Report des lignes de crête mandibulaire sur le plateau de montage en prothèse amovible complète - Cahiers de Prothèse n° 132 du 01/12/2005
 

Les cahiers de prothèse n° 132 du 01/12/2005

 

Prothèse amovile complète (ou totale)

Christelle Michel-Dutheil *   Jean-Marc Jendrejack **   Jean-Luc Veyrune ***   Claire Lassauzay ****  


* AHU
** Prothésiste
*** MCU-PH
**** MCU-PH Faculté de chirurgie dentaire
11, boulevard Charles-de-Gaulle
63000 Clermont-Ferrand

Résumé

Le montage des dents postérieures en PAC tel qu'il est préconisé par Gysi impose le report, sur un plateau de montage, des axes des crêtes mandibulaires. Les imprécisions liées au transfert de ce repère anatomique peuvent conduire à un montage erroné dans le plan frontal, entravant la stabilisation des bases prothétiques.

L'utilisation d'un dispositif de forage, d'usage courant au laboratoire de prothèse pour la confection des modèles positifs unitaires en prothèse fixée, permet de reporter avec précision sur le plateau de montage en silicone trois points remarquables : le pied du trigone, la zone la plus déclive de la crête et le point en regard duquel est montée la première prémolaire. Une ligne joignant les trois perforations ainsi réalisées guide le montage des cuspides palatines des prémolaires et molaires maxillaires. La méthode ainsi proposée permet la réalisation d'un montage fonctionnel et représente une approche pédagogique intéressante.

Summary

Transfer of the mandibular ridge lines onto the mounting tray in complete removable prosthesis

The mounting of posterior teeth in complete removable denture, as it is recommended by Gysi, requires that the axes of the mandibular ridge are transfered onto a mounting tray.

The inaccuracies resulting from the transfer of this anatomical mark can lead to a false mounting in the frontal plane, which hinders the stabilization of the prosthetic bases.

The use of a drilling device (Pindex® System), which is commonly used in dental laboratories to make dies in fixed prosthesis, enables to transfer accurately 3 noticeable spots onto the silicon mounting tray. Those are : the foot of the trigone, the most inclined zone of the ridge and the comparison's spot used for the mounting of the first premolar. A line which links the 3 perforations which are thus done guides the mounting of the palatine cusps of the maxillary premolars and molars.

This method translates into the realization of a fonctional mounting and represents an interesting pedagogical approach.

Key words

axis of the mandibular ridge, complete removable prosthesis, mounting according to Gysi, mounting tray

Les principes de montage en prothèse amovible complète (PAC) répondent à un triple objectif :

- esthétique, par l'intégration socialement satisfaisante de la prothèse ;

- fonctionnel, en assurant la stabilisation des bases prothétiques sur leur surface d'appui ;

- biologique, par la prévention de la résorption osseuse grâce à une répartition homogène des contraintes occlusales sur l'ensemble des arcades édentées [1-5].

Pour parvenir à ce résultat, le sommet de la crête alvéolaire mandibulaire représente un repère anatomique largement utilisé pour guider le montage des dents prothétiques cuspidées. L'utilisation de l'axe de crête mandibulaire comme guide de montage se justifie par la volonté de répartir harmonieusement la charge occlusale sur la surface d'appui mandibulaire, souvent défaillante. La prothèse mandibulaire, reposant sur une plus faible surface d'appui que la prothèse maxillaire, est plus facilement déstabilisée lors des cycles de mastication. Aussi, le montage doit être réalisé pour tenir compte de cette spécificité de stabilisation entre les 2 prothèses antagonistes.

Ces règles représentent par ailleurs une méthode de montage couramment enseignée aux États-Unis [6].

