La prothèse vélaire - Cahiers de Prothèse n° 139 du 01/09/2007
 

Les cahiers de prothèse n° 139 du 01/09/2007

 

Prothèse maxillo-faciale

El Miloud Rahmani -*   Faiza Benfdil**   Abdekrim Aguenaou ***   Ahmed Abdedine ****  


* Professeur assistant en prothèse adjointe
** Professeur assistante en prothèse adjointe
*** Professeur agrégé en prothèse maxillo-faciale
**** Professeur de l'enseignement supérieur en prothèse adjointe, chef du service de prothèse adjointe

Résumé

Le traitement prothétique des fentes vélaires est devenu exceptionnel et s'efforce de répondre à des exigences anatomiques et fonctionnelles souvent difficilement conciliables. La prothèse vélaire est en effet indiquée chaque fois que les possibilités chirurgicales sont exclues ; elle permet de rétablir une bonne compétence vélo-pharyngée lors de la déglutition et de la phonation, tout en maintenant une perméabilité aérienne respiratoire normale. Les auteurs, à partir d'un cas clinique, illustrent les différentes étapes de réalisation d'un obturateur vélo-palatin de Suersen. Ils mettent l'accent sur l'importance d'une prise en charge multidisciplinaire des patients nécessitant de telles prothèses.

Summary

Velar prosthesis

The prosthetic treatment of the velar slits became exceptional and endeavours to answer anatomical and functional requirements often not easily reconcilable. The velar prosthesis is indicated each time the surgical possibilities are excluded. It makes good competence to velum and pharynx in deglutition and phonetic with normal breathing. The authors illustrate, through a clinical case, the various steps of the prosthodontic rehabilitation by Suersen's velar obturator. Patients with velar prosthesis need multidisciplinary treatment.

Key words

obturator prosthesis, phonetic, velar-palatine prosthesis, velar prosthesis.

Les fentes labiales et les divisions palatines sont les anomalies les plus fréquentes des malformations faciales. Bien qu'elles représentent deux entités différentes en raison du site et de la chronologie de l'embryologie faciale, leur association n'en demeure pas moins fréquente, quoique non systématique.

La prothèse est utilisée pour remédier aux troubles fonctionnels (phonation, déglutition...) engendrés par les divisions palatines et vélaires et ce, depuis la plus haute antiquité. De nos jours, pour éviter au patient le port d'un obturateur ou d'une prothèse obturatrice, la majorité des divisions vélo-palatines et vélaires doivent bénéficier d'une prise en charge pluridisciplinaire associant le pédiatre, le chirurgien, l'orthodontiste, le psychologue, le prothésiste maxillo-facial et l'orthophoniste (fig. 1). Cependant, dans quelques cas la prothèse reste inévitable pour optimiser le résultat fonctionnel.

Le traitement prothétique ultime des fentes faciales s'efforce de répondre, à divers degrés, à des exigences anatomiques, fonctionnelles et esthétiques souvent difficilement conciliables. Ce travail expose les différentes étapes d'élaboration d'un obturateur vélo-palatin chez une jeune femme présentant une division vélo-palatine qui n'a pu être traitée par chirurgie.

Rappel anatomo-physiologique du voile du palais

Le voile du palais ou palais mou est une cloison musculo-membraneuse mobile et contractile, surplombant la base de la langue et séparant le rhinopharynx de l'oropharynx. Il est composé d'une aponévrose palatine rattachée au bord postérieur de la voûte du palais et d'un ensemble de 5 muscles symétriques :

- le péristaphylin interne ou levator veli ;

- le péristaphylin externe ou tensor veli ;

- le pharyngostaphylin ou palato-pharyngeus ;

- le glossostaphylin ou palato-glossus ;

- le palatostaphylin ou uvulue ou azygos de la luette unique et impaire [1].

Sa situation particulière et son anatomie font du voile un organe physiologiquement très complexe. Il participe en effet à des fonctions aussi diverses que la phonation, l'audition, la déglutition, la respiration ou encore la succion, la nausée et le bâillement, fonctions pour lesquelles son rôle et son comportement sont différents.

Le rôle essentiel du voile est le cloisonnement du rhinopharynx lors de la déglutition, le choix du résonateur lors de la phonation et l'équilibration des pressions entre le cavum et l'oreille moyenne (trompe d'Eustache).

Étiopathogénie des fentes vélo-palatines

Une fente faciale congénitale résulte toujours d'un défaut d'accolement des bourgeons embryonnaires, sans que, actuellement encore, il soit possible d'en déterminer la cause exacte : atteinte primitive des cellules inductrices des crêtes neurales, troubles de la migration cellulaire, anomalie physico-chimique, obstacle mécanique, défaut de la pénétration mésenchymateuse par non-mort cellulaire ou atteinte génétique ; autant d'éléments encore obscurs qui sont regroupés sous le terme pudique de « polyfactoriels » [2].

