PLAN DE TRAITEMENT
Corinne Taddéi* Olivier Etienne**
*PU-PH
**MCU-PH
***Département de prothèse Faculté d’odontologie de Strasbourg 1, place de l’Hôpital 67000 Strasbourg
Les fentes labio-maxillaires sont des défauts congénitaux très fréquents, associés presque systématiquement à des agénésies et des malformations dentaires. Leur prise en charge précoce, dès la naissance, permet la plupart du temps de gérer la fermeture chirurgicale de la communication bucco-nasale initiale. Cependant, celle-ci peut se rouvrir spontanément, notamment lorsqu’une avulsion s’avère nécessaire sur une dent bordant la fente. Il convient dès lors, en partenariat avec les chirurgiens concernés et en accord avec le patient, de faire un choix thérapeutique adapté. Celui-ci peut s’orienter vers une plastie chirurgicale si le soutien osseux sous-jacent le permet, ou vers une solution prothétique obturatrice si tel n’est pas le cas. Lorsque cette option thérapeutique est retenue, il est indispensable d’y associer une réflexion préalable, à partir d’une étude esthétique et d’un montage directeur afin d’optimiser le résultat final. Dans ce cadre, la prothèse composite peut répondre à la situation car elle autorise des déplacements dentaires plus aisés et plus importants. Le suivi rigoureux du plan de traitement établi assure au praticien et au patient la satisfaction attendue.
Removable partial overdenture treatment of an adult cleft palate patient
Cleft palate is a very frequent congenital defect, almost systematically associated with dental agenesia and malformation. Most of the time, early treatment makes it possible to manage the surgical closing of the initial bucco-nasal communication. However, this one can be spontaneously reopened, especially when an avulsion proves to be necessary on a tooth bordering the cleft. It is appropriate consequently, in partnership with the surgeons concerned and agreement with the patient, to make an adapted therapeutic choice. This one can be directed towards a surgical closing if the subjacent bone allows it, or towards an obturating prosthetic solution if such is not the case. When this therapeutic option is chosen, it has to be associated to a preliminary study, based on an esthetic study and a diagnostic wax-up in order to optimize the final result. A removable partial overdenture using the teeth adjacent to the cleft area as abutments with an adequate attachment design is described as an alternative method for prosthetic treatment. The rigorous follow-up of the treatment plan ensures practitioner and patient the awaited satisfaction.
Avec une fréquence moyenne de 1/800 naissances en France, les fentes labio-maxillaires et les divisions vélo-palatines sont parmi les malformations congénitales les plus fréquentes. D’origine plurifactorielle, elles résultent d’un défaut de coalescence des bourgeons faciaux lors de l’embryogenèse et présentent une grande variabilité dans leur forme, leur gravité et leur incidence [1].
Les fentes labio-maxillaires posent des problèmes fonctionnels (phonétiques, alimentaires, respiratoires) et esthétiques qui, de nos jours, sont résolus en grande majorité par des procédés chirurgicaux [2]. Toutefois, dans de telles restaurations, les problèmes psychologiques, familiaux et sociaux ne doivent pas être minimisés car ils ont aussi un impact. Le traitement des fentes nécessite ainsi une prise en charge multidisciplinaire durant toute la vie du patient, débutant à la naissance et se poursuivant tout au long de la croissance [3, 4]. Pour pallier les divers troubles engendrés, la collaboration des différents spécialistes que sont le chirurgien, l’orthophoniste, l’ORL et le pédiatre est indispensable. Le chirurgien-dentiste et l’orthodontiste occupent une place importante dans cette équipe multidisciplinaire, car ils ont la responsabilité de restaurer les anomalies et/ou les déficiences, et d’effectuer les corrections nécessaires des arcades dentaires [5-7]. Parmi les thérapeutiques prothétiques, le traitement de l’agénésie de l’incisive latérale constitue certainement la forme la plus simple et la plus habituelle, lorsque les traitements chirurgicaux et orthodontiques sont achevés avec succès [8, 9]. Cependant, les malpositions dentaires résiduelles, le décalage des bases osseuses, voire la persistance d’une ou de plusieurs communications bucco-nasales peuvent aussi compliquer le traitement prothétique [10].
