Les échecs : parlons-en ! - Cahiers de Prothèse n° 142 du 01/06/2008
 

Les cahiers de prothèse n° 142 du 01/06/2008

 

éditorial

eric robbiani  

rédacteur en chef adjoint

Dans les revues scientifiques, rares sont les auteurs qui présentent leurs échecs. Ce sont des biais de non-publication qui faussent indiscutablement le jugement du lecteur sur un sujet et dont on parle peu. Lors des réunions de formation postuniversitaire, il est très fréquent d’entendre de brillants conférenciers nous présenter les résultats favorables d’une technique ou d’un matériau. Plus rares sont les congrès qui accordent une place importante aux échecs et à leurs...


Dans les revues scientifiques, rares sont les auteurs qui présentent leurs échecs. Ce sont des biais de non-publication qui faussent indiscutablement le jugement du lecteur sur un sujet et dont on parle peu. Lors des réunions de formation postuniversitaire, il est très fréquent d’entendre de brillants conférenciers nous présenter les résultats favorables d’une technique ou d’un matériau. Plus rares sont les congrès qui accordent une place importante aux échecs et à leurs explications (une session du congrès Aix-Po en octobre dernier était, à ce titre, exemplaire, car elle a permis à 4 conférenciers de présenter des cas d’échecs et d’en discuter avec l’auditoire et les autres conférenciers).

Pourquoi parlons-nous si peu de nos échecs ? La connotation négative du mot et de ses synonymes (déconvenue, défaite, faillite, fiasco, perte, ratage, revers, ruine) incite probablement à la dissimulation. En outre, nous ne nous donnons pas toujours les moyens d’éviter ces échecs ou d’en analyser les causes.

Les échecs ne sont pas seulement technologiques ou techniques, mais aussi souvent d’ordre relationnel avec le patient. Dans le hors-série proposé par les Éditions CdP sur ce sujet, Christine Romagna pose parfaitement le problème, car « dispenser à tous des soins de qualité en s’appuyant sur les données acquises de la science n’est pas toujours possible, quelles que soient son intention de bien faire et la maîtrise des techniques. Il s’avère nécessaire de reconnaître et d’accepter ses propres limites, de renoncer à ses fantasmes de toute-puissance en tant que praticien, en tant que technicien, en tant que soignant, et de savoir recourir à des aides complémentaires ou substitutives. Tout praticien a ses compétences, il doit en connaître les limites, il ne peut répondre positivement à toutes les demandes. De même, il doit aussi évaluer ses limites personnelles de tolérance, les reconnaître et les signifier ». Tout acte médical comporte inévitablement une part de risque pouvant aboutir à la non-guérison ou à des effets indésirables. Le droit commun a mis à la charge du thérapeute une obligation de moyens, moyens techniques et humains, mais aussi de capacité et de compétence adaptées. L’analyse des causes des échecs est un préalable indispensable à un début de solution. Selon Malcolm Forbes, « un échec est un succès si on en retient quelque chose ». L’industrie aéronautique applique, depuis de très nombreuses années, des procédures très strictes de contrôle et d’enregistrement des incidents afin de mettre en commun les données et ainsi prévenir des risques potentiels pour la sécurité des avions. Les pilotes sont aussi soumis à des obligations de formation et de validation de compétences régulières.

Dans notre domaine d’activité, il faut enregistrer les éléments de la relation thérapeutique. L’anamnèse médicale et dentaire du patient, son motif de consultation, le diagnostic posé et le plan de traitement proposé, son coût et l’accord du patient doivent être consignés dans son dossier. Les procédures techniques doivent aussi être notées afin d’assurer une traçabilité indispensable en cas d’échec, d’incidents graves ou pas qui se répètent. Dans certains cas, les déclarations de matériovigilance permettent d’améliorer la sécurité et la qualité des soins dispensés à nos patients. Dans d’autres cas, le dossier du patient nous donnera peut-être des éléments pour déterminer une cause à cet échec et ainsi proposer une solution au patient ou en éviter un autre ultérieurement.

Dans ce numéro hors-série, Bernard Lapostolle a coordonné les talents de Christine Romagna, Anne Claisse-Crinquette, Nicolas Lehmann, Marcel Begin, Isabelle Fouilloux, Christian Cochemé, Morgan Chevassu et Philippe Colin pour fournir aux lecteurs des clés pour évaluer leurs propres échecs dans différentes disciplines.

Sans conteste, l’échec représente un coût. Coût financier par la technique et le temps nécessaires à sa résolution, mais surtout coût humain par la perte de confiance du patient et aussi de soi qu’il peut engendrer. La diminution de leur nombre ne peut que bénéficier à tous les acteurs, praticiens et patients.

« Le monde sera bientôt divisé entre ceux qui expliquent sans cesse les raisons de notre succès, et ceux, un peu plus intelligents, qui tentent d’expliquer nos échecs. »

Gilbert Keith Chesterton, 1920