte fidèle et précise, le système Procera® garantit cette passivité pour l'armature comme le montrent de nombreuses études [1, 2, 4, 5]. L'étude d'Ortorp et Jemt [3] prouve que la cuisson d'une céramique basse fusion ne compromet pas cette passivité, et montre ainsi que les bridges mono-blocs céramo-titane peuvent répondre parfaitement à cette exigence.

Un autre critère important auquel les bridges monoblocs céramo-titane satisfont est l'utilisation de matériaux biocompatibles pour la partie trans-gingivale de la prothèse. L'étude d'Abrahamsson et al. [20] conclut que sur des matériaux biocompatibles tels le titane ou l'alumine, un attachement de la muqueuse péri-implantaire se crée alors qu'il ne se produit pas sur des piliers en or ou en céramique.

Avantages

- d'une façon générale, la réduction du nombre de composants utilisés (pas de pilier, de cylindre en or, de vis de prothèse) simplifie le protocole (pas de séance de mise en place des piliers) et le coût de la prothèse.

L'absence de pilier autorise son utilisation dans les cas de hauteur prothétique réduite. En cas d'implant peu enfoui et de manchon gingival très peu épais, la céramique peut s'étendre pratiquement jusqu'à l'implant pour éviter l'exposition d'un liseré de métal peu esthétique ;

- par rapport à la technique scellée, la dépose aisée de la prothèse en cas de problème, l'absence d'incertitude liés au scellement et enfin l'absence d'inflammation gingivale due au joint de ciment ;

- par rapport à la technique céramo-métallique vissée classique, l'homogénéité de la prothèse (les seuls matériaux utilisés étant le titane et la céramique) et une meilleure tolérance gingivale, car la partie transgingivale est en titane alors qu'elle est en céramique et en métal précieux dans les bridges céramo-métalliques classiques.

Inconvénients

- la nécessité de positionner les implants très précisément, parallèles ou très peu divergents, avec une émergence des vis de piliers bien centrée sur la face occlusale ;

- une cuisson de la céramique plus délicate que pour la céramique conventionnelle ;

- le manque de recul pour le comportement de cette céramique à long terme.

Conclusion

La prothèse monobloc céramo-titane est une alternative fiable aux techniques traditionnelles dans notre exercice ; elle simplifie le protocole et réduit le coût, mais elle nécessite une très grande rigueur dans sa réalisation tant d'un point de vue clinique que d'un point de vue prothétique.

Depuis peu, la zircone est utilisée pour la réalisation d'armature en prothèse sur implants. Ce sera peut-être le matériau d'avenir pour ces constructions monoblocs grâce à ses qualités esthétiques et à sa manipulation aisée au laboratoire de prothèse.

(1) Lüdenscheider strasse 24 - 51688 Wipperfürth, Allemagne

(2) Turnstrasse 31 - 75228 Ispringen, Allemagne

bibliographie

  • 1 Jemt T. Three-dimensional distortion of gold alloy castings and welded titanium frameworks. Measurements of the precision of fit between completed implant prostheses and the master casts in routine edentulous situations. J Oral Rehabil 1995;22(8):557-564.
  • 2 Jemt T, Back T, Petersson A. Precision of CNC-milled titanium frameworks for implant treatment in the edentulous jaw. Int J Prosthodont 1999;12(3):209-215.
  • 3 Ortorp A, Jemt T. Clinical experience of CNC-milled titanium frameworks supported by implants in the edentulous jaw : a 3-year interim report. Clin Implant Dent Relat Res 2002;4(2):104-109.
  • 4 Riedy SJ, Lang BR, Lang BE. Fit of implant frameworks fabricated by different techniques. J Prosthet Dent 1997;78(6):596-604.
  • 5 Takahashi T, Gunne J. Fit of implant frameworks : an in vitro comparison between two fabrication techniques. J Prosthet Dent 2003;89(3):256-260.
  • 6 Jemt T, Henry P, Linden B, Naert I, Weber H, Bergstrom C. A comparison of laser-welded titanium and conventional cast frameworks supported by implants in the partially-edentulous jaw : a 3-year prospective multicenter study. Int J Prosthodont 2000;13(4):282-288.
  • 7 Jemt T, Henry P, Linden B, Naert I, Weber H, Wendelhag I. Implant-supported laser-welded titanium and conventional cast frameworks in the partially-edentulous jaw : a 5-year prospective multi-center study. Int J Prosthodont 2003;16(4):415-421.
  • 8 Ortorp A, Jemt T. Clinical experiences of CNC-milled titanium frameworks supported by implants in the edentulous jaw : 1-year prospective study. Clin Implant Dent Relat Res 2000;2(1):2-9.
  • 9 Ortorp A, Jemt T. Clinical experience of CNC-milled titanium frameworks supported by implants in the edentulous jaw : a 3-year interim report. Clin Implant Dent Relat Res 2002;4(2):104-109.
  • 10 Ortorp A, Jemt T. Clinical experiences of computer numeric control-milled titanium frameworks supported by implants in the edentulous jaw : a 5-year prospective study. Clin Implant Dent Relat Res 2004;6(4):199-209.
  • 11 Chomet F, Martin B, Lelievre F. Restauration métallo-céramique sur titane. Synergie Prothet 2000;2(1):31-40.
  • 12 Esquivel JF, Chai J, Wozniak WT. The physical properties of low-fusing porcelains for titanium. Int J Prosthodont 1996;9(6):563-571.
  • 13 Praud C, Martin B, Chomet F, Lelievre F. Prothèse métallo-céramique sur titane : illustration clinique. Synergie Prothet 2000;2(3):203-212.
  • 14 Lovgren R, Andersson B, Carlsson GE, Odman P. Prospective clinical 5-year study of ceramic-veneered titanium restorations with the Procera system. J Prosthet Dent 2000;84(5):514-521.
  • 15 Walter M, Reppel PD, Boning K, Freesmeyer WB. Six-year follow-up of titanium and high-gold porcelain-fused-to-metal fixed partial dentures. J Oral Rehabil 1999;26(2):91-96.
  • 16 Bergman B, Nilson H, Andersson M. A longitudinal clinical study of Procera ceramic-veneered titanium copings. Int J Prosthodont 1999;12(2):135-139.
  • 17 Marklund S, Bergman B, Hedlund SO, Nilson H. An intraindividual clinical comparison of two metal-ceramic systems : a 5-year prospective study. Int J Prosthodont 2003;16(1):70-73.
  • 18 Milleding P, Haag P, Neroth B, Renz I. Twoyears of clinical experience with Procera titanium crowns. Int J Prosthodont 1998;11(3):224-232.
  • 19 Praud C. Apport de la céramique Triceram à la réalisation de prothèses céramo-métalliques sur titane. Thèse pour le diplôme d'État de Docteur en chirurgie dentaire, Nantes 1999.
  • 20 Abrahamsson I, Berglundh T, Glantz PO, Lindhe J. The mucosal attachment at different abutments. An experimental study in dogs. J Clin Periodontol 1998;25(9):721-727.