Des céramiques pour imiter la dent naturelle : choix techniques et démarches thérapeutiques - Cahiers de Prothèse n° 155 du 01/09/2011
 

Les cahiers de prothèse n° 155 du 01/09/2011

 

Esthétique

Bertrand Bennasar*   Sébastien Felenc**   Denis Elkaim***   Michel Fages****  


*Chirurgien-dentiste Port Ariane, Rés. Le Guilhem VI 5, rue des Chevaliers-de-Malte 34970 Lattes
**Chirurgien-dentiste 11, Hameau des Sources 34980 Saint-Clément-de-Rivière
***Prothésiste dentaire Tour Hémilythe 150, avenue Georges-Pompidou 13100 Aix-en-Provence
****Chirurgien-dentiste 11, avenue Célestin-Arnaud 34110 La Peyrade

Résumé

La translucidité est une des principales qualités recherchées dans les céramiques dentaires, pour donner l’illusion des dents naturelles. Parmi les différents matériaux, les vitrocéramiques semblent apporter des qualités esthétiques supérieures aux céramiques polycristallines. Mais d’autres paramètres sont à considérer pour obtenir le biomimétisme entre le substrat et la prothèse. Cet article propose de décrire les caractéristiques principales à prendre en considération dans une démarche esthétique.

Summary

Ceramic for biomimetic : choices and clinical procedures

Translucency is a key qualities in dental ceramics, to give the illusion of natural teeth. Among the different materials, glass-ceramics appear to provide aesthetic qualities superior to polycrystalline ceramics. But other parameters should be considered for biomimetics between the substrate and the prosthesis. This article aims to describe the main characteristics to be considered in an aesthetic.

Key words

ceramic, translucence, preparation, luting

Introduction

Influencés par la pression médiatique et sociale, nos patients accordent désormais une très grande importance à l’apparence physique. Illusion du naturel, biomimétisme, notion de beauté… cet ensemble de termes omniprésents dans la littérature dentaire montre à quel point le défi est aujourd’hui d’ordre esthétique.

Du côté des professionnels, l’exigence esthétique fait partie intégrante de la démarche thérapeutique : le score esthétique, en prothèse implantaire, donne une note à l’ensemble des critères cliniques pour évaluer la réussite d’un traitement [1, 2]. Réussir un sourire est un savant équilibre entre différents paramètres : les dents, le contour gingival, les lèvres, le visage et son expression [3]. La qualité de la prothèse dentaire représente un des points fondamentaux de la recherche du naturel.

Depuis quelques années, les céramiques dentaires ont connu une évolution importante en termes de variété de matériaux, de mise en œuvre et de fiabilité. Il est actuellement possible de réaliser des couronnes sans métal, présentant des caractéristiques de résistance mécanique compatibles avec la biomécanique dentaire et à l’esthétique optimisée [4, 5, 6, 7] grâce notamment aux prothèses tout céramique qui se rapprochent optiquement des dents naturelles en apportant plus de translucidité que les couronnes céramo-métalliques [8].

Mais le matériau seul ne suffit pas à donner l’illusion du naturel ; il faut pour cela appréhender tout un ensemble de paramètres : les dents adjacentes et antagonistes, le support, la préparation, l’assemblage et le concours du céramiste.

Cet article propose d’explorer les conditions de réussite de la prothèse sans métal pour obtenir le naturel nécessaire à l’intégration esthétique des prothèses dentaires.

Propriétés optiques des dents [9, 10, 11, 12]

La couleur est définie par la luminosité, la teinte et la saturation, trois paramètres auxquels il faut ajouter la translucidité.

La dent est un élément composite : l’émail recouvre la dentine avec la jonction amélo-dentinaire comme interface.

Émail et dentine ont leurs caractéristiques propres en translucidité, en densité et en teinte, avec un comportement complexe vis-à-vis de la lumière. Lorsque les rayons lumineux frappent la dent, certains sont réfléchis à sa surface, tandis que d’autres la pénètrent pour y être en partie absorbés et diffusés, et peuvent même parfois la traverser par endroits comme au niveau du bord libre des incisives.

Différents paramètres influencent le comportement optique des dents.

– L’état de surface

Plus la micro-géographie de surface est importante, plus l’aspect de la dent est mat. Plus la dent est « polie », plus son aspect est brillant.

