Influence du tracé lingual des crochets de Nally-Martinet sur la colonisation bactérienne des dents supports mandibulaires - Cahiers de Prothèse n° 171 du 01/09/2015
 

Les cahiers de prothèse n° 171 du 01/09/2015

 

Prothèse amovible partielle

V. Jardel / C. Kermarrec / M.-L. Abalain  

Résumé

RÉSUMÉ La mise en place d'une prothèse amovible partielle à châssis métallique apporte de nouveaux supports à la plaque dentaire. Le tracé d'un châssis métallique doit respecter des principes mécaniques et biologiques. Mais quelle est son influence sur la colonisation bactérienne aux niveaux des dents supports des crochets, notamment à la mandibule où la place pour le décolletage est souvent réduite ? Pour tenter de répondre à cette question,5 prothèses amovibles partielles à châssis métalliques mandibulaires volontairement asymétriques pour 5 patients, sélectionnés au hasard et présentant un édentement mandibulaire de classe 1 de Kennedy ont été confectionnées. Chaque prothèse portait 2 crochets de Nally-Martinet : l'un était relié à l'armature par une potence décolletée du côté lingual, l'autre était relié à l'armature par un bandeau lingual plein. L'étude de la colonisation bactérienne aux niveaux des dents supports des crochets a été menée à l'aide de prélèvements par écouvillons stériles mis en culture sur 2 milieux de croissance : en anaérobiose sur sang de mouton et en atmosphère enrichie avec 5 % de gaz carbonique sur sang de cheval. De J0 à J35, du côté du décolletage, la colonisation bactérienne a été plus importante que du côté du bandeau plein.

Summary

SUMMARY Influence of the Nally-Martinet hook's lingual plan on bacterial colonization of teeth support

The fitting of a removable partial denture with a cast metal framework provides the dental plaque with a new medium. The design of a cast metal framework must respect mechanical and biological rules. The aim of this research was to evaluate the influence of the lingual trace of the Nally-Martinet clasp upon the bacterial colonization, especially on the mandible, where the space for cutting is often scarce.

Five removable partial dentures with cast metal frameworks, purposely asymmetrical, were fitted on five patients, randomly selected and presenting a Kennedy class 1 mandibular edentulousness. Each partial denture carried two Nally-Martinet clasps: one joined up to the framework by a clasp bar cutting on the lingual side, the other joined up to the framework by a complete lingual plate. To study the bacterial colonization on the abutment teeth clasps, samples were taken with sterilized swabs and cultured on two different growth media: on a sheep blood agar base in anaerobiotic conditions, and on a horse blood agar base in a 5% CO2-enriched atmosphere.

From day 0 to day 35, the bacterial colonization was higher on the cutting than on the complete lingual plate.

Key words

cutting, clasp, lingual plate, bacterial colonization

Le port d'une prothèse amovible partielle à châssis métallique (PAPCM) apporte de nouveaux supports à la plaque microbienne et contrarie les actions détersives et neutralisantes du flux salivaire sur les muqueuses [1-4]. La PAPCM génère également des zones de semi-anaérobiose propices au développement d'une flore pathogène [5]. Son arrivée au sein de l'écosystème buccal crée d'importantes modifications à plusieurs niveaux : dents, muqueuses, salive, hygiène buccale [6]. Chez le porteur de PAPCM, l'accumulation de plaques bactériennes est augmentée par une mauvaise hygiène buccale et, dans les mêmes conditions d'hygiène, cette accumulation est d'autant plus importante que le châssis prothétique a des contours compliqués [7, 8]. Si de nombreux auteurs préconisent toujours le principe général du décolletage énoncé en 1950 par Paul Housset [9-14], d'autres, tout en l'acceptant, précisent qu'il n'est pas toujours applicable, notamment pour les châssis mandibulaires compte tenu d'une faible hauteur linguale du rempart alvéolo-dentaire [9, 12, 15, 16]. Ainsi, pour Normand Brien en 1996 [12], « des connexions mal conçues sont souvent responsables de l'inflammation gingivale car elles ne permettent pas d'effectuer un décolletage suffisant ». Pour lui, le décolletage doit être supprimé et remplacé par un « tablier métallique » dans quatre situations :

– lorsque le diamètre des dents est petit ;

– lorsque la barre linguale doit passer à moins de 3 mm de la gencive marginale ;

– lorsque la distance entre deux connexions est trop courte ;

– lorsque le bras réciproque passe très près de la gencive marginale.

Quelle est l'influence du tracé lingual d'un crochet sur la rétention de la plaque bactérienne au niveau des dents supports ? Afin de tenter de répondre à cette interrogation, nous avons mené une étude bactériologique sur 5 patients suivis dans le Centre de soins d'enseignement et de recherches dentaires (CSERD) de Brest.

