Impact sur la mastication des traitements par prothèses amovibles partielles de petite étendue - Cahiers de Prothèse n° 157 du 01/03/2012
 

Les cahiers de prothèse n° 157 du 01/03/2012

 

Prothèse amovible partielle

Marion Bessadet*   Marie-Laure Malbos-Jalabert**   Marine Sochat***   Emmanuel Nicolas****   Jean-Luc Veyrune*****  


*Attachée hospitalo-universitaire
**UFR Odontologie, Service de prothèse
11, Bd Charles de Gaulle
63000 Clermont-Ferrand
***Attachée hospitalo-universitaire
****UFR Odontologie, Service de prothèse
11, Bd Charles de Gaulle
63000 Clermont-Ferrand
*****Docteur en chirurgie dentaire
******UFR Odontologie, Service de prothèse
11, Bd Charles de Gaulle
63000 Clermont-Ferrand
*******MCU-PH
********UFR Odontologie, Service de prothèse
11, Bd Charles de Gaulle
63000 Clermont-Ferrand
*********PU / PH
**********UFR Odontologie, Service de prothèse
11, Bd Charles de Gaulle
63000 Clermont-Ferrand

Résumé

L’objectif de ce travail était d’évaluer les conséquences de la réhabilitation d’un édentement partiel par PAP à châssis métallique sur les paramètres de la mastication. Ainsi, 10 sujets porteurs d’une PAP métallique encastrée et 9 sujets porteurs d’une PAP réhabilitant un édentement en extension ont participé à l’étude. Tous présentaient une arcade antagoniste complète et dentée. Il a été demandé aux sujets de mastiquer, avec et sans leur prothèse, des échantillons de carottes et de cacahuètes. La fréquence masticatoire et la valeur médiane (d50) de la taille des particules composant le bol alimentaire ont été calculées : quel que soit le type d’édentement (terminal ou encastré) et l’aliment, la fréquence masticatoire et la granulométrie du bol alimentaire diminuaient avec le port de la prothèse. La diminution de la fréquence signait une mastication perturbée mais la granulométrie était globalement améliorée. D’autres études avec des sujets possédant un nombre croissant de dents absentes permettraient de déterminer à partir de quelle ampleur de l’édentement la réhabilitation prothétique deviendrait physiologiquement indispensable.

Summary

Impact of partial denture on masticatory parameters

The objective of this study was to estimate the impact of the partial denture on masticatory parameters. For this, 10 subjects with embedded removable partial denture and 9 subjects with terminal edentulousness participated in the study. All presented a complete opposing arch. The subjects chewed samples of carrots and peanuts with and without their denture. The masticatory frequency and the median value (d50) of the particles size of food bolus were calculated : whatever the type of rehabilitation (terminal or embedded) and food, the masticatory frequency and the particle size decreased with the wearing of the partial denture. The decrease of the frequency showed an impaired chewing but the bolus particles size was globally improved. Other studies with subjects having a growing number of absent teeth would determine from which state of the edentulousness the prosthetic rehabilitation would become physiologically beneficial for the patient.

Key words

removable partial denture, mastication, evaluation

Introduction

En 1974, Levin [1] parlait d’un « syndrome des 28 dents » qui conduirait à vouloir obligatoirement remplacer les dents manquantes. Ainsi, les odontologistes surévalueraient les conséquences fonctionnelles de la perte d’une dent. Des études menées depuis défendaient le concept d’arcade raccourcie [2, 3]. Une arcade raccourcie est une denture comprenant 3 à 5 unités fonctionnelles (une unité fonctionnelle étant constituée d’une paire de prémolaires ou de molaires en occlusion). D’après Käyser, 12 dents antérieures et 8 prémolaires seraient nécessaires et suffisantes pour assurer la stabilité mandibulaire (garante d’une déglutition sécurisée, sans fausse route), à condition que toutes ces dents soient de la meilleure « qualité » possible [2, 3].