Ainsi, pour des teintes identiques, deux dents à la géographie de surface différente n’ont pas du tout le même rendu optique.

– L’épaisseur

D’un point de vue physique, plus il y a de matière, plus la lumière est absorbée. Ainsi, au niveau d’un bord libre fin, la lumière traverse l’émail pour donner une teinte « translucide » gris-bleu.

Au niveau du corps de la dent, le comportement est le même. Un émail épais absorbe la lumière, donnant une teinte plutôt grise. Pour un émail plus fin, la lumière est moins absorbée et une plus grande quantité est réfléchie par la dentine, révélant sa couleur.

Le phénomène de réflexion-diffusion de la lumière se retrouve au niveau du bord cervical, illuminant ainsi les papilles (effet parasol).

Pour imiter la dent, les restaurations dentaires doivent se rapprocher des mêmes phénomènes d’absorption et de réflexion de la lumière, avec un état de surface proche de celui des dents adjacentes naturelles (fig. 1).

Devigus insiste sur le fait qu’une restauration dentaire imitant de manière optimale une apparence naturelle se caractérise par une harmonie et une concordance parfaites entre les structures naturelles et artificielles [13].

Les différentes céramiques

La translucidité d’une coiffe tout céramique comparée à celle d’une coiffe céramo-métallique donne un aspect plus naturel au résultat final ; elle s’affranchit de l’effet parasol ainsi que de l’aspect inesthétique du joint dento-prothétique (sauf lors de la réalisation d’un joint céramique-dent).

Mais, parmi les différentes céramiques, existe-t-il une famille de céramiques plus belle qu’une autre ? Un système est-il prépondérant par rapport à un autre pour optimiser le résultat esthétique ?

Le problème est complexe car beaucoup de facteurs entrent en jeu et le résultat final reste opérateur-dépendant. Néanmoins, parmi les critères primordiaux, les céramiques se distinguent entre elles par leur degré de translucidité, qui confère un aspect plus ou moins naturel à la restauration.

La classification basée sur la microstructure des céramiques peut être exprimée sous une forme synthétique, distinguant les céramiques « esthétiques » (vitrocéramiques) et les céramiques « structurales » (alumine et zircone) [13, 14].

Dans la recherche du naturel, les céramiques dites esthétiques apportent une plus grande translucidité, mais le corollaire est leur fragilité relative et la nécessité de les assembler par collage.

Les céramiques structurales sont utilisées comme céramiques d’infrastructure. Elles sont caractérisées par une proportion plus élevée de cristaux, ont une plus grande résistance mécanique, mais sont plus opaques que les céramiques vitreuses. Leur assemblage est réalisé principalement par scellement de type ciment verre ionomère modifié par adjonction de résine [15].

Une mise au point est nécessaire pour ne pas confondre le matériau céramique, sa mise en forme et le système permettant sa fabrication.

La mise en œuvre des céramiques se fait principalement sous deux formes.

– Les coiffes céramiques monoblocs

Il s’agit principalement de vitrocéramiques dont la morphologie est obtenue directement par pressage de plots ou usinage de blocs.

La céramique obtenue peut être maquillée ; l’uniformité du matériau confère une grande résistance mécanique.

Selon l’indication, il est possible d’avoir un bon rendu au niveau biomimétique, mais cette technique prive de stratification intégrale Une stratification partielle est possible (« cut-back ») ; le céramiste a la possibilité de soustraire un peu de céramique puis de stratifier superficiellement dans le but d’améliorer la morphologie et de donner des nuances dans la couleur.

– Les coiffes tout céramique

Une infrastructure en céramique (disilicate de lithium, alumine ou zircone) est stratifiée secondairement au moyen d’une céramique feldspathique.

Par ailleurs, il existe différents modes de fabrication des céramiques :

– des techniques conventionnelles ;

– des techniques faisant intervenir partiellement ou intégralement la CFAO.

Ces modes de fabrication s’appliquent différemment selon la catégorie de céramique. Ainsi, sans être exhaustif, les systèmes de fabrication les plus représentatifs sont décrits ci-dessous [16, 17].

