Les empreintes optiques au fauteuil en prothèse sur implants : une technique d’actualité ? - Cahiers de Prothèse n° 162 du 01/06/2013
 

Les cahiers de prothèse n° 162 du 01/06/2013

 

Implantologie

Marion Bessadet*   Emmanuel Nicolas**   Marie-Laure Malbos-Jalabert***   Jean-Luc Veyrune****  


*Enseignant-chercheur
contractuel, praticien attaché, sous-section de
prothèses

**UFR Odontologie
CHU de Clermont-Ferrand
***Docteur de l’université
d’Auvergne, MCU-PH

****UFR Odontologie
CHU de Clermont-Ferrand
*****Attaché
hospitalier, sous-section de prothèses

******UFR Odontologie
CHU de Clermont-Ferrand
*******Docteur de l’université
d’Auvergne, PU-PH

********UFR Odontologie
CHU de Clermont-Ferrand

Résumé

Dans le service d’odontologie du CHU de Clermont-Ferrand, les empreintes optiques avec le système iTero™ sont réalisées quotidiennement sur des préparations dentaires avec d’excellents résultats. En revanche, les empreintes optiques de position des racines artificielles implantaires ne sont disponibles avec le système iTero™ que depuis quelques mois. Ce travail se propose de présenter le protocole de prise d’empreinte optique pour la prothèse sur implants illustré par une série de cas cliniques. Le système d’empreinte optique iTero™ a longtemps été le seul système d’empreinte à fonctionner sans poudrage. L’empreinte est réalisée grâce à une série de clichés successifs qui se recoupent puis qui sont assemblés. Il est ainsi possible de réaliser l’empreinte d’une arcade complète sans limitation du nombre de préparations, par exemple pour un bridge complet. Après avoir fait ses preuves en prothèse fixée, le système d’empreinte optique iTero™ poursuit son développement en prothèse fixée sur implant. Les résultats obtenus sur une dizaine de cas montrent la fiabilité du système en termes de précision. Actuellement, les meilleures indications d’une empreinte optique iTero™ concerneraient la réalisation d’une prothèse scellée sur pilier usiné sur mesure (unitaire ou plurale) et la réalisation d’une empreinte mixte incluant l’enregistrement de préparations dentaires et la position d’implants dentaires.

Summary

Optical impressions for fixed implant-supported prostheses : a technique up to date ? Presentation of clinical cases realized with the iTero™ system

In the odontology department of the Clermont-Ferrand university hospital, optical impressions are performed daily with excellent results using the iTero™ system on dental preparations. However, optical impressions for positioning implants’ artificial roots are only available on the iTero™ system for a few month. The following work present procedure for making optical impressions for implant based prosthesis through a series of clinical cases. The iTero™ impression system has been for a long period the only impression system to work without powder-coating. The impression is realized through a series of successive overlapping pictures that are assembled afterwards. It is then possible to generate a full-arch impression without being limited by the number of preparations, for example for a complete bridge. The impressions on implants technically resemble a classical impression. Indeed, transfers, also called scanbodies, are screwed on the implants and the pictures are taken in the same way than for impression on teeth. With a proven track record in fixed dental prosthetics, the iTero™ impression system continue its development in implant based prosthetics. Obtained results on about 10 cases show the precision of the system is reliable. At the present time, indications for an optical iTero™ impression would be as far as we are concerned : the making of a custom manufactured abutment sealed prosthesis (single or multiple) and the making of a mist impression including the recording of the dental preparations and the positioning of the dental implants.

Key words

implants, optical impression, prosthesis

Depuis plusieurs années, les ­laboratoires de prothèses ont entamé leur révolution numérique. La CFAO a entraîné un bouleversement important dans le déroulement de la chaîne prothétique. Dans la majorité des cas, les moulages sont scannés pour fournir des fichiers numériques à partir desquels l’armature prothétique est réalisée par usinage ou par frittage. On gagne ainsi en qualité et en précision grâce à des armatures à l’homothétie mieux contrôlée et des matériaux plus homogènes qu’auparavant.

Jusqu’à présent, les empreintes optiques réalisées directement en bouche ne bénéficiaient pas de la confiance des praticiens qui restaient ou restent encore sur des expériences anciennes décevantes. Pourtant des systèmes d’empreinte optique et d’usinage directement au fauteuil (CEREC®) ont fait leurs preuves depuis de nombreuses années [1]. Les performances des ordinateurs et l’évolution des logiciels de prise d’empreinte et de CFAO se sont traduites par une explosion de l’offre commerciale. Actuellement, quatre systèmes d’empreinte optique sont commercialisés en France :

– le CEREC® Connect (Sirona) ;

– le système iTero™ (Align Technology, Inc.) ;

– le Lava™ C.O.S. (3M ESPE) ;

– le TRIOS® (3shape).