Le gain de surface masticatoire n’est cependant pas le seul argument de remplacement d’une dent absente : l’esthétique, le calage des dents antagonistes et adjacentes sont aussi des arguments qui amènent le patient, comme le praticien, à remplacer des dents manquantes. Se pose également la question du maintien de l’intégrité des articulations temporo-mandibulaires : une étude menée par l’équipe de Kaÿser [4] ne montrait pas de différences significatives de la prévalence des désordres de l’articulation temporo-mandibulaire entre les sujets présentant des arcades raccourcies ou complètes [5]. Les modifications visibles chez les patients avec arcades raccourcies ne seraient pas des manifestations pathologiques mais les signes d’une adaptation physiologique.

En cas d’édentement partiel, et selon la situation clinique, il existe plusieurs possibilités de réhabilitation prothétique : la prothèse fixée (conventionnelle ou sur implants) et la prothèse amovible. La prothèse amovible partielle (PAP) est un support de dents artificielles ; elle est destinée à rétablir la fonction de mastication, l’esthétique et la phonétique. Elle compense les édentements partiels [6]. La compréhension de la biomécanique en jeu (appréciation de la double nature d’appui et donc de la différence de comportement des tissus) permet au praticien de concevoir une prothèse amovible satisfaisant l’exigence suivante : assurer son équilibre lors de la fonction, c’est-à-dire établir et maintenir la sustentation, la stabilisation et la rétention (triade de Housset). En fonction de ces exigences, selon le nombre de dents à remplacer et le type d’édentement (encastré ou terminal), les contraintes auxquelles la prothèse est soumise seront différentes et l’impact de la réhabilitation fonctionnelle modifié. À ce titre, l’objectif de ce travail était d’évaluer quelles pouvaient être les conséquences de la réhabilitation d’un édentement partiel par PAP à châssis métallique sur les paramètres de la mastication [7].

Méthodologie de l’étude

Les sujets étudiés

Cette étude a été menée auprès de patients volontaires traités au centre de soins dentaires de Clermont-Ferrand. Ces patients ont été informés des objectifs de cette étude et ont donné leur consentement par écrit. Ainsi, 19 sujets de 24 à 79 ans – 6 hommes (moyenne : 50,8 ans) et 13 femmes (moyenne : 60,7 ans) – ont participé à l’étude. Leurs prothèses étaient en place depuis au moins deux mois. Parmi eux, 10 sujets étaient porteurs d’une PAP métallique encastrée (classe III ou VI) remplaçant au maximum 4 dents cuspidées (mandibulaires ou maxillaires) et 9 sujets étaient porteurs d’une PAP métallique de classe I ou II de Kennedy (édentement en extension uni ou bilatéral) remplaçant au maximum 8 dents. Tous présentaient une arcade antagoniste complète et dentée.

Évaluation de la mastication

Pour cette étude, il a été demandé aux sujets de mastiquer avec leur prothèse trois échantillons de carotte calibrée en poids (4 g) et en taille (2 cm de diamètre et 1 cm d’épaisseur) et de les recracher avant déglutition dans un récipient. Par la suite, les sujets ont mastiqué trois échantillons de carotte sans leur prothèse. Les séquences masticatoires ont été filmées, ce qui permettait, lors de la relecture, de calculer la fréquence masticatoire (nombre de cycles masticatoires/ temps) (fig. 1). Le logiciel Powdershape® a analysé la taille des particules composant le bol alimentaire de carotte recraché. La valeur médiane (d50) représentative de la distribution de la taille des particules a été recueillie pour pouvoir caractériser le bol [8]. La même évaluation a été réalisée avec des échantillons de cacahuète (fig. 2, 3 et 4).

Résultats

Mastication de la carotte

La fréquence masticatoire lors de la mastication de la carotte a été comparée avec et sans le port de la prothèse. Quel que soit le type d’édentement (terminal ou encastré), la fréquence diminuait avec le port de la prothèse (test t, p < 0,001) (fig. 5).