Conséquences d'une fente vélaire

La présence d'une fente vélaire congénitale ou acquise ou une insuffisance vélo-palatine peuvent entraîner des troubles fonctionnels divers :

• sur le plan alimentaire, on constate un reflux nasal, surtout pour les aliments liquides et semi-liquides ;

• sur le plan phonétique, un voile divisé, trop court ou inerte permet une fuite d'air par manque d'obturation de la cavité pharyngée vers les cavités nasales. On se retrouve avec des modifications du timbre, dues à un excès de résonance nasale [3]. Le sujet atteint de fente vélaire est incapable d'articuler les occlusives « P », « B », « T » en raison de la fuite nasale. Pour la même raison, ce sujet ne peut pas prononcer les phonèmes à articulation constrictive « S », « Z », qui nécessitent une certaine pression de l'air en arrière du point d'articulation.

Toutes les voyelles qui doivent être prononcées voile fermé sont « nasalisées » (fig. 2a et 2b) [4].

Toutefois, l'expérience montre que l'importance du pertuis ou de l'insuffisance du voile n'est pas directement proportionnelle aux troubles alimentaires et phonétiques ;

• sur le plan auditif, une baisse auditive même minime peut majorer les troubles du langage oral pouvant déjà exister. Les enfants porteurs de fentes sont très souvent sujets aux otites.

Classification des malformations du voile

Parmi les classifications, on distingue celle de Veau qui comporte 4 classes :

1. division simple du voile ;

2. division du voile et de la voûte ;

3. division du voile et de la voûte associée à une division labio-alvéolaire ;

4. division associée à une fente labio-alvéolaire bilatérale totale [5] (fig. 3a).

La classification qui s'adapte le mieux aux problèmes prothétiques est celle de Benoist qui classe les malformations du voile en :

- classe I : voile divisé, mais tonique ;

- classe II : voile suturé trop court, mais contractile ;

- classe III : voile inerte (scléreux, paralysé ou absent) [5].

Chacune de ces classes peut se subdiviser en 4 sous-classes, suivant qu'elles sont associées à :

- une division palatine ;

- une malposition incisive ;

- un édentement partiel ;

- un édentement complet (fig. 3b).

Dans cette classification, il n'est pas tenu compte de l'uni- ou bilatéralité de la fente qui en matière de prothèse n'a pas une grande incidence. En revanche, la contractibilité, le tonus et la longueur des moignons du voile guident le choix du type d'obturateur [6].

Objectifs de la prothèse vélo-palatine

La prothèse vélo-palatine a pour but de corriger les déficiences du palais et du voile. Actuellement, ces déficiences du voile sont beaucoup moins fréquentes grâce aux progrès de la chirurgie reconstructrice [3]. Les staphylorraphies, les pharyngoplasties et les interventions plastiques de la voûte et des lèvres donnent de très bons résultats avec une amélioration considérable de la phonation et de la déglutition. Cela réduit donc les indications de la prothèse vélo-palatine. Le rôle de cette dernière est donc de pallier les séquelles de la chirurgie et/ou d'appareiller les fentes faciales négligées [6,7]. Elle peut par la suite résoudre la symptomatologie fonctionnelle inhérente à cette défaillance et, par conséquent, rétablir les fonctions gravement perturbées.

Obturateurs vélo-palatins

La confection de la prothèse obturatrice vient en dernière étape après avoir éliminé les possibilités chirurgicales. Lorsque la chirurgie est impossible, la réalisation de la prothèse vélaire s'impose. Elle peut être précédée d'une préparation tissulaire préprothétique pour favoriser son intégration.

Généralement, la pièce prothétique comporte 2 éléments :

- la plaque palatine ;

- la pelote ou pièce obturatrice vélaire.

Plaque palatine

C'est la base de la prothèse obturatrice qui doit satisfaire aux principes de l'équilibre prothétique, à savoir : stabilisation, sustentation et rétention. La plaque peut être réalisée soit en alliage coulé cobalt-chrome soit en titane, ce qui implique la présence de dents en nombre suffisant et aussi la présence d'une voûte palatine régulière ; sinon, une plaque palatine en résine acrylique thermopolymérisable est indiquée pour rétablir une voûte harmonieuse et obturer une division résiduelle [6].

Cette plaque palatine qui devra supporter la pelote doit être portée et testée par le patient plusieurs jours avant l'adjonction de la pièce obturatrice vélaire.

