Restauration prothétique globale : la stratégie du compromis raisonné
 

Les cahiers de prothèse n° 170 du 01/06/2015

 

Prothèse composite

P. De March / A.-S. Vaillant-Corroy / P. Corne  

Résumé

RÉSUMÉ Les solutions thérapeutiques aux situations d'édentement et d'altérations dentaires multiples non seulement reposent sur une analyse globale et complète de la valeur de toutes les dents concernées, de leur environnement ostéo-muqueux et des contraintes biomécaniques en présence mais dépendent aussi des souhaits et des possibilités du patient. L'intégration de l'ensemble de ces données devrait permettre une proposition thérapeutique personnalisée et conforme aux données acquises de la science. L'objectif de cet article est de montrer, au travers d'un cas clinique, que des compromis s'écartant des recommandations habituellement admises peuvent être envisagés et consentis dans la mesure où des choix techniques sont établis en conséquence.

Summary

SUMMARY Titre en anglais à venir

Facing a patient suffering from gaps or multiple dental damages, therapeutic solutions are based on a global analysis of all concerned teeth, of their osseous and mucosal environment, of the biomechanical bounds, and obviously also of patient's whishes and possibilities. Integration of all these date should result in an custom-made therapeutic option, based on evidence scientific data, The purpose of this article, through a case report, is to illustrate that, even if they differ from the usually accepted recommendations, compromises can be considered and accepted, in case of technical choices are reassessed accordingly.

Key words

treatment plan, therapeutic compromise, composite prosthesis, global rehabilitation, biomechanics

Il est établi que la restauration prothétique globale d'une denture constitue une démarche d'une grande complexité. En effet, il s'agit d'intégrer dans un milieu biologique (le milieu buccal) un ensemble d'éléments artificiels pour remplacer des dents naturelles qui peuvent être absentes, altérées ou présenter une esthétique insatisfaisante. L'intégration prothétique doit résoudre de façon pérenne des problèmes esthétiques, biologiques et fonctionnels. Ces exigences peuvent, dans certaines situations, s'avérer difficilement conciliables et obliger le praticien à opérer des choix pour trouver un juste compromis. Il devra s'appuyer sur une parfaite maîtrise du milieu buccal, des techniques cliniques et de laboratoire. Le traitement de chaque cas sera individualisé de manière à s'adapter au terrain biologique sans oublier les aspects psychologiques et relationnels. L'optimisation de ces objectifs exige de solides connaissances thérapeutiques associées à une parfaite maîtrise des techniques opératoires.

Le cas clinique présenté dans cet article illustre une démarche analytique puis prothétique dans le cadre d'une restauration globale qui s'est écartée des principes généraux admis dans la littérature scientifique pour s'adapter à la singularité des conditions particulières de la situation à traiter. Certains choix thérapeutiques s'éloignant des grands principes biomécaniques généralement reconnus seront justifiés par les conditions locales particulières et les précautions conceptuelles retenues pour optimiser la pérennité du traitement.

Présentation du cas clinique

Demande de la patiente

Une patiente, secrétaire de direction, âgée de 50 ans, nous a été adressée par son praticien. Elle présentait une situation dentaire qui s'était dégradée au fil des années avec, notamment, des édentements non compensés, des altérations coronaires et des lésions de diverses natures. Ces problèmes avaient été partiellement gérés par un « patchwork » de solutions prothétiques provisoires réalisées en général lors de consultations en urgence (fig. 1).

Elle était consciente de la précarité de sa santé bucco-dentaire et elle confiait mal vivre l'apparence « désordonnée » de son sourire. De plus, elle ne supportait pas sa prothèse partielle en résine au maxillaire. Elle souhaitait une restauration globale esthétique et fonctionnelle apte à lui offrir un maximum de confort mais refusait catégoriquement toute solution implantaire.

Cependant, elle accepta d'emblée la proposition d'une restauration amovible de l'arcade mandibulaire, bien que ses préférences l'aient portée vers des solutions fixées chaque fois que c'était possible.

Recueil des données initiales

Anamnèse

La patiente n'avait pas de problème de santé, sa vie professionnelle était épanouie. Elle semblait très stable psychologiquement et se montrait aussi coopérante que motivée.

