Gestion d'un échec prothétique dans les années 1980 comparée à une prise en charge actuelle - Cahiers de Prothèse n° 187 du 01/09/2019
 

Les cahiers de prothèse n° 187 du 01/09/2019

 

Évolution des thérapeutiques

J. SCHITTLY  

Pour faire face à une situation de déficit fonctionnel et esthétique lié à la perte de dents, les propositions de traitement sont souvent multiples pour répondre aux demandes variées des patients. Elles prennent en compte différents facteurs dépendants du patient et du praticien.

Pour le patient :

– son niveau d'exigence dans les domaines esthétique et fonctionnel est détecté lors de la prise de contact et de l'interrogatoire ;

– l'état de santé...


Résumé

Résumé

Le thème de cet article comporte deux volets :

– le premier concerne la responsabilité du praticien face à une proposition de traitement jugée d'emblée d'un pronostic limité et les mesures à prendre pour gérer l'échec prévisible à la fois pour conserver la confiance du patient et pour mettre au point de nouvelles conceptions prothétiques les moins invasives possibles

– le second a pour objectif de mettre en évidence l'évolution permanente des techniques prothétiques, son incidence sur la pratique de la prothèse odontologique et la nécessité pour le praticien de poursuivre durant toute sa vie professionnelle une formation continue.

L'historique prothétique d'une patiente prise en charge en 1974 a fourni les arguments pour alimenter ces réflexions.

Pour faire face à une situation de déficit fonctionnel et esthétique lié à la perte de dents, les propositions de traitement sont souvent multiples pour répondre aux demandes variées des patients. Elles prennent en compte différents facteurs dépendants du patient et du praticien.

Pour le patient :

– son niveau d'exigence dans les domaines esthétique et fonctionnel est détecté lors de la prise de contact et de l'interrogatoire ;

– l'état de santé général peut mettre en évidence diverses contre-indications ;

– le bilan clinique oro-facial conventionnel conduit à une première approche des options prothétiques envisageables prenant en compte les diverses observations ;

– le contexte buccal avec la situation, la nature des édentements et l'incidence sur l'occlusion et l'esthétique ;

– la durée et le coût du traitement.

Pour le praticien, les options thérapeutiques à envisager dépendent principalement de son expérience, de sa formation, et de l'orientation de sa pratique de l'odontologie prothétique et des disciplines associées.

Ainsi, l'angle sous lequel sont envisagées les propositions de traitement peut aboutir à des résultats très différents mais conduisant soit à la satisfaction du patient et à un pronostic favorable, soit au contraire à un échec et à une remise en question.

Le cas clinique présenté illustre la prise en compte de ces différentes exigences.

PrÉsentation du cas clinique

Une patiente de 34 ans, en bonne santé, a été reçue en consultation en juillet 1975. Elle ressentait des douleurs diffuses dans le secteur canin maxillaire droit. En outre, elle ne supportait plus l'aspect inesthétique des prothèses fixées, réalisées quelques années auparavant, et souhaitait profiter de cette prise en charge pour les renouveler.

Très occupée par sa vie professionnelle, avec de nombreuses réceptions et rencontres, cette patiente a d'emblée fait part de son désir de ne pas voir d'altération de l'aspect de son sourire durant les soins et de bénéficier ensuite d'une restauration esthétique et fonctionnelle.

Bilan dento-parodontal

La recherche des causes de la douleur maxillaire a constitué une priorité.

De légères douleurs à la percussion sur le bridge maxillaire ont mené à l'indication d'un bilan radiographique, qui a révélé des plages de résorption intra-radiculaire très étendues sur 13, conduisant d'emblée à un pronostic défavorable pour la conservation de la dent (fig. 1).

De plus, la morphologie monoradiculée, l'orientation axiale oblique et l'état parodontal constituaient un facteur défavorable pour la deuxième molaire 17 (fig. 2).

