Restauration « a maxima » : toujours d'actualité ? - Cahiers de Prothèse n° 177 du 01/03/2017
 

Les cahiers de prothèse n° 177 du 01/03/2017

 

Nouvelle Aquitaine

M. JACQUEMONT   W. BOUJEMAA   E. d'INCAU  

L'odontologie factuelle (evidence based dentistry) repose sur une utilisation consciencieuse, explicite et judicieuse des meilleures données disponibles pour la prise de décisions concernant les soins à prodiguer à chaque patient. Selon ses fondateurs [1], elle doit tenir compte de l'expertise individuelle du clinicien (jugement, compétence, expérience clinique), du patient (préférences, droits) et des meilleures données cliniques externes (essais contrôlés randomisés à...


Résumé

Résumé

L'odontologie fondée sur les faits repose sur une utilisation judicieuse des meilleures données disponibles pour la prise en charge des patients. Elle tient compte du praticien, du patient mais également des travaux de recherche pertinents. Lorsque ces données sont lacunaires, la prise en charge devient plus subjective. Elle doit néanmoins toujours favoriser en première intention les techniques les moins invasives. En cas d'échecs récurrents, le recours à certaines méthodes moins économes en tissus dentaires semble inéluctable. L'objectif de cet article est de mettre en application cette stratégie particulière en rapportant le cas d'un patient présentant une usure dentaire majeure associée à un probable bruxisme du sommeil.

L'odontologie factuelle (evidence based dentistry) repose sur une utilisation consciencieuse, explicite et judicieuse des meilleures données disponibles pour la prise de décisions concernant les soins à prodiguer à chaque patient. Selon ses fondateurs [1], elle doit tenir compte de l'expertise individuelle du clinicien (jugement, compétence, expérience clinique), du patient (préférences, droits) et des meilleures données cliniques externes (essais contrôlés randomisés à haut niveau de preuve, méta-analyses et éventuellement études transversales ou de suivi, bien construites). Lorsque les travaux de recherche pertinents font défaut, les données individuelles du patient et l'expérience clinique non contrôlée du praticien prennent une place prépondérante qui détermine la prise en charge. C'est ce contexte fréquemment retrouvé en odontologie prothétique que souhaite illustrer cet article dont l'objectif principal est de rapporter le cas d'un patient qui présente une importante usure dentaire liée à un probable bruxisme du sommeil. Certains rappels sur ces deux manifestations semblent être un préalable indispensable.

Rappels sur l'usure dentaire

L'usure est une détérioration produite par l'usage. C'est un terme générique communément employé en odontologie pour décrire différents mécanismes complexes, synergiques ou additifs, synchrones ou séquentiels, qui souvent masquent sa véritable origine [2, 3]. Celle-ci est considérée comme physiologique lorsqu'elle est modérée, liée au vieillissement et en rapport avec le régime alimentaire des individus [4]. Elle est en revanche considérée comme pathologique lorsqu'elle altère la fonction et/ou l'esthétique et qu'elle engendre des douleurs. Une prise en charge préventive et/ou curative s'impose alors.

Trois mécanismes d'usure sont classiquement décrits dans la cavité buccale. Cette première partie est destinée à les présenter de manière distincte, mais il faut bien garder à l'esprit qu'ils interagissent le plus souvent, ce qui potentialise leurs effets et complique leur diagnostic différentiel [5].

Attrition

L'attrition correspond à la friction de deux corps solides en mouvement dont les surfaces sont en contact direct. Lorsqu'elle prévaut sur les autres modes d'usure, elle produit des surfaces caractéristiques [6]. Au niveau occlusal, les facettes sont lisses, brillantes et à angles aigus. Lorsque la dentine est exposée, elle se situe au même niveau que l'émail, sans aucune marge. Qu'elles soient localisées sur des tissus dentaires, des matériaux restaurateurs ou les deux simultanément, les surfaces d'usure de dents antagonistes se correspondent en occlusion d'intercuspidie maximale ou lors de faibles mouvements mandibulaires.