Pour les céramiques esthétiques

La cuisson sur revêtement

Ce procédé de fabrication est essentiellement réservé aux facettes céramiques (fig. 2a et b). Il découle des premières techniques conventionnelles de cuisson sur revêtement. Cette technique comporte une mise en œuvre très minutieuse pour le laboratoire et demande une grande expérience de la part du céramiste car la résistance mécanique peut être aléatoire si la conception est mal maîtrisée. Elle permet d’obtenir des céramiques très fines, jusqu’à 0,4 mm d’épaisseur, et d’une très grande translucidité.

Le protocole clinique est commun aux techniques des facettes adhésives ; il demande beaucoup de rigueur dans les préparations et surtout dans la finition (surface la plus lisse possible).

La céramique pressée

Pour exemple, le système IPS Empress® (IPS Empress® Esthetic) de la société Ivoclar permet la réalisation de facettes en réalisant des armatures pressées en vitrocéramique. Le laboratoire gère intégralement la production avec un procédé de mise en œuvre reproductible et un matériau offrant translucidité et esthétique.

Le système a évolué avec l’IPS e.max Press® en proposant des restaurations à base de disilicate de lithium, ce qui améliore les propriétés mécaniques et élargit ainsi les indications cliniques aux couronnes unitaires, endocouronnes (fig. 3a à d et fig. 4a, b, c). Cette technique offre également la possibilité de fabriquer des inlays et des onlays.

L’usinage de blocs

La CFAO directe Cerec® AC de la société Sirona permet la réalisation de facettes, d’inlays, d’onlays, de couronnes et d’endocouronnes en céramique esthétique, par usinage dans un bloc. Le praticien réalise l’empreinte optique en bouche, la CAO et la FAO, sans intervention du laboratoire et avec la possibilité de faire le soin en une séance unique.

Pour les céramiques structurales

La barbotine infiltrée

Cette technique est propre au système VITA In-Ceram®, un système conventionnel ayant un recul clinique important. La complexité de la mise en œuvre demande toutefois au laboratoire une maîtrise de toute la chaîne technologique (fig. 5a à f).

Le céramiste peut jouer par anticipation sur l’épaisseur de l’infrastructure homothétique qui participe à l’obtention de la teinte finale, en fonction de la nature du support. Le système In-Ceram® se décline sous plusieurs compositions (Alumina, Spinell, Zirconia) selon l’indication et le degré d’esthétique souhaités.

L’usinage de blocs

Il s’impose à toutes les céramiques denses. Ainsi, le système Procera®, système CFAO indirect commercialisé par la société Nobel Biocare, permet la fabrication d’infrastructures usinées en alumine dense (Procera® Alumina) et en zircone (Procera® Zirconia) dans des centres d’usinage. Par ses propriétés mécaniques, la zircone est utilisée pour la réalisation de couronnes unitaires comme de bridges (article De March / Etienne dans ce numéro).

Plus d’une trentaine de solutions techniques se côtoient aujourd’hui sur le marché dentaire. Parmi celles-ci, quelques-unes se distinguent par leur gestion particulière de l’usinage.

– Le système Zirkonzahn®, système conventionnel qui passe par la fabrication au laboratoire de coques en résine pouvant être essayées en bouche pour valider l’ajustage avant la fabrication des infrastructures. Ces coques servent ensuite à la réalisation de chapes en zircone préfrittée au moyen d’un pantographe manuel. Le pantographe permet de surdimensionner les pièces prothétiques lors de l’usinage. Celles-ci acquièrent la bonne dimension et leurs qualités mécaniques lors du frittage (cuisson spécifique) (fig. 6a, b, c).

– Les sociétés spécialisées dans l’usinage, comme la société Diadem, constituent des solutions « ouvertes » capables d’usiner divers matériaux, dont la zircone qui est leur matériau principal. Ce système indirect offre la possibilité de réaliser des chapes et des armatures en zircone sans investissement de matériel pour le laboratoire, avec simplement l’envoi d’une maquette en cire qui est scannée au centre d’usinage ; il s’agit de FAO. Ce système propose aussi un scanner pour que le laboratoire puisse concevoir l’infrastructure par informatique (CAO). Pour Diadem, les chapes et armatures ont une épaisseur variable, entre 0,3 et 0,6 mm, et la zircone est proposée en sept teintes différentes (fig. 7).