La séquence de montage préconisée par Gysi commence par les dents maxillaires, en plaçant leurs cuspides d'appui (palatines) à l'aplomb de la crête mandibulaire [1]. Cette technique de montage présente une difficulté majeure : le manque de fiabilité du transfert de l'axe de crête sur le plateau de montage. En effet :

- la ligne faîtière de la crête mandibulaire est reportée antérieurement et postérieurement sur le socle du modèle, cela avec une plus ou moins grande précision ;

- quand le plateau de montage (ou la maquette d'occlusion) est placé sur le modèle, le report de l'axe de crête à partir des repères tracés sur le socle ajoute une erreur supplémentaire.

Plusieurs méthodes ont été proposées pour contourner ces difficultés.

• Pound détermine une aire à l'intérieur de laquelle les dents mandibulaires doivent être placées : il s'agit d'un triangle dont le sommet est situé sur la face mésiale de la canine et dont la base se situe entre la face linguale et la face vestibulaire du trigone rétro-molaire. Cette surface correspondrait à celle occupée par les dents naturelles (guidées dans leur position par les forces musculaires antagonistes de la langue, des joues et des lèvres). Pound trace ces 2 lignes sur le bourrelet de la maquette d'occlusion mandibulaire pour guider le montage des dents postéro-supérieures [7].

• Bissasu a mis au point un dispositif-guide pour placer les dents postérieures dans le sens vestibulo-lingual. Celui-ci est muni d'un support horizontal sur lequel est placé le modèle mandibulaire et d'une tige d'analyse. La pointe de la tige est positionnée sur les repères tracés au crayon sur la crête (pied du trigone, position estimée de la canine), puis relevée pour permettre de placer la maquette d'occlusion sur le modèle. La tige d'analyse est abaissée jusqu'au contact avec le bourrelet, réalisant une indentation pour chacun des repères. Une ligne relie les 2 points ainsi marqués [8].

• Pompignoli reporte sur le bord postérieur du socle du modèle mandibulaire le prolongement de l'axe longitudinal de la crête mandibulaire (du tiers externe du trigone jusqu'à la pointe présumée de la canine) et celui de la crête maxillaire (du quart externe de la tubérosité jusqu'à la pointe présumée de la canine). Il grave alors sur la surface du bourrelet de la maquette mandibulaire un axe situé à mi-distance entre ces 2 repères (axe intercrêtes) [4].

Cette notion de transfert d'une « ligne moyenne » avait déjà conduit Aubazac et al., en 1991, à mettre au point un appareillage original, adaptable sur différents articulateurs, qui utilise une plaque thermoplastique transparente comme table de montage des dents maxillaires [9].

Cet article décrit une méthode fiable et didactique permettant de reporter avec précision l'axe de la crête mandibulaire sur le plateau de montage en prothèse complète bimaxillaire. Ce procédé fait appel à un « appareil à positionner les pins » (type Euclide®, Sato), dispositif utilisé en prothèse fixée pour la confection des modèles de travail unitaires (MPU) (fig. 1a, 1b et 1c).

Description de la technique

Réalisation du plateau de montage

Les empreintes secondaires sont réalisées et les modèles obtenus sont positionnés sur l'articulateur après l'enregistrement des rapports maxillo-mandibulaires.

Sur le modèle mandibulaire, la ligne faîtière de la crête est matérialisée à l'aide d'un crayon gras placé tangentiellement à la crête dans les secteurs latéraux (à partir du pied du trigone jusqu'à la position estimée de la canine) et un isolant (type Xynon®, Detax) est appliqué (fig. 2a).

Le plateau de montage est confectionné en utilisant un silicone de laboratoire haute viscosité (type Zetalabor®, Zhemarck). La maquette d'occlusion maxillaire est placée sur le modèle, et la zone du palais est comblée pour obtenir une surface plane. L'articulateur est ensuite refermé, tige incisive à 0, sur le matériau silicone (fig. 2b).

Après sa prise complète, les excès sont éliminés latéralement et au niveau des trigones (fig. 2c) de façon à obtenir une surface plane.