L'origine de l'attrition est multifactorielle, car elle peut être liée :

– aux contacts dento-dentaires furtifs et inconstants qui s'établissent lors de la déglutition et de la mastication ;

– à des conditions occlusales particulières (malposition, malocclusion du type supraclusion, édentation non compensée) qui exposent de manière préférentielle certains couples de dents antagonistes ;

– à certaines activités de l'éveil comme les parafonctions qui s'exercent arbitrairement et qui s'imposent en dehors de toute fonction normale, tout en se servant des éléments même de la fonction (par exemple mâcher du chewing-gum, grincer des dents ou les serrer, « tapoter » les dents les unes contre les autres, se ronger les ongles ou la peau les entourant) ;

– à certaines dystonies oro-mandibulaires (en fermeture, mixtes) ;

– à certains troubles moteurs liés au sommeil comme l'épilepsie ou le bruxisme du sommeil. Certaines conditions physiques et chimiques sont en effet rassemblées lors de ce dernier trouble [6, 7].

Abrasion

Il s'agit d'un déplacement de deux corps solides (dents, langue, tissus mous, etc.) l'un contre l'autre avec interposition de particules abrasives qui constituent le troisième corps. Lorsqu'elle est généralisée, l'abrasion est essentiellement liée à la charge abrasive du bol alimentaire qui affecte l'ensemble des surfaces dentaires lors de la mastication. Les particules (sable, poussière) présentes dans certains milieux environnementaux peuvent également être incriminées.

Les surfaces d'usure sont alors émoussées, satinées, brossées, avec des limites de contours arrondies [8]. Au niveau occlusal, une marge sépare l'émail de la dentine moins minéralisée. Lorsqu'elle est focalisée, en général au niveau cervico-vestibulaire, l'abrasion est essentiellement liée au brossage dentaire. Les particules contenues dans le dentifrice constituent le troisième corps qui s'interpose entre les surfaces dentaires et les poils de la brosse. Les lésions sont souvent étendues et en encoche.

Érosion

L'érosion survient lorsqu'une attaque chimique (acide, chélatant) rompt les liaisons intermoléculaires des tissus dentaires ou des matériaux restaurateurs, potentialisant de manière considérable les différents autres modes d'usure mécaniques (attrition, abrasion). L'aspect clinique des lésions est polymorphe mais, d'une manière générale, les surfaces sont lisses (effacement progressif de la microgéographie de surface), en forme de cupules sur les sommets cuspidiens [9].

Les principales sources d'érosion sont :

– intrinsèques, comme le reflux gastro-œsophagien, les régurgitations acides, le vomissement chronique (alcoolisme), certains troubles du comportement alimentaire comme l'anorexie-boulimie ou le mérycisme ;

– extrinsèques lorsqu'elles se retrouvent dans l'alimentation (agrumes, sodas, certains jus de fruit, drogues, etc.) ou l'environnement (vapeurs corrosives).

Ainsi, l'usure dentaire relève de différents mécanismes étiologiques. La forme, la localisation, l'étendue, la couleur et l'éventuelle congruence des lésions sont autant d'indices cliniques qui doivent être couplés à certaines données anamnestiques pour tenter d'établir un diagnostic et, par-delà, prévenir leur évolution. Le recueil des données doit se faire auprès du patient et de son entourage afin de mettre en évidence une éventuelle surconsommation d'aliments abrasifs et/ou acides, un brossage dentaire iatrogène, un reflux gastro-œsophagien, un trouble du comportement alimentaire. Toutes ces situations peuvent être aggravées par une parafonction de l'éveil et/ou un bruxisme du sommeil dont la fréquence et l'amplitude des contractions musculaires sont susceptibles d'induire une importante attrition, notamment lorsque des conditions d'acidité (érosion) et/ou d'hyposialie (propre au sommeil) sont présentes [6, 7].

Rappels sur le bruxisme du sommeil

Définition

Le bruxisme du sommeil est un trouble moteur lié au sommeil qui figure dans la Classification internationale des troubles du sommeil (ICSD-3) éditée par l'American Academy of Sleep Medicine (AASM) [10]. Il est caractérisé par le serrement ou le grincement des dents et/ou par des mouvements toniques ou de poussée de la mandibule, sans contact dentaire [11]. Cette activité rythmique des muscles masticateurs est essentiellement phasique mais certains épisodes de contraction musculaire peuvent être toniques ou mixtes [12].

La prévalence du bruxisme du sommeil ne varie pas significativement selon le sexe mais elle est influencée par l'âge. Elle varie entre 8 et 38 % chez l'enfant puis est égale à 8 % chez l'adulte d'âge moyen. Elle diminue ensuite chez la personne âgée pour atteindre 3 % [13].

