Patient polypathologique - Cahiers de Prothèse n° 145 du 01/03/2009
 

Les cahiers de prothèse n° 145 du 01/03/2009

 

Pluridisciplinaire

Frauke Müller*   Martin Schimmel**  


*Professeur
**Maître Assistant universitaire
Université de Genève
Section de médecine dentaire
Division de gérodontologie et prothèse adjointe
Hôpitaux universitaires de Genève
Département de réhabilitation et gériatrie 19, rue Barthélemy-Menn
1205 Genève, Suisse

Résumé

Dans le cas du traitement prothétique des patients polypathologiques, le plan de traitement académiquement idéal doit être adapté en fonction de l’état de santé générale et du contexte socio-économique du patient. En outre, une adaptation en continu des objectifs thérapeutiques est nécessaire s’il y a, en cours de traitement, une diminution de la motivation du patient et de sa famille, de sa capacité à subir des interventions dentaires, de sa compliance ou une dégradation de sa santé générale. La vue, tout comme l’odorat et le goût se détériorent avec l’âge au même titre que la dextérité. Les prothèses dentaires doivent donc présenter des atouts de simplicité, de stabilité et d’hygiène pour les patients polypathologiques. La perte progressive de l’autonomie de ces derniers implique qu’elles doivent pouvoir être retirées et manipulées par le personnel soignant. En règle générale, il faut éviter les modifications importantes des prothèses ou leur remplacement à un âge avancé ou lorsque l’état de santé général est diminué, car la capacité d’adaptation peut être réduite.

Summary

Multi-morbid patient : repercussions on the prosthetic treatment

The ideal academic treatment plan for a prosthodontic restoration of a multi-morbid patient needs to be modified according to the general health condition and the socio-economic context of the patient. Furthermore, the therapeutic goals has to be continuously reassessed should a decline in the motivation of the patient or his family, in his capacity to endure dental treatment procedures, in his compliance or in his general health occur during the treatment. Vision, smell and taste deteriorate with age just like manual dexterity. Dental prostheses for multi-morbid patients should therefore be simple, stable and easy to clean. With the patient’s progressive loss of autonomy, careworkers should be able to take out and handle the prostheses. As a general rule, important changes to the existing denture or their replacement should be avoided at a very old age or in the case of a waning health as the patient’s capacity of adaptation might be reduced.

Key words

adaptation, dental prosthesis, gerontology, multi-morbidity, treatment plan

Les soins en médecine dentaire sont globalement instaurés avec le même objectif pour tous les patients. Le traitement d’un patient plutôt âgé et en bonne forme, dans une phase de vie stable, ne se différencie pas vraiment du traitement d’une personne plus jeune.

En revanche, dans une phase de vie instable, comme pour les patients âgés polypathologiques (c’est-à-dire présentant au moins 2 pathologies systémiques nécessitant un traitement), le plan de traitement établi d’après les consignes théoriques doit être adapté à la situation actuelle du patient. Pour ce faire, il faut tenir compte notamment des pathologies générales du patient, de sa motivation, de son niveau socio-économique, de sa mobilité et de sa dextérité, sans oublier ses capacités cognitives [1]. Tous ces facteurs contribuent à la création d’un profil de risque qui détermine le pronostic du traitement dentaire.

Outre ces conditions contextuelles, l’état intrabuccal soulève également des défis considérables. L’édentement, même s’il survient de plus en plus tardivement dans la vie [2], reste une réalité pour les patients gériatriques en dépit des nombreux progrès de la prévention et des techniques restauratrices. Les dents restantes sont souvent délabrées et réparties défavorablement sur l’arcade (fig. 1). Les patients polypathologiques ne sont pas toujours convaincus par les mesures de restauration, si bien que le traitement de choix est finalement l’extraction suivie de la pose d’une prothèse amovible. Mais même chez les porteurs de prothèse complète, des compromis doivent être trouvés. C’est pourquoi il n’est pas rare que le patient polypatho-logique n’accepte qu’un traitement fait de réparations « acrobatiques » (fig. 2 et 3).