Cet article a pour objectif de décrire la démarche thérapeutique appliquée pour traiter un cas clinique présentant ces caractéristiques.
Le patient, âgé de 57 ans, a bénéficié dans l’enfance de plusieurs plasties chirurgicales ayant permis la fermeture de sa fente labio-maxillaire unilatérale gauche et de la division vélo-palatine associée. Cependant, aucun traitement orthodontique n’ayant été engagé à l’époque, la croissance maxillaire s’est faite naturellement.
La situation clinique à l’âge adulte se traduit par la persistance de la canine gauche en position semi-incluse, l’agénésie de l’incisive latérale gauche et la présence de 2 sites de communication bucco-nasale très discrète, séquelles d’une chirurgie sans greffe osseuse. Le patient est adressé à notre consultation par suite de l’avulsion de sa canine semi-incluse. Alors que jusqu’ici la situation de fermeture incomplète de la fente labio-maxillaire gauche ne l’avait jamais handicapé, l’avulsion de la canine crée une brèche importante, aux conséquences fonctionnelles lourdes. Les troubles phonétiques et alimentaires sont les principales doléances recueillies lors de l’anamnèse.
La chirurgie plastique précoce a agi comme un frein à la croissance maxillaire et a créé une endo-alvéolie maxillaire. L’angle naso-labial ouvert entraîne un profil concave, masqué avantageusement par une moustache et une barbe. La lèvre supérieure est courte mais ne laisse pas apparaître les dents maxillaires (fig. 1).
L’hygiène bucco-dentaire du patient est bonne, les obturations à l’amalgame dentaire ou aux résines composites sont jugées étanches.
L’arcade maxillaire est de forme triangulaire, caractérisée par l’asymétrie occlusale due à l’endo-alvéolie du petit fragment gauche et par la position normale du grand fragment droit. L’agénésie de la 22 est associée aux malpositions des 12, 11 et 21. Par ailleurs, la 11 est particulièrement délabrée tandis que la 21 présente une importante malformation amélaire (fig. 2 et 2).
La communication bucco-nasale la plus importante est localisée au niveau du palais primaire, en lieu et place de la canine avulsée. Elle est associée à une communication plus discrète, située sur le versant vestibulaire entre les 21 et 24. À titre provisoire, un obturateur amovible immédiat en silicone de haute viscosité a été confectionné pour elle avec succès (fig. 2).
Les radiographies rétroalvéolaires mettent en évidence, sur la 11, un ancien traitement endodontique, sans image apicale. L’examen tomodensitométrique et sa reconstruction tridimensionnelle permettent d’estimer le volume important de la perte osseuse, qui déborde largement l’aspect clinique de la communication muqueuse (fig. 3 et 3). Le défaut osseux latéral gauche est aussi objectivé, ainsi que la faiblesse du rempart osseux entourant les incisives restantes.
L’absence de traitement orthodontique a généré des rapports occlusaux perturbés. L’occlusion de convenance est caractérisée par un rapport interarcades inversé de 12 à 27. Le secteur latéral droit, de 17 à 13, présente, quant à lui, un rapport de classe I. Il existe des contacts occlusaux entre les incisives mandibulaires et les faces vestibulaires des incisives maxillaires restantes (fig. 4). Malgré cette situation occlusale perturbée, aucun trouble articulaire n’est détecté.
Face à ce contexte clinique associant trouble fonctionnel et esthétique, la décision thérapeutique doit apporter une réponse adaptée et compatible avec les souhaits du patient.
