Inlay-core ou reconstitution par matériau foulé : opposition ou évolution ? - Cahiers de Prothèse n° 164 du 01/12/2013
 

Les cahiers de prothèse n° 164 du 01/12/2013

 

Odontologie Restauratrice

Marc Linez*   François Descamp**  


*MCU-PH
Sous-section odontologie conservatrice – endodontologie
Université Lille 2
Faculté de chirurgie dentaire
Place de Verdun
59000 Lille
**MCU-PH Sous-section prothèses
Université Lille 2
Faculté de chirurgie dentaire
Place de Verdun
59000 Lille

Résumé

La perception, la prise de décision et la réalisation des reconstitutions corono-radiculaires ont beaucoup évolué ces 20 dernières années. L’amélioration des techniques de collage intra-radiculaire associée à une recherche d’économie tissulaire maximale a permis le développement de reconstitutions par matériau composite inséré en phase plastique et utilisant un tenon en fibre de verre ou de quartz (RMIPP). Toutefois, les inlay-cores conservent encore des indications bien précises, notamment lorsqu’un mur de dentine cervicale coronaire (ferrule) est insuffisant ou absent. La maîtrise des protocoles de collage permet également de coller les inlay-cores, reconstitutions rigides à module d’élasticité élevé, atténuant ainsi les contraintes du métal sur les tissus radiculaires. Un ciment modifié par adjonction de résine (CVIMAR) peut se substituer à un protocole de collage jugé aléatoire ou non contrôlé par le praticien.

Summary

Cast post and core or reinforced composite post and core: opposition or advancement ?

Perception, decision making and implementation of coronal root reconstructions have evolved over the past 20 years. Improved techniques associated intra – bonding into a root with maximum economy of dental tissues offers the possibility to achieve a reinforced composite post and core (FRC). However, cast post and core still retain specific information, specially when the number of residual coronal walls (ferrule) are deficient. The control procedures also allows bonding of the cast post and core which are rigid reconstructions with a high modulus of elasticity, thereby reducing the metal stresses distribution in the root tissues. Sometimes, Resin-Modified Glass Ionomer Cement (RMGIC) can substitute for a bonding procedure. Clinicians must appropriately assess cases prior to committing to a bonding procedure.

Key words

bonding, ferrule, fiber post core, inlay-core

Marc Linez est Maître de Conférences dans la sous-section d’odontologie conservatrice-endodontie de la faculté de chirurgie-dentaire de Lille. Comme ses collègues, il enseigne et privilégie, dans sa pratique personnelle, le collage et les techniques de dentisterie adhésive. Il est apparu particulièrement intéressant de débattre avec lui du choix des techniques de reconstitutions préprothétiques corono-radiculaires.

François Descamp : Marc, nous avons souvent discuté des reconstitutions corono-radiculaires (RCR) et, notamment, nous avons souvent débattu de l’utilité de l’inlay-core et de ses défauts éventuels. Quelle est votre position à propos de l’inlay-core ?

Marc Linez : Commençons par dire que l’inlay-core n’est pas à abandonner totalement. Il garde encore des indications bien précises mais, avec le développement des reconstitutions adhésives, ses indications doivent être reconsidérées. (fig. 1).

F. D : Mais justement, les indications des RCR adhésives sont quand même assez limitées pour satisfaire au besoin d’une reconstitution préprothétique fixée. Quelle est la solution ?

M. L : D’une part, le champ d’application des RCR adhésives s’est élargi avec le développement de matériaux dont le comportement biomécanique se rapproche sensiblement de celui des tissus coronaires et radiculaire de la dent dépulpée.

D’autre part, pour pouvoir envisager une RCR qui va utiliser un tenon en fibre de verre ou de quartz, il faut toujours garder à l’esprit qu’il nous faudra, dans nos préparations, avoir un respect le plus total des tissus et par conséquent une économie tissulaire maximale. En effet, plus on perd ou plus on élimine la dentine coronaire, moins on se place dans les indications d’une Restauration avec Matériau Inséré en Phase Plastique (RMIPP) fibrée.

F. D : Quelles sont aujourd’hui ces indications ? Au début de leur commercialisation, les RMIPP fibrées imposaient par exemple d’être réalisées sur des dents où il restait 3 ou 4 parois hautes, d’être supragingivales, etc. Ces exigences sont-elles toujours valables ?

M. L : Oui, au départ, à la fin des années 1980, les premiers composites à tenon représentés par le système Composipost(r) ont entraîné des échecs, notamment à cause du système de collage qui était inadapté à un collage radiculaire efficace. Depuis, les matériaux, tant au niveau des matériaux de reconstitution que des colles qui servent à assembler les différents matériaux entre eux ont bien évolué et nous permettent désormais d’atteindre des valeurs d’adhésion très importantes. De nombreuses études montrent maintenant que ces RCR engendrent beaucoup moins de fractures radiculaires que les inlay-cores, pour peu que les indications soient bien posées. De plus, si cette complication se manifeste, la perte de la dent n’est pas irrémédiable [1].