La granulométrie (d50) de la carotte diminue avec le port de la prothèse, mais de manière non statistiquement significative (fig. 6). Quel que soit l’édentement, avec ou sans le port de la prothèse, le d50 est supérieur à 4 000 µm, qui correspond à la norme établie par Woda et al. pour l’aliment carotte [8].

Mastication de la cacahuète

Avec le port de la prothèse, il y avait une diminution non significative de la fréquence masticatoire (fig. 7). En revanche, une diminution de la granulométrie (d50) a été constatée (test t, p < 0,05) (fig. 8).

Discussion

Cette étude visait à évaluer l’impact de la réhabilitation par prothèse amovible partielle sur les paramètres masticatoires. Les indicateurs de la mastication retenus étaient la fréquence masticatoire et la granulométrie observée pour les aliments carotte et cacahuète.

Cinématique

La fréquence de mastication correspond au nombre de cycles divisé par le temps de mastication ; c’est le rythme de mastication de l’aliment. Dans cette étude, une fréquence significativement diminuée a été retrouvée avec la prothèse amovible pour l’aliment carotte et pour les deux groupes de sujets : édentements encastrés et édentements terminaux (p < 0,001). Un article de Woda et al. en 2006 [9] précisait que la fréquence masticatoire est le paramètre masticatoire le plus reproductible entre les essais chez un même individu. À ce titre, la fréquence peut être proposée comme un des deux critères de détection de déficience masticatoire. La diminution de la fréquence signe alors une mastication perturbée. De précédentes études [10, 11] ont décrit les facteurs extrinsèques et intrinsèques qui entraînent une modification de la fréquence, en particulier les suivants.

– La dureté de l’aliment. La fréquence masticatoire reste constante même si la dureté de l’aliment augmente, à comportement rhéologique constant.

– Le port de prothèses amovibles totales. La fréquence masticatoire diminue par rapport à des individus dentés et en bonne santé.

Notre étude va aussi dans ce sens, en mettant en évidence une diminution significative de la fréquence lorsque les dents absentes ont été remplacées par la prothèse amovible. Celle-ci constitue un élément étranger plus ou moins instable, en fonction du type d’édentement et du nombre de dents absentes, introduisant des modifications de la cinématique mandibulaire.

Granulométrie

L’étude granulométrique consiste à comparer la médiane de la taille des particules ou d50. Le d50 est la valeur de la taille des mailles du tamis réel ou virtuel pour laquelle il existait 50 % de particules plus grosses et 50 % de particules plus petites. Cette valeur est importante car la taille des particules du bol alimentaire est une composante essentielle du stimulus déclenchant la déglutition [12]. Certaines études ont montré la faiblesse, voire l’absence de variabilité intra-individuelle du d50 pour un aliment donné [9]. Pour l’aliment carotte, nous n’avons pas retrouvé de différence significative de la taille des particules mastiquées avec et sans l’appareil amovible. Les données recueillies peuvent être comparées au MNI (Masticatory Normative Indicator) [8]. Le MNI établit une valeur maximale de la taille médiane des particules pour l’aliment carotte, au-delà de laquelle la mastication de l’aliment était insuffisante pour être considérée comme satisfaisante. Cette valeur du d50 doit être inférieure à 4 mm. Dans cette étude, quel que soit le groupe (édentement terminal ou encastré), que la prothèse ait été ou non portée, la valeur du d50 était supérieure au MNI. L’amélioration avec le port de l’appareil était visible mais sans être significative. Il a cependant été noté que, pour les résultats concernant les édentements encastrés, la diminution de granulométrie avec le port de la PAP était plus marquée. Ce résultat est similaire à celui d’Aras et al. [13], qui a comparé les performances de mastication de patients avec une arcade raccourcie (arcade dentaire s’arrêtant aux deuxièmes prémolaires ou aux premières molaires) et ceux présentant une PAP à châssis métallique (remplaçant les molaires). Le protocole expérimental était proche de celui de notre étude, la performance de mastication étant aussi étudiée par une méthode d’analyse de taille médiane de particules (mais d’un aliment non naturel). Ces deux groupes ont été comparés à un troisième, composé de patients ayant une denture complète. Les résultats de l’étude n’ont pas montré d’écart significatif entre les performances de mastication des différents groupes, visant ainsi à défendre, comme l’avait fait l’équipe de Kaÿser [5], le concept d’arcade raccourcie (shortened dental arch). L’existence d’unités fonctionnelles dentaires pourrait donc être un facteur-clé dans la préservation de la fonction masticatoire. Nous pouvons rapprocher cette hypothèse du fait que la préservation des dents sur l’arcade permet de conserver la proprioception. Une étude de 2006 a montré que les porteurs de prothèses amovibles perdaient de la précision dans le contrôle des forces développées au cours de l’écrasement de l’aliment, perte proportionnelle à l’importance de la prothèse. Les rétrocontrôles sont nécessaires à la formation du bol alimentaire ; ils modulent l’activité musculaire. Du fait de la perte de sensibilité parodontale consécutive à la perte d’une dent, ces rétrocontrôles sont plus ou moins mis en jeu. Le cas extrême est celui du patient totalement édenté, qui conservera néanmoins une aptitude sensorielle grâce à la sensibilité muqueuse, musculaire et articulaire [11].