Différentes options de traitements sont envisageables :
– la fermeture chirurgicale de la communication bucco-nasale assurerait un confort certain et permettrait de traiter indépendamment la problématique dentaire. Un avis opératoire est donc préalablement demandé à des confrères chirurgiens maxillo-faciaux. Cependant, devant le déficit de support osseux périphérique, la fermeture par plastie muqueuse seule est écartée d’emblée car le risque de nécrose du lambeau est trop important ;
– la possibilité d’intervention par association d’un greffon osseux préalable n’est, quant à elle, pas retenue par le patient. Dès lors, la réalisation d’un obturateur prothétique amovible s’impose ;
– dans le secteur antérieur, la conservation des incisives maxillaires restantes est impérative compte tenu du risque d’importante résorption alvéolaire après avulsion et des conséquences sur l’agrandissement de la communication existante. Par ailleurs, la malposition palatine de ces dents empêche d’envisager une solution prothétique fixée (de type couronne céramo-métallique) corrigeant l’occlusion, sans un traitement orthodontique préprothétique. À nouveau, le contexte osseux susceptible d’aggravation lors du mouvement orthodontique mais aussi la réticence du patient font abandonner cette option.
Par conséquent, en accord avec le patient, dûment informé des avantages et inconvénients de chaque hypothèse thérapeutique, il est envisagé de conserver les racines de ces dents à l’aide de coiffes radiculaires, pour pallier le peu d’espace prothétique disponible, et d’y associer une prothèse amovible partielle à châssis métallique portant l’obturateur. Cette solution prothétique répond aux objectifs fonctionnels puisqu’elle permet le maintien du capital osseux antérieur et l’obturation de la fente. Elle rétablit le sourire grâce à une occlusion normale et l’effet harmonieux des dents prothétiques.
Le principal obstacle à cette approche thérapeutique réside dans la nouvelle position vestibulée des dents antéro-maxillaires. En effet, la lèvre courte et peu souple de ce patient est susceptible d’entraîner une exposition trop importante du secteur incisivo-canin maxillaire et de rendre ainsi le sourire disgracieux. Pour valider l’option thérapeutique retenue, un masque esthétique (mock-up) est tout d’abord réalisé à partir de l’empreinte d’étude et de la céraplastie (wax-up) (fig. 5 et 5, 6 et 6). Cette technique, très utilisée dans les approches esthétiques, permet de valider la nouvelle position du secteur incisivo-canin, avec le patient, lors du sourire et au cours de la phonation (fig. 7 et 7).
Le montage directeur à visée esthétique étant validé, la conception du châssis métallique nécessite une étude préalable du moulage au paralléliseur. Cette analyse de tracé permet de définir l’axe d’insertion et les coronoplasties nécessaires (fig. 8). La plaque palatine doit assurer un recouvrement suffisamment étendu du palais afin de déborder largement la communication bucco-nasale. La rétention prothétique doit être optimisée pour limiter les risques de fuites aériennes et liquidiennes. Pour cela, le nombre de crochets est augmenté, leur forme étant choisie dans un but essentiellement rétenteur. Enfin, un appui est prévu sur la face vestibulaire de la 24 pour placer l’incisive latérale et la canine gauche en dehors de l’arcade dentaire existante.
Après réalisation des traitements endodontiques, le masque esthétique est modifié pour être utilisé comme élément provisoire (fig. 9). Seules les incisives 12, 11 et 21 sont maintenues à titre provisoire, pour des raisons d’hygiène évidentes. La correction occlusale de l’égression des incisives mandibulaires est réalisée durant cette même séance pour ménager l’espace nécessaire à ces éléments provisoires et aux futures prothèses (coiffes radiculaires et armature du châssis).
La préparation des racines, tout particulièrement leur réduction occlusale, est faite en prenant soin de contrôler l’espace prothétique disponible. Celui-ci doit être suffisant pour ménager assez d’épaisseur à la coiffe et à l’armature du châssis. La forme des préparations est adaptée à la forme des coiffes radiculaires qui n’ont ici qu’une vocation de sustentation et de maintien du capital osseux. L’enregistrement de ces préparations à biseau long est obtenu à l’aide de bagues de cuivre et de pâte thermoplastique (Kerr) (fig. 10). Cette technique d’empreinte, par l’accès aux limites profondes qu’elle procure, assure l’enregistrement du biseau long, élément de rétention principal dans ce type de coiffes.