Diagnostic

Le diagnostic clinique du bruxisme du sommeil repose sur certains signes et symptômes proposés par l'AASM (tableau 1). Contrairement à une idée préconçue, aucun d'entre eux (notamment l'usure dentaire) n'est suffisamment sensible et spécifique pour poser un diagnostic fiable [14]. Le bruxisme du sommeil qu'il est possible de diagnostiquer cliniquement n'est donc, au mieux, que « probable » selon un consensus d'experts [11].

L'établissement d'un diagnostic objectif nécessite un enregistrement polysomnographique, avec systèmes audio et vidéo, afin de discriminer l'activité rythmique des muscles masticateurs des autres activités oro-faciales nocturnes [15]. Cet examen, qui se réalise dans une clinique du sommeil, est complexe, chronophage et onéreux, si bien qu'il n'est envisageable que dans le cadre de la recherche ou, éventuellement, lorsqu'une comorbidité du bruxisme du sommeil est recherchée (par exemple syndrome d'apnées-hypopnées obstructives du sommeil, syndrome des mouvements périodiques des membres, reflux gastro-œsophagien lié au sommeil). Afin de limiter les coûts, certains systèmes d'enregistrement ambulatoires (Bruxoff®, BiteStrip®, GrindCare3®) ou certains films révélateurs thermoformés (BruxChecker®) sont proposés mais leurs valeurs prédictives positive et négative ne rivalisent pas avec la polysomnographie [16] qui reste à ce jour l'examen de référence (gold standard) pour diagnostiquer le bruxisme du sommeil et évaluer sa sévérité selon certains indices.

Étiologie

L'étiologie du bruxisme du sommeil n'est pas encore totalement élucidée. Son aspect multifactoriel (activation cardiaque sympathique autonome durant le sommeil, prédisposition génétique, aspects psychosociaux, facteurs exogènes et génétiques, comorbidités) et l'implication du système nerveux central sont cependant admis [13]. La survenue fréquente des épisodes d'activité rythmique des muscles masticateurs lors d'épisodes de micro-éveils est également démontrée, même si ces derniers ne constituent qu'une fenêtre temporelle permissive. À côté de ces hypothèses qui occupent l'essentiel de la recherche clinique depuis une vingtaine d'années, les hypothèses périphériques (rôle de l'occlusion dentaire, de la typologie dento-squelettique) ont totalement été abandonnées [17]. Cela signifie que l'amélioration des conditions occlusales ne permet pas, d'une part, de prévenir l'apparition d'un bruxisme du sommeil et que, d'autre part, elle ne peut en aucun cas limiter son activité lorsqu'il est présent. Aucune thérapeutique ne doit donc être entreprise avec l'un et/ou l'autre de ces objectifs.

Prise en charge

La prise en charge du bruxisme du sommeil passe par la mise en évidence et le traitement d'éventuelles comorbidités, par un accompagnement comportemental, une protection des dents (orthèse occlusale) et, dans de rares cas sévères, par une approche pharmacologique [18].

Lorsque la fonction et/ou l'esthétique sont fortement perturbées, des restaurations sont parfois nécessaires. D'une manière générale, elles doivent toujours être non invasives et réversibles en première intention. Dans une même volonté d'économie tissulaire, lorsque cela est possible, il est préférable de différer autant que possible les traitements restaurateurs globaux qui sont souvent mutilants, irréversibles, chronophages, complexes et onéreux. Dans de rares cas associés à une importante diminution de dimension verticale d'occlusion, à de nombreux édentements et à des fractures récurrentes des matériaux restaurateurs (composites), une solution prothétique conventionnelle semble inéluctable [19, 20]. Le choix d'avoir recours à ce type de restauration n'est jamais simple et il doit systématiquement se prendre en accord avec le patient afin que son consentement soit libre et éclairé.

Application à un cas clinique

Le rapport de ce cas clinique est destiné à illustrer le titre sans doute provocateur de cet article. La thérapeutique présentée ne s'inscrit en effet pas dans la dynamique actuelle de dentisterie a minima. L'odontologie factuelle ne permettant pas de trancher quant à la meilleure façon de restaurer les dents usées d'un patient présentant un bruxisme du sommeil [21], nous nous en remettons à ses desiderata ainsi qu'à notre expertise individuelle. Ce rapport de cas est donc subjectif.

État initial

Anamnèse

Le cas clinique présenté concerne un patient âgé de 67 ans suivi dans le Service d'odontologie et de santé buccale du CHU de Bordeaux. Il est retraité, non fumeur et présente sur le plan médical un diabète de type 2 équilibré, ainsi qu'un reflux gastro-œsophagien traité par rabéprazole (Pariet®). Après de nombreux échecs restaurateurs (fractures adhésives et cohésives de composites directs), il souhaite maintenant qu'une restauration fonctionnelle et esthétique globale soit mise en œuvre.