Pelote ou pièce obturatrice

C'est le deuxième élément de la prothèse vélo-palatine : il joue le rôle d'obturateur entre les 2 étages (rhino-pharynx et oropharynx). Les limites des bords de cet obturateur sont obtenues par une empreinte fonctionnelle et dynamique du « sphincter pharyngien », constitué en cas de voile divisé tonique latéralement par les pharyngo-staphylins et en arrière par le bourrelet de Passavant (repli horizontal sur la paroi postérieure du pharynx formé par l'hypertrophie du muscle constricteur supérieur du pharynx). Les contractions musculaires des moignons du voile divisé ou de la totalité du voile court doivent être exploitées au maximum. Les muscles contractés laissent libre une lumière qui est à l'origine de la fuite nasale.

L'obturateur doit être parfaitement adapté aux contours de celle-ci quand les muscles résiduels sont en état de contraction [6].

Différents types d'obturateurs vélaires

Il existe plusieurs types d'obturateurs en fonction du type de lésion.

Obturateur de Suersen

L'obturateur de Suersen est indiqué en cas de voile divisé tonique (classe I de Benoist). Placé au centre du « sphincter pharyngien », cet obturateur occupe seulement la lumière laissée par les muscles contractés au maximum. Ses faces latérales doivent être suffisamment larges pour que les masses musculaires puissent s'y appliquer sur une grande surface et assurer ainsi une bonne étanchéité. Cette pelote doit être soigneusement polie pour faciliter le glissement de la muqueuse [6].

Obturateur de Schiltsky

Pour un voile court et contractile (classe II de Benoist), la pelote obturatrice est placée entre la face postéro-supérieure du voile et la paroi postérieure du pharynx. Elle est maintenue dans cette position par un tuteur métallique fixé à la plaque palatine (fig. 4).

Autres obturateurs en cas de voile inerte ou absent (classe III de Benoist)

Pour ce type de lésion, la partie obturatrice peut remonter verticalement dans le cavum au niveau des choanes (obturateur de Fröschel et Schalit). Elle doit être perforée d'un ou de plusieurs orifices pour permettre une respiration nasale et éviter une phonation en rhinolalie fermée (fig. 5).

L'autre alternative est un obturateur horizontal ressemblant à celui de Suersen en plus large et plus volumineux si le voile est absent ou un obturateur de type Mazaheri si le voile est inerte ou paralysé : une pelote fixée sur une tige flexible repousse alors le voile en haut et en arrière (fig. 6).

Indications

L'indication de tel ou tel type d'obturateur est posée selon la nature du voile. En effet :

- l'obturateur de Suersen est indiqué en cas de voile divisé tonique ;

- l'obturateur de Schiltsky est utilisé quand le voile est court et contractile ;

- l'obturateur de Fröschel et Schalit et celui de Mazaheri sont indiqués en cas de voile inerte (fig. 7).

Présentation d'un cas clinique

Situation initiale et plan de traitement

La patiente a été adressée par son chirurgien maxillo-facial pour l'appareillage d'une fente vélo-palatine. L'entretien médical a révélé des antécédents chirurgicaux depuis le plus jeune âge. Le problème esthétique de la fente labiale a été solutionné, mais la division vélo-palatine persiste : habitant une ville très éloignée de l'équipe soignante, la patiente n'a pas pu suivre toutes les étapes que nécessitait son traitement.

Au cours de cette séance, des troubles phonétiques très importants rendant la patiente difficilement compréhensible ont été observés.

L'examen exobuccal a montré un soutien labial insuffisant. Il n'y avait ni problème musculaire, ni problème articulaire.

L'examen endobuccal présentait :

- un édentement complet maxillaire ;

- une division vélo-palatine importante avec des zones de contre-dépouille exploitables pour la rétention prothétique et qui correspond à la classe II de Veau et à la classe I divisions a et d de Benoist, le voile étant divisé, mais contractile (fig. 8, 9 et 10) ;

- une fibromuqueuse ferme et adhérente à l'os sous-jacent ;

- des crêtes de volume favorable à la réhabilitation prothétique ;

- un édentement encastré bilatéral (classe III division I) à la mandibule. En outre, les courbes occlusales sont correctes.

La solution thérapeutique choisie comportait :

- une prothèse amovible partielle métallique à la mandibule ;

- une prothèse amovible complète sans pelote vélaire au maxillaire, dans un premier temps, respectant à la fois les règles de la prothèse unimaxillaire et celles de la prothèse obturatrice ;

- un obturateur vélaire type obturateur de Suersen (voile divisé, mais contractile) dans un second temps, après vérification de la stabilité et de la rétention de la prothèse.