Examen clinique endobuccal

Au maxillaire :

– 11, 21, 22 : pulpées, volumineux composites proximaux ;

– 12-17 : bridge en alliage précieux avec facette en résine acrylique de type CIV. Piliers 12, 13, 17 ;

– 23-26 : bridge de même nature pour remplacer 24 et 25.

À la mandibule :

– dents antérieures indemnes ;

– couronnes unitaires de type CIV sur 34, 35, 45, et couronnes métalliques sur 36 et 46.

Les courbes occlusales étaient correctes. Le guidage en propulsion était assuré par les dents antérieures, les diductions de type fonction de groupe étendues (fig. 3).

Évocation des hypothèses de traitement

La perte de la canine et l'évocation de l'indication d'une prothèse amovible provisoire puis d'usage ont constitué un véritable traumatisme pour la patiente : « À mon âge, je ne peux envisager le port d'un dentier. Trouvez une solution qui m'évite cette agression psychologique... »

Il faut souligner qu'à cette époque, dans les années 1970, l'implantologie n'était pas encore un acte prothétique fiable, nous n'étions pas encore formés à cette discipline, ce qui limitait les propositions de traitement à la prothèse fixée conventionnelle et à la prothèse amovible.

Devant l'insistance de la patiente pour éviter cette dernière option, il a été décidé de déposer le bridge 12-17 et de réaliser un bridge provisoire permettant une meilleure évaluation dento-parodontale.

Pour convaincre la patiente de l'impossibilité de conserver la canine, une obturation endodontique des pertes de substance radiculaires a été effectuée, montrant à l'évidence l'indication d'extraction (fig. 4).

PremiÈre option prothÉtique adoptÉe

En dépit de nombreuses explications concernant la pérennité d'une prothèse fixée comportant des dents supports au pronostic défavorable et en nombre insuffisant, la patiente a souhaité prendre le risque de voir réaliser une prothèse de ce type, même pour une courte durée.

Jeune praticien à l'époque, et avec une expérience et un recul clinique limités, nous avons toutefois accepté ce défi qui a abouti à la conception prothétique et au plan de traitement suivant :

Au maxillaire :

– traitements endodontiques sur l'ensemble de l'arcade ;

– bridge complet céramo-métallique en alliage non précieux.

Pour anticiper les modifications prévisibles de la prothèse à moyen terme, liées à la perte de dents supports, il a été jugé nécessaire de concevoir une construction à deux étages, l'infrastructure comportant deux armatures, l'une avec 11, 12 et 17 et l'autre avec 21, 22, 23, 25 et 26 comme piliers. Le volume de l'ensemble à deux étages a conduit à dépulper les dents antérieures. Le parallélisme des axes canalaires a permis de réaliser des pièces monoblocs intégrant les ancrages radiculaires.

À cette époque, la précision dimensionnelle des matériaux à empreinte étant limitée, les techniques d'empreinte et de réalisation du moulage de travail s'effectuaient en associant des empreintes unitaires à des transferts métalliques solidarisés en situation à l'aide de résine calcinable et emportés dans une empreinte globale [1, 2] (fig. 5).

Pour ne pas multiplier les séquences, une maquette d'occlusion réglée en relation centrée a été associée à l'empreinte globale de situation favorisant le transfert sur articulateur.

Cette infrastructure métallique a dû être sectionnée et faire l'objet de brasures pour compenser les erreurs de précision liées aux faibles performances des revêtements compensateurs [3] (fig. 6).

La morphologie de l'infrastructure coulée a permis la réalisation dans un second temps d'éléments céramo-métalliques unitaires ou solidarisés deux à deux [3] (fig. 6 à 10).

Les couronnes céramo-métalliques (CCM) mandibulaires ont été renouvelées (fig. 11) et la prothèse fixée maxillaire scellée début 1976 (fig. 12).

