Action de la chlorhexidine sur l'envahissement microbien d'une résine à prise retardée - Cahiers de Prothèse n° 133 du 01/03/2006
 

Les cahiers de prothèse n° 133 du 01/03/2006

 

Prothèse amovible complète (ou totale)

Cécile Le Bonhomme *   Vincent Jardel **   Gérard Derrien***   Marie-Louise Abalain****   Jean-François Morin*****  


*Docteur en chirurgie dentaire
**MCU-PH
***PU-PH
UFR d'odontologie de Brest
22, avenue Camille-Desmoulins
29285 Brest Cedex

****MCU-PH, laboratoire de bactériologie
*****MCU-PH,
laboratoire de biostatistiques et d'informatique médicale

UFR de Médecine de Brest
22, avenue Camille-Desmoulins
29285 Brest Cedex

Résumé

Lors d'une mise en condition tissulaire, les résines à prise retardée utilisées sont des matériaux fragiles et poreux, et donc difficiles d'entretien. L'hygiène buccale est alors compromise et une prolifération bactérienne finit par s'opposer aux objectifs de retour à une santé tissulaire, envisagés par ce traitement. Cette étude clinique, chez dix patients totalement édentés, a eu pour objectif de mesurer l'intérêt de l'emploi d'un bain de bouche à base de chlorhexidine (Eludril®, Pierre Fabre) dans l'hygiène d'une résine à prise retardée (Fitt, Kerr®), dans le cadre d'une mise en condition préalable à l'élaboration d'une nouvelle prothèse bimaxillaire.

Summary

Action of the chlorhexidine on the bacterial invasion of a resin with delayed taking

During a tissue training, the resins with delayed taking which are used are fragile and porous materials, thus difficult to clean. The oral hygiene is then jeopardized and a bacterial proliferation ends up to be contrary to the initial aims of this treatment, i. e. recovering a healthy tissue. This clinical study - on 10 edentulous patients - was aimed at measuring the interest of the use of a mouth wash with chlorhexidine (Eludril®, Pierre Fabre) in the hygiene of a resin with delayed taking (Fitt, Kerr®), in the case of a training prior to the the realization of a new bimaxillary prosthesis.

Key words

chlorhexidine, hygiene, resin with delayed taking.

La mise en condition est une phase préalable indispensable à l'élaboration d'une prothèse complète. Elle utilise, entre autres, une résine à prise retardée garnissant l'intrados d'une prothèse d'usage ou de transition. Cette étape du traitement prothétique a pour but de placer le patient dans une situation favorable à l'élaboration d'une nouvelle prothèse. La mise en condition est donc tissulaire, occluso-fonctionnelle et esthétique [1-4]. Les résines à prise retardée ont des propriétés mécaniques médiocres et présentent une porosité de surface élevée causée par la perte progressive de certains composants (alcool, phtalate, etc.) et par l'incorporation d'air lors de leur préparation [5-7]. Leur texture poreuse pose deux problèmes intimement liés :

• leur état de surface poreux facilite un envahissement microbien supérieur à celui des résines acryliques thermopolymérisées déjà bien étudié [8-11] ;

• leur nettoyage mécanique (brossage) est difficile à réaliser et se révèle peu efficace.

Ces deux problèmes favorisent une prolifération bactérienne au sein du matériau et des muqueuses. Rapidement, cette prolifération peut être la source de pathologies au niveau muqueux et être préjudiciable au traitement prothétique global. Cela est à la base de ce travail qui a pour objet la mise au point d'un protocole d'hygiène simple, fondé sur le trempage de prothèses rebasées avec une résine à prise retardée dans une solution pour bain de bouche à base de chlorhexidine. Le digluconate de chlorhexidine est actuellement la molécule antiseptique la plus utilisée dans les traitements buccodentaires ; elle est préconisée par de nombreux auteurs dans le cadre de l'hygiène prothétique [12, 13, 14, 15et 16]. Cette expérimentation a pour objectifs d'étudier l'action d'un bain de bouche à la chlorhexidine (Eludril®, Pierre Fabre) sur l'évolution de la flore microbienne qui se développe à la surface d'une résine de mise en condition tissulaire (Fitt®, Kerr).