Le praticien se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins et d’importantes mutations sont en cours dans la manière d’envisager les préparations, la prise d’empreinte et les restaurations. Dans ce contexte, les cabinets dentaires présentent un « retard » en termes d’empreintes optiques qui se comble peu à peu. En effet, il paraît incohérent de réaliser des empreintes physiques pour ensuite les transformer en fichier numérique après scannage du moulage.

Les empreintes optiques réalisées directement en bouche ont fait leurs preuves [2, 3]. Dans le service d’odontologie du CHU de Clermont-Ferrand, ces empreintes sont réalisées quotidiennement sur des préparations dentaires avec d’excellents résultats (fig. 1) [4]. En revanche, les empreintes optiques de position des racines artificielles implantaires ne sont disponibles avec le système iTero™ que depuis quelques mois. L’objectif de cet article est de présenter le protocole clinique de prise d’empreinte optique pour la prothèse sur implant en s’appuyant sur différents cas cliniques.

Présentation des empreintes optiques implantaires

Comme tous les systèmes de prise d’empreinte optique, iTero™ se présente sous la forme d’une caméra de prise de vue reliée à un ordinateur. Il a longtemps été le seul système d’empreinte optique à fonctionner sans poudrage. L’empreinte est réalisée grâce à une série de clichés successifs qui se recoupent ensuite. Il est ainsi possible de réaliser l’empreinte d’une arcade complète sans limitation du nombre de préparations, par exemple pour un bridge complet. L’occlusion d’intercuspidie maximale est également enregistrée de façon très précise grâce à une prise de vue vestibulaire. L’absence d’interposition d’un matériau d’enregistrement entre les arcades contribue à la précision de l’enregistrement.

La prise d’empreinte sur implants est assez proche, en ce qui concerne les moyens mis en œuvre, d’une empreinte classique. En effet, des transferts appelés corps de scannage (fig. 2, 2 et 3) sont transvissés sur les implants puis la prise de clichés est réalisée de la même manière que pour l’empreinte de préparations dentaires.

Comme pour les transferts classiques, les corps de scannage correspondent au type et au diamètre de l’implant utilisé. Le système d’empreinte iTero™ sur racine artificielle a été mis au point grâce à une collaboration entre Align Technology et la société Straumann et, pour l’instant, seuls les implants de ce fabricant peuvent être utilisés. L’empreinte optique des corps de scannage est effectuée comme s’il s’agissait de dents naturelles, le logiciel reconnaît et positionne l’implant dans le modèle virtuel.

Une fois l’empreinte réalisée, le fichier est adressé, via Internet, à un laboratoire de calcul qui va travailler sur le fichier pour éliminer les artefacts. Le fichier nettoyé est ensuite adressé au laboratoire de prothèses qui pourra faire la modélisation des différents éléments (pilier personnalisé, armature). Si cela s’avère nécessaire, le laboratoire a la possibilité de commander un modèle usiné en polyuréthane. Ces modèles sont très résistants et d’une grande précision. Ils peuvent être livrés sur occluseur, sur articulateur ou être montés sur articulateur secondairement par le praticien.

Cas cliniques

Cas clinique n° 1

Un patient âgé de 40 ans est venu consulter à la suite de la perte des 12 et 13. Le traitement proposé comprenait la pose de 2 implants Straumann® Bone Level, exploités pour gérer au mieux le profil d’émergence. Dans un premier temps, un bridge provisoire transvissé a été réalisé pour préparer les tissus péri-implantaires (fig. 4). Après maturation des tissus mous, une empreinte optique a été réalisée. Des corps de scannage correspondant aux implants Straumann® Bone Level ont été mis en place (fig. 5) et les clichés enregistrés.

L’empreinte a ensuite été adressée au laboratoire de prothèses. Sur le modèle virtuel, le prothésiste a modélisé les piliers anatomiques (fig. 6) qui seront usinés par la société Straumann. Le laboratoire a commandé également les moulages physiques. Les piliers usinés ont été positionnés sur les répliques d’implant incluses dans le moulage (fig. 7).

Les piliers ont été essayés en bouche pour vérifier la situation des limites en fonction de la forme des tissus mous (fig. 8). Cette étape étant validée, le moulage avec ses piliers a pu être scanné au laboratoire pour modéliser et usiner une armature en zircone (fig. 9, 10 et 11). Le bridge a ensuite été terminé de façon conventionnelle par apport de céramique cosmétique (fig. 12).