Ce que nos jeunes confrères idéalistes et bien intentionnés considèrent souvent comme une proposition inacceptable peut représenter, pour les patients âgés polypathologiques, la solution adaptée aux circonstances. Une classification de la capacité des patients à être pris en charge a été effectuée sur la base de leur capacité à subir les traitements dentaires et de leur autonomie en vue d’assurer ensuite les mesures d’hygiène [3]. Les données de l’étude épidémiologique Berliner Altersstudie (BASE) montrent que parmi les patients âgés de plus de 95 ans qui présentent un niveau de capacité de prise en charge de degré 4 (c’est-à-dire qui ne peuvent plus du tout subir de mesures restauratrices et qui sont entièrement dépendants du personnel soignant pour pratiquer les soins d’hygiène bucco-dentaire), près d’un tiers ont encore des dents naturelles [3] (fig. 4).

Les infections au niveau buccal peuvent représenter un risque considérable pour la santé d’un patient déjà affaibli par ses pathologies générales. Ainsi, la relation entre infections parodontales et maladies cardio-vasculaires ou diabète est de plus en plus étudiée [4, 5]. Pour les patients alités, s’ajoute également le risque de pneumonie d’aspiration [6, 7].

Cet article décrit les défis et particularités pratiques auxquels le chirurgien-dentiste est confronté lorsqu’il soigne des patients polypathologiques. Il propose une approche thérapeutique pour des soins prothétiques adaptés aux besoins de cette population particulière.

Mobilité

Le patient polypathologique, fragile, a toujours de la difficulté à sortir de son domicile, parfois même de son lit. Bien que les aides à la marche puissent, au départ (fig. 5), s’avérer des outils utiles pour favoriser le déplacement, la progression de la sénescence s’accompagne d’un recours de plus en plus fréquent au fauteuil roulant [8].

En raison de l’investissement nécessaire, chaque sortie du domicile est soigneusement pesée et la visite de contrôle chez le dentiste devient malheureusement de moins en moins une priorité à mesure que l’âge avance. Des données suisses montrent que la fréquence des visites chez le médecin généraliste augmente à partir de 50 ans. Parallèlement, les visites annuelles chez le dentiste se raréfient (fig. 6). En outre, même au cabinet dentaire, la mobilité limitée des patients polypathologiques est un véritable défi pour l’équipe soignante [8].

Dans le cadre de la confection d’une nouvelle prothèse, quelques étapes de traitement, comme les empreintes préliminaires ou les essais des dents, peuvent s’effectuer dans le fauteuil roulant sans qu’il n’en découle une perte tangible de qualité. Ainsi, les difficultés d’installation sur le fauteuil de traitement peuvent-elles être évitées (fig. 7).

Motivation

Avec l’âge, le recours aux prestations de soins dentaires diminue sensiblement [8]. Plus que dans tout autre groupe, on constate chez les patients âgés une divergence importante entre les besoins réels de traitements dentaires et leur estimation subjective.

La baisse de motivation est un motif primordial à prendre en compte [9]. Des études psychologiques récentes montrent que l’homme, en vieillissant, se satisfait plus facilement de sa situation existante. Cela n’est, bien sûr, pas dû à une amélioration de la qualité de vie en général, mais au fait que les objectifs et les attentes sont adaptés de manière réaliste. Avec l’âge, nous avons tendance à devenir plus modestes et moins exigeants.

L’éloignement des patients polypathologiques de la vie publique s’accompagne également d’un abandon de la pression sociale à avoir une apparence dentaire soignée.

Dans le cadre des patients appareillés, cela se traduit d’une part par la prévalence élevée de « non-port » de la prothèse dès qu’elle devient désagréable, douloureuse (fig. 8) ou que les capacités cognitives du patient déclinent [10] (fig. 9). Au contraire, on constate souvent un excès d’adaptation, c’est-à-dire l’acceptation d’une prothèse insuffisante pour des raisons hygiéniques, fonctionnelles ou esthétiques, voire potentiellement traumatisante.

Les considérations financières entrent aussi souvent en jeu. La question « Cela en vaut-il la peine ? » est régulièrement posée, sans compter la mauvaise conscience vis-à-vis des héritiers qui joue occasionnellement un rôle.