Expérimentation clinique

Pour évaluer l'apport de la chlorhexidine dans l'hygiène des prothèses complètes rebasées avec une résine à prise retardée (Fitt®, Kerr), nous avons réalisé une étude sur 10 patients totalement édentés et traités dans le service d'odontologie du CHU de Brest. Ce travail a été effectué en deux temps, avec une première phase clinique de prélèvements microbiens et une deuxième phase d'analyse de ces prélèvements dans le département de microbiologie de la faculté de Médecine de Brest. Enfin, l'étude statistique des résultats a reposé sur l'analyse de variance pour des mesures répétées. Ces calculs ont été menés en collaboration avec le laboratoire de biostatistiques et d'informatique médicale de la faculté de Médecine de Brest, à l'aide du logiciel Statview®.

Sélection des patients

L'étude a porté sur 10 sujets totalement édentés de longue date, porteurs d'une ancienne prothèse totale bimaxillaire et nécessitant un traitement de mise en condition préprothétique. Ces patients présentaient une flore spécifique à l'édenté [9-11]. Pour réduire les risques d'introduire des biais dans ce travail, les patients ont été sélectionnés selon les critères suivants :

• patients présentant des muqueuses saines ;

• porteurs d'anciennes prothèses complètes présentant l'indication d'un rebasage à l'aide d'une résine acrylique à prise retardée (Fitt®, Kerr) préalablement à l'élaboration de nouvelles prothèses ;

• patients aptes à mettre en oeuvre les techniques d'hygiène (compréhension des consignes, agilité manuelle) ;

• patients ne présentant pas de facteurs favorisant les mycoses : tabac, xérostomie, diabète, déficits immunitaires.

Méthodologie clinique de l'étude

Les 10 patients sélectionnés ont été répartis, à leur insu, en deux groupes (tabl. I).

Chronologie des prélèvements

Quatre prélèvements à 8 jours d'intervalle, par écouvillonnage de surface, ont été réalisés par un même opérateur, pour les 5 patients de chaque groupe.

• J0 : 1er prélèvement, sur l'intrados en résine thermopolymérisée de l'ancienne prothèse totale maxillaire (évaluation de la flore prothétique initiale), suivi d'une séance de mise en condition tissulaire à l'aide de la résine Fitt® (Kerr). Les consignes d'hygiène consistent à immerger les prothèses dans l'eau pendant la nuit, la durée d'immersion des prothèses variant entre 8 et 10 heures par nuit.

• J8 : 2e prélèvement, sur l'intrados rebasé avec du Fitt® (Kerr) de la prothèse complète maxillaire. Consignes d'hygiène identiques à celles de J0.

• J15 : 3e prélèvement, sur l'intrados rebasé avec du Fitt® (Kerr) de la prothèse complète maxillaire. Consignes d'hygiène identiques à celles de J0.

• J21 : 4e prélèvement, sur l'intrados rebasé avec du Fitt® (Kerr) de la prothèse complète maxillaire. Consignes d'hygiène identiques à celles de J0.

La chronologie et la technique des prélèvements sont identiques à celles du groupe témoin, mais, à partir de J8, le deuxième prélèvement est suivi de l'introduction d'une technique d'hygiène fondée sur le trempage des prothèses dans une solution de bain de bouche à la chlorhexidine (Eludril®) diluée au 1/3 (selon les recommandations de Rozencweig [16] et Luc et al. [13]) pendant la nuit. La durée d'immersion des prothèses dans cette solution de bain de bouche varie de 8 à 10 heures par nuit. Cette technique d'hygiène est poursuivie pour les prélèvements à J15 et J21.

Les différentes étapes du protocole expérimental sont reprises dans le tableau II.

D'autres consignes strictes (expliquées oralement et accompagnées d'un feuillet de recommandations) ont été données à chaque patient des deux groupes : rinçage des prothèses à l'eau après les repas, mais sans brossage ; aucune autre solution de bain de bouche ne devait être utilisée durant l'étude (fig. 1 et 2).

