Traumatisme de l'incisive centrale maxillaire - Cahiers de Prothèse n° 137 du 01/03/2007
 

Les cahiers de prothèse n° 137 du 01/03/2007

 

Odontologie Restauratrice

Emmanuel Castany -*   Bruno Pelissier -**  


*Docteur en chirurgie dentaire, ancien assistant HU
**Docteur en chirurgie dentaire, MCU-PH

Résumé

À travers 4 cas cliniques de traumatismes d'incisive centrale maxillaire permanente (fracture simple, fracture compliquée, fractures avec exposition pulpaire), nous montrons que le fragment coronaire récupéré après un trauma, lorsqu'il est exploitable, peut être recollé et utilisé comme restauration coronaire.

Summary

Traumatism of the permanent central maxillary incisor: restoration by bonding the coronary fragment

Based on 4 clinical cases of traumatism of the permanent central maxillary incisor (simple fracture, complicated fracture, fractures with pulpal exposure), we show that the coronary fragment can be used for restoration purpose.

Key words

fracture, central incisor, bonding, tooth fragment.

Selon les études épidémiologiques, les fractures coronaires représentent les accidents les plus fréquents des incisives permanentes [1] (fig. 1). La fracture coronaire peut concerner plusieurs tissus : l'émail seulement, l'émail et la dentine ou l'émail, la dentine et la pulpe.

Le traitement a plusieurs objectifs : restaurer l'esthétique et la fonction et préserver au mieux l'intégrité de l'organe dentaire.

La reconstitution d'une dent fracturée est réalisée, en général, au moyen d'un composite collé en technique directe pour les fractures coronaires simples et les pertes de substance modérées. Cependant, si le fragment a été conservé et s'adapte parfaitement à la structure dentaire restante, son collage est envisageable [1, 2, 3, 4, 5, 6et 7]. Cette solution peut s'avérer, dans certains cas, une alternative aux autres options thérapeutiques.

Le but de cet article est de décrire, à partir de 4 cas cliniques, le protocole utilisé pour recoller un fragment à la dent traumatisée, en se limitant aux fractures coronaires. La prise en charge des fractures radiculaires, des subluxations, des expulsions dentaires et des fractures osseuses ne sont pas développées dans cet article.

Fracture coronaire amélo-dentinaire simple

Cas clinique n° 1

Un garçon de 9 ans s'est présenté au cabinet dentaire après un accident dans la cour de l'école, l'incisive centrale maxillaire gauche était fracturée (fig. 2). Le fragment dentaire coronaire récupéré dans son intégralité (fig. 3) s'adaptait parfaitement (fig. 4). Il a donc pu être utilisé comme restauration [1,2]

Après un traumatisme, lorsqu'un morceau de dent fracturée est retrouvé, il est préférable de le conserver dans du lait ou du sérum physiologique pour empêcher sa déshydratation [1,4]. En choisissant de recoller le fragment, l'option thérapeutique consistant à restaurer la dent par stratification d'un matériau composite peut être contournée. En effet, cette technique est souvent difficile à réaliser et le résultat esthétique n'est pas toujours prévisible.

Protocole opératoire

1. Examen et diagnostic : l'examen intrabuccal a révélé une fracture oblique de la couronne dentaire (fig. 3). La palpation, les tests de percussion et les clichés radiographiques n'ont pas mis en évidence de lésion osseuse, ni de mobilité dentaire. Les tests de vitalité pulpaire électriques sur cette dent et sur les dents adjacentes et antagonistes se sont révélés positifs.

2. Actes préopératoires : une anesthésie locale a été réalisée et un champ opératoire a été posé, permettant au praticien de travailler avec plus de confort et d'optimiser la technique de collage.

3. Contrôle de l'adaptation du fragment dentaire : les défauts amélaires et tous les paramètres favorables à une bonne coaptation ont été repérés. La position et l'orientation du fragment pour son collage ont été confirmées.

4. Nettoyage de la surface dentinaire exposée : avec de l'hypochlorite ou une solution de chlorhexidine (Cavity Cleanser, Bisico) [1].

5. Préparation du fragment dentaire : nettoyage et désinfection ; mordançage ; mise en place d'un système adhésif.

6. Préparation de la dent traumatisée : l'agent de mordançage et l'adhésif ont été appliqués sur la zone fracturée en suivant les recommandations du fabricant du matériau utilisé (Excite DSC®, Ivoclar-Vivadent).

7. Application de la résine de collage : en fine couche, sur le fragment et sur la dent. Un composite de collage (Variolink II®, Ivoclar-Vivadent) de consistance fluide et de teinte adéquate a été utilisé.

8. Collage du fragment : coaptation des 2 surfaces enduites de résine composite ; contrôle du fragment qui doit se repositionner naturellement dans le sens mésio-distal et vestibulo-lingual ; maintien du fragment en veillant à ne pas le déplacer coronairement ; élimination des excès de résine au pinceau pour combler les défauts amélaires ; photopolymérisation de l'ensemble in situ sur les faces palatine et vestibulaire [1].