Le contour antérieur du bourrelet de la maquette maxillaire et le repère du milieu interincisif sont reportés au crayon sur le plateau de montage en silicone pour servir de guide lors du montage des dents antéro-supérieures (fig. 2d).

Report des lignes de crête sur le plateau de montage

L'intrados du plateau de montage est examiné : le tracé des axes de crête s'est « imprimé » sur le silicone (fig. 3a). Trois points sont déterminés sur cet axe en regard desquels une petite perforation est réalisée sur l'extrados à l'aide du dispositif de forage : un premier repère au pied du trigone, un second à l'endroit de la position estimée de la première molaire (zone de la crête la plus déclive) et un troisième au niveau de la position estimée de la première prémolaire (la crête prend alors une forme curviligne). Ces repères sont mis en évidence dans les secteurs postérieurs droit et gauche du plateau.

La surface plane du plateau de montage est ensuite placée sur la table de forage du dispositif. Un rayon lumineux localise l'emplacement du forêt. Le point lumineux est placé au niveau du premier repère anatomique. Une pression sur le plateau permet de réaliser une petite perforation du silicone à l'emplacement déterminé (il n'est pas nécessaire de perforer le silicone dans toute son épaisseur). La manœuvre est répétée pour les 2 autres repères. Sur la surface plane du plateau, l'alignement des perforations réalisées est vérifié (fig. 3a et 3b). Le tracé au crayon d'une droite reliant ces dernières matérialise l'axe de la crête mandibulaire (fig. 3c).

Discussion

Grâce à cette technique, la ligne faîtière de la crête mandibulaire est reportée avec précision sur le plateau de montage et constitue une ligne guide. Les difficultés liées au prolongement de l'axe de crête sur le socle du modèle sont contournées. Le report de la ligne de crête sur le plateau de montage devient précis quel que soit l'opérateur, débutant ou expérimenté. Dans un premier temps, la première molaire maxillaire est montée avec sa cuspide mésio-palatine à l'aplomb du point le plus déclive de la crête mandibulaire reportée sur le plateau de montage. Les autres dents cuspidées peuvent ensuite être mises en place selon la technique de Gysi à l'aplomb de la ligne guide [1]. Les cuspides s'engrènent au niveau des sillons centraux des dents postérieures mandibulaires (fosses centrales des molaires et crêtes marginales des prémolaires) ; c'est donc le montage des dents maxillaires qui guide le positionnement correct des prémolaires et molaires mandibulaires dans le sens vestibulo-lingual. Cette systématisation du report de la crête mandibulaire sur le plateau de montage constitue donc une approche intéressante sur le plan pédagogique. D'autre part, il est également possible d'avoir recours à cette méthode pour transférer l'aire de Pound sur le plateau de montage, dont la localisation est souvent plus fiable que l'axe de crête mandibulaire [3].

Cependant, plusieurs critiques peuvent être faites sur cette approche du montage des dents postérieures en PAC. Principalement, certains auteurs décrivent une réduction de l'espace dévolu à la langue et un manque de soutien des joues consécutivement au montage des dents sur l'axe de crête mandibulaire [10]. Faber a évalué l'incidence de 2 méthodes de montage sur la largeur de l'arcade dentaire mandibulaire : un premier montage à l'aplomb de la ligne faîtière de crête (méthode « anatomique »), et un second dans la zone neutre où s'annulent les forces antagonistes de la musculature paraprothétique (méthode « physiologique »). La méthode physiologique produit une augmentation de la distance séparant les 2 premières molaires mandibulaires [6].

Néanmoins, cet inconvénient se rencontre surtout dans le cas de crête arci-forme, pour laquelle on note l'absence d'alignement des 3 repères. Pour ces cas, R. Scotti et al. préconisent une analyse par segments de la crête qui conduit à un défaut d'alignement des sillons mésio-distaux des dents cuspidées [11].

Il est donc possible de s'écarter du montage strictement sur la ligne guide en fonction de la situation clinique pour répondre aux exigences fonctionnelles et au confort du patient. Cependant, cette analyse de la situation clinique demande une certaine expérience.

