Gestion de l'épulis fissuratum chez l'édenté complet par la mise en condition tissulaire - Cahiers de Prothèse n° 184 du 01/12/2018
 

Les cahiers de prothèse n° 184 du 01/12/2018

 

Prothèse amovible complète

A. ABDELKOUI   N. MERZOUK   F. BENFDIL  

L'épulis fissuratum est une hyperplasie fibreuse inflammatoire de la muqueuse buccale, localisée souvent sur la fibromuqueuse recouvrant les crêtes alvéolaires ou les muqueuses du sulcus vestibulaire [1, 2]. Son étiologie est multifactorielle, souvent associée à une mauvaise hygiène orale, au tabagisme, à une carence vitaminique, au mauvais état et/ou à la mauvaise conception des...


Résumé

Résumé

L'épulis fissuratum est une hyperplasie fibreuse inflammatoire de la muqueuse buccale, causée souvent par une irritation chronique de cette dernière par une prothèse mal conçue. En plus de l'élimination des facteurs causaux, le traitement de cette lésion fait appel à la mise en condition tissulaire et/ou à la chirurgie.

Rapport de cas : Il s'agissait d'un patient édenté complet âgé de 89 ans, non fumeur, présentant une cardiopathie à risque. Il a consulté au centre de consultation et de traitement dentaire de Rabat pour l'instabilité de ses prothèses, surtout mandibulaires. L'examen clinique a montré une importante hyperplasie de 5 cm/1,5 cm de taille, souple, en feuillet de livre secteur droit, et une crête flottante antérieure mandibulaire. L'examen des prothèses a révélé que leurs dimensions sont réduites et présentent des bords en surextension. Le traitement de la lésion a consisté en l'élimination de l'agent causal de l'épulis fissuratum, la mise en condition tissulaire et des conseils d'hygiène des muqueuses et des prothèses. Après trois mois, nous avons constaté une régression totale de la lésion. À la suite, nous avons réalisé de nouvelles prothèses.

Discussion : Face à cette lésion, la mise en condition tissulaire permet, dans plusieurs situations cliniques, excepté les cas d'hyperplasies très volumineuses, très anciennes et fibreuses, de les traiter sans avoir recours à la thérapeutique chirurgicale. Cette technique permet également l'augmentation des surfaces d'appui et de l'espace biofonctionnel, favorisant ainsi une meilleure stabilité de la prothèse mandibulaire, surtout dans ce cas de crête très résorbée.

L'épulis fissuratum est une hyperplasie fibreuse inflammatoire de la muqueuse buccale, localisée souvent sur la fibromuqueuse recouvrant les crêtes alvéolaires ou les muqueuses du sulcus vestibulaire [1, 2]. Son étiologie est multifactorielle, souvent associée à une mauvaise hygiène orale, au tabagisme, à une carence vitaminique, au mauvais état et/ou à la mauvaise conception des prothèses [3-6]. Le diagnostic est évident, mais l'examen anatomo-pathologique permet de le confirmer et d'apprécier l'aspect de cette tumeur [7].

Le traitement de ce type de lésion consiste en l'élimination des facteurs étiologiques (motivation à l'hygiène orale et prothétique, prescription d'antiseptiques, conseils d'arrêt du tabac, apport vitaminique, correction des prothèses), ainsi qu'en l'élimination de la lésion soit par chirurgie, soit par mise en condition tissulaire (MECT) [1-3, 6].

Les techniques chirurgicales le plus souvent utilisées sont : la chirurgie simple à bistouri lame froide, la chirurgie à bistouri électrique, la cryochirurgie, la chirurgie utilisant le laser au dioxyde de carbone, le laser Erbium-YAG, Neodymium:YAG, ou le laser diode [8, 9].

Les objectifs de cet article sont de montrer l'intérêt de la mise en condition tissulaire dans la gestion de l'épulis fissuratum en rapport avec le port d'une prothèse mal conçue, et de préciser les indications et les critères de choix de cette thérapeutique conservatrice, tout en précisant ses limites.

