Rideau... - Cahiers de Prothèse n° 139 du 01/09/2007
 

Les cahiers de prothèse n° 139 du 01/09/2007

 

ÉDITORIAL

jean schittly  

rédacteur en chef adjoint

Près de 40 années au service de la cause hospitalo-universitaire... Le temps est venu de passer le témoin à la jeune génération d'enseignants. Selon la formule consacrée, je vais prendre une retraite bien méritée.

Tout en étant conscient que mes homologues retraités, récents ou plus anciens, n'ont pas perçu de la même façon leurs 4 décennies de fonctions hospitalo-universitaires, cela me paraît intéressant de profiter d'un éditorial des CdP pour communiquer mes...


Près de 40 années au service de la cause hospitalo-universitaire... Le temps est venu de passer le témoin à la jeune génération d'enseignants. Selon la formule consacrée, je vais prendre une retraite bien méritée.

Tout en étant conscient que mes homologues retraités, récents ou plus anciens, n'ont pas perçu de la même façon leurs 4 décennies de fonctions hospitalo-universitaires, cela me paraît intéressant de profiter d'un éditorial des CdP pour communiquer mes impressions, voire mes convictions dans les domaines les plus variés :

• ma vie dans la communauté odontologique : elle peut être qualifiée de « normale », avec des moments de franche amitié, de respect mutuel, mais aussi de jalousie, d'hostilité et l'impression parfois d'avoir passé trop de temps à résoudre des problèmes relationnels aux dépens du temps consacré aux étudiants et aux patients ;

• la formation des étudiants : c'est à l'évidence une des missions importantes qui ont toujours été au coeur de mes préoccupations. Le bilan que je peux dresser mêle optimisme et pessimisme. Ayant vu se bâtir et s'appliquer plusieurs réformes des programmes d'enseignement, j'ai pu constater un développement exponentiel du nombre de matières à enseigner avec une répartition verticale de façon logique intellectuellement, mais sans tenir compte du moment où l'efficacité pédagogique est optimale. Ainsi, il ne m'apparaît pas raisonnable de se donner bonne conscience parce qu'un étudiant a réussi, à l'issue de chacune des 2 premières années, à obtenir plus de 10/20 de moyenne à plus de 20 épreuves écrites passées en quelques jours. Que reste-t-il de ces connaissances acquises dans le seul but de passer l'obstacle ? Tous les pédagogues s'accordent pour dire que l'on apprend bien que lorsqu'on perçoit le besoin d'apprendre et que l'on comprend l'intérêt de posséder telles ou telles connaissances. C'est ce qui m'a souvent conduit à remarquer que nombre de matières dites fondamentales étaient diffusées trop tôt dans le cursus, en l'absence de toute relation avec la pratique de l'odontologiste. Ce serait déraisonnable d'imposer 2 ans de solfège à un futur musicien sans lui permettre de toucher à l'instrument qu'il a choisi. Ainsi, dans le cadre d'une pratique non autonome en 4e et 5e années, avec un encadrement rigoureux, il n'y a aucun inconvénient à effectuer des actes cliniques en l'absence de connaissances exhaustives. Une erreur de prescription, d'interprétation d'imagerie, voire de diagnostic n'a aucune incidence pour le patient dans ce cadre, car corrigées en amont. En revanche, des fautes techniques, pour des actes invasifs, peuvent être dramatiques : effraction pulpaire, perforations radiculaires..., ce qui implique, pour les éviter, un réel apprentissage dans les années précliniques qui devrait conduire à porter l'accent sur des enseignements théoriques et pratiques sur 3 domaines clés :

- la parfaite connaissance de l'anatomie, tête et cou et aussi dentaire, pulpaire, parodontale et de la biomécanique de l'occlusion ;

- la maîtrise gestuelle pour toute l'instrumentation courante de l'odontologie ;

- la connaissance des biomatériaux et de leurs exigences d'utilisation.