– Le système d’usinage disponible au laboratoire ou au cabinet, le Cerec inLab®, système de CFAO indirecte, offre la possibilité d’utiliser différents types de céramiques et permet de réaliser l’ensemble de la prothèse au laboratoire. Il n’y a pas la nécessité du recours à un centre d’usinage délocalisé. Le praticien ou le prothésiste conserve la maîtrise de toute la chaîne technologique et utilise la CFAO. En termes de productivité, la quantité fabriquée localement n’est tout de même pas comparable avec celle du circuit industriel.

– Les systèmes « propriétaires » (par exemple, Lava®, 3M ; Procera®, Nobel Biocare). Dans ces systèmes, le laboratoire référent gère l’ensemble du protocole de conception puis délègue l’usinage. Pour le système Lava®, l’usinage se fait dans un centre régional ; pour le système Procera®, le centre d’usinage est situé à l’étranger (fig. 8a à d).

Les différents types de support [18, 19]

La couleur du support dentaire sur lequel est placée la céramique influence le résultat final car plus la céramique est translucide plus la coloration des surfaces sous-jacentes intervient.

Pour pouvoir bénéficier de la translucidité de la céramique, il faut parvenir à « neutraliser » la couleur du support.

S’il s’agit d’une dent naturelle, celle-ci peut être vivante ou dépulpée et présenter des dyschromies. La possibilité d’éclaircissement du moignon au préalable permettra de choisir une céramique plus translucide (fig. 9a et b).

Quand la dépose d’une dent à tenon risque de compromettre le pronostic de la racine, il est possible de transformer le support. Un dépôt de silice par microsablage sur la structure métallique (CoJet®, 3M ESPE) améliore le collage d’un opaqueur puis la stratification d’un composite à la teinte désirée (fig. 10a et b).

Lorsque les possibilités d’éclaircir ou de modifier le support sont limitées, l’alternative consiste à trouver des solutions au niveau de la stratification de la céramique [20].

Une autre solution consiste à augmenter l’opacité de la céramique aux dépens de sa translucidité.

– Dans les vitrocéramiques, il existe des structures de haute opacité (IPS e.max Press® HO) qui peuvent couvrir de façon uniforme un support inesthétique.

– L’In-Ceram® Zirconia permet également de masquer un support dyschromié ou métallique.

– La zircone, comme l’alumine, peut être envisagée mais sous réserve d’une couche primaire d’opaqueur en début de stratification et d’une épaisseur minimale (0,8 mm).

L’incidence des préparations [21, 22, 23, 24]

Deux notions sont importantes pour les préparations : aménager l’espace suffisant pour obtenir la résistance mécanique et l’esthétique de la céramique ; préserver l’intégrité tissulaire.

La valeur de réduction des préparations périphériques pour recevoir une couronne tout céramique serait de l’ordre de 1 mm ; cette valeur suffirait à donner une épaisseur suffisante de céramique et à permettre un bon résultat optique ; au-delà de 1 mm et selon le choix de la couleur, le résultat risque d’être trop opaque. La préparation du bord libre se situerait à 2 mm pour obtenir la morphologie optimale de la restauration.

La littérature scientifique internationale propose jusqu’à présent des méthodes de réduction dentaire adaptées aux principes de rétention et de coulée métallique. Le cahier des charges indique principalement le degré de convergence de la préparation, la dimension occluso-cervicale, la position des lignes de finition, l’état de surface de la dent préparée et propose la mise en place de rainures ou de boîtes pour augmenter la rétention.

Lorsqu’il s’agit d’une couronne céramique à infrastructure de type zircone ou alumine, destinée à être scellée, ces principes mécaniques des préparations peuvent s’appliquer. Mais, avec l’avènement de la dentisterie adhésive, les paradigmes de la prothèse fixée ont évolué. Les principes de préparation sont basés sur le substrat (émail, dentine) et sur la surface de collage. Il est possible, grâce au mimétisme entre l’émail et la céramique, de réaliser des limites supra-gingivales en évitant ainsi une préparation plus importante de la dent.

Dès lors, les préparations partielles sont privilégiées afin de préserver l’organe dentaire ; l’indication d’un recouvrement complet doit être méticuleusement étudiée, celle-ci se retrouvant ensuite dépourvue de ses caractéristiques anatomiques et privée de sa résistance mécanique naturelle.