Technique de prélèvement

• Par écouvillonnage de surface de l'intrados de la prothèse maxillaire, d'une tubérosité à l'autre, en reproduisant toujours le même geste (fig. 3).

• À l'aide d'un écouvillon stérile Erotubo® (IASA 08191 Rubi Espagne), introduit immédiatement dans un milieu de conservation (fig. 4).

• À J0, le prélèvement a été effectué sur l'intrados en résine cuite de la prothèse maxillaire avant la mise en place du Fitt® (Kerr). Puis à J8, J15, et J21, les prélèvements ont été effectués sur l'intrados rebasé avec du Fitt® (Kerr) de la prothèse avant son renouvellement.

Traitement des prélèvements

Les différents prélèvements ont été immédiatement analysés dans le laboratoire de microbiologie de l'UFR de Médecine de Brest, pour effectuer une étude semi-qualitative de la flore bactérienne : cette étude consiste à évaluer le nombre de bactéries par mL de prélèvement, par comptage des différents types de colonies bactériennes qui se sont développées sur les milieux de culture. Cela permet aussi de les classer en fonction de leur morphologie, leur coloration de Gram, leur capacité à croître avec ou sans oxygène, etc. Afin de pouvoir compter les différents types de colonies, les écouvillons ont été exprimés dans 1 mL d'eau physiologique. Cette suspension a ensuite été diluée au 1/10, puis au 1/100 en eau physiologique ; 10 mL de chaque dilution ont ensuite été étalés à l'aide d'une anse platine et d'un râteau stériles sur 3 boîtes de milieux de culture (Biomérieux®) :

- gélose au sang de cheval, incubée à 37 °C en anaérobiose ;

- gélose au sang de cheval, incubée à 37 °C dans une atmosphère enrichie avec 5 % de CO2 ;

- gélose chocolat, incubée à 37 °C dans une atmosphère enrichie avec 5 % de CO2.

Au cours de ce travail, 240 milieux de culture au total ont été ensemencés (soit 24 par patient). Après 48 heures d'incubation, les milieux de culture ont été analysés ; cette analyse, exécutée pour chaque type de colonies, comportait plusieurs temps :

- le repérage des différents types de colonies ;

- la numération ;

- les frottis ;

- l'observation de ces frottis colorés par le Gram au microscope, à un grossissement par 1 000.

Ce travail a mis en évidence :

- la morphologie des bactéries : bacilles ou cocci ;

- leur Gram+ ou Gram- ;

- leur mode de groupement : en amas, en chaînette, en diplocoque.

Ces quelques marqueurs structuraux ont permis de définir la physiologie des germes (aérobies ou anaérobies) et de les classer dans un genre bactérien. Parallèlement à l'ensemencement, un frottis coloré par le Gram a été effectué sur la suspension de départ, afin d'évaluer la quantité et la variété de la flore microbienne.

Résultats

À partir des prélèvements, deux études ont été menées de façon à caractériser l'évolution de la flore microbienne sur les plans quantitatif et qualitatif.

Analyse quantitative : comparaison de l'évolution des contaminations bactériennes moyennes

Les résultats (tabl. III et fig. 5) sont les valeurs moyennes de contamination chez les deux groupes de patients.

À J0

La contamination bactérienne initiale n'est pas la même dans les deux groupes : pour les patients témoins, la valeur moyenne constatée s'élève à 2,70.106 germes/mL alors que, dans le cas des patients utilisateurs de bain de bouche, cette valeur est plus faible : 2,07.106 germes/mL. Cette différence dans les données initiales doit être soulignée afin de pouvoir comparer l'évolution de ces courbes : on comparera l'évolution de la contamination et non les valeurs.

Entre J0 et J8

À cette étape du protocole, l'évolution des contaminations bactériennes moyennes est superposable : dans les deux cas, on observe une diminution des valeurs moyennes. À J8, on recense pour les témoins une diminution de 13,7 % et pour les patients utilisateurs une diminution de 18,3 %.