La collecte des données initiales et complémentaires constituait une base de travail et de réflexion indispensables pour analyser plus en détail la situation et permettre d'établir une première proposition thérapeutique raisonnée, susceptible de répondre conjointement à la demande de la patiente et aux objectifs de restauration prothétique avec la perspective d'optimiser la pérennité du projet. Si cette notion de première proposition thérapeutique est évoquée, c'est en raison de l'impossibilité d'apprécier avec justesse la réelle valeur mécanique et biologique d'éléments supportant des prothèses inadaptées et qui, en outre, avaient subi de nombreuses interventions thérapeutiques. La patiente fut aussitôt informée de ces incertitudes et de l'éventualité de l'évolution du projet thérapeutique final en fonction de possibles aléas du traitement.

Examens cliniques et complémentaires

L'élaboration du diagnostic, base du projet thérapeutique, a exigé de réaliser un ensemble d'examens cliniques et complémentaires :

– un examen clinique précis de la situation dentaire, occlusale et parodontale ;

– des moulages d'étude montés sur l'articulateur en relation centrée (fig. 2) ;

– des clichés photographiques numériques intrabuccaux et extra-buccaux à différents niveaux d'observation ;

– des clichés radiographiques rétroalvéolaires (fig. 3).

Par ailleurs, la patiente avait apporté une radiographie panoramique de piètre qualité mais suffisante pour évaluer la situation (fig. 4).

Examen exobuccal

L'examen endobuccal ne révélait aucune anomalie ni difficulté notoire à l'exception de la dysharmonie de l'agencement dentaire impactant l'esthétique du sourire. Le visage était symétrique et ne montrait, à l'examen fonctionnel, aucune symptomatologie musculaire ni même articulaire.

Examen endobuccal

Malgré les nombreuses altérations et pertes dentaires constatées, l'hygiène bucco-dentaire était excellente. Le parodonte était donc sain et de bonne qualité, avec la présence d'une quantité de gencive attachée appréciable. La prothèse amovible sans appuis dentaires était relativement stable et bien entretenue. Ces observations prouvaient la motivation de la patiente ainsi que sa détermination pour une restauration sérieuse de son état dentaire alors très altéré.

On pouvait faire les constats suivants :

– à l'arcade mandibulaire :

- l'édentement non compensé de 34 avait entraîné les versions de 35, 36 et 37,

- les édentements non compensés de 45, 46 et 47 avaient provoqué l'égression de 16 et 17 qui causait la fermeture de l'espace prothétique concomitant (fig. 5),

- la furcation de 37 semblait exposée,

- la 36 présentait une résorption radiculaire de la racine distale et un granulome sur sa racine mésiale. Ces deux dents étaient mobiles ;

–à l'arcade maxillaire :

- l'absence des 11, 26 et 27 avait été compensée par une prothèse partielle provisoire en résine portée depuis plusieurs années,

- sur la 16 avait été installée une couronne coulée inadaptée solidaire d'un élément en extension pour remplacer la 15 absente,

- les 13 et 24 avaient été restaurées par des couronnes coulées inadaptées,

- la 14 supportait une couronne céramo-métallique également inadaptée,

- les 12, 21, 22 et 23 avaient été restaurées par des couronnes provisoires mal ajustées conçues en urgence à des époques différentes.

Sur les deux arcades, la majorité des traitements radiculaires s'avéraient médiocres et, hormis les défauts osseux mentionnés, l'examen parodontal complet ne révélait aucune lésion active comme cela était attendu compte tenu de l'aspect général de la gencive précédemment décrit.

Analyse diagnostique et premières options thérapeutiques

En raison de la complexité de la conjoncture initiale et de la difficulté, à ce stade, pour apprécier la valeur réelle des dents restantes, il aurait été hasardeux d'établir une proposition sûre et définitive. Cependant, la décision d'extraire certaines dents s'était imposée compte tenu de leur état précaire ou de leur positionnement sur l'arcade dentaire :

– la 18 était trop frêle et placée en dehors de tout schéma occlusal ;

– la 36 était résorbée et présentait une lésion périradiculaire chronique ;

– la 37 révélait une atteinte de la furcation. De plus, en raison de son égression associée à une version, elle était située au-dessus du plan d'occlusion sans possibilité de pouvoir rétablir un calage avec l'antagoniste. Sa conservation aurait inévitablement provoqué une interférence.

Les avulsions de ces dents ont été immédiatement exécutées pour autoriser la réalisation des séquences prothétiques ultérieures sur un terrain cicatrisé.