Dès lors, il est particulièrement important de souligner l’utilité d’un traitement dentaire et de mettre en avant ses effets positifs possibles sur l’état de santé général. Notamment, l’argument d’une fonction de mastication améliorée peut convaincre les patients polypathologiques, car l’alimentation et la convivialité des repas tiennent encore une place centrale dans leur vie quotidienne [11].

Polymédication et sécheresse de la bouche

La polypathologie s’accompagne presque systématiquement de l’administration de nombreux médicaments, dont beaucoup sont à l’origine d’une sécheresse buccale [12] (fig. 10). La raréfaction de la salive entraîne des difficultés de langage, des problèmes de mastication, de déglutition et un risque accru de caries et d’abrasion. De plus, l’action protectrice de la salive sur la muqueuse buccale est réduite au point de favoriser les infections (fig. 11).

Le port d’une prothèse peut s’avérer douloureux, parfois même impossible. L’absence du film salivaire, qui contribue largement à la rétention de la prothèse, se fait tout particulièrement sentir chez les porteurs de prothèse complète.

Malheureusement, aucun traitement satisfaisant n’est actuellement disponible face à la xérostomie. Hormis un soulagement symptomatique apporté par une hydratation fréquente et régulière, la sécrétion de salive peut être stimulée par la mastication unilatérale. Les gommes à mâcher sont particulièrement adaptées dans ce cas. De nombreux patients polypathologiques étant porteurs de prothèse, l’utilisation des gommes à mâcher n’est que rarement acceptée, car elles collent à la résine prothétique (à l’exception du Freedent®, Wrigley). Les bains de bouche et les gels contre la sécheresse buccale peuvent apporter un soulagement temporaire. Un traitement systémique ne peut être envisagé qu’en accord avec le médecin gériatre traitant.

Plans de traitement

Pour les patients polypathologiques, le plan de traitement « académique » ou « idéal » doit être adapté pour devenir « clinique » et « raisonnable » ou même « pratique » et « faisable ». Au cours des soins, ce plan de traitement doit être actualisé selon l’évolution de l’état de santé générale [13] (fig. 12).

Plan de traitement académique

Nos jeunes confrères déplorent souvent une grande incertitude quant aux décisions thérapeutiques à prendre concernant les patients gériatriques [8]. Au cours de leur cursus universitaire, ils ont appris à établir des plans de traitements « académiques » pour maintenir et rétablir la santé et la fonction bucco-dentaire à long terme.

Ce plan de traitement s’appuie sur l’examen clinique et radiologique ainsi que sur l’analyse des modèles et des prothèses existantes. Toutefois, les concepts applicables chez les patients en phase de vie stable doivent être modifiés selon le contexte gériatrique [13] (fig. 12). En ce qui concerne le traitement prothétique, cela signifie en règle générale s’écarter du traitement optimal.

Plan de traitement clinique

Le plan de traitement « clinique » doit être adapté à l’état de santé général et fonctionnel du patient ainsi qu’à ses handicaps physiques ou mentaux. En particulier, un état de santé instable limite les possibilités thérapeutiques (fig. 12). Si l’on prend l’exemple d’une restauration prothétique, il n’est ainsi pas judicieux d’imposer une prothèse partielle avec des glissières à un patient dont la dextérité est limitée par une arthrite l’empêchant de la manipuler seul. Et cela même si, pour des raisons fonctionnelles et esthétiques, il s’agirait de la solution optimale.

Les patients souffrant de démence avancée ne peuvent être tourmentés par de longues séances de préparation des dents piliers et d’empreinte [14].

Pour un plan de traitement « clinique », il faut également tenir compte du rapport coût-bénéfice de la thérapie prévue : un traitement de qualité apporte-t-il des atouts de fonctionnalité, de maintien des structures existantes et de qualité de vie qui contrebalancent les coûts engendrés ? Des études récentes sur le rapport coût-efficacité des traitements prothétiques montrent que le gain en qualité de vie en rapport avec la santé bucco-dentaire (OHRQoL) n’était pas très différent pour des prothèses aux coûts variés [15, 16].