Il semble que la mise en place de la résine-retard (matériau neuf) dans la prothèse en résine (dont la réalisation remonte dans certains cas à plusieurs dizaines d'années) induise une diminution globale de la contamination bactérienne de l'ordre de 16 %.

À partir de J8

Des protocoles d'hygiène différents selon les groupes sont mis en place. Dès lors, l'évolution des contaminations bactériennes moyennes diverge. Dans le cas des patients témoins, pour qui l'hygiène prothétique se résume à une immersion des prothèses dans l'eau, la contamination bactérienne augmente. À J15, elle s'élève à la valeur moyenne de 2,65.106 germes/mL (+ 13,7 %) pour finalement atteindre, à J21, une valeur moyenne de 2,97.106 germes/mL (+ 12 %). Il semble donc qu'il y ait une colonisation accrue de la résine à prise retardée. À l'inverse, dans le cas des patients utilisateurs de bain de bouche à la chlorhexidine, la contamination bactérienne va en décroissant régulièrement. À J15, elle passe à une valeur moyenne de 1,46.106 germes/mL (- 13,6 %) et, à J21, elle est de 1,32.106 germes/mL (- 9,5 %).

À J21

Pour les patients témoins, la valeur moyenne de la contamination (2,97.106 germes/mL) est nettement supérieure à celle à J0 (2,70.106 germes/mL). Après une première diminution entre J0 et J8, induite par la mise en place de résine à prise retardée, on assiste à une augmentation de la prolifération bactérienne (+ 27,4 %) au sein de ce matériau. Ces résines à prise retardée semblent donc constituer un environnement favorable à la prolifération bactérienne.

Pour les patients utilisateurs de bain de bouche, la valeur moyenne de la contamination à J21 (1,32.106 germes/mL) est inférieure à celle à J0 (2,07.106 germes/mL). Après une première diminution entre J0 et J8 (- 18,3 %) induite par la mise en place de résine à prise retardée, la diminution se poursuit entre J8 et J21 (- 21,9 %). Devant les décroissances observées, il semble que la technique d'hygiène fondée sur des bains de bouche à base de chlorhexidine permet de bien maîtriser la contamination bactérienne globale.

Analyse qualitative : évolution de la composition de la flore bactérienne lors de la contamination

Pour évaluer l'aspect qualitatif de l'action de la technique d'hygiène à base de chlorhexidine, nous avons séparé les bactéries en trois groupes : les Streptococcus et les Staphylococcus, majoritairement recensés dans la sphère buccale, et un troisième groupe « autres bactéries », qui comprend des bactéries en nombre beaucoup moins important. De plus, suivant le patient, les espèces retrouvées varient beaucoup en qualité et en nombre. On retrouve des germes Gram+ (Corynebacterium, Stomatococcus, Peptococcus, Peptostreptococcus, Streptococcus anaérobies) et des germes Gram- (Bacteroides, Fusobacterium, Prevotella, le groupe HACEK, Veillonella, Neisseria).

Comparaison de l'évolution moyenne de la contamination bactérienne pour chaque catégorie de bactéries

• Streptococcus(tabl. IV et fig. 6)

• Staphylococcus (tabl. V et fig. 7)

• Autres bactéries (tabl. VI et fig. 8)

Analyse des figures 6, 7 et 8

• Entre J0 et J8

Les valeurs initiales sont différentes (les données des patients utilisateurs de bain de bouche sont systématiquement inférieures à celles des patients témoins) mais l'évolution des courbes est superposable. Pour ces deux groupes de patients, les Streptococcus, les Staphylococcus et le groupe « autres bactéries » voient leur valeur moyenne diminuer, consécutivement à la mise en place dans la prothèse de la résine à prise retardée.