À la mandibule, la courbure radiculaire naturelle de la 35 conférait à cette dent une grande valeur mécanique. Elle pouvait être ainsi utilisée comme un excellent élément porteur de crochet pour une prothèse amovible partielle à infrastructure métallique (PAPIM). Pour corriger sa version, il a été nécessaire de réaliser une restauration céramo-métallique corono-périphérique qui a été modifiée par des fraisages pour assurer la stabilité de la prothèse amovible. Dans cette optique, la correction de la version imposait le traitement radiculaire de la dent malgré la difficulté inhérente à la courbure radiculaire particulièrement prononcée.

Au maxillaire, il a semblé que la fiabilité des dents restantes de 25 à 13 pouvait autoriser leur réfection par des restaurations périphériques fixées. La réalisation de ces prothèses a été précédée par la reprise de traitements radiculaires assurant une parfaite étanchéité. Les coiffes ont été installées sur des ancrages corono-radiculaires fiables.

La 14 portait une restauration corono-radiculaire coulée qui avait dû être déposée pour reprendre le traitement radiculaire par voie orthograde. Sa conservation n'aurait pu être évaluée de manière fiable qu'après la dépose de cet élément prothétique, séquence impliquant toujours un risque mécanique.

La proposition thérapeutique dépendait de l'avenir des 16 et 17. En effet, leur conservation reposait sur leur capacité à s'intégrer dans un plan d'occlusion fonctionnel, d'une part, et sur le niveau d'atteinte de leurs furcations, d'autre part, ce dernier point ne pouvant être évalué avec exactitude qu'après la dépose des restaurations prothétiques alors en place.

En raison du niveau d'égression qui semblait peu favorable, il a été envisagé au niveau du maxillaire de restaurer les secteurs postérieurs par une PAPIM par l'intermédiaire d'attachements de précision incorporés sur un bridge antérieur de 14 à 25 (première option thérapeutique pour le maxillaire).

Ces observations ont dessiné des choix thérapeutiques qui paraissaient évidents au niveau mandibulaire mais qui restaient dépendants d'évaluations complémentaires au maxillaire.

À ce stade, il a donc été possible d'envisager, à la mandibule :

– sur 35, une couronne céramo-métallique fraisée après un traitement endodontique suivi d'une restauration corono-radiculaire,

– une PAPIM pour restaurer les édentements ;

Au maxillaire, il a été proposé à la patiente, pressée de corriger l'aspect de son sourire, de réaliser dans un premier temps un bridge transitoire de 14 à 25 pour établir la première proposition esthétique, la possibilité de conserver les molaires pouvant être évaluée au cours d'étapes ultérieures. L'option de restaurer les secteurs postérieurs maxillaires par une PAPIM dépendait donc de l'évolution de la conduite du traitement et de la possibilité de conserver les dents pluricuspidées concernées.

L'un des objectifs de la restauration de l'esthétique du sourire par le biais d'un bridge transitoire est de favoriser la relation praticien-patient. La patiente était ainsi consciente que ses demandes seraient prises en compte, qu'elle serait entendue et qu'elle pourrait donc accorder pleinement sa confiance pour les nombreuses séances programmées. Ce paramètre s'est révélé primordial pour aborder avec sérénité les inévitables incertitudes liées à chacune des étapes cliniques jusqu'au choix définitif du traitement.

Analyse esthétique

Le projet de restauration esthétique a été réalisé grâce aux céroplasties prospectives (wax-up). Il a été élaboré sur des moulages d'étude montés sur articulateur en relation centrée. Pour ne pas perdre la situation initiale, un moule de duplication du moulage de départ a été confectionné en silicone gel. Il a permis de couler autant de répliques du moulage de départ que nécessaire. Les formes et l'agencement des dents ont été établis en fonction de la situation locale (espace disponible, environnement gingival...) et de photographies pour aboutir à un projet susceptible de s'intégrer au cadre esthétique de la patiente prenant en compte la forme de ses lèvres, de son sourire, de son visage ainsi que « l'effet esthétique » qu'elle souhaitait projeter (fig. 6) [1, 2]. L'utilisation de préformes en cire a facilité ce travail [3]. Elles ont été successivement positionnées sur les dents en plâtre qui ont été abrasées les unes après les autres de manière à conserver des repères par rapport à l'analyse photographique initiale (fig. 7). L'objectif du travail visait principalement à restaurer les principaux critères d'intégration esthétique :

– plan incisif parallèle à la ligne bipupillaire ;

– ligne incisive respectant la forme de la lèvre inférieure lors du demi-sourire ;

– ligne interincisive verticale et si possible centrée ;

– dominance des incisives centrales [4].