Étapes de réalisation

Après élaboration de la prothèse amovible complète maxillaire, puis vérification de la stabilité de sa rétention et de son équilibre occlusal après 2 semaines de port, les étapes de réalisation de l'obturateur de Suersen se sont déroulées comme suit :

• solidarisation d'un fil métallique à la prothèse au niveau postérieur par de la résine chémopolymérisable et réalisation de boucles pour servir de tuteur au matériau d'empreinte (fig. 11). Ce fil torsadé a alors été essayé en bouche pour vérifier qu'il n'interférait pas avec les moignons du voile et le bourrelet de Passavant au repos, lors de la prononciation du « A » et lors de la déglutition (lorsque les muscles du voile étaient en contraction) (fig. 12) ;

• enregistrement à la pâte de Kerr, soutenue par le tuteur métallique, de l'espace fonctionnel formé par le bourrelet de Passavant et les moignons du voile en contraction lors de la prononciation de « A », « O » et de la déglutition. Au cours de chaque essai, il est important de faire effectuer des mouvements de flexion de la tête en avant et latéralement ainsi que des mouvements de rotation, pour prévenir toute gêne ultérieure (fig. 13) ;

• surfaçage de la pâte de Kerr par du silicone fluide, dans les mêmes conditions, pour parfaire l'enregistrement de l'action des muscles du voile et du bourrelet de Passavant en fonction (fig. 14 et 15) ;

• mise en moufle et polymérisation (fig. 16a à c) ;

• pose de la prothèse en s'assurant de l'absence de compression au niveau de l'obturateur vélaire et de son parfait polissage pour éviter des ulcérations ultérieures sur la muqueuse du voile assez fragile. Pour vérifier l'étanchéité de l'obturateur, on a demandé à la patiente de prononcer des phonèmes occlusifs (Pa, Ka, Ta...). Un miroir placé devant les orifices narinaires a permis d'apprécier, par l'étendue de la tache de buée qui s'y déposait, s'il existait encore une déperdition nasale et l'importance de celle-ci lors de la prononciation des occlusives. Le contrôle s'est achevé en demandant à la patiente de boire de l'eau pour vérifier l'absence de reflux vers les fosses nasales. On a retouché l'obturateur jusqu'à l'obtention d'un résultat acceptable (fig. 17 et 18) ;

• contrôle.

Rééducation chez l'orthophoniste [8]

Après la réhabilitation prothétique, la phonation de la patiente s'est nettement améliorée. Mais les réflexes acquis depuis son enfance ont persisté, empêchant la bonne prononciation de certains phonèmes et surtout des constrictives (S, Ch, J). Elle a alors suivi pendant 2 mois une rééducation orthophonique, qui a amélioré, d'une façon spectaculaire, ses possibilités phonétiques.

Résultats

Ces résultats mettent en évidence l'importance d'une prise en charge multidisciplinaire de ces patients. Le résultat esthétique obtenu, associé au rétablissement d'une prononciation normale, a bouleversé la vie de cette patiente qui a commencé à se sentir « normale », avec pour corollaires une confiance en soi restaurée, des projets d'avenir et une meilleure intégration sociale.

Conclusion

La réalisation d'une prothèse vélo-palatine est un acte simple quand on connaît l'objectif qui est l'obturation du sphincter pharyngien en fonction (lors de la déglutition et de la prononciation du « A »). La satisfaction qu'elle procure est très importante au vu des améliorations esthétiques, phonétiques, sociales et psychiques qu'elle permet d'atteindre. Ceci impose, néanmoins, une prise en charge de ces patients au sein d'une équipe multidisciplinaire.

bibliographie

  • 1 Delaire J.Anatomie et physiologie vélopharyngée : incidences sur la croissance mandibulaire-déduction thérapeutique. Act Odonto-Stomatol 1988;162:283-308.
  • 2 Mercier J, Rineau G.Traitement des fentes congénitales labio-alvéolo-palatines. Encycl Med Chir 1997:22-066-B-10.
  • 3 Benoist M, Leydier M.-C.Le mécanisme de la phonation, ses altérations dans les pertes de substances vélo-palatines. Act Odonto-Stomatol 1983;143:439-453.
  • 4 Lachar J, Henin N, Blan JL, Lagier JP, Cheynet F.Vélopharyngoplasties : technique de Rosenthal-Delaire, indications orthophoniques. Act Odonto-Stomatol 1988;162:315-328.
  • 5 Benoist M.Réhabilitation et prothèse maxillo-faciales. Paris : Éditions Julien Prélat, 1978.
  • 6 Leydier J.Obturateurs vélopalatins. Act Odonto-Stomatol 1988;162:397-405.
  • 7 Souyris F.Affections vélopalatines. Encycl Med Chir 1999:22-056-A-30.
  • 8 Nedelec M, Vanpeteghem I.Guidance parentale et suivi orthognatique chez des enfants porteurs de fentes vélaires et labio-palatines. Act Odonto-Stomatol 1988;162:365-377.