Doit-on également toujours utiliser des implants pour traiter un maxillaire inférieur édenté ? Allen et al. [15] ont pu démontrer que même la confection d’une prothèse complète conventionnelle améliorait la satisfaction du patient.

La question de l’autonomie est tout aussi décisive. Même si l’un des objectifs principaux de la gérodontologie consiste à parvenir à une hygiène bucco-dentaire optimale chez les patients dépendants, la réalité oblige à accepter que les circonstances ne s’y prêtent pas toujours. Ce serait une hérésie de proposer d’extraire les dents naturelles d’un patient lorsqu’il devient dépendant, sous prétexte que le nettoyage d’une prothèse complète est plus simple et plus rapide que celui d’une denture partielle. La limitation fonctionnelle due à l’édentation est naturellement inacceptable d’un point de vue éthique.

En revanche, il est judicieux de veiller, lors de la confection d’une nouvelle prothèse, à ce que cette dernière puisse être nettoyée facilement par le personnel soignant. Les prothèses fixées sur implants, qui présentent souvent des recoins qui retiennent la plaque dentaire et nécessitent des méthodes de nettoyage spéciales, sont particulièrement peu adaptées aux patients polypathologiques.

Plan de traitement pratique

Le plan de traitement « pratique » tient compte, outre des aspects déjà évoqués, des souhaits de traitement subjectifs du patient et de son contexte socio-économique. En prenant de l’âge et en perdant de la résistance physique, le désir d’obtenir un traitement optimal recule significativement. Même si le souhait subjectif d’améliorer la prothèse existe, peu de patients âgés sont encore enclins à supporter des mesures invasives, par exemple une implantation. Ils préfèrent s’en tenir à un « statu quo », à de petites réparations ou à des rebasages [17].

Parallèlement, la volonté de la famille doit être prise en considération tout en soulignant que le patient est maître de ses décisions, dans la mesure où aucun tuteur n’est désigné [18].

Voici un exemple pratique de surprotection par la famille, vécu dans notre clinique : la fille d’une patiente démente souhaitait imposer une anesthésie générale à sa mère pour la pose d’un implant à la place d’une prémolaire supérieure. Selon elle, la vie de sa mère était suffisamment dure pour ne pas se la compliquer davantage avec des difficultés à mastiquer.

L’inverse est heureusement plus rare : la fille d’une patiente édentée avait décidé que, de toute façon, sa mère ne s’en sortirait pas avec une prothèse. L’investissement pour la déplacer pour un traitement n’était donc, selon elle, pas justifié.

Le plan de traitement « pratique » tient aussi compte de la capacité de prise en charge propre au patient. Les traitements préalables conservateurs, parodontaux ou chirurgicaux exécutés avant toute reconstruction prothétique permettent de mieux connaître les réactions du patient, d’estimer la valeur biologique de la substance dentaire résiduelle et la résistance du parodonte.

Plan de traitement modifié

Enfin, tous les soins gérodontologiques doivent être adaptés en continu à la situation en cours du patient. Le plan de traitement « modifié » prend en compte les nouvelles pathologies générales ou bucco-dentaires et les changements de compliance.

Occlusion prémolaire

Le concept de l’occlusion prémolaire représente une stratégie qui répond au problème que représente la baisse de motivation du patient âgé par rapport à la réalisation de restaurations dentaires importantes (fig. 13). D’un point de vue fonctionnel, il n’est pas nécessaire de remplacer chaque dent même si l’efficacité masticatoire augmente en remplaçant les molaires. Les compromis fonctionnels et esthétiques d’une occlusion prémolaire doivent être soigneusement pesés en termes de confort, de risques et de coût d’une prothèse dentaire.