Cas clinique

Le patient était âgé de 89 ans, édenté complet, non fumeur, porteur d'une cardiopathie à risque, mais ne pésentant aucune pathologie générale affectant la muqueuse buccale ou altérant la qualité ou la quantité de la salive. Il ne souffrait pas de carence alimentaire. Il s'est présenté à la consultation au centre de consultation et de traitement dentaire de Rabat pour l'instabilité de ses prothèses, surtout mandibulaires. Lors de l'interrogatoire, le patient a précisé qu'il portait ces prothèses depuis 10 ans sans aucun contrôle prothétique, et qu'une lésion tissulaire mandibulaire était apparue il y a quelques mois. L'examen exobuccal a montré un effondrement de la DVO, une absence de soutien labial et jugal, et un proglissement mandibulaire (fig. 1 et 2). L'examen endobuccal a révélé une légère inflammation de la fibromuqueuse au maxillaire et, à la mandibule, une importante hyperplasie de taille 5 cm par 1,5 cm, dite « en feuillet de livre » et siégeant au fond du vestibule dans le secteur droit avec une crête flottante antérieure (fig. 3). L'hyperplasie était recouverte d'une muqueuse inflammatoire, souple à la palpation et non hémorragique. Aucune adénopathie n'a été relevée. L'examen des bases prothétiques (fig. 4 et 5) a mis en évidence un mauvais entretien des prothèses, une accumulation de plaque et des colorations jaunâtres, une usure importante des dents artificielles et des bords en surextension en regard de l'hyperplasie. Les bases prothétiques maxillaires et mandibulaires aux dimensions réduites n'exploitaient pas la totalité de la surface d'appui.

L'examen des prothèses en occlusion a révélé une diminution de la dimension verticale d'occlusion (DVO), un proglissement mandibulaire et des contacts occlusaux mal répartis. La radiographie panoramique a montré une résorption mandibulaire accentuée et une proximité du nerf alvéolaire inférieur droit et gauche (fig. 6).

Le diagnostic évoqué était celui d'un épulis fissuratum en « feuillet de livre », avec crête flottante antérieure mandibulaire et secondaire au port d'une prothèse mal conçue.

Face à cette situation clinique, le choix thérapeutique devait être établi entre la chirurgie préprothétique et la mise en condition tissulaire. Il a été décidé d'envisager la deuxième solution pour plusieurs raisons :

– la consistance de la lésion, souple et non fibreuse, promettait une réponse favorable à la MECT ;

– l'âge avancé du patient ;

– l'état général du patient (cardiopathie à risque) ;

– le souhait du patient de ne pas subir de chirurgie ;

– le patient étant habitué à ses prothèses aux dimensions réduites, la MECT permettait de le familiariser progressivement au volume adéquat des nouvelles prothèses bien conçues ;

– dans le contexte d'une résorption mandibulaire importante avec un espace biofonctionnel réduit, la MECT va permettre d'élargir par voie extéroceptive et proprioceptive la surface d'appui, en augmentant le volume de l'espace biofonctionnel et en optimisant considérablement la stabilité de la future prothèse mandibulaire.

Le patient a été informé des avantages et inconvénients respectifs des différentes techniques thérapeutiques et a pu choisir en toute connaissance de cause la solution la mieux adaptée à sa situation : la MECT avec renouvellement de ses anciennes prothèses.

La démarche thérapeutique a envisagé plusieurs séquences :

Nettoyage et correction des anciennes prothèses

Des modifications des rapports occlusaux ont été réalisées tout en laissant la DVO légèrement sous-évaluée, l'épaisseur du matériau de MECT permettant de rétablir la DVO. Il a été procédé à la correction des bords prothétiques par meulage des surextensions et par adjonction progressive de résine autopolymérisable au niveau des sous-extensions.

– Conseils de port et d'entretien des prothèses et des muqueuses :

Il a été demandé au patient de bien brosser quotidiennement les muqueuses et les prothèses afin d'éliminer tous débris alimentaires et micro-organismes, et toutes traces de sécrétions glandulaires et de cellules épithéliales desquamées. Une absence de port nocturne des prothèses a été conseillée au patient. Un massage des tissus lésés deux fois par jour pendant 10 minutes a été prescrit pour accélérer leur retour vers la guérison.

Mise en condition tissulaire

Les prothèses supérieures et inférieures ont été alors garnies de résine à prise retardée, type Fitt de Kerr®, et installées en bouche. Le patient a été invité à effectuer tous les mouvements fonctionnels. Après désinsertion de la prothèse mandibulaire, le bord prothétique en rapport avec l'épulis fissuratum a été arrondi par rajout de matériau de MECT, et la polymérisation s'est poursuivie en dehors de la cavité buccale. Cette manœuvre permet au bord prothétique d'imprimer une pression tissulaire douce, continue et favorisant l'obtention d'un fond de vestibule de plus en plus arrondi et d'aspect normal au fil des séances (fig. 7 et 8). Il est déterminant de préciser que le simple rebasage en bouche de la prothèse avec le matériau de MECT conserve l'empreinte de l'épulis fissuratum sur son rebord et ne permet en aucun cas la disparition de cette lésion. Le matériau de MECT a été renouvelé tous les 15 jours, la régression de l'inflammation et la diminution de la taille de l'hyperplasie ont été notées de séance en séance. Après 3 mois, la régression totale de la lésion a été notée, accompagnée d'une augmentation de la surface d'appui et de l'espace prothétique et biofonctionnel (fig. 9).