Les contrôles réguliers annuels n'avaient pas donné de motifs d'inquiétude et la patiente s'est montrée satisfaite de l'esthétique et du confort obtenus (fig. 13).

C'est fin 1982, soit 7 ans plus tard, que l'équilibre a été rompu : la patiente est venue consulter en urgence en signalant une fracture du bridge en distal de 11 et un descellement sur 12.

Après une contention précaire, des empreintes ont été effectuées pour réaliser une prothèse transitoire à base résine, prenant en compte l'extraction de 17 et une rétention exploitant l'inlay-core de 12 pour éviter un crochet inesthétique sur 11 (fig. 14 et 15)

La patiente s'était préparée à ce passage à la prothèse amovible et a souhaité avoir des propositions pour un projet prothétique le plus esthétique et le plus confortable possible.

Les causes de l'échec

La fracture du bridge était de toute évidence liée à des conditions bio-mécaniques défavorables mises en évidence dès l'établissement des projets prothétiques. L'absence de canine dans un secteur clé des contraintes occlusales, et une dent postérieure présentant des racines soudées et une forte angulation, ont contribué à une accumulation de fatigue au sein de l'alliage, responsable de la fracture (fig. 16).

La patiente, bien que contrariée, s'est montrée plutôt satisfaite d'avoir pu bénéficier de près de 7 années d'esthétique et de confort avec sa prothèse fixée.

Nouvelle proposition de traitement

En l'absence de développement des techniques implantaires au début des années 1980, et donc de formation du praticien, l'alternative à la prothèse fixée conventionnelle était limitée à la prothèse composite.

Nouvelle réalisation prothétique

La conception en deux étages prévue initialement a pu être exploitée en effectuant successivement :

– un contrôle radiographique (fig. 17) ;

– la dépose des suprastructures céramo-métalliques de 11 et 21 ;

– la réalisation de 3 CCM solidarisées sur 12, 11 et 21, avec en distal un attachement ASC 52 super-micro (Microtecnor®) (fig. 18 et 19) ;

– la préparation des appuis sur les prothèses fixées existantes destinées aux barres coronaires et aux taquets occlusaux ;

– une empreinte anatomo-fonctionnelle et la confection du châssis de prothèse amovible partielle [4] (fig. 20) ;

– une clé en résine pour solidariser par brasure le boîtier de l'attachement au châssis (fig. 21) ;

– un montage des dents et des finitions (fig. 22 et 23) ;

– une équilibration.

Discussion

La conception des prothèses

La prothèse fixée :

– sur les 3 CCM solidarisées, des appuis ont été prévus pour permettre la mise en place d'une barre cingulaire s'intégrant sans interférences au guidage antérieur [5].

– la glissière extra-coronaire de l'attachement ASC 52 a été recouverte de céramique pour éviter le triangle sombre à la jonction avec la dent prothétique (fig. 21).

La prothèse amovible :

Dès cette époque, la conception du châssis était celle d'une prothèse rigide comportant de nombreux éléments de stabilisation : barre cingulo-coronaire et taquets occlusaux.

La présence d'un attachement n'a pas modifié ce concept [6].

Le choix de l'attachement

Parmi les très nombreux attachements proposés dans les années 1980, c'est l'ASC 52 (Microtecnor®) [7] (fig. 24) qui a été choisi, non pas pour ses possibilités d'autoriser un mouvement de la selle, mais pour sa capacité à absorber les contraintes et pour son indication lorsque la glissière n'est pas orthogonale à l'axe de la crête [8]. La faible rotation distale verticale autorisée par une selle de châssis rigide n'est pas contrariée par une patrice de forme sphérique (fig. 25).

À l'issue de ce traitement, la patiente s'est montrée satisfaite du résultat esthétique et fonctionnel. Seule l'amovibilité de la prothèse a constitué pour elle une contrainte pour les soins d'hygiène (fig. 26 et 27).