De plus, les protocoles de préparation conventionnels ne sont pas adaptés aux dispositifs actuels car ils ne tiennent pas compte de l’évolution des procédés de conception et de fabrication. Pour l’utilisation de la CFAO, les préparations doivent être normalisées aux critères d’exigences de l’empreinte optique, de la conception virtuelle de maquettes et de l’usinage des pièces, ce qui n’est pas encore décrit pour le moment. Pour donner un exemple, la mise en place d’une rainure trop étroite sur une préparation risque de ne pas être enregistrée correctement par l’empreinte optique et de ne pas être prise en compte par la machine-outil lors de l’usinage de la céramique.

L’incidence de l’assemblage

Le matériau d’union qui fait l’interface entre la prothèse et son support détermine directement la pérennité de la restauration. Pour autant, il peut aussi influencer le cheminement de la lumière et perturber la translucidité générale de la restauration. Ce critère clinique est à prendre en compte essentiellement avec les vitrocéramiques. En effet, il n’y a pas d’influence du matériau d’assemblage sur le résultat optique des céramiques polycristallines [25, 26, 27]. Cependant, il faut aussi prendre en considération des paramètres tels que l’épaisseur de la céramique et le niveau concerné au sein de la restauration (occlusal ou cervical). Au-dessus de 2 mm d’épaisseur de céramique, la teinte et la nature du substrat n’influencent pas le résultat esthétique final ; mais il faut noter que 2 mm d’épaisseur sur la face vestibulaire d’une préparation est une valeur très importante et peu fréquemment applicable [28]. Il ressort des études une prééminence totale de l’influence de la teinte du support comparé à la teinte de la colle [29].

Ainsi, il est illusoire de vouloir masquer un support saturé sous une facette céramique fine par une colle opaque [30]. Pour autant, Chang et al. montrent que, sur une épaisseur de 1 mm, si le bord incisal n’est jamais influencé par le support et l’assemblage, c’est au niveau cervical qu’il y a le plus de variations, et il est alors possible de masquer un support très saturé par une colle blanche opaque [31].

L’épaisseur du film de collage a aussi une influence, et, entre 0,1 et 0,2 mm, le résultat final sera légèrement différent. Mais la gestion de cette épaisseur est cliniquement difficile à réaliser et vouloir prendre en compte la teinte de la colle comme un élément déterminant n’est pas prédictible. Il s’agit donc d’utiliser cette dernière variable comme un élément d’ajustage qui joue sur le détail final. Pour maîtriser le résultat esthétique tout en minimisant le rôle du matériau de collage, il est préférable de jouer sur le choix du lingotin en translucidité/opacité. Ce choix se fait en fonction de l’épaisseur, du support et surtout dépend totalement de l’interaction clinique-laboratoire qui trouve ici toute son importance [13].

Le collage est la dernière étape du traitement, réalisée sous champ opératoire, la résine permet de sublimer le résultat mais ne saurait rattraper un choix erroné de conception (fig. 11).

Approche de la translucidité par le céramiste [32, 33, 34]

Pour intégrer visuellement une reconstruction prothétique dans un environnement dentaire, le bon protocole paraît difficile à trouver. Une collaboration étroite entre praticien et prothésiste permet toutefois d’atteindre cet objectif.

La perception et la simulation de la translucidité d’une dent sont, dans la majorité des cas, dépendantes de la stratification de l’émail. La translucidité d’un émail est une valeur plus rapidement identifiable sur fond noir. En effet, ce fond permet de retranscrire ensuite, à l’aide d’un échantillonnage de différentes « masses émail », ce que perçoit l’œil dans une cavité buccale sombre.

Ainsi, si l’émail à reproduire est intensivement gris sur ce fond noir, alors l’émail céramique utilisé doit être d’une transparence extrême ; en revanche, si l’émail à reproduire est très « blanc » ou « laiteux », l’émail céramique doit être très opaque pour empêcher le passage de la lumière.

Une autre dimension indispensable à préciser est l’aspect « blanc » de cet émail. En effet, l’émail « blanc » possède une couleur qui lui est propre selon les patients : pour l’évaluer, il suffit de placer un fond blanc pour déterminer s’il contient une nuance grise, brune, jaune ou orange. Il est parfois judicieux d’incorporer, à dose « homéopathique », des « essences » chromatiques subtiles et variées, pour masses amélaires translucides et pour masses dentines (par exemple, coffret « essence » pour la céramique IPS e.max Press®).