9. Réalisation d'une cannelure le long du trait de fracture en vestibulaire et palatin, de profondeur inférieure à 1 mm au moyen d'une petite fraise-boule diamantée [1,4].

10. Comblement de la cannelure au composite : après le mordançage et l'application de l'adhésif avec un composite de teinte adaptée. Ce bandeau périphérique de composite collé assure un joint intra-amélaire entre la dent et le fragment. Il contribue à l'intégration esthétique du fragment, en masquant le trait de fracture (fig. 5). Il améliore aussi la pérennité de la restauration [1,4].

11. Mise en forme et polissage : avec des fraises de finition multi-lames en carbure de tungstène ou diamantées à grains fins, puis très fins et des pointes silicones de granulométrie décroissante.

Cette restauration respecte précisément la morphologie de l'organe dentaire. Son intégration esthétique est excellente (fig. 6).

Fracture coronaire complexe

Cas clinique n° 2

Suite à un accident de voiture, le patient de 35 ans présentait une fracture de l'incisive intéressant l'émail et la dentine. Elle a entraîné une perte considérable de tissus coronaires (fig. 7 et 8). La pulpe n'était pas exposée et les tests de vitalité pulpaires étaient positifs. Le trait de fracture n'étant pas trop proche du tissu pulpaire, il a été décidé de conserver la vitalité pulpaire. La formation d'une couche hybride grâce à un adhésif amélo-dentinaire a été effectuée d'emblée [9]. Le fragment coronaire récupéré après le choc se repositionnait sans difficulté sur les structures dentaires persistantes (fig. 9). Toutefois, il ne permettait pas de restaurer l'intégralité de la couronne dentaire. S'agissant d'une fracture complexe (plusieurs traits de fracture), la totalité des fragments n'a pas été retrouvée. Une reconstitution collée en composite qui intègre le fragment principal a été décidée. Le contrôle de la salive, par l'utilisation du champ opératoire, est essentiel ainsi que l'observation étape par étape du protocole opératoire. Une technique opératoire identique à celle décrite pour le premier cas clinique a été employée, en ajoutant la réalisation d'un composite dans la partie non restaurée par le fragment (fig. 10 et 11). Le contrôle clinique effectué après 4 ans s'est révélé satisfaisant (fig. 12 et 13).

Dans certaines situations cliniques, une partie du fragment peut manquer, mais si le fragment se repositionne parfaitement, cette technique peut être réalisée [1,4].

Fracture coronaire avec exposition pulpaire

Dans le cas d'une exposition pulpaire, le traitement envisagé peut permettre le maintien de la vitalité pulpaire et la restauration de la couronne. Si le fragment coronaire est conservé, le même protocole opératoire peut être utilisé en lui ajoutant d'autres étapes. En fonction de la taille de l'exposition, du stade d'évolution radiculaire et du temps écoulé depuis le traumatisme, on peut réaliser avant la mise en place d'un matériau de coiffage pulpaire une simple désinfection ou une pulpotomie partielle [1,5].

Cas clinique n° 3

Un lycéen de 16 ans, victime d'un accident de sport, est venu consulter en urgence. L'examen intrabuccal et la radiographie ont mis en évidence une exposition pulpaire (fig. 14 et 15) et une large fracture amélo-dentinaire en biseau, à limite supragingivale en vestibulaire et infragingivale du côté palatin. Une anesthésie locale a été pratiquée. Dans un premier temps, le tissu pulpaire exposé a été éliminé à grande vitesse, sous irrigation, sur une épaisseur de 1 à 2 mm, à l'aide d'une fraise diamantée neuve et stérile [1,5]. Cet acte a permis de supprimer la couche superficielle de la pulpe, la plus susceptible d'avoir été contaminée par des bactéries. La plaie a été nettoyée au sérum physiologique [1], et le saignement contrôlé à l'aide de peroxyde d'hydrogène à 3 % [5]. Un coiffage pulpaire direct a été réalisé à l'hydroxyde de calcium pur [11,12].

Pour ce cas clinique, l'exposition pulpaire était récente, chez un patient jeune. Il a donc été décidé d'exploiter le potentiel de réparation de la pulpe et de tenter de conserver sa vitalité, même si un traitement endodontique pouvait se révéler sans risque dans un contexte d'édification apicale terminée. Le fragment coronaire retrouvé a été recollé dans la séance (fig. 16 et 17), après gingivectomie du côté palatin et contrôle du saignement (fig. 18).

Comme décrit précédemment, une cannelure a été réalisée avec une petite fraise-boule diamantée le long du trait de collage, comblée ensuite au composite. La finition et le polissage ont été effectués. Le fragment collé a ainsi assuré une protection efficace de l'organe pulpaire et rétabli la fonction et l'esthétique de l'incisive traumatisée (fig. 19 et 20).

