La culture du doute - Cahiers de Prothèse n° 173 du 01/03/2016
 

Les cahiers de prothèse n° 173 du 01/03/2016

 

Éditorial

Stéphane Viennot  

Rédacteur en chef

Douter, c'est prendre le temps de s'interroger, car le refus d'affronter les éventuels problèmes reste le plus sûr moyen de les aggraver.

The problem with the world is that the intelligent people are full of doubts, while the stupid ones are full of confidence. Charles Bukowski

Dans le monde professionnel actuel, douter semble un signe de faiblesse, c'est un constat vérifié chaque jour. Il faut être sûr de soi, il faut plaire et « porter beau » pour rassurer et susciter l'admiration. Il convient par ailleurs d'afficher sérénité et confiance en soi, empathie et bonne humeur. Et pour ne pas donner l'impression de douter face à une décision qui se présente, l'idéal est de trancher au plus vite, sans trembler. Mais le couperet tombe souvent sans l'objectivité de la réflexion, sans l'examen clairvoyant des contextes, sans l'analyse objective à l'aune de ses expériences. Comment être juste dans sa décision ? Comment s'approcher de la vérité ? Réponse : douter. Passer sans relâche toute certitude par le prisme de la question. « N'a de conviction que celui qui n'a rien approfondi » disait le philosophe Cioran. Sentence un brin provocatrice, mais essentielle pour ne pas s'endormir sur les lauriers de la connaissance, voire de la suffisance, car douter semble être le fruit d'un état d'esprit, difficile à changer. Douter c'est prendre le temps de s'interroger car le refus d'affronter les éventuels problèmes reste le plus sûr moyen de les aggraver. Mais pour certains, douter c'est ne plus exister, c'est mettre à bas une forme de confiance en soi qui grave dans le marbre : je sais, donc je suis.

Dans toutes les professions, douter est essentiel. S'il est un domaine où le doute s'impose, c'est bien dans l'institution judiciaire : le doute a-t-il toujours bénéficié à l'accusé ?  Certes non, pas toujours, car drapés dans les oripeaux de la certitude et de la conviction, des cours d'assises ont tranché, plus par conviction que par l'existence de la preuve, en brisant des vies ou en envoyant à l'échafaud. Si „l'accusateur avait dû être « l'exécuteur » ou le bourreau, n'aurait-il pas davantage douté en amont ?

Pour les professionnels de santé que nous sommes, le doute efficace s'impose également à chaque étape de notre plan de traitement. Celui-ci doit se faire jour pour examiner le résultat obtenu, par rapport au résultat attendu, afin de réajuster à la marge une thérapeutique en fonction des aléas de tout traitement chez l'humain.

Ce qu'il nous faut chercher à limiter en revanche, c'est le doute destructeur, celui qui jaillit lorsque l'on navigue à vue sur les eaux tourmentées d'un plan de traitement non maîtrisé : suis-je dans la bonne thérapeutique ? Où vais-je ? Le patient s'en rend-il compte ? Sans nul doute, dans ce contexte, tout s'est cristallisé à partir d'un plan de traitement insuffisant, non maîtrisé et non compris par le patient. Il s'ensuit une thérapeutique inadaptée que le praticien regrette à chaque étape. Pour limiter ce doute destructeur, il convient d'imposer et de systématiser : examen clinique initial complet et approfondi, examens complémentaires choisis et adaptés. Ajoutons pour les diagnostics de cas complexes, qu'un temps de réflexion s'impose en-dehors du fauteuil pour réfléchir isolément et se concentrer sur chaque élément : pour douter maintenant et agir ensuite.

C'est donc à l'étape essentielle de construction du plan de traitement prothétique que ce numéro spécial des Cahiers de prothèse s'intéresse. Il traite de cette phase ô combien essentielle qui lève les doutes et sécurise au mieux la thérapeutique ultérieure, tout en gagnant la confiance du patient. Cette thématique du « projet prothétique » nous est offerte grâce à l'expertise de quatre confrères passionnés et rigoureux qui exercent leurs spécialités cliniques au quotidien. Ils détaillent au fil des pages les techniques et procédures qu'ils mettent en œuvre dans leurs exercices. Qu'ils en soient ici vivement remerciés. Parmi eux, saluons tout particulièrement le docteur Renaud Noharet, coordinateur efficace de ce spécial « projet prothétique ». Numéro d'un intérêt majeur, sans aucun doute !