Le plan d'occlusion a également été défini grâce à la réalisation d'un montage prospectif mandibulaire objectivant la future PAPIM, prothèse la moins stable qui avait été réalisée à la suite des restaurations fixées.

Ce projet esthétique a été transféré et matérialisé en situation clinique à l'aide de la technique de l'isomoulage indirect [1, 5, 6]. Une coquille de résine a alors été pressée au laboratoire sur une réplique du moulage de départ qui a préalablement permis de simuler les préparations. Pour accroître les qualités esthétiques du bridge, on a utilisé la technique de la double pressée de résine décrite par Magne avec mise en place de colorants en profondeur, sous une couche de résine, mélange d'émail et de transparent [3]. Les qualités mécaniques de la résine sont aussi optimisées par une polymérisation sous pression et à 40 oC (fig. 8 à 10).

Première étape clinique : mise en place du bridge transitoire

La première séquence clinique a été consacrée à la dépose des restaurations prothétiques inadaptées de 15 à 24 et à la mise en place de la coquille préparée au laboratoire. Les dents ont été suffisamment préparées pour que l'insertion de la coquille puisse retrouver les principaux contacts occlusaux déterminés par les céroplasties. Après le rebasage de la coquille dans cette situation, les limites prothétiques ont été ajustées aux lignes de finition des préparations. Ainsi, le bridge transitoire maquillé qui a été mis en place a transféré fidèlement en situation clinique le projet esthétique et fonctionnel établi grâce aux céroplasties prospectives émanant de l'analyse esthétique initiale (fig. 11). Grâce à cette technique de l'isomoulage indirect, le temps clinique consacré aux prothèses transitoires a donc été limité à la préparation des dents support et au rebasage de la coquille élaborée au laboratoire. La bonne gestion de cette étape a permis de préserver un peu de temps et de concentration pour une évaluation immédiate du projet esthétique et de réaliser d'emblée d'éventuelles corrections [1, 2].

La mise en place du bridge transitoire dès cette étape a présenté plusieurs avantages :

– créer d'emblée un projet esthétique pour recueillir le sentiment de la patiente avec la faculté de pouvoir le retravailler, si nécessaire, pendant les étapes suivantes du traitement ;

– répondre à la principale demande de la patiente et remplacer la prothèse amovible partielle en résine devenue inutile ;

– permettre un accès direct aux reprises des traitements radiculaires et assurer leur étanchéité.

Seconde étape clinique : dépose des restaurations corono-radiculaires et reprise des traitements radiculaires

Une fois déposé, le bridge transitoire a donc autorisé un accès direct et simultané aux différentes racines pour assurer la reprise de leur retraitement endodontique.

Aléa thérapeutique : la déficience du traitement canalaire de 14 et la présence d'un épaississement ligamentaire apicale ont imposé de déposer l'inlay-core pour reprendre le traitement radiculaire. Cette inévitable démarche comportait un sérieux potentiel de risque. En dépit des précautions prises et bien que cette dépose ait été réalisée exclusivement à l'aide d'un insert spécifique monté sur une pièce à main ultrasonore, la paroi fine de dentine réactionnelle a cédé en mésial. La fracture, très sous-gingivale, a conduit à l'extraction de cette dent avec pour conséquence la perte d'un pilier stratégique (fig. 12). Face à cette nouvelle conjoncture, il était primordial de réévaluer le rôle déterminant des 16 et 17 pour l'établissement du projet final.

Évaluation des molaires maxillaires et extension du bridge transitoire

L'évaluation des furcations de 16 et de 17 a nécessité la dépose des restaurations corono-périphériques coulées débordantes.