Examens cliniques

L'examen exobuccal (fig. 1 à 3) laissait entrevoir :

– une diminution de l'étage inférieur de la face en occlusion d'intercuspidie maximale ;

– une perte du soutien labial ;

– un important espace libre d'inocclusion en position mandibulaire de repos ;

– une importante tonicité des muscles masticateurs ;

– une cinématique mandibulaire normale en amplitude et en trajectoire. Aucune douleur spontanée ou provoquée n'était par ailleurs rapportée à proximité des articulations temporo-mandibulaires et/ou au niveau des muscles masticateurs.

L'examen endobuccal (fig. 4 à 7) montrait au maxillaire une importante usure dentaire (du type attrition) en particulier sur les dents 15, 14, 21 et 24. Les dents 18, 25, 27 et 28 étaient absentes. L'arcade mandibulaire était dépourvue d'un certain nombre de dents (36, 41, 42, 45, 46 et 47) et les dents résiduelles présentaient également une importante usure. L'espace prothétique disponible était fortement diminué et les rapports dento-squelettiques étaient en classe III. Seule la 33, en vestibulo-position, était exempte d'usure. Par ailleurs, le biotype parodontal était épais et l'hygiène excellente.

Examen occlusal

L'examen occlusal a été envisagé après enregistrement de la position de référence. Dans ce cas particulier, il s'agissait de la relation centrée car les dents résiduelles ne pouvaient plus servir de référence vu leur nombre, leur répartition et leur importante dégradation. Une base d'occlusion a été positionnée sur l'arcade mandibulaire puis réglée à une dimension verticale d'occlusion compatible avec les différents objectifs fonctionnels, phonétiques et esthétiques (fig. 8 et 9). Une fois le montage en articulateur effectué (fig. 10 et 11), la dimension verticale d'occlusion a été réévaluée et un nouveau plan d'occlusion a été déterminé.

Examen radiographique

L'examen orthopantomographique (fig. 12) a permis de visualiser 38 et 48 incluses ainsi que la présence de 31 et 32 à l'état de racines sous-muqueuses. Certaines dents (16, 24, 32, 31, 43 et 44) ont été également dépulpées.

Diagnostic

Le recueil des données de l'interrogatoire et des examens a mis en évidence un édentement bimaxillaire, une diminution de la dimension verticale d'occlusion probablement liée à une importante usure dentaire partiellement compensée par l'égression des dents. Cette situation était possiblement responsable d'un proglissement mandibulaire ayant entraîné une vestibulo-position de la 33. Le patient présentait par ailleurs un parodonte robuste et était exempt de tout dysfonctionnement temporo-mandibulaire.

Objectifs du traitement

Il était indispensable de restaurer les différentes fonctions (mastication, déglutition, phonation) et l'esthétique. Cela passait par le rehaussement de la dimension verticale d'occlusion et l'établissement de courbes fonctionnelles. Pour atteindre cet objectif, plusieurs solutions prothétiques pouvaient être proposées au patient. Elles devaient toutes lui être soumises, expliquées simplement mais clairement, en insistant sur leurs avantages et leurs inconvénients respectifs ainsi que sur leurs inévitables contraintes : sacrifices tissulaires, durée du traitement, longueur de certaines séances, coût financier et maintenance ultérieure. La décision finale a été prise d'un commun accord et le consentement du patient a été libre et éclairé.

Solutions thérapeutiques

Si l'on tenait compte de la topographie des arcades et de leurs rapports mis en évidence par le transfert des moulages sur l'articulateur, ainsi que de la présence d'obstacles anatomiques repérés sur la radiographie panoramique, différentes options thérapeutiques étaient envisageables.

À l'arcade maxillaire

Restaurations directes en composite

Cette technique strictement additive est très conservatrice. Le volume et la forme des tissus résiduels n'étaient cependant pas favorables à cette thérapeutique qui s'était soldée, dans le passé, par de nombreux échecs. La sévérité de la parafonction a donc contre-indiqué cette approche.

