Agénésie de l'incisive latérale maxillaire chez l'adolescent : - Cahiers de Prothèse n° 172 du 01/12/2015
 

Les cahiers de prothèse n° 172 du 01/12/2015

 

Prothèse fixée

M. Renaud / A. Ameline / F. Marie / P. Bousquet / S. Montal  

Résumé

RÉSUMÉ L'agénésie de l'incisive latérale maxillaire est une situation clinique courante à laquelle le chirurgien-dentiste se trouve régulièrement confronté. La solution de choix est le plus souvent la solution implantaire. Toutefois, la croissance est un paramètre crucial à prendre en compte. En effet, la croissance alvéolaire continue peut compromettre les différentes thérapeutiques. Si l'implant est la solution adoptée, sa pose devra nécessairement être différée pour ne pas interférer avec la croissance. Le cas clinique présenté montre que le bridge collé sans préparation coronaire est une solution de remplacement intéressante faisant partie de l'arsenal thérapeutique du praticien, aussi bien en tant que technique prothétique transitoire que d'usage.

Summary

SUMMARY Maxillary lateral incisor on adolescent: what treatment when the implant is impossible?

Lateral maxillary incisor agenesis is a very familiar situation. Positioning of this tooth on the arch generates occlusal or aesthetic problems. Moreover, periodontal environment is unfavorable due to a lack of the tooth and the alveolar bone. This situation cannot permit an implant placement without surgery with unpredictable outcomes. If the implant is the best solution for the clinical situation, the implant placement must consider the age of the patient and the growth stage. Bonded bridge without enamel preparation can be an interesting alternative. This solution can also be temporary or definitive. This clinical case shows a treatment of a lateral maxillary incisor agenesis by an all-ceramic bonded bridge.

Key words

dental implant, all-ceramic bonded bridge, alveolar growth

L'agénésie dentaire est particulièrement courante dans la population. Sa prévalence est évaluée, selon les études, à 4,56 %. L'agénésie de l'incisive latérale maxillaire, quant à elle, est l'une des plus fréquentes, représentant à elle seule 22 % des agénésies [1]. Les problématiques de sa prise en charge sont nombreuses. L'occlusion, l'environnement parodontal, l'esthétique et la prise en compte de la croissance chez l'adolescent sont des facteurs à prendre en considération dans toutes les thérapeutiques envisagées.

Différentes solutions, avec leurs avantages et leurs inconvénients, sont envisageables en fonction des situations cliniques.

La fermeture orthodontique de l'espace accompagnée ou non de techniques d'améloplastie (maquillage de la canine en incisive latérale par exemple) peut être proposée. Toutefois, cette technique engendre un décalage occlusal du côté de l'agénésie qui nécessitera, dans certains cas, des avulsions pour compensation [2]. Le positionnement de la première prémolaire à la place de la canine est aussi un élément à prendre en compte. Parfois, les améloplasties nécessaires entraînent un processus inflammatoire morbide pouvant aboutir à la perte de la vitalité dentaire [3].

Le maintien ou l'ouverture de l'espace par un traitement orthodontique en vue d'une restauration implanto-portée est une autre possibilité [2]. Cependant, l'absence de la dent implique l'absence d'os alvéolaire nécessitant des techniques de chirurgie avancées (greffes d'apposition, régénération osseuse...). De plus, le choix du moment de la mise en place de l'implant déterminera le succès de la restauration : l'âge du patient et son stade de croissance s'avèrent être des facteurs déterminant les résultats à long terme.

En effet, l'os alvéolaire et les os maxillaires subissent des changements importants dans les trois sens de l'espace durant la croissance. Placer des implants durant celle-ci ne présente aucun problème au niveau du processus d'ostéo-intégration [4]. Cependant, les études montrent qu'un implant ostéo-intégré et son os environnant restent stationnaires, ne possédant aucune possibilité d'adaptation au remodelage osseux [5]. Les études montrent également que la croissance alvéolaire continue des dents adjacentes peut entraîner une infraclusion de la restauration sur implant [6]. Cette quantité d'infraclusion a été quantifiée par Bernard et al. [7] qui ont montré que l'infraclusion de la couronne sur implant par rapport aux dents adjacentes peut aller jusqu'à 1,65 mm, et cela 1 an seulement après le positionnement de l'implant. Pour ne pas interférer avec la croissance, la chirurgie implantaire doit par conséquent s'effectuer le plus tard possible en fonction du type de croissance du patient [4]. Les risques de poser les implants prématurément s'illustrent cliniquement par des complications fonctionnelles et esthétiques (dysharmonie dento-dentaire ou dento-maxillaire, malposition, infraclusion) combinées à des problèmes parodontaux (récession gingivale, perte osseuse). Par la suite, il sera impossible de compenser ces décalages par la modification de la prothèse.