F. D : Quels sont donc les facteurs absolument indispensables à respecter ?

M. L : Tout d’abord, avoir une limite cervicale supra voire juxta gingivale dans certains cas, avec la possibilité de poser un champ opératoire étanche. C’est la première exigence à respecter puisqu’il faut réaliser un collage et que tout collage doit être réalisé dans des conditions d’étanchéité maximale.

F. D : Donc, digue obligatoire ?

M. L : Donc, digue obligatoire ! Dans certains cas, la pose de la digue devra être un peu « sophistiquée » pour assurer des conditions de collage optimales. On utilisera volontiers des CVIMAR sous forme Flow [1] pour combler efficacement et durablement les petits défauts d’herméticité en périphérie (fig. 2).

F. D : Et quels sont les autres exigences minimales à prendre en compte ?

M. L : Sélectionner des situations où l’on a économisé le maximum de tissu coronaire et notamment les cas où cette préservation permet d’obtenir ce que les anglo-saxons appellent le « ferrule effect », ou effet virole. Il s’agit de la conservation d’un contour coronaire dentinaire cervical périphérique le plus important possible, tant en termes de hauteur que de largeur [2, 3]. Cette précaution permet d’optimiser la pérennité de ce type de reconstitution ; Il s’agit d’un véritable mur de dentine périphérique qui joue un rôle d’absorption et de diffusion des contraintes occlusales, notamment les contraintes en flexion responsables de fractures irrémédiables. On peut néanmoins avoir une virole partielle avec 2 ou 3 parois de valeur inégale car l’économie tissulaire reste prépondérante (fig. 3) [4].

F. D : Les RMIPP qui ont donc pour vocation d’être moins mutilantes vont donc de pair avec les systèmes de couronnes « tout céramique » qui nécessitent des préparations moins épaisses et donc plus conservatrices.

M. L : Oui, et je rebondis sur la question précédente. Plus on garde de tissu coronaire, plus on gagne en résistance, notamment en flexion sur les incisives et canines ou même en compression sur les molaires. On gagne donc en solidité. Si on réalise une couronne tout céramique, c’est que l’on se trouve dans une optique d’esthétique optimale, et donc, là encore, les reconstitutions collées fibrées vont particulièrement trouver leurs indications puisqu’un inlay-core arrête la transmission de la lumière et donne un résultat esthétique certes satisfaisant, mais vraisemblablement inférieur à celui d’une reconstitution collée (fig. 4, 5, 6 et 7, 8).

F. D : Pour vous, la RMIPP collée est-elle indiquée autant en antérieur qu’en postérieur ou avez-vous tendance à la réserver au secteur antérieur parce qu’il est plus facile d’accès ?

M. L : Non, il n’y a pas de préférence à donner à un secteur particulier. Il faut toujours partir de la même réflexion : « que reste-t-il comme tissu au niveau coronaire et puis-je réaliser un collage dans les meilleures conditions possibles ?  ». Si ces 2 questions obtiennent une réponse positive, alors il faut envisager ce type de reconstitution collée à tenon fibré (fig. 9).

F. D : Donc tout cela dépend du délabrement initial de la dent, mais également de l’anticipation de la future préparation coronaire ?

M. L : Oui, on doit toujours anticiper la future préparation coronaire périphérique. Cela dit, il faut d’abord penser à conserver le maximum de tissu coronaire et faire, chaque fois que la situation le permet, la reconstitution avant la préparation périphérique. Cette stratégie permet de rester dans des conditions de collage optimales. Si l’on fait le contraire, on risque de se retrouver dans des conditions de réalisation difficiles, voire impossibles (fig. 10 et 11) [5].

F. D : Donc, vous appartenez à « l’école » de ceux qui réalisent d’abord la RMIPP et qui préparent dans un second temps, l’autre « école » préconisant la préparation a priori et la pose d’indication de la RCR ensuite.

M. L : Je pense qu’il y a 2 types de situations. D’abord, la situation qui ne souffre d’aucun doute : on peut tout de suite choisir la RCR. Ensuite, il y a la situation qui nécessite une réflexion, où rien n’est sûr. Cette situation est plus fréquente lorsque l’on est amené à retraiter endodontiquement des dents déjà couronnées puis à les reconstituer. Dans ce cas précis on a déjà perdu une quantité parfois non négligeable de tissus coronaires suite à la première thérapeutique prothétique. C’est là que, peut-être, l’affinité du praticien pour tel ou tel type de préparation le fera opter pour la RCR fibrée ou l’inlay-core. Rigueur dans le protocole et confiance aux techniques de collage maintenant éprouvées sont indispensables.

F. D : Donc, la pratique de la RMIPP fibrée est particulièrement praticien-dépendante ?

M. L : Tout ce qui concerne les protocoles de collage est particulièrement praticien-dépendant. Néanmoins, on peut également choisir de coller ses inlay-cores [6]. Dans ce cas précis, on est souvent confronté à une « ferrule » quasi inexistante. De manière générale, il faut impérativement favoriser le collage dès que la situation le permet. Il est communément admis que la mémoire élastique de la colle participe à l’absorption des contraintes et que le collage d’une reconstitution constitue avec la dent une nouvelle entité, plus résistante que dans le cas d’un scellement qui ne fait que réunir deux éléments sans renforcer quoi que ce soit. C’est pourquoi la RMIPP fibrée représente une réelle évolution par rapport aux inlay-cores, au même titre que le collage de ceux-ci lorsqu’ils sont envisagés [7].