Le coffret de céramique du laboratoire contient un large spectre de couleurs et de masses utilisables à l’infini pour répondre à toutes les exigences particulières.

Ainsi, sur une dent A4 ou B4 (des couleurs souvent saturées pour la dentine), il est possible de créer un rendu lumineux par la simple application d’un émail céramique très laiteux. Gérald Ubassy illustre à merveille cet exemple [35].

Une couleur standard ne suffit plus à satisfaire le patient, il est donc de bon ton de s’approcher au plus près de l’aspect naturel de sa denture et de faire confiance à ce que perçoit l’œil : ce que l’on remarque est important, mais ce que l’on distingue est indispensable pour établir une carte de montage céramique utile.

Illustration clinique

Le cas clinique présenté consistait en une réhabilitation des incisives maxillaires sur quatre supports différents : une dent vivante, une dent vivante dyschromiée, un implant dentaire, une dent dépulpée, l’objectif étant d’obtenir une similitude d’aspect entre les incisives.

Le motif de la consultation concernait la fracture radiculaire de 21. L’examen clinique a révélé également un défaut d’adaptation des couronnes bordant l’édentement de 21 et un contact proximal déficient entre 11 et 12 lié à la morphologie de 12 (fig. 12).

Il a été décidé en accord avec le patient d’orienter le traitement vers des restaurations unitaires avec l’indication d’une facette sur 12 et trois couronnes complètes sur 11, 21 et 22.

Pour obtenir un résultat esthétique satisfaisant, le choix de la restauration finale se porte sur des couronnes céramiques à infrastructure en disilicate de lithium (IPS e.max Press®, Ivoclar).

Les étapes préparatoires de la prothèse ont consisté, au laboratoire, à donner une morphologie sur moulage des restaurations avec de la cire ajoutée (fig. 13) et, en clinique, à réaliser la prise de la couleur initiale selon les recommandations données par le laboratoire : uniquement les valeurs A et B du teintier Vita sur fond blanc et sur fond noir (fig. 14).

Une céramique test est construite à partir des premières indications de couleur, présentée sur modèle sous différentes luminosités et testée en bouche avec les premiers jeux d’éléments provisoires (fig. 15).

Le support de 22 a été modifié par la dépose d’une RCR coulée et remplacée par une reconstitution foulée avec tenon en fibre de verre. Un pilier implantaire anatomique en zircone est modelé (fig. 16) et fabriqué par CFAO puis transvissé sur l’implant (fig. 17).

Les étapes cliniques suivantes permettent la maturation tissulaire et l’obtention des papilles interdentaires, par le travail des embrasures des provisoires et du composite sur 12 jusqu’à la préparation des supports à la prise d’empreinte (fig. 18).

À partir des maîtres moulages et de la clé du montage directeur, les infrastructures en disilicate sont sculptées et pressées. La céramique de recouvrement est stratifiée en plusieurs couches jusqu’à l’anatomie complète des couronnes (fig. 19).

Les céramiques sont placées en bouche, adaptées et validées avant le collage.

Conclusion

Le matériau céramique a toujours eu la faveur de l’ensemble de la profession dentaire et des patients.

Depuis de nombreuses années, chercheurs et cliniciens ont travaillé pour obtenir les céramiques utilisées actuellement. L’intérêt pour la céramique existe depuis longtemps mais c’est l’augmentation de sa résistance mécanique, l’amélioration des techniques d’assemblage (par collage) et la mise au point de préparations spécifiques qui en font aujourd’hui un matériau de choix.

La céramique apparaît comme le matériau de l’avenir grâce à sa biocompatibilité et à la possibilité d’offrir un résultat final potentiellement plus esthétique. Pour autant, il est nécessaire de l’apprivoiser tant au niveau du laboratoire que de la clinique, en connaissant ses possibilités et ses limites.

Il est indispensable de comprendre aussi la mise en œuvre des matériaux céramiques, d’en connaître les particularités pour modifier les habitudes de travail mais surtout d’adopter le raisonnement intellectuel pour élaborer les plans de traitement adaptés à chaque situation clinique.

Pour parvenir à imiter la dent naturelle, les restaurations prothétiques sans métal doivent être considérées comme un atout supplémentaire pour améliorer la translucidité et l’esthétique sans pour autant représenter l’unique solution.

Remerciements au groupe FLAP.

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