C'est pourquoi des solutions de remplacement ou de temporisation sont nécessaires jusqu'à la fin de la croissance. L'évolution des techniques de collage permet aujourd'hui d'envisager des traitements sans préparation amélaire. Les bridges collés peuvent tout à fait être indiqués dans certains cas comme solution de transition, voire même, en fonction de la situation clinique, comme solution d'usage [8]. Toutefois, la pérennité de ce type de restauration implique un protocole de collage rigoureux et un réglage strict de l'occlusion, toute interférence pouvant conduire au décollement ou à la fracture de la pièce prothétique...

Présentation du cas clinique

Une jeune patiente, âgée de 15 ans, a été adressée par son orthodontiste pour évaluer la possibilité implantaire à la suite de l'ouverture orthodontique de l'espace laissé par l'agénésie de la 12. Sur le plan général, elle ne présentait aucune contre-indication à la chirurgie. L'interrogatoire révéla que l'aspect esthétique de son agénésie l'avait toujours gênée. En effet, un dispositif de contention amovible comportant une dent en résine en remplacement de la 12 avait été réalisé par l'orthodontiste dans l'attente d'une autre solution. De plus, le port de cet appareil et sa connotation de « dentier » rendait son acceptation difficile et une gêne à la mastication obligeait la patiente à l'enlever régulièrement.

Examen clinique

L'examen exobuccal révèle une égalité des étages de la face, une harmonie et une symétrie des lignes de références. Le sourire reste toutefois marqué par l'appareil transitoire associé à une barre horizontale métallique venant aggraver le déficit esthétique (fig. 1).

L'examen endobuccal, quant à lui, révèle l'absence de 12 avec un espace mésio-distal de 5,5 mm. L'alignement du rang incisif est satisfaisant. Un excellent contrôle de plaque et l'absence de pathologies parodontales sont constatés. Les dents adjacentes à l'agénésie présentent des particularités coronaires de teinte et de forme qu'il faudra prendre en considération lors des transmissions au laboratoire de prothèse (fig. 2) L'examen de l'occlusion révèle une classe I d'Angle molaire et canine. Le guide antérieur est fonctionnel. Le surplomb et le recouvrement sont faibles. L'examen des latéralités montre une protection canine.

Examens complémentaires

Malgré le fait que la patiente n'a pas fini sa croissance, des examens radiologiques sont tout de même réalisés afin d'évaluer les axes radiculaires de 13 et 11 ainsi que le volume osseux disponible. L'examen rétroalvéolaire (fig. 3a) montre un faible espace mésio-distal aggravé par la convergence radiculaire. De plus, l'examen tomographique (fig. 3b) montre l'absence de volume osseux au niveau de 12 associée à une forte voussure vestibulaire.

Solution thérapeutique

L'ensemble de ces éléments ne permettant pas dans l'immédiat d'envisager une solution implantaire pour le traitement de l'agénésie, une autre thérapeutique doit donc être proposée en attendant la fin de la croissance de la patiente. Les facteurs occlusaux favorables permettent d'envisager, en accord avec les principes d'économie tissulaire, la réalisation d'un bridge collé. Pour allier l'esthétique à la fonction, un bridge collé tout céramique est donc suggéré à la patiente.

Réalisation

La réalisation du bridge collé sans préparation coronaire nécessite une analyse rigoureuse de la situation clinique. Pour cela, une analyse fine de l'occlusion est effectuée afin que les ailettes collées, qui seront réalisées en surcontour, n'interfèrent pas avec la fonction. Celle-ci montre des contacts en occlusion d'intercuspidie maximale et des contacts en propulsion en adéquation avec la réalisation d'ailettes venant investir les cingulums des 11 et 13 sans interférences occlusales (fig. 4).