Restauration par technique indirecte combinée composite (faces palatines)-céramique (faces vestibulaires)

Cette technique, mise au point par une équipe genevoise, est connue sous le nom de technique en 3 étapes ou three-step technique. Elle montre d'excellents résultats à près de 6 ans chez quelques patients présentant une érosion sévère [22]. Bien qu'elle soit relativement conservatrice, elle reste cependant difficile à mettre en œuvre et onéreuse. De plus, sa mise en application et son suivi dans un contexte parafonctionnel ne sont que peu documentés [23]. La faible hauteur coronaire des dents résiduelles ne nous a pas permis de la retenir pour les mêmes raisons que la solution précédente.

Restauration par technique prothétique « conventionnelle »

Cette technique prévoit de mettre en place des couronnes céramo-métalliques pour cercler les tissus dentaires résiduels. La dépulpation de certaines dents antérieures semblait également inévitable pour mettre en place un ancrage radiculaire. Cette solution est mutilante mais elle a été retenue en accord avec le patient, en lui rappelant que son pronostic restait malgré tout imprévisible.

À l'arcade mandibulaire

Le pronostic de la plupart des dents résiduelles était mauvais vu leur usure, leur localisation et la présence d'une parafonction probablement en phase active. Dans ce contexte, deux solutions étaient envisageables :

– extraction de toutes les dents et mise en place d'implants pour élaborer un bridge implanto-porté. Cette solution est apparue risquée vu le contexte parafonctionnel. Elle aurait été par ailleurs chronophage et onéreuse ;

– extraction de toutes les dents sauf des canines et mise en place d'une prothèse amovible complète stabilisée sur deux attachements supra-radiculaires. Cette solution semblait rapide à mettre en place et peu onéreuse.

Décision

Le choix thérapeutique dépend des paramètres cliniques, anatomiques, biomécaniques, mais aussi des facteurs généraux, du coût et de certaines considérations plus subjectives. En ce qui concerne notre patient, a été choisie la solution qui paraissait avoir le moins mauvais pronostic. Elle était certes mutilante mais plus adaptée que les autres au regard des échecs rencontrés de manière récurrente avec des techniques plus conservatrices. La solution choisie et validée a donc été :

– au maxillaire, une reconstruction globale avec des couronnes céramo-métalliques ;

– à la mandibule, une prothèse amovible complète stabilisée sur les deux canines pourvues d'attachements supra-radiculaires.

Plan de traitement

Le plan de traitement a comporté trois phases.

Traitement préprothétique

L'objectif du traitement préprothétique était d'améliorer l'intégration de la future prothèse et le pronostic des restaurations. Il comprenait :

– l'extraction des dents 37, 35, 34, 42, 31 et 44 ;

– des traitements et/ou retraitements endodontiques des dents 16 à 25 au maxillaire et des dents 33 et 43 à la mandibule ;

– la mise en place de couronnes provisoires de 16 à 27 au maxillaire ;

– une mise en condition tissulaire de l'arcade mandibulaire à l'aide d'une prothèse amovible complète provisoire.

Un montage directeur a été réalisé (fig. 13 à 15) afin d'élaborer les prothèses temporaires (fig. 16 et 17). La dimension verticale d'occlusion retenue était celle préalablement déterminée et enregistrée sur la base d'occlusion mandibulaire.

Traitement prothétique

Le traitement peut se résumer à une douzaine d'étapes. Afin de simplifier le travail de laboratoire, les prothèses conjointes maxillaires ont été réalisées dans un premier temps, la prothèse amovible complète provisoire mandibulaire servant de référence occlusale.

– Première étape : préparation pour inlay-core des dents les plus usées, soit 15, 14, 12, 11, 21 et 22. Les autres dents (16, 13, 23, 24, 26) ont été reconstruites en technique directe au composite (fig. 18 et 19).

– Deuxième étape : empreinte (fig. 20) et réalisation des inlay-cores. Une clé en silicone réalisée sur le duplicata des dents temporaires maxillaires a permis de guider leur élaboration tridimensionnelle (fig. 21 et 22).

– Troisième étape : scellement adhésif des inlay-cores et finition des limites cervicales très légèrement sous-gingivales dans le secteur antérieur et juxta-gingivales dans les secteurs postérieurs.

– Quatrième étape : mise en place des cordonnets d'éversion gingivale (fig. 23 et 24) puis empreinte en deux temps et deux viscosités des préparations maxillaires (fig. 25 et 26). L'empreinte a été ensuite décontaminée, coulée et préparée au laboratoire de prothèses.