Le positionnement global des moulages positifs unitaires est réalisé avec l’empreinte secondaire et permet la finition des coiffes radiculaires sur le moulage de travail.
Les améloplasties sont tout d’abord réalisées, selon le tracé défini avec le laboratoire. Après repositionnement des transferts sur les trois éléments radiculaires, l’empreinte secondaire est prise à l’aide d’un matériau polysulfure de haute viscosité (Permlastic®, Kerr) (fig. 11). Les propriétés élastiques de ce matériau permettent l’enregistrement des communications tout en limitant le risque de déchirure. L’enregistrement des coronoplasties et des transferts est contrôlé avant la coulée de l’empreinte de travail (fig. 11 et 11).
Sur ce moulage de travail, les coiffes radiculaires sont terminées puis essayées en bouche pour valider l’espace prothétique disponible (fig. 12 et 12). Elles sont conservées et ne seront scellées qu’en fin de traitement pour permettre au patient de conserver les dents provisoires jusqu’au jour de l’insertion de la prothèse amovible.
La réalisation de l’armature métallique du châssis peut alors être demandée au laboratoire. La plaque nue est essayée en bouche lors d’une première séance, en prenant soin de vérifier son intégration dans les préparations amélaires et ses appuis muqueux. Elle est suivie d’un second essayage associant les dents prothétiques montées sur cire. Ces deux étapes permettent de valider successivement l’empreinte secondaire puis le montage et le choix des dents. La polymérisation finale est demandée.
Lors de cette séance, les coiffes radiculaires sont scellées au ciment oxyphosphate de zinc dans un premier temps. Puis la prothèse amovible est insérée (fig. 13 et 13) et un contrôle immédiat à l’aide d’un indicateur de surpression (PSI, Coltène) est réalisé pour contrôler l’intimité de contact entre l’intrados et les coiffes (fig. 13). Les contacts isolés limitant l’insertion complète sont rectifiés.
L’anatomie de la fente labio-maxillaire est tourmentée et présente de nombreuses contre-dépouilles. Seul un obturateur souple, en silicone, peut être envisagé dans ces situations. Le vieillissement assez rapide du silicone justifie l’emploi de matériaux injectables autopolymérisables (UFI Gel Soft, VOCO) (fig. 14 et 14). Leur faible coût permet d’envisager leur renouvellement annuel. La qualité de l’étanchéité obtenue est testée extemporanément en demandant au patient d’avaler de l’eau.
Les séances de contrôle permettent d’accompagner le patient dans ses progrès phonétiques. Aucune intervention d’orthophonie n’a été nécessaire dans ce cas particulier mais, parfois, ce recours peut être indispensable, compte tenu du changement important des appuis linguaux antéro-supérieurs (fig. 15).
La prise en charge des enfants présentant des malformations congénitales de type fente labio-maxillaire ou division vélo-palatine est aujourd’hui très précoce. Le diagnostic prénatal permet l’orientation, dès la naissance, vers des centres spécialisés. L’enfant y sera suivi durant toute sa croissance et opéré à plusieurs reprises afin d’assurer la fermeture des communications et d’améliorer l’esthétique labio-nasale. Le traitement orthodontique associé aux chirurgies successives doit assurer la correction des malpositions dentaires et alvéolaires. La restauration prothétique d’usage n’est souvent envisagée qu’après la fin de la croissance. Selon la sévérité du cas et le succès des traitements chirurgicaux et orthodontiques, elle peut consister uniquement à remplacer l’incisive latérale manquante comme elle peut nécessiter la mise en œuvre de traitements globaux associant les différentes facettes de la prothèse. Les patients n’ayant pu bénéficier de traitements chirurgicaux élaborés, de même que ceux présentant des séquelles non opérables, constituent autant de situations complexes dont la restauration prothétique demande une connaissance générale de la malformation congénitale et des différentes possibilités offertes par la prothèse dentaire.
Remerciements : tous nos remerciements pour leur collaboration au laboratoire de prothèses Flecher (Strasbourg), au laboratoire de la faculté d’odontologie de Strasbourg, ainsi qu’au Dr Chaliac (Belfort).