Les étapes d'empreinte doivent permettre un enregistrement précis des zones à investir permettant la réalisation d'ailettes prothétiques qui ne pénétreront pas l'espace biologique, ce qui évitera la survenue d'une inflammation gingivale. Le dossier de transfert au laboratoire est agrémenté de photos de la situation clinique pour maximiser les informations transmises au prothésiste (fig. 5). Une dent en résine solidarisée à l'aide d'un fil de contention aux dents adjacentes permet la temporisation et le maintien de l'espace prothétique pendant les étapes de laboratoire (fig. 6). Le bridge tout céramique est réalisé en disilicate de lithium (fig. 7).

Les étapes de collage doivent être réalisées de façon protocolaire pour aboutir à un résultat stable et optimal (fig. 8).

Le jour de la pose, la pièce prothétique est essayée en bouche. Le bridge produit une pression sur la gencive provoquant un léger blanchiment. C'est ce rapport initial associé au positionnement des points de contact qui permettra le modelage de la gencive dans les espaces interdentaires et la formation de papilles (fig. 9).

Après le collage, un contrôle rigoureux de l'occlusion est effectué afin d'éviter tout contact du bridge pendant la fonction assurant la pérennité de la restauration (fig. 10). Le résultat final montre une parfaite intégration du bridge dans le sourire satisfaisant la patiente (fig. 11).

Les conseils d'usage sur les précautions nécessaires concernant l'alimentation et l'hygiène sont prodigués.

Discussion

La prise en compte de l'âge de la patiente est dans ce cas un facteur primordial dans la décision thérapeutique. En effet, le positionnement d'un implant trop tôt peut se transformer en véritable préjudice esthétique plusieurs années après [9]. Même si une greffe d'apposition osseuse est réalisée afin de retrouver un volume osseux suffisant en adéquation avec le positionnement implantaire, elle ne règle pas le problème de la croissance. Le choix d'une telle thérapeutique rend le pronostic à moyen et long termes défavorable.

La solution par bridge collé s'avère par conséquent être un choix idéal dans cette situation avec de nombreux avantages. Ce type de bridge permet soit de temporiser en attendant la fin de la croissance pour envisager alors une thérapeutique implantaire, soit de se transformer en solution d'usage. De plus, l'intégration du bridge collé dans l'arcade est rapide et son acceptation par la patiente immédiate. En effet, la réalisation de deux ailettes permet également de réaliser une contention orthodontique et d'offrir une proprioception par la transmission des forces au desmodonte des dents adjacentes. La contention collée est une pratique d'usage pour éviter les récidives du traitement orthodontique [10]. Cependant, il semble nécessaire de s'interroger sur les effets qu'elle a sur la croissance alvéolaire. De plus, quels sont les effets du bridge collé sur elle ? Le praticien sera-t-il amené à le modifier par la suite, voire même à le remplacer pour tenir compte de cette croissance ? La solution du bridge collé cantilever permettrait-elle de pallier ce phénomène ? Un élément de réponse réside sans doute dans la prise en considération du type de croissance, directement relié à la typologie faciale du patient [11]. Il serait donc nécessaire de mettre en place des indications plus précises tenant compte de la croissance et permettant au praticien de mieux gérer ses traitements.

Il est cependant à noter que, dans le cas où la restauration implantaire différée sera retenue, non seulement elle devra avoir lieu le plus tard possible (25 voire 30 ans) avec des aménagements tissulaires mais la reprise du traitement orthodontique sera également obligatoire avant toute intervention pour un nouvel aménagement des espaces puisque la croissance alvéolaire est continue tout au long de la vie...

Conclusion

Dans ces situations cliniques des plus complexes, véritable « casse-tête » orthodontique et prothétique, le bridge collé s'avère être de loin la solution de choix : transitoire ou d'usage, il rentre dans l'optique du « simple et efficace » par sa réalisation prévisible et constitue une alternative « élégante » à l'implantologie.

Remerciements : Ludovic Algazil, prothésiste dentaire, laboratoire DTS, 34000 Montpellier.

Matthieu Renaud - DES médecine bucco-dentaire, attaché hospitalier

Service de prothèse

UFR d'odontologie

Adrien Ameline - Externe en chirurgie dentaire

UFR d'odontologie

Félix Marie - Externe en chirurgie dentaire

UFR d'odontologie

Philippe Bousquet - MCU-PH

UAM implantologie

UFR d'odontologie

Sylvie Montal - PU-PH

Service de prothèse

UFR d'odontologie

Université Montpellier I

545, avenue du Professeur-Jean-Louis-Viala, 34193 Montpellier

Liens d'intérêts : les auteurs confirment n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Bibliographie

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