F. D : Ceci dit, les Ciments Verre-Ionomères Modifiés par Adjonction de Résine (CVIMAR) semblent également offrir ce rôle de tampon entre la restauration et la dent et protègent la dent des contraintes à laquelle elle est soumise.

M. L : Oui, mais dans une moindre mesure car le CVIMAR ne constitue qu’un scellement adhésif en raison de l’adhésion chimique naturelle du ciment verre ionomère sur la dentine. D’ailleurs, pour potentialiser les valeurs d’adhésion, un traitement de la dentine par de l’acide polyacrylique est fortement recommandé. Par conséquent le CVIMAR est un intermédiaire entre la colle et le ciment traditionnel qui ne devrait plus être utilisé.

Néanmoins, lorsque les conditions de collage paraissent aléatoires, il est préférable d’utiliser un CVIMAR beaucoup plus tolérant. En effet, en cas de contamination lors d’un collage, les conséquences s’avéreront désastreuse par la suite.

F. D : Donc, dans votre pratique quotidienne, vous collez les inlay-cores métalliques.

M. L : Chaque fois que je suis dans des conditions favorables, je les colle !

F. D : Cela représente quel pourcentage ?

M. L : C’est difficile à évaluer, cela dépend du contexte clinique. Mon optique est de coller dès que c’est possible, mais pas n’importe comment.

F. D : D’accord, votre arbre décisionnel est d’envisager d’abord le collage et de l’éliminer si les conditions parfaites ne sont pas réunies.

M. L : Voilà, si j’ai un doute, je choisis un CVIMAR. D’ailleurs, je tiens à rappeler que les tenons fibrés ne doivent jamais être scellés au CVIMAR, mais doivent toujours être collés.

F. D : Justement, n’y a t-il pas un danger émanant des distributeurs de matériaux qui pourraient présenter le recours au tenon collé comme une solution facile à mettre en œuvre en minimisant la rigueur qu’elle nécessite ?

M. L : De tous temps on a cherché à faire des raccourcis. Les laboratoires en sont conscients et ont essayé de développer des matériaux d’assemblage qui limitent le nombre d’étapes pour éviter au maximum les risques d’erreur de manipulation. D’où, la mise au point, par exemple, des adhésifs automordançants qui peuvent donner de bons résultats mais dont les performances en terme d’adhésion – et dans des conditions équivalentes de mise en œuvre – restent inférieures à un protocole en trois étapes : mordançage-primaire d’adhésion-adhésifs [8, 9].

F. D : Merci, Marc pour ces réponses, reflétant bien l’évolution de votre pratique clinique… Le lecteur pourra ainsi y voir plus clair dans ses choix thérapeutiques et ses indications.

Bibliographie

  • 1 Soares CJ, Valdivia AD, da Silva GR, Santana FR, Menezes M de S. Longitudinal clinical evaluation of post systems: a literature review. Braz Dent J. 2012;23(2):135-740.
  • 2 Pereira JR, de Ornelas F, Conti PC, do Valle AL. Effect of a crown ferrule on the fracture resistance of endodontically treated teeth restored with prefabricated posts. J Prosthet Dent. 2006;95(1):50-4.
  • 3 Juloski J, Radovic I, Goracci C, Vulicevic ZR, Ferrari M. Ferrule effect: a literature review. J Endod. 2012;38(1):11-9.
  • 4 Signore A, Benedicenti S, Kaitsas V, Barone M, Angiero F, Ravera G. Long-term survival of endodontically treated, maxillary anterior teeth restored with either tapered or parallel-sided glass-fiber posts and full-ceramic crown coverage. J Dent. 2009 Feb;37(2):115-21.
  • 5 Ferrari M, Vichi A, Fadda GM, Cagidiaco MC, Tay FR, Breschi L, Polimeni A, Goracci C. A randomized controlled trial of endodontically treated and restored premolars. J Dent Res. 2012;91(7 Suppl):72S-78S.
  • 6 Dorriz H, Alikhasi M, Mirfazaelian A, Hooshmand T. Effect of ferrule and bonding on the compressive fracture resistance of post and core restorations. J Contemp Dent Pract. 2009;10(1):1-8.
  • 7 Al-Omiri MK, Rayyan MR, Abu-Hammad O. Stress analysis of endodontically treated teeth restored with post-retained crowns: A finite element analysis study. J Am Dent Assoc. 2011;142(3):289-300.
  • 8 Scotti N, Rota R, Scansetti M, Migliaretti G, Pasqualini D, Berutti E. Fiber post adhesion to radicular dentin: The use of acid etching prior to a one-step self-etching adhesive. Quintessence Int. 2012;43(7):615-23.
  • 9 Scotti N, Scansetti M, Rota R, Breschi L, Mazzoni A, Pasqualini D, Berutti E. Active application of liquid etching agent improves adhesion of fibre posts to intraradicular dentine. Int Endod J. 2013;46(11):1039-45.