À partir de J8

L'évolution est différente selon la technique d'hygiène utilisée. Chez les témoins, on observe une augmentation de la prolifération bactérienne. Chez les patients utilisateurs de bain de bouche à base de chlorhexidine, il y a diminution de la contamination bactérienne, quel que soit le type bactérien considéré :

• pour les Streptococcus : chez les témoins, on observe une augmentation de la prolifération bactérienne entre J8 et J15 (+ 17,1 %), puis une stabilisation de cette valeur. Chez les utilisateurs de bain de bouche, l'évolution des Streptococcus consiste en une diminution régulière (- 10,6 % entre J0 et J8, puis - 20 % entre J8 et J21) ;

• pour les Staphylococcus : chez les témoins, il y a une augmentation régulière du nombre de Staphylococcus (+ 32,5 % entre J8 et J15, puis +22,6 % entre J15 et J21). L'augmentation moyenne entre J8 et J21 est de 62 %. Pour les utilisateurs de bain de bouche, on observe une stabilisation de la valeur de la contamination bactérienne en Staphylococcus autour de 0,30.106 germes/mL ;

• pour le groupe « autres bactéries » : entre J8 et J15, il y a diminution de la contamination bactérienne chez les témoins (- 9,4 %) et chez les utilisateurs de bain de bouche (- 48,2 %). Puis, entre J15 et J21, la contamination augmente chez les témoins (+ 39,5 %) mais reste stable chez les utilisateurs de bain de bouche, autour de 0,15.106 germes/mL.

Ces tableaux et figures mettent bien en relief la différence d'évolution des proliférations de chaque espèce bactérienne selon la technique d'hygiène utilisée.

Discussion

Analyse statistique

Le test statistique de l'analyse de variance choisi pour cette étude permet de repérer les effets des différents facteurs intervenant dans l'étude. Il permet la comparaison de moyennes de deux ou plus de deux échantillons. Il isole toutes les sources possibles de variation dues aux différents facteurs, par exemple variations entre sujets, entre traitements, entre jours, entre bactéries. On peut ainsi repérer, dans un ensemble complexe de données, les origines de différences (éventuelles) entre moyennes. En outre, ce test statistique tient compte du fait que les mesures sont répétées dans le temps sur chaque sujet.

Les différences significatives trouvées sont les suivantes :

• différences entre les traitements : l'analyse de variance sur données répétées permet d'affirmer, avec un risque de se tromper de au plus p = 0,0005, que les effets moyens des deux traitements diffèrent de façon significative. L'efficacité du protocole d'hygiène à base de bain de bouche à la chlorhexidine est donc statistiquement confirmée ;

• différences entre jour/traitement : ici aussi, ce facteur croisé est significatif, avec un risque de se tromper de p = 0,001. Cela signifie que les deux traitements n'ont pas les mêmes effets au cours du temps, comme l'étude des figures 6, 7 et 8 le laissait pressentir : les valeurs de contamination bactérienne relatives au traitement à base de bain de bouche diminuent alors que celles des témoins restent stationnaires ;

• différences entre bactéries : ce résultat statistique confirme, avec un risque de se tromper de p < 0,0001, que le nombre moyen des bactéries n'est pas le même entre les deux groupes. Cependant, comme il n'y a pas d'interaction bactérie/traitement (avec un risque de se tromper de p = 0,17), cela signifie que les deux groupes de patients sont semblables quant à la répartition des bactéries (il y a « parallélisme statistique des courbes d'interaction »). Autrement dit, les groupes étudiés sont proportionnellement semblables.

Au vu de ces résultats, on peut souligner que :

• chaque patient présente des valeurs de contamination bactérienne qui lui sont propres ;

• la mise en place de résine à prise retardée au sein d'une prothèse totale en résine entraîne une diminution globale autour de 16 % de la contamination bactérienne, plus ou moins marquée selon le patient ;

• pour les patients témoins, la résine à prise retardée et l'absence d'hygiène semblent constituer des conditions favorables à la prolifération bactérienne : alors que les Streptococcus restent stables, les Staphylococcus et le groupe « autres bactéries » voient leurs concentrations augmenter respectivement de 62,5 % et 26,4 % ;

• pour les patients utilisateurs de bain de bouche à base de chlorhexidine, cette technique d'hygiène permet de diminuer significativement la contamination bactérienne globale. La chlorhexidine induit une diminution régulière des Streptococcus (- 20 %), une diminution de 48 % du groupe « autres bactéries » et permet de maîtriser la prolifération bactérienne des Staphylococcus dont la valeur moyenne reste stable.