La vision pessimiste dans ce domaine, c'est que cette façon d'aborder la formation initiale est inapplicable dans le cadre de l'organisation actuelle et à venir des études sous forme de modules semestriels avec passerelles obligées vers d'autres disciplines universitaires et de l'incidence des obligations européennes.

Le côté optimiste vient d'une constatation sur 4 décennies : la qualité d'un praticien après quelques années d'exercice n'est pas proportionnelle à la quantité et à la qualité des enseignements qui lui ont été délivrés. Celui qui voudra s'imposer une pratique d'excellence saura très vite combler ses lacunes ; dans le cas contraire, il oubliera progressivement la majeure partie de ses acquis d'étudiant.

La principale ambiguïté des études odontologiques vient du fait que l'on veut les assimiler à toute autre discipline universitaire en occultant le côté formation professionnelle. Or, l'approche des thérapeutiques touchant la sphère oro-faciale est particulièrement exigeante et difficile, car elle sollicite un grand nombre de qualités pour couvrir le domaine médical, les stratégies de traitements, souvent multidisciplinaires, et le domaine technique en constante évolution. J'ai pu constater au fil des années que l'enseignement de masse tel qu'il est pratiqué ne peut répondre que partiellement à ces objectifs. Les cours magistraux, face à un absentéisme chronique, le nombre réduit de travaux pratiques et surtout de travaux dirigés par petits groupes, faute d'enseignants et de moyens en sont la cause principale.

Le seul mode de formation qui puisse donner satisfaction est celui qui a fait ses preuves depuis des siècles pour les Compagnons : un maître prend en charge quelques élèves, apprend à les connaître et, en fonction de leur personnalité, leur communique, par l'exemple, son expérience. Cette situation existe dans pratiquement toutes les facultés d'odontologie, mais fait appel au volontariat et ne touche ainsi qu'une faible population d'étudiants et... d'enseignants ;

• la formation postuniversitaire : c'est la marmite dans laquelle je suis tombé lorsque j'étais tout jeune enseignant et la potion magique qui en est sortie m'a permis en tant qu'auditeur, puis acteur de participer à l'action de prévention la plus indispensable et la plus efficace en odontologie. Au vu du nombre important d'actes appelés, déontologiquement, iatrogènes, j'ai compris dès cette époque que pour l'intérêt des patients et de la santé publique, l'amélioration de la qualité des soins constituait le moyen de prévention prioritaire.

Je tiens à remercier tous les amis qui m'ont fait confiance et élu ou nommé à des postes de responsabilité pour la gestion de nombreuses sociétés, collèges ou conseils scientifiques. Ma présence à 30 Journées consécutives du Collège national des enseignants de prothèse et autant au congrès de l'ADF témoigne de ma motivation ;

• la relève par des jeunes enseignants : elle est de plus en plus difficile, car le parcours est long, difficile et incertain. C'est à l'évidence une gageure de vouloir trouver chez un même candidat des qualités de chercheur, de clinicien et de pédagogue.

Le conseil que je peux leur donner pour qu'ils s'épanouissent dans cette profession, c'est d'exploiter au maximum le domaine dans lequel ils excellent en s'efforçant de confondre le plus possible obligation de service et passion de loisir ;

• les anciens élèves : j'en ai vu passer plus de 1 500... Je tiens à les remercier de m'avoir procuré tant de bons moments à les former, à les encadrer, à les voir progresser. J'espère, comme c'est souvent le cas, les rencontrer encore longtemps lors des cours de formation continue et bien entendu de les compter parmi les lecteurs des Cahiers de prothèse.

Ce virage dans ma vie, que je m'efforce de bien négocier, va déboucher sur plus de temps pour les loisirs, le sport, la famille, mais aussi sur la poursuite de cet exercice libéral qui a toujours été mon moteur et ma passion, sans oublier bien entendu les moments privilégiés passés à préparer votre revue préférée.