Pour ce premier cas, la chaîne numérique a été respectée du début à la fin de la réalisation de la prothèse. L’absence d’empreinte conventionnelle a amélioré les délais de fabrication puisque le prothésiste modélise immédiatement les piliers anatomiques qu’il peut obtenir en même temps que le modèle physique, usiné lui aussi. Le travail du prothésiste de laboratoire est facilité par la modélisation qui permet d’obtenir des armatures homothétiques correspondant aux exigences mécaniques des matériaux utilisés. De plus, la précision de l’empreinte, tant au niveau du positionnement des implants que de l’enregistrement de l’occlusion, garantit une mise en place de la prothèse avec un minimum de réglage [5].

Cas clinique n° 2

Il s’agissait également d’un édentement antérieur : 2 implants Straumann® Bone Level ont été posés en 12 et 21. Le projet prothétique comprenait la réalisation d’un bridge sur ces 2 implants.

Dans un premier temps, un bridge provisoire vissé a été mis en place pour permettre la maturation des tissus mous (fig. 13). L’empreinte optique a ensuite été réalisée. Dans ce cas, les corps de scannage utilisés étaient constitués de deux parties (corps de scannage de première génération). Ils étaient un peu plus délicats à utiliser que les corps de scannage monoblocs utilisés pour le cas précédent. En effet, la mise en place du chapeau, après vissage du corps, présente une certaine difficulté, surtout si on doit démonter et remonter le corps de scannage au cours de l’empreinte, pour des raisons d’occlusion par exemple (fig. 14). En effet, d’une manière générale, les corps de scannage sont trop longs et interfèrent avec l’arcade antagoniste. Cela constitue un point qui pourrait être facilement amélioré par le concepteur du système d’empreinte.

L’empreinte a été adressée, via Internet, au prothésiste qui a pu ainsi modéliser les piliers, demander leur usinage et le modèle physique issu de l’empreinte numérique. Il a été décidé de réaliser un bridge d’usage scellé sur piliers anatomiques usinés. Afin d’obtenir un résultat le plus esthétique possible, les piliers et l’armature du bridge ont été réalisés en zircone (fig. 15 et 16). Sur les piliers, une armature homothétique à la morphologie finale du bridge d’usage a été modélisée et usinée (fig. 17 et 18). Le bridge a ensuite été terminé de façon habituelle (fig. 19 et b).

Dans ce cas, l’utilisation de piliers en zircone usinés sur mesure permet d’éviter toute apparition d’un liseré grisâtre au niveau du collet des dents prothétiques. De plus, ces piliers usinés permettent de ménager la place nécessaire pour l’armature et la céramique cosmétique en évitant tout risque de surcontour (fig. 20 et 21).

Cas clinique n° 3

Ce patient présentait un édentement encastré bilatéral maxillaire concernant les 2 prémolaires et la première molaire. Quatre implants Straumann® Tissus Level ont été posés en position 14, 16, 24 et 26. Dans le secteur 1, l’épaisseur d’os sous-sinusienne n’autorisait pas la pose d’implants. Un soulevé de sinus a été effectué pour aménager le site implantaire (technique de Summers). Dans le même temps, le guidage antérieur a dû être reconstruit par couronnes sur dents naturelles.

La réalisation d’une empreinte mixte de prothèse fixée conventionnelle et de prothèse sur implants est toujours un acte délicat. En effet, les objectifs sont différents. Pour la première, il s’agit d’enregistrer avec précision les limites des préparations ; pour la seconde, il s’agit d’une empreinte de positionnement. La gestion du transfert d’implant et de l’enregistrement des limites des préparations, au cours d’une empreinte avec porte-empreinte ouvert, n’est pas toujours facile, surtout lorsqu’un grand nombre de préparations est concerné. Dans ce cas, l’empreinte optique est particulièrement indiquée. C’est ce qui a été réalisé pour ce patient. En raison des conditions anatomiques, un temps plus long d’ostéo-intégration des implants dans le secteur 1 a été décidé. L’empreinte et la mise en charge des implants en position de 14 et 16 ont été différées.

Les 6 dents antérieures ont été préparées et des couronnes provisoires mises en place. Lors de la séance d’empreinte optique, 2 corps de scannage en 2 pièces ont été transvissés (fig. 22). L’ensemble des préparations dentaires et la position des implants ont pu alors être enregistrés par la caméra en même temps ainsi que l’occlusion (fig. 23). Le prothésiste a alors pu disposer du fichier numérique et d’un modèle usiné où figuraient les préparations dentaires et les répliques d’implants. Il a pu modéliser les chapes des couronnes céramo-métalliques et, sur ce même modèle, l’armature du bridge sur implants qui a été réalisée par surcoulée sur piliers synOcta® (fig. 24 et 25).