Une coquille en résine de 17 à 15 a été confectionnée au laboratoire comme précédemment mais avec une seule pressée de résine, en raison de la moindre incidence esthétique de ces dents. Les anciennes couronnes ont été déposées, les préparations corrigées puis la coquille a été rebasée et ajustée. Des réductions occlusales importantes des préparations support ont permis de situer ce bridge postérieur sur un plan occlusal valide qui a favorisé la mise en place d'antagonistes. Ce bridge a alors été rattaché au premier à l'aide d'un fil de renfort placé dans une rainure réalisée dans chacune des prothèses puis recouverte de résine. Ensuite, la racine de 14 a été extraite et l'élément transitoire correspondant a été transformé en intermédiaire d'un unique bridge de 17 à 24 (fig. 13).

La dépose des éléments périphérique des 16 et 17 a offert un accès direct à l'exploration des furcations. Notons que ces dernières, malgré les égressions, n'étaient pas atteintes. Cependant, leur situation proche de la surface gingivale justifiait un aménagement de la morphologie prothétique spécifique pour prendre en compte cette difficulté et en assurer ainsi la pérennité du point de vue parodontal.

Réévaluation thérapeutique et proposition prothétique

La perte de 14 et la « bonne surprise » des furcations non exposées de 16 et 17 ont permis d'évaluer la situation avec beaucoup plus de discernement et d'envisager une proposition thérapeutique plus fiable pour le maxillaire.

Compte tenu du souhait de la patiente de privilégier le confort de la prothèse fixée et grâce à la possibilité d'exploiter les dents 16 et 17, il a été proposé pour le maxillaire un bridge monolithique de 17 à 25 avec 11, 14 et 15 en intermédiaire et avec un élément en extension en situation de 26.

Justification d'un choix thérapeutique original

L'utilisation d'un élément en extension (cantilever) distal constitue, dans ce cas, une décision particulière dérogeant aux règles fondamentales de la biomécanique mais qu'il est possible de justifier en raison des conditions cliniques locales.

En effet, il est important de rappeler que la règle de base concernant les éléments en extension est la suivante : au moins deux piliers solidaires contigus et jamais d'extension distale en remplacement d'une dent cuspidée. Les résultats désastreux occasionnés par des prothèses comportant des cantilevers distaux sont la cause de fracture de la racine bordant l'édentement, résultats qui ont été démontrés par de nombreuses études. En effet, l'élément en extension agit comme un bras de levier très important et, en position distale, il subit dans les secteurs cuspidés les forces maximales orientées directement dans l'axe des muscles élévateurs [5, 9].

Pourquoi ce choix ?

L'examen global de la proposition thérapeutique révélait que la dent antagoniste à l'élément en extension serait une dent en résine de la prothèse amovible et que de plus, à la mandibule, la dent naturelle couronnée en position de 35 établirait un contact occlusal avec la 25, premier support en mésial de l'extension. Ainsi, les principales contraintes occlusales seraient absorbées par le couple de dents naturelles 25-35 tandis que des contacts plus légers pouvaient être réglés sur le couple 26 (extension)-36 (dent en résine sur la PAPIM). Par ailleurs, la réalisation d'une armature monolithique intéressant toute l'arcade s'opposerait aux éventuelles forces de traction dues à l'effet de bras de levier.

Cette démarche analytique prouve que l'analyse globale d'une situation clinique avec prise en compte de tous les paramètres biologiques, fonctionnels et mécaniques permet de faire des choix raisonnables et raisonnés qui peuvent être, à l'inverse, en contradiction avec les règles généralement admises mais être justifiés par des conditions cliniques tout à fait particulières.

Réalisation des traitements endodontiques

Le nombre et la situation des différents piliers et couronnes étant clairement établi, les traitements endodontiques ont été intégralement repris. Les canaux réalésés et décontaminés à l'hypochlorite de sodium ont été obturés à l'aide d'un système de gutta chaude garantissant une bonne étanchéité des nouveaux traitements.

Le traitement endodontique a été également réalisé avec succès sur la dent 35 dont l'axe a pu être redressé par une préparation périphérique, il a été suivi de la mise en place d'une couronne transitoire pour préserver l'étanchéité coronaire et la nouvelle situation occlusale de cette dent (fig. 14).

Restaurations corono-radiculaires

Les préparations dentaires ayant été réalisées avec les niveaux de réduction et les axes des restaurations prévus, aucun des ancrages dentaires ne présentait de parois dentinaires suffisamment hautes, épaisses et en nombre suffisant pour envisager, avec des matériaux insérés en phase plastique, la reconstitution d'un pilier apte à garantir une fiabilité et une pérennité certaines, notamment pour la 35 dont le rétablissement de l'axe coronaire perpendiculaire au plan d'occlusion avait imposé un important délabrement dentinaire.