Matériel et méthode

Cinq patients, 4 hommes et 1 femme âgés de 30 à 71 ans, soignés au CSERD de Brest et ne présentant qu'un édentement de classe 1 de Kennedy à la mandibule, ont été sélectionnés au hasard selon les critères suivants :

– patients partiellement édentés sains présentant des muqueuses saines ;

– patients ne présentant pas de pathologies ni de facteurs favorisant une modification de la flore microbienne (xérostomie, diabète, déficits immunitaires, tabac) ;

– patients aptes à respecter un protocole et des consignes d'hygiène délivrées oralement.

Chaque patient devait se brosser les dents, sans sa prothèse, avec du dentifrice et ne pas utiliser de solutions de bain de bouche à la chlorhexidine après le brossage. Ensuite, il devait brosser et rincer sa prothèse avec de l'eau (trempage éventuel dans de l'eau la nuit sans aucune solution nettoyante) [17, 18]. Pour chacun de ces patients, un châssis volontairement asymétrique a été conçu. Les châssis en alliage cobalt-chrome (CoCr Character Bluedent) (tableau I et fig. 1) comportaient au hasard, aux niveaux des 2 dents supports des crochets bordant de chaque côté l'édentement, d'un côté un crochet de Nally-Martinet avec décolletage lingual (fig. 2) et de l'autre un crochet de Nally-Martinet avec un bandeau lingual plein sans décolletage (fig. 3). À J0 (jour de la pose de la prothèse), pour chaque patient, un détartrage et un polissage soigneux des dents ont été réalisés de façon à éliminer au maximum la plaque dentaire. Puis ce détartrage a été suivi de deux prélèvements par écouvillonnage de surface (tableaux I et II) : l'un au niveau du collet lingual de la dent support où le châssis métallique présentait un décolletage et l'autre au niveau du collet lingual de la dent support où le châssis métallique présentait un bandeau lingual plein. Enfin, la prothèse a été mise en place. Les autres prélèvements se sont succédé à 1 semaine d'intervalle de J7 à J35, toujours à raison de deux prélèvements par patient (tableau II). Cette étude a été réalisée en accord avec les règles d'éthique du Code de la santé publique après avoir reçu le consentement éclairé de chaque patient.

Après les avoir introduits dans leur milieu de conservation, ces différents prélèvements ont été immédiatement analysés dans le laboratoire de microbiologie de l'UFR de médecine de Brest, pour réaliser une étude quantitative et semi-qualitative de la flore bactérienne. Cette étude consistait à évaluer le nombre de bactéries par millilitre de prélèvement, par comptage des différents types de colonies bactériennes qui s'étaient développées sur les milieux de culture, puis de les classer en fonction de leur morphologie, leur coloration de Gram, leur capacité à croître avec ou sans oxygène, etc.

Pour effectuer une numération exacte des différents types de colonies sur les milieux de culture, les écouvillons ont été exprimés dans 1 ml d'eau physiologique (solution A = solution isotonique qui permet de préserver le volume cellulaire à 9 g de chlorure de sodium/1 000 ml d'eau distillée). Cette suspension a ensuite été diluée au 1/10, au 1/100, au 1/1 000 puis au 1/10 000 pour permettre une numération exacte des colonies sur la gélose au sang de mouton et en atmosphère enrichie avec 5 % de gaz carbonique sur gélose au sang de cheval selon le protocole suivant (fig. 4) :

– J0, solution mère et dilution au 1/10 ;

– J7, dilution au 1/10 et au 1/100 ;

– J14, dilution au 1/100 et au 1/1 000 ;

– J21, dilution au 1/1 000 et au 1/10 000 ;

– J35, dilution au 1/1 000 et au 1/10 000.

Une étude statistique des résultats, fondée sur une analyse de variance (Anova) et du test de Scheff's au seuil de 95 % a été conduite à l'aide du logiciel Excel (Microsoft) pour PC.

Résultats

Pour l'étude de la colonisation bactérienne

Les résultats concernant la colonisation bactérienne moyenne étudiée en anaérobiose sur gélose au sang de mouton et en atmosphère enrichie avec 5 % de gaz carbonique sur gélose au sang de cheval sont présentés dans le tableau III. Ils sont corrélés par des résultats statistiques (tableau IV). Conformément aux travaux de Ramfjord et Ash de 1993 [19], on peut remarquer qu'à J0, après le détartrage et avant la pose des prothèses, la contamination bactérienne était très faible mais jamais nulle. Pour l'étude en anaérobiose, les 5 patients différaient significativement par leur taux de colonisation bactérienne (p = 0,002) au niveau du décolletage mais pas au niveau du bandeau plein (p = 0,20). Cela est sans doute dû à des variations individuelles plus marquées. Pour l'étude en atmosphère enrichie avec 5 % de gaz carbonique, les colonisations bactériennes différaient significativement pour les 5 patients du côté du décolletage (p = 0,004) et du côté du bandeau plein (p = 0,003).