Conclusion

La PAP reste d’actualité pour des raisons anatomiques, médicales ou économiques. Elle répond à des exigences esthétiques et fonctionnelles, en prenant en compte la double nature de l’appui : muqueux et dentaire. Dans les cas d’édentements postérieurs uni- ou bilatéraux, la biomécanique des forces n’est pas la même que pour les édentements encastrés où ce sont les appuis dentaires qui prédominent. La dualité tissulaire devient une problématique physiologique et mécanique, et la conception d’une prothèse amovible sur châssis métallique répondant aux exigences de la triade de Housset devient plus difficile pour les édentements terminaux. Cette constatation a conduit des auteurs tel Käyser à défendre le concept d’arcade raccourcie. Dans cette étude, similairement, la fréquence diminuait avec le port de la prothèse amovible pour l’aliment carotte. L’hypothèse selon laquelle une variation de la fréquence pourrait être l’indicateur d’une fonction masticatoire réduite [9] soutient le concept d’arcade raccourcie, et donc le non-remplacement systématique des molaires absentes. L’absence d’amélioration granulométrique visible pour l’aliment carotte complète cette argumentation. Des études davantage ciblées en termes de groupes de patients possédant un nombre de dents absentes croissant permettraient de déterminer à partir de quelle ampleur de l’édentement la réhabilitation prothétique deviendrait physiologiquement indispensable.

bibliographie

  • 1 Levin B. The 28-tooth syndrome – or should all teeth be replaced. Dent Surv 1974;50(7):47.
  • 2 Kanno T, Carlsson GE. A review of the shortened dental arch concept focusing on the work by the Käyser/Nijmegen group. J Oral Rehabil 2006;33(11):850-62.
  • 3 Witter DJ, van Elteren P, Käyser AF, van Rossum MJ. The effect of removable partial dentures on the oral function in shortened dental arches. J Oral Rehabil 1989;16(1):27-33.
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  • 10 Peyron MA, Lassauzay C, Woda A. Effects on increased hardness on jaw movement and muscle activity during chewing of visco-elastic model foods. Exp Brain Res 2002;142(1):41-51
  • 11 Veyrune JL, Mioche L. Complete denture wearers: electromyography of mastication and texture perception whilst eating meat. Eur J Oral Sci 2000;108(2):83-92.
  • 12 Mishellany A, Woda A, Labas R, Peyron MA. The challenge of mastication: preparing a bolus suitable for deglutition. Dysphagia 2006;21(2):87-94.
  • 13 Aras K, Hasanreisoglu U, Shinogaya T. Masticatory performance, maximum occlusal force and occlusal contact area in patients with bilaterally missing molars and distal extension removable partial dentures. Int Journal Prosthodont 2008;22(2):204-209.