Des restaurations corono-radiculaires coulées en or jaune ont donc été logiquement élaborées sur toutes les dents support en méthode directe. Les axes coronaires et les niveaux de réduction ont été contrôlés à l'aide d'une clé en silicone issue d'un moulage du bridge transitoire validé. Les inlay-cores ont été scellés dès que possible après les obturations endodontiques pour assurer l'étanchéité vis-à-vis de la recontamination bactérienne [10] (fig. 15).

Empreintes des préparations

Les prothèses fixées transitoires parfaitement polies ont été rebasées sur les inlay-cores. Leur adaptation périphérique a été minutieusement contrôlé et les embrasures ont été aménagées pour faciliter le passage de brossettes interdentaires et favoriser la mise en conformation gingivale [7, 8, 11-15] avant la réalisation d'empreintes globales des préparations par la technique du double mélange [16] (fig. 16).

Les moulages de travail de prothèse fixée ont été transférés sur articulateur à l'aide d'un arc facial et d'une maquette d'occlusion pour la mise en relation mandibulo-maxillaire [17].

Conception, réalisation et validation des infrastructures métalliques

Au maxillaire, il a été envisagé de réaliser une seule prothèse monolithique, dont l'infrastructure devait être parfaitement passive et capable d'assurer un ajustage simultané sur toutes les préparations.

Pour gérer plus facilement la stratification de la céramique, il a été décidé de réaliser l'infrastructure en trois parties qui seraient ultérieurement réunies après stratification de la céramique par des brasures secondaires [18]. La connexion au niveau de l'élément en extension a été, dans le sens de la hauteur, dimensionnée au maximum pour s'opposer à la flexion générée par l'effet de bras de levier également minimisée par la largeur mésio-distale de la dent réduite à la forme d'une prémolaire. Les plages destinées aux brasures secondaires ont été également surdimensionnées au maximum pour compenser la moindre résistance mécanique de ces jonctions métalliques. Elles ont été judicieusement situées en distal de 12 et de 22, soit entre deux moyens d'ancrage adjacents, 12/13 à droite et 22/23 à gauche, leur faiblesse mécanique impliquant de ne pas placer de brasure au niveau de la connexion avec un intermédiaire pour limiter les contraintes de flexion et de cisaillement à leur niveau. Pour la réalisation des brasures secondaires, un alliage de haute noblesse à base d'or et de palladium (Au-Pd) a été sélectionné en raison de son intervalle de fusion suffisamment bas et de ses propriétés mécaniques suffisantes pour résister aux contraintes de flexion des travées. La passivité de chacune des trois parties de l'infrastructure coulées par la technique de la cire perdue a été corrigée par des brasures primaires réalisées pour rétablir la continuité métallique des infrastructures sectionnées puis réassemblées en bouche à l'aide de résine calcinable pour en assurer l'ajustage simultané sur toutes les préparations dentaires concernées [19] (fig. 17).

Communication des formes validées par la prothèse transitoire et réalisation des biscuits

Les morphologies coronaires des restaurations céramo-métalliques réalisées par stratification de la céramique ont été élaborées en se référant au bridge transitoire validé cliniquement qui constituait à dessein un prototype fiable, car éprouvé en situation réelle d'usage. Un moulage issu d'une empreinte du bridge provisoire maxillaire a été transféré sur le même articulateur par la technique du montage alterné pour servir de référence [1, 14, 20]. Les corrections permettant l'amélioration de l'agencement dentaire et de leur morphologie ont été notées directement sur ce moulage en tenant compte de l'analyse clinique (fig. 18). La situation des bords libres, les formes et les proportions des éléments dentaires ont alors été réalisées à l'aide d'une clé en silicone issue du moulage du bridge provisoire de référence [1, 21, 22] (fig. 19).

Le montage prospectif objectivant la future PAPIM mandibulaire est alors devenu le montage directeur guidant l'établissement des courbes d'occlusion et le réglage d'un schéma occlusal thérapeutique fonctionnel.

Par ailleurs, la morphologie axiale des molaires maxillaires a été spécifiquement adaptée par l'aménagement d'une concavité verticale sur la majeure partie de leur face vestibulaire au-dessus des furcations pour éviter, par l'absence de surplomb, toute irritation liée à une accumulation de plaque bactérienne susceptible de provoquer une alvéolyse à leur niveau (fig. 20).