Cas clinique n° 4

Une patiente de 50 ans présentait une incisive centrale maxillaire fracturée, des lésions et un oedème de la lèvre supérieure (fig. 21), après un accident de randonnée en montagne 2 jours plus tôt. L'examen clinique a révélé une fracture oblique de la couronne dentaire traversant la chambre pulpaire.

Un fragment dentaire qui avait été récupéré s'adaptait parfaitement. En raison de l'importance de la plaie pulpaire, de l'âge de la patiente et du temps écoulé depuis le traumatisme, le traitement endodontique s'est imposé. Après anesthésie et pose du champ opératoire, la préparation et l'obturation endodontique ont été réalisées (fig. 22 et 23).

À ce stade, le délabrement de la dent et la résistance des structures coronaires restantes ont été évalués (fig. 24). Il a été décidé d'utiliser le fragment comme restauration.

Après le nettoyage des résidus de matériaux d'obturation endodontique, la cavité d'accès a été obturée au composite (Tetric Ceram®, Ivoclar-Vivadent), sans excès, pour pouvoir repositionner le fragment parfaitement. Le collage du fragment a été réalisé selon le protocole décrit précédemment (fig. 25).

Cette restauration, datant de 5 ans, est discutable certes, et il n'est pas envisageable de systématiser ce mode de reconstruction.

L'utilisation du fragment comme restauration immédiate a été décidée, pour retarder l'échéance prothétique, en laissant la possibilité de ré-intervenir. En effet, nous partageons l'idée que la fragilisation de la dent dépulpée n'est pas liée à la perte de vitalité, mais plutôt à l'importance de son délabrement et aux effets pathogènes de la restauration [13, 14, 15, 16et 17].

Lorsque la destruction coronaire est importante, la réalisation d'un ancrage radiculaire et d'une couronne prothétique est recommandée [18,19]. Le tenon a pour rôle d'assurer la rétention de la restauration [20]. Il est souvent nécessaire, mais ne renforce pas la racine dentaire, et peut au contraire l'affaiblir par les contraintes qu'il génère [20, 21et 22].

Après avoir évalué la résistance des structures restantes et l'étendue de la surface de collage (fig. 24), une technique de restauration conservatrice et peu traumatisante pour la dent a été retenue [23]. Toutefois, son pronostic n'est pas connu ; cette restauration doit être considérée comme un traitement de temporisation prothétique.

Discussion

Protocole de collage du fragment

Certains auteurs [5] utilisent un protocole de collage du fragment sensiblement différent. Avant le collage, un biseau amélaire est réalisé sur le fragment et sur la dent traumatisée. Une matrice de type Tofflemire est placée autour de la dent. Après mordançage, mise en place d'un adhésif et d'une résine composite sur la dent et sur le fragment, l'adaptation du fragment s'effectue par le serrage de la matrice. Une fois la polymérisation terminée, la matrice est retirée avant le polissage et la mise en forme. Pour coller le fragment, certains auteurs [1,4] emploient un composite fluide.

Nous préférons ne pas biseauter au préalable le fragment et la dent, pour retrouver plus facilement la position exacte du fragment. La cannelure, réalisée dans un second temps, remplace les biseaux ; elle permet de renforcer le collage et de masquer la délimitation nette entre la dent et le fragment témoin de la fracture [1,4].

Suivi des patients

Un examen est effectué à 1 semaine, 1 mois, 3 mois, puis tous les 6 mois pour contrôler le confort des patients, vérifier la vitalité pulpaire et évaluer l'esthétique [5].

Pronostic

• Le composite au niveau du trait de fracture peut se colorer en fonction de l'hygiène buccale et des habitudes alimentaires (nicotine, caféine, théine...) [1].

• Le fragment collé peut se décolorer par déshydratation de la dentine sous-jacente [1].

• Le fragment peut se décoller en cas de nouveau choc ou en présence d'un défaut d'étanchéité survenu lors du protocole de collage.

• Le risque de nécrose pulpaire est lié principalement au traumatisme des tissus parodontaux associés et à la proximité entre le trait de fracture et la pulpe [24].

Conclusion

Les techniques de restauration coronaire par collage du fragment fracturé ont été développées dès les années 80, avec l'apparition des systèmes d'adhésion amélo-dentinaire [1,8]. En effet, la performance des adhésifs [9] a permis de considérer ce type de restauration comme une option thérapeutique fiable et pérenne sur les plans fonctionnel et biologique [1,7], grâce à une bonne protection de l'organe dentino-pulpaire.

L'utilisation du fragment comme matériau de restauration coronaire donne d'excellents résultats esthétiques en évitant les difficultés de reconstruction de l'anatomie dentaire par la technique de stratification de composite.

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