En particulier, les prothèses partielles amovibles introduisent un risque de carie des dents piliers, favorisent les pathologies des muqueuses, peuvent déclencher une sensation de corps étranger, et limitent souvent le choix des aliments ingérés. Kayser [19] a pu montrer que si quatre unités occlusales étaient encore présentes (1 unité occlusale correspond à 1 prémolaire ou 1/2 molaire), un nouvel équilibre s’installe, caractérisé par la formation d’espaces proximaux, le renforcement des contacts occlusaux et la perte d’os distal à la dernière prémolaire. L’observation à long terme de cohortes de patients présentant des arcades dentaires raccourcies a montré une stabilité de cet état ainsi qu’une relative satisfaction des participants [20].

Conception de la prothèse

Avec la progression du vieillissement, non seulement l’odorat et le toucher se détériorent, mais aussi la vue. Les personnes âgées ne voient donc la plaque dentaire que de manière limitée, remarquent moins les résidus alimentaires dans la cavité buccale et sont moins conscientes de leur haleine. De plus, la dextérité diminue.

Le maintien d’une hygiène bucco-dentaire correcte devient alors plus compliqué. Cet aspect doit être pris en compte lors de la conception d’une prothèse. Le plan de traitement prothétique doit être adapté à l’habileté du patient : est-il en mesure d’ouvrir une charnière, d’introduire une prothèse partielle dans une glissière ou de nettoyer les zones d’accès difficile ? L’expérience montre qu’il suffit d’observer les mains, et plus spécifiquement les ongles du patient, pour avoir un premier aperçu de sa dextérité (fig. 14).

Globalement, la conception d’une prothèse partielle pour un patient âgé repose sur les mêmes principes que celle pour une personne plus jeune. Cependant, il faut réfléchir au fait que les compromis, par exemple en termes d’hygiène parodontale, peuvent avoir des conséquences graves chez les patients âgés, affaiblis par les manifestations du vieillissement, comme par exemple la diminution de l’efficacité immunitaire [21].

Les prothèses partielles des patients gériatriques ne doivent donc pas être suréquipées (souvent, deux crochets suffisent) et doivent être suffisamment robustes pour ne pas plier ou se briser en cas de geste maladroit [22]. Bien que le modelage anatomique de la gencive artificielle offre des stimuli supplémentaires pour la muqueuse buccale et les lèvres, les recoins de rétention difficilement nettoyables par le patient doivent être évités.

Les prothèses déjà existantes peuvent être retravaillées à l’aide d’une résine adaptée pour obtenir des surfaces lisses qui permettent un certain « auto-nettoyage ».

En outre, le retrait d’une prothèse partielle peut être facilité par un artifice de désinsertion (fig. 15). Dans ce but, de petits tétons métalliques s’avèrent adaptés. Toutefois, une encoche creusée a posteriori dans la face vestibulaire d’une prémolaire peut atteindre ce même objectif. Son emplacement doit tenir compte de l’axe d’insertion de la prothèse.

De même, les aspects pronostiques sont importants lors de la conception de la prothèse pour un patient âgé. Pour les patients polypathologiques, la réalisation d’une nouvelle prothèse peut être évitée si l’ancienne a été conçue de façon à pouvoir être facilement transformée. Pour ce faire, les prothèses partielles avec couronnes télescopiques sont supérieures à toutes les autres formes de construction.

Aspects esthétiques

On considère souvent que les patients âgés accordent moins de valeur à l’aspect de leur prothèse et se soucient davantage d’avoir une mastication correcte. Jokovic et Locker [23] ont montré que sur 907 personnes âgées de plus de 50 ans vivant à domicile, 21,6 % n’étaient pas satisfaites de l’aspect de leurs dents. Dans le cadre de l’étude Baycrest Oral Health Study, Locker [24] a pu démontrer que sur 225 résidents d’une maison de retraite, 24,9 % souffraient de leur apparence dentaire. L’âge moyen des participants à l’étude était de 83 ans. Ces résultats confirment nos expériences cliniques montrant qu’une image soignée au niveau dentaire peut jouer un rôle important à tout âge.

Néanmoins, les opinions divergent quant à l’apparence dentaire d’un porteur de prothèse : doit-elle être caractéristique de l’âge ou correspondre à une arcade dentaire blanche idéale ? Il est alors important d’informer le patient au préalable que la technique dentaire moderne est en mesure de créer une apparence correspondant à l’âge et qui ne laisse pas percevoir aux personnes extérieures qu’il s’agit d’une prothèse amovible [25].