À la mandibule, la couronne céramo-métallique sur 35 a été conçue pour recevoir un crochet RPC avec un taquet métallique en mésial, une zone métallique fraisée en lingual et des faces proximales parallèles à l'axe d'insertion de la future PAPIM.

Les biscuits ont été essayés, corrigés et validés en clinique avec une attention particulière pour le guidage antérieur. Les dernières corrections ont été apportées au laboratoire avant le glaçage.

Réalisation des brasures secondaires et pose des prothèses fixées

Les trois segments du bridge maxillaire ont été stabilisés sur les préparations à l'aide d'un silicone light à prise rapide (Fit-Checker II de GC). Leur emplacement a été enregistré à l'aide d'une empreinte au plâtre des surfaces occlusales, position dans laquelle ils ont été replacés. Un dispositif appelé araignée a été solidarisé avec un minimum de revêtement réfractaire aux intrados des restaurations pour la réalisation des brasures secondaires dans le four à céramique. Cette étape a permis d'établir la continuité des trois éléments par la fusion d'un alliage d'apport à une température inférieure à celle du glaçage des céramiques (fig. 21). Une fois la passivité de l'ensemble vérifiée, le bridge monolithique maxillaire et la couronne unitaire sur 35 ont été scellés à l'aide d'un ciment verre ionomère modifié par adjonction de résine (CVIMAR) (fig. 22).

Réalisation de la prothèse partielle amovible à infrastructure métallique

La prothèse amovible à infrastructure métallique a été logiquement élaborée après la pose des prothèses fixées. Pour en optimiser la stabilité, nous avons choisi un châssis assez rigide avec un bandeau lingual pour connexion principale et trois crochets RPC respectivement réalisés sur 33, 35 et 44. Notons que dans la 44, dent naturelle, a été aménagé un appui mésial limité à la profondeur amélaire. Le bandeau qui a permis l'élargissement maximum du polygone de sustentation dentaire a été espacé au niveau du parodonte marginal pour éviter qu'il ne soit comprimé [23, 24] (fig. 23). Compte tenu des édentements libres bilatéraux, la situation de la muqueuse a été enregistrée à l'aide du châssis sur lequel ont été réalisées deux selles postérieures en résine destinées à soutenir de la pâte eugénol-oxyde de zinc pour prendre en compte la dualité tissulaire. Un moulage fractionné et recoulé au niveau de cette empreinte sectorielle a reproduit la réalité viscoélastique des tissus support de la prothèse amovible. Les dents prothétiques ont été montées conformément au montage directeur et équilibrées avec les prothèses fixées. Une fois polymérisée, cette prothèse est venue compléter la restauration esthétique, biologique et fonctionnelle de la patiente (fig. 24). Le contexte occlusal et prothétique ainsi établi a parfaitement respecté les objectifs initialement fixés pour permettre d'envisager sereinement la réalisation d'une extension distale dont l'effet négatif a été limité par trois paramètres (fig. 25) :

– la réduction de la dent 26 en extension à la taille d'une prémolaire ;

– l'opposition à cette extension d'une dent antagoniste en résine montée sur la PAPIM ;

– le calage de l'ancrage adjacent [23] par un antagoniste naturel (couronne sur 35).

Conclusion

En prothèse, la mise en œuvre d'un traitement de restauration globale oblige souvent à réaliser des compromis. Chaque décision et chaque option thérapeutique doivent être prises en fonction des paramètres cliniques en présence, en respectant scrupuleusement tous les systèmes biomécaniques mis en jeu. La connaissance des protocoles prothétiques et des propriétés des matériaux doit permettre de faire les bons choix et de mettre en œuvre les étapes du traitement permettant d'atteindre et d'optimiser un résultat prédictif et pérenne.

Pascal De March - chirurgien-dentiste (MCU-PH)

Anne-Sophie Vaillant-Corroy - chirurgien-dentiste (AHU)

Pascale Corne - chirurgien-dentiste (AHU)

Faculté d'Odontologie, Département de prothèses, 96, rue de-Lattre-de-Tassigny, BP 50208, 54004 Nancy cedex, pascal.de-march@univ-lorraine.fr

Liens d'intérêts : les auteurs confirment n'avoir aucun lien d'intérêt concernant cet article.

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