L'efficacité du protocole d'hygiène à base de bain de bouche à la chlorhexidine est statistiquement significative(tabl. VII) .

Limites de l'étude

Elles sont de deux ordres : celles liées aux patients et celles liées à la technique et à l'opérateur.

Liées aux patients

Le protocole de cette étude repose en grande partie sur les consignes d'entretien des prothèses données au patient. En effet, chaque patient devait respecter les règles d'hygiène (trempage des prothèses dans l'eau ou le bain de bouche) qui lui étaient indiquées. Ces patients, d'un certain âge pour la plupart, ont-ils réussi à modifier leurs habitudes d'hygiène initiales ? Ces consignes, parfois un peu contraignantes, ont-elles toujours été rigoureusement respectées ? Et ceci a-t-il été le cas tout au long de l'étude ? Le facteur patient joue donc un rôle important dans la qualité des prélèvements et des résultats obtenus.

Liées à la technique et à l'opérateur

La technique d'analyse des prélèvements est une technique manuelle qui comporte un certain degré d'imprécision. Ainsi de nombreuses bactéries, bien que viables dans le prélèvement, ne sont pas cultivables [17]. De façon théorique, la mise en culture est une technique exactement reproductible, mais le facteur humain lié à l'opérateur intervient dans la réalisation de ces gestes et, dès lors, l'exactitude dans la répétition du geste n'est pas garantie. De plus, l'interprétation de ces cultures bactériennes peut aussi poser problème : il s'agit de comptabiliser, une à une et à l'oeil nu, les différentes et parfois très nombreuses colonies. Ces colonies sont souvent de petites structures, difficiles à visualiser, et certaines peuvent échapper à l'attention de l'opérateur. Ceci introduit une imprécision relative dans le comptage des bactéries.

Conclusion

La santé buccodentaire faisant partie de la santé générale, il est naturel de l'intégrer dans une démarche qui vise non seulement à éviter l'apparition d'une pathologie, mais aussi à maintenir un état de bien-être nécessaire. Ainsi, lors d'une mise en condition tissulaire, les résines à prise retardée utilisées étant des matériaux fragiles et poreux et donc difficiles d'entretien, l'hygiène buccale est compromise. Une prolifération bactérienne importante finit par s'opposer aux objectifs de ce traitement. Cependant, comme le montre cette étude (étude stricte de la flore bactérienne, ce qui explique l'absence du Candida albicans), cette contamination iatrogène peut être maîtrisée, voire diminuée, par des mesures d'hygiène simples comme l'utilisation de bain de bouche à base de chlorhexidine. Un protocole d'hygiène dans lequel praticien et patient ont chacun des rôles bien définis peut alors être recommandé.

• Rôles du praticien :

- expliquer l'intérêt d'une hygiène buccale et prothétique rigoureuse pour la réussite du traitement et insister sur la nécessaire coopération du patient ;

- les résines à prise retardée sont des matériaux de transition ; il est donc souhaitable de limiter leur temps d'utilisation en bouche.

• Rôles du patient :

- après chaque repas : rincer soigneusement l'intrados prothétique garni de résine à prise retardée et brosser l'extrados et les dents prothétiques ;

- tous les soirs : retirer les prothèses et les faire tremper dans une solution de bain de bouche à base de chlorhexidine (1/3 de bain de bouche + 2/3 d'eau). La solution de trempage sera renouvelée tous les soirs. Le récipient devra être lavé tous les soirs.

Ce protocole d'hygiène adapté aux besoins spécifiques des patients en phase de remise en condition tissulaire permettra ainsi d'assurer la prévention des pathologies de la muqueuse buccale, tout en contribuant au bien-être des patients et à la réussite du traitement prothétique.

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