– Cinquième étape : gestion de l'occlusion. À cet effet, un arc facial à embouts auriculaires a été utilisé pour relever la position des dents maxillaires par rapport au plan axio-orbitaire (fig. 27 et 28). Le moulage maxillaire a été ensuite monté en articulateur (fig. 29). La position de la mandibule a été ensuite enregistrée en relation centrée à la même dimension verticale d'occlusion que celle déterminée par les prothèses provisoires (fig. 30).

– Sixième étape : confection et essayage des armatures métalliques coulées (fig. 31 et 32). Un silicone de basse viscosité a permis de mettre en évidence les zones de friction (fig. 33 à 35).

– Septième étape : confection et essayage des biscuits (fig. 36 et 37).

– Huitième étape : scellement adhésif (FujiCEM 2®, GC) des restaurations conjointes au maxillaire. Du fil dentaire a été placé dans les embrasures pour faciliter l'enlèvement des excès (fig. 38 à 42). En fin de séance, l'occlusion a été légèrement ajustée au détriment de la prothèse amovible complète mandibulaire provisoire.

– Neuvième étape : préparation et empreinte des logements radiculaires des dents 33 et 43 (fig. 43). Des plateaux supra-radiculaires pourvus d'attachements ont été demandés et élaborés au laboratoire. Les attachements boules ont été recouverts de résine afin de permettre l'emportement des pièces lors de l'empreinte secondaire mandibulaire (fig. 44 et 45).

– Dixième étape : essayage des plateaux supra-radiculaires sur 33 et 43 puis empreinte secondaire visant à élaborer la future prothèse amovible complète d'usage (fig. 46 et 47). Une armature coulée a été demandée au laboratoire vu le contexte parafonctionnel (fig. 48).

– Onzième étape : élaboration de la prothèse amovible complète d'usage après réenregistrement de la position de référence à la même dimension verticale d'occlusion que les prothèses transitoires. Les plateaux supra-radiculaires et leurs attachements boules ont été ensuite solidarisés avec les parties « femelles » des attachements eux-mêmes positionnés dans l'intrados de la prothèse amovible complète (fig. 49 et 50). Le collage intra-radiculaire a été effectué avec la prothèse amovible complète d'usage en occlusion. Les excès de colle ont été ensuite enlevés (fig. 51).

– Douzième étape : contrôle au bout de 1 semaine de l'intégration fonctionnelle et esthétique des prothèses (fig. 52 et 53). Une gouttière occlusale de protection a été également élaborée (fig. 54). Elle doit être portée toutes les nuits et à long terme afin de limiter les contraintes exercées lors de l'activité rythmique des muscles masticateurs.

Maintenance

Le rôle de la maintenance, en particulier dans ce cas, demeure primordial. Il faut exiger du patient des visites régulières de contrôle pour vérifier l'état bucco-dentaire, l'ajustage et l'intégrité des prothèses. Une radiographie panoramique peut être réalisée à cet effet (fig. 55). Le respect du port de la gouttière est également fondamental.

Conclusion

Le cas clinique présenté ici met l'accent sur différents points fondamentaux. Le premier concerne l'aspect multifactoriel de l'usure dentaire. Une démarche systématique doit donc être instaurée afin de déterminer les principaux facteurs étiologiques de cette usure, notamment érosifs. Le deuxième point remarquable concerne le bruxisme du sommeil. Son diagnostic objectif et l'évaluation de sa sévérité ne sont pas du ressort de la clinique. Cela complique significativement sa prise en charge, d'autant qu'aucune directive thérapeutique n'est proposée par l'odontologie factuelle lorsqu'une restauration étendue est envisagée. Compte tenu de ces éléments, une thérapeutique la moins invasive possible doit toujours être proposée en première intention. En cas d'échecs récurrents, une autre solution doit être envisagée. Nous pensons qu'elle ne doit pas exclure d'avoir recours à une dentisterie « a maxima » dans certains cas très spécifiques.

    Liens d'intérêts

    Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

    Auteurs

    Mathilde Jacquemont - Interne (MBD)

    UFR des sciences odontologiques, université de Bordeaux, CHU de Bordeaux

    Wallid Boujemaa - AHU (sous-section 58-01)

    UFR des sciences odontologiques, université de Bordeaux, CHU de Bordeaux

    Emmanuel d'Incau – MCU-PH (sous-section 58-02)

    UFR des sciences odontologiques, université de Bordeaux, CHU de Bordeaux
    emmanuel.dincau@u-bordeaux.fr

    Remerciements

    Guillaume Lazarini et Daniel Galvan (Laboratoire Bertin) pour l'élaboration des travaux prothétiques.