Évolution actuelle de ce type de traitement

Si cette patiente était prise en charge actuellement, c'est une prothèse fixée sur implants qui lui serait proposée d'emblée, dans la mesure où elle ne présenterait pas de contre-indication à la chirurgie implantaire et éventuellement à un apport osseux [9] (fig. 28 et 29).

Dans l'hypothèse d'une contre-indication à la chirurgie implantaire, la prothèse composite associant prothèse fixée et prothèse amovible serait toujours d'actualité [6-10].

La réalisation d'éléments fixés, aménagés pour recevoir les barres cingulo-coronaires et les taquets, est associée à celle d'un châssis métallique, dont les caractéristiques sont identiques à celles proposées à la patiente traitée dans les années 1980 : rigidité, multiplication des éléments de stabilisation, empreinte anatomo-fonctionnelle, gestion précise de l'occlusion [11].

Les matériaux et les techniques de prise d'empreinte ont beaucoup évolué, et sont progressivement supplantés par la FAO, et diminuent le nombre d'étapes cliniques et de laboratoire [12, 13] (fig. 30).

Seul le choix de l'attachement peut être remis en cause, avec l'ASC 52 abandonné au profit de l'attachement Vario-Kugel-Snap (VKS-SG®, Bredent) (fig. 31). Un recul clinique de plus de 20 ans a conforté cette indication systématique en PAP en raison de sa facilité d'utilisation, de son faible encombrement et d'une maintenance facilitée. De plus, il est désormais possible de l'intégrer au protocole de CFAO [11, 13-15] (fig. 32 à 34).

Conclusion

Ce cas clinique pris en charge il y a près de 40 années a conduit à une réflexion portant sur deux thèmes inhérents à la pratique prothétique :

Le premier concerne la démarche conduisant aux propositions de traitement, devant tenir compte à la fois de la demande du patient et du rapport bénéfice-risque de chacune des solutions aux problèmes posés. La psychologie du patient, son état de santé et les exigences esthétiques et occlusales liées à la biomécanique sont les principaux paramètres intervenant dans les décisions.

Pour ce cas clinique, la question posée en priorité concernait la responsabilité du praticien face à une proposition de traitement jugée d'emblée d'un pronostic limité. Ce n'est qu'après l'établissement d'un climat de confiance entre patiente et praticien qu'une telle prise de position devait intervenir pour éviter, dans l'avenir, une situation conflictuelle.

De plus, il était indispensable, face au risque d'échec prothétique, de prévoir une solution alternative entraînant le moins de perturbations possible pour aborder un nouveau traitement.

Le second thème de réflexion, plus global, porte sur l'évolution des techniques prothétiques et des propriétés des matériaux mis à disposition.

Ce cas clinique montre à l'évidence les progrès réalisés pour limiter les allers et retours entre clinique et laboratoire de prothèse, et les nouveaux choix possibles pour optimiser les traitements, comme le recours à la prothèse sur implants et l'apparition de nouveaux attachements plus performants.

La première conséquence de cette évolution permanente est la nécessité pour le praticien de poursuivre durant toute sa vie professionnelle une formation continue lui offrant la possibilité de proposer au patient les traitements les plus esthétiques et les plus fiables possibles, avec une mise à niveau des protocoles cliniques et des techniques de laboratoires de prothèse.

Bibliographie

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  • 11 Schittly J, Schittly E. Conception et réalisation des châssis en prothèse amovible partielle. Malakoff : Éditions CDP, 2017.
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  • 14 Baixe S, Étienne O, Kress P, Taddéi C. Apport de la CFAO en prothèse amovible. Cah Prothèse 2010;152:43-59.
  • 15 Auger F, Leroux Y, Chatel L, Schittly J. Protocole d'élaboration des prothèses partielles amovibles par CFAO par frittage laser. Cah Prothèse 2014;168:55-63.

Liens d'intérêts

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Auteur

Jean Schittly - DCD, DSO

Ancien professeur à la faculté d'odontologie de Reims