Pour l'étude de la flore bactérienne

La présence de streptocoques non hémolytiques a été mise en évidence chez les 5 patients et celle de streptocoques alpha-hémolytiques et de Capnocytophaga chez 4 patients. D'autres bactéries, dont les streptocoques bêta-hémolytiques, n'étaient présentes que chez 2 patients. Enfin, les fusobactéries, staphylocoques, Neisseria et Veillonella n'étaient présents que chez 1 patient. L'évolution de la colonisation bactérienne moyenne pour les streptocoques non hémolytiques, les streptocoques alpha-hémolytiques et les Capnocytophaga est présentée dans le tableau V. La colonisation bactérienne moyenne par les streptocoques non hémolytiques différait significativement au niveau des deux conceptions avec p = 0,004 pour le côté du décolletage et p = 0,02 pour le côté bandeau plein. Les colonisations bactériennes moyennes par les streptocoques alpha-hémolytiques et Capnocytophaga différaient significativement du côté du décolletage (avec p = 0,002 pour les premiers et p = 0,006 pour les seconds) ; elles ne différaient pas significativement du côté du bandeau plein (p = 0,26 et p = 0,16) (tableau IV).

Discussion

Pour l'étude de la colonisation bactérienne

L'étude de la colonisation bactérienne moyenne mesurée en anaérobiose (tableau II) montrait que du côté du décolletage, la valeur moyenne passait, de J0 à J35, de 0,20 à 47 × 106 germes par millilitre, tandis que pour le côté du bandeau plein, elle passait de 0,15 à 8,60 × 106 germes par millilitre. On constatait une diminution de la colonisation entre J21 et J35 du côté du bandeau plein tandis qu'elle continuait de croître du côté du décolletage (fig. 5). À J35, la colonisation bactérienne moyenne mesurée en anaérobiose était 5,4 fois plus élevée du côté du décolletage que du côté du bandeau plein. Les valeurs moyennes de la colonisation bactérienne mesurée en atmosphère enrichie avec 5 % de gaz carbonique (tableau III) pouvaient être superposées à celles obtenues en anaérobiose. Les moyennes augmentaient rapidement au niveau des deux côtés entre J0 et J14 (de 0,24 à 19,80 × 106 germes par millilitre côté décolletage et de 0,16 à 5,72 × 106 germes par millilitre côté bandeau plein), tandis qu'entre J21 et J35, la contamination moyenne évoluait différemment. Celle du côté du décolletage augmentait de 23,60 à 40 × 106 germes par millilitre alors que celle du côté du bandeau plein se stabilisait à 6,90 × 106 germes par millilitre puis diminuait jusqu'à 4,10 × 106 germes par millilitre (fig. 6). À J35, la colonisation bactérienne moyenne mesurée en atmosphère enrichie avec 5 % de gaz carbonique était 9,75 fois plus élevée du côté du décolletage que du côté du bandeau plein.

Pour l'étude de la flore bactérienne (tableau V)

Pour les streptocoques non hémolytiques, de J0 à J35, la colonisation moyenne augmentait de 0,08 à 29,00 × 106 germes par millilitre du côté du décolletage et de 0,04 à 0,62 × 106 germes par millilitre du côté du bandeau plein (soit 47 fois moins que du côté du décolletage) (fig. 7). Pour les streptocoques alpha-hémolytiques, de J0 à J35, la colonisation moyenne augmentait du côté du décolletage de 0,12 à 37,5 × 106 germes par millilitre et de 0,03 à seulement 6,50 × 106 germes par millilitre du côté du bandeau plein (soit 6 fois moins que du côté du décolletage) (fig. 8). Pour les Capnocytophaga, de J0 à J35, la colonisation moyenne passait de 0,00 à 10 × 106 germes par millilitre du côté du décolletage et de 0,00 à 0,50 × 106 germes par millilitre du côté du bandeau plein (soit 20 fois moins que du côté du décolletage) (fig. 9).

Implications cliniques

Cette étude a démontré que la croissance de la colonisation bactérienne, en présence d'une PAPCM, était plus importante du côté du décolletage que du côté du bandeau. La conception d'un décolletage au niveau d'un châssis métallique semblerait donc constituer un environnement favorable à la prolifération bactérienne. En revanche, la réalisation d'un bandeau plein permettrait de limiter la croissance de la plaque dentaire et, donc, de protéger les structures parodontales des dents supports tout en rigidifiant le châssis métallique, favorisant dans le temps le maintien des structures résiduelles (fig. 10 à 13). Il semble donc judicieux de proposer la réalisation de bandeaux pleins lorsque le décolletage est difficile à réaliser, ce qui est souvent le cas à la mandibule.

Conclusion

Lorsque le décolletage ne peut être correctement effectué, il vaut mieux avoir recours à l'utilisation d'un bandeau pour diminuer la colonisation bactérienne au niveau des collets des dents supports des crochets.

Remerciements : les auteurs remercient le laboratoire Grall de Brest qui a réalisé les châssis métalliques utilisés dans cette étude.

Vincent Jardel – MCU-PH

Charles Kermarrec – Docteur en chirurgie dentaire

Marie-Louise Abalain – MCU-PH

Liens d'intérêts : les auteurs confirment n'avoir aucun lien d'intérêt concernant cet article.

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