Une alternative de choix au montage des dents selon Gysi est représentée par les techniques proposant de commencer le montage par les dents mandibulaires, comme c'est le cas dans le concept « SPB » (Système prothétique biofonctionnel d'Ivoclar-Vivadent), lequel évite les erreurs dues au report des axes de crête sur le plateau de montage [12].

Applications cliniques

Cas d'une classe I squelettique avec faible résorption

La classe I squelettique avec faible résorption ne présente pas de difficulté particulière. L'axe intercrêtes n'impose notamment aucune contrainte. Les dents maxillaires sont montées normalement sans être exagérément projetées dans le vestibule.

Les figures 4a, 4b, 4c, 4d, 4e, 4f, 4g et 4h illustrent les séquences de montage des dents prothétiques.

Le repère le plus déclive de la crête peut être déplacé un peu vers l'avant si son choix entraîne un positionnement de la deuxième molaire maxillaire sur la tubérosité. Néanmoins une morphologie favorable de cette dernière peut autoriser le montage de la deuxième molaire sur sa partie mésiale.

De plus, au maxillaire, suite au montage de la première molaire et en fonction de l'espace disponible dans le plan sagittal pour placer les prémolaires, un diastème peut être ménagé entre la canine et la première prémolaire.

Cas d'une forte résorption maxillaire et mandibulaire chez une patiente très âgée

Les cas de forte résorption maxillaire et mandibulaire sont responsables de la modification du rapport intercrêtes qui tend vers une classe III relative. Cette situation peut entraîner un montage trop vestibulé des dents maxillaires ou conduire au montage croisé des molaires, ce qui n'est jamais souhaitable.

Cette problématique est illustrée par le cas d'une patiente âgée de 92 ans (fig. 5a et 5b).

L'examen endobuccal révèle une forte résorption des crêtes maxillaire et mandibulaire (fig. 5c et 5d), entre lesquelles s'établit une relation de classe III dans le plan sagittal. En raison de la résorption sévère et de l'âge avancé de la patiente, le choix des dents prothétiques postérieures s'est orienté vers des « non cuspidées » type SR Orthoplane DCL (Ivoclar-Vivadent), qui présentent l'avantage de faire disparaître les couples de renversement générés par les versants cuspidiens lors des mouvements excentrés.

La séquence de montage est identique à celle décrite précédemment (fig. 5e, 5f, 5g et 5h). Lors des mouvements excentrés, les pointes cuspidiennes palatines doivent glisser harmonieusement dans les zones de réception mandibulaires assurant une occlusion intégralement équilibrée (fig. 5i, 5j et 5k).

Sur les plans esthétique et fonctionnel, ce type de montage associé à l'utilisation des dents orthoplanes offre une solution intéressante pour ce type de cas clinique (fig. 5l).

Conclusion

En PAC, le report des axes de crête imposé par les règles de montage des dents selon Gysi nous a conduits à mettre au point une méthode originale, assurant un positionnement précis des dents postérieures, à la fois dans le plan frontal (à l'aplomb de la ligne faîtière de la crête mandibulaire) et dans le plan sagittal (première molaire à l'aplomb de la partie la plus déclive de la crête).

La méthode proposée dans ce travail constitue une aide précieuse pour l'enseignement et la réalisation d'un montage fonctionnel répondant au principe de stabilisation des prothèses.

bibliographie

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  • 10 EL-Gheriani AS. A new guide for positioning of maxillary posterior denture teeth. J Oral Rehabil 1992;19:535-538.
  • 11 Scotti R, Pera P, Preti G. Montage des dents postérieures en prothèse totale. Cah Prothèse 1989;67:75-79.
  • 12 Hüe O, Mariani P. Une nouvelle approche prothétique : le concept « SPB », système prothétique biofonctionnel. Cah Prothèse 1996;95:79-91.