Les cas d’empreintes mixtes, préparations dentaires et implants, sont actuellement les seuls pour lesquels l’empreinte optique trouve un intérêt bien que la chaîne numérique ne soit pas totalement respectée. Une empreinte optique d’implants avec le système iTero™ qui aurait pour seul but d’obtenir un modèle physique usiné, pour fabriquer la prothèse de façon classique, n’aurait que peu d’intérêt (fig. 26 et ). En effet, la mise en place de piliers préfabriqués sur les répliques d’implants et la réalisation d’une armature par surcoulée sont plus rapides et moins coûteuses à partir d’une empreinte conduite classiquement avec un élastomère.

Cas clinique n° 4

Le traitement de cette patiente âgée de 69 ans a demandé une prise en charge spécifique. En effet, elle était atteinte d’une ataxie cérébelleuse provoquant d’importants troubles de la coordination des mouvements et des difficultés de déglutition associés à de fréquentes « fausses routes ». Les quatre incisives mandibulaires ont été extraites pour raison parodontale. Ses troubles moteurs l’empêchant d’enlever et de remettre seule une prothèse amovible partielle, une solution fixe par l’intermédiaire d’un bridge implanto-porté de 42 à 32 lui a été proposée. Deux implants Straumann® Tissus Level ont été positionnés en 42 et 32.

En raison du tableau clinique, une empreinte optique partielle (fig. 27) apparaissait comme une bonne approche pour la patiente. En effet, elle permettait d’éviter d’envahir la cavité buccale avec un matériau à empreinte, ce qui était un avantage en termes de confort et de sécurité pour cette patiente sujette aux troubles de la déglutition. L’empreinte a été réalisée et un modèle commandé (fig. 27). Pour ce cas, on a opté pour une armature usinée directement vissée sur les implants. Le prothésiste a réalisé dans un premier temps, sur le modèle, un montage directeur scanné ensuite pour servir de trame à la future armature (fig. 27 et ). L’armature a ensuite été fabriquée par un usineur spécialisé (fig. 27 et ). L’essai clinique, contrôlé par une radiographie, montre une parfaite adaptation de l’armature sur le col des implants (fig. 28). Après validation de l’armature, le prothésiste a terminé la céramique cosmétique (fig. 29). Le biscuit de céramique a été essayé en bouche (fig. 30) et l’occlusion statique et dynamique vérifiée. Après glaçage, le bridge a été posé (fig. 31).

Conclusion

Après avoir fait ses preuves en prothèse conjointe, le système d’empreinte optique iTero™ poursuit son développement en prothèse fixée sur implant. Les résultats obtenus sur une dizaine de cas montrent la fiabilité du système en termes de précision. Actuellement, la société Straumann qui met au point le système avec la société Align Technology, ne souhaite pas usiner, à partir des empreintes iTero™, des prothèses plurales « directes implants ». Cependant, notre expérience montre, sur des cas cliniques réalisés à partir d’empreintes optiques, que les armatures construites sur des piliers synOcta® ou usinées par un usineur indépendant présentent une excellente adaptation vérifiée radiographiquement.

En prothèse sur dents naturelles, la CFAO, après prise d’empreinte optique en bouche, fait partie de l’actualité et devrait connaître un essor rapide dans les prochaines années jusqu’à devenir une approche standard. En revanche, en prothèse sur implants, il existe encore certaines difficultés techniques à surmonter. D’une manière générale, les prothésistes doivent souvent rescanner le modèle physique issu de l’empreinte optique pour réaliser les armatures. Cette contrainte demeure incompréhensible pour le praticien qui a l’habitude de travailler avec le système iTero™ sur des préparations dentaires. Mais il est certain que, dans un très proche avenir, la chaîne prothétique numérique des prothèses sur implants sera complète, de l’empreinte à la réalisation de l’armature, sans l’aide d’aucun support physique autre que celui nécessaire pour monter la céramique cosmétique.

Actuellement, une empreinte optique iTero™ serait indiquée pour la réalisation :

– d’une prothèse scellée sur pilier usiné sur mesure (unitaire ou plurale) ;

– d’une empreinte mixte incluant l’enregistrement de préparations dentaires et la position d’implants dentaires.

bibliographie

  • 1 Duret F, Pellissier B. Histoire vécue de la CFAO. Le temps des démonstrations. Inf Dent 2007;89:1663-1668.
  • 2 Ender A, Mehl A. Full arch scans: conventional versus digital impressions. An in vitro study. Int J Comput Dent 2011;14:11-12.
  • 3 Seelbach P, Brueckel C, Wöstmann B. Accuracy of digital and conventional impression techniques and workflow. Clin Oral Investig 2012 (accepté pour publication).
  • 4 Jalabert-Malbos ML, Nicolas E, Bessadet M, Mercier S, Clément P, Veyrune JL. Empreinte numérique avec le système iTero, une réelle avancée ? Inf Dent 2013;6:20-27.
  • 5 Garg AK. Cadent Itero’ digital system for dental impressions. The end of tray and putty ? Dent Implantol Update 2008;19:1-4.