Réalisation de nouvelles prothèses (fig. 10 à 12)

Après guérison tissulaire, les empreintes et l'enregistrement des rapports intermaxillaires ont été envisagés au moyen des prothèses ayant servi à la MECT. Le montage des dents prothétiques et la polymérisation ont été réalisés de façon conventionnelle.

Discussion

Le port de prothèses de conception erronée entraîne souvent des lésions tissulaires avec différents degrés de gravité. L'épulis fissuratum est parmi les lésions les plus fréquemment rencontrées. Prendre l'empreinte des tissus altérés ou déformés aboutirait inévitablement à la réalisation d'une prothèse instable [6, 10].

En plus de l'élimination des facteurs étiologiques, le traitement de l'épulis fissuratum d'origine prothétique chez l'édenté complet fait appel à la chirurgie préprothétique et/ou à la MECT [11-13]. Devant des contraintes d'ordre psychologique (difficultés à accepter le nouveau volume des prothèses...), biologique (état de santé général), anatomophysiologique et biomécanique (résorption importante, diminution de l'espace biofonctionnel) contre-indiquant toute option chirurgicale, la mise en condition tissulaire constitue la thérapeutique incontournable. Cette thérapeutique non invasive permet, dans plusieurs situations cliniques, de traiter les hyperplasies muqueuses en rapport avec le port prothétique sans avoir recours au traitement chirurgical [11]. Toutefois, elle présente certaines limites face à des lésions très volumineuses ou très anciennes, ayant une composante fibreuse très importante qui nécessite d'emblée une ablation chirurgicale de la lésion.

La comparaison de l'état des tissus à la mandibule avant et après traitement montre la capacité de la mise en condition tissulaire à traiter des altérations tissulaires importantes type épulis fissuratum et à éviter certains traitements chirurgicaux. La réussite de cette thérapeutique dépend :

– de l'implication, de la motivation et de la disponibilité du patient qui doit respecter les séances assez nombreuses de MECT ;

– des bases prothétiques qui doivent être suffisamment étendues mais respecter le libre jeu des organes paraprothétiques ;

– des bords prothétiques bien adaptés et bien arrondis manuellement durant la MECT par ajout de matériau en rapport avec l'épulis fissuratum. Le matériau doit effectuer sa prise en dehors de la bouche du patient (cette manœuvre est « opérateur dépendant ») ;

– d'une DVO correcte et de rapports occlusaux bien rétablis [14].

Cette mise en condition tissulaire permettra par la même occasion une mise en condition neuromusculaire et une intégration organique et psychique plus facile de la nouvelle prothèse [10]. Les prothèses « d'usage » ne seront réalisées qu'après intégration parfaite des prothèses transitoires et disparition des lésions tissulaires. Les avantages de cette technique ont été démontrés dans ce cas clinique et dans d'autres rapports de cas : une meilleure relation patient-praticien, une meilleure intégration psychique de la prothèse, un espace biofonctionnel augmenté sans avoir recours à la chirurgie et à une rééducation neuromusculaire associée. Toutefois, cette technique présente certains inconvénients et limites : elle nécessite d'augmenter de façon notable la durée du traitement, elle est opérateur dépendant, elle ne peut être indiquée qu'en présence de lésions non fibreuses [11].

Bibliographie

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  • 14 Hüe O, Berteretche MV. Prothèse complète : réalité clinique, solutions thérapeutiques. Paris : Quintessence international, 2002.

Liens d'intérêts

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Auteur

Anissa Abdelkoui - Chirurgien-dentiste, spécialiste en prothèse adjointe

Faculté de médecine dentaire de Rabat

Nadia Merzouk - Professeur de l'enseignement supérieur en prothèse adjointe

Chef de service de prothèse adjointe, faculté de médecine dentaire de Rabat

Faiza Benfdil - Professeur de l'enseignement supérieur en prothèse adjointe

Chef de département de prothèse adjointe, faculté de médecine dentaire de Rabat