Au contraire, nous pouvons obtenir une prothèse d’une blancheur immaculée et harmonieuse si tel est le désir du patient.

Adaptation à la nouvelle prothèse

De façon générale, on part du principe qu’il devient difficile de s’adapter à une nouvelle prothèse en prenant de l’âge. Ceci peut inquiéter au plus haut point le patient, même pour des modifications simples comme un rebasage, et entraver la relation de confiance avec le dentiste traitant. Les dictons comme « Ce que l’on n’a pas appris étant jeune, on ne l’apprendra jamais » ou « On n’apprend pas à un vieux singe à faire la grimace » résument à juste titre le fait que les personnes âgées n’aiment pas les nouveautés en général. Chez les patients d’un âge avancé et porteurs de prothèses complètes, les nouvelles réalisations s’avèrent souvent particulièrement difficiles, car la cinétique des prothèses repose de plus en plus sur des modèles de fonctionnement musculaires qui s’adaptent difficilement à cet âge. Dans le cadre d’un traitement préalable, il est possible d’entraîner la coordination musculaire à l’aide de plaques d’exercice. Mais si le patient porte déjà une prothèse, celle-ci joue le même rôle d’entraînement.

Les techniques de duplication peuvent contribuer à transférer les caractéristiques de la prothèse habituelle sur la nouvelle, de sorte que les modèles de mastication et de mouvement existants ne doivent pas être modifiés [9] (fig. 16). En outre, les techniques de duplication ont l’avantage de pouvoir créer une nouvelle prothèse tout à fait convenable en moins de séances cliniques qu’avec des techniques traditionnelles.

L’ancrage d’une prothèse complète sur des implants peut aussi, en offrant une meilleure rétention, faciliter l’adaptation. La conservation de dents résiduelles contribue également largement à l’adaptation à la prothèse. Il peut donc être justifié de conserver des racines temporairement, même si leur conservation à long terme ne semble pas possible. Dans ce cas, les boutons-pressions préfabriqués peuvent être une solution économique et peu invasive (fig. 17).

Suivi du traitement

Après la mise en bouche d’une prothèse, en particulier d’une prothèse totale, de nombreux patients âgés se sentent dispensés de l’obligation de consulter régulièrement leur dentiste, car ils n’ont finalement plus aucune dent naturelle. Or, justement, pour les patients d’un certain âge, il est souhaitable de procéder à un rappel régulier, pas uniquement pour la prothèse. La diminution du recours aux prestations dentaires en vieillissant, pour les raisons évoquées plus haut, justifie la mise en place d’un système de rappel structuré avec envoi d’invitations écrites régulières à se rendre à des consultations de suivi [26]. D’ailleurs, les membres de l’équipe du cabinet dentaire ne doivent pas hésiter à se renseigner quand un patient âgé ne se présente pas à son rendez-vous, car avec la solitude croissante des personnes âgées, il incombe également une responsabilité sociale à l’équipe dentaire.

Conclusion

Le traitement prothétique des patients polypathologiques doit tenir compte non seulement des critères habituels, mais aussi de l’état de santé général, de la motivation et du contexte socio-économique du patient. La conception de la prothèse doit être simple et faciliter l’hygiène, tout en permettant une manipulation aisée. Les modifications importantes de la prothèse devraient être évitées dans la mesure du possible afin de ne pas dépasser les capacités d’adaptation du patient âgé.

Titre original : Der multimorbide Patient – Konsequenzen für die prothetische Therapie. Quintessenz 2007;58:1171-1179. Traduit et reproduit avec l’aimable autorisation de Quintessenz Verlags-GmbH (Berlin). Merci de ne pas reproduire, quel qu’en soit le motif, sans l’autorisation écrite de l’éditeur.

Remerciements : les auteurs tiennent à remercier le Dr Alain Rentsch, monsieur François Clerc et madame Elena Duvernay pour leur précieuse assistance lors de la traduction du texte de la publication originale.

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