Prise en compte de la douleur au quotidien : une démarche médicale
 

Clinic n° 06 du 01/06/2012

 

PATHOLOGIE

Pierre COLON*   Julien DEMOERSMAN**   Catherine MESGOUEZ***  


*PU – PH Paris Diderot
Centre de Soins Hôtel-Dieu Garancière 5 Rue Garancière 75006 PARIS
**DCD – AHU Université de Nantes
Centre de Soins Hôtel-Dieu Garancière 5 Rue Garancière 75006 PARIS
***MCU – PH Paris Diderot
Centre de Soins Hôtel-Dieu Garancière 5 Rue Garancière 75006 PARIS

La douleur reste souvent corrélée aux soins dentaires. C’est parfois un motif de non-prise en charge ou de prise en charge retardée de nombreuses pathologies. Cependant, ces pathologies entraînent également des douleurs particulièrement mal ressenties par les patients. C’est sans doute pour ces raisons qu’un praticien attentif dans ses gestes, ses questions et ses protocoles établit d’emblée une relation de confiance avec ses patients.

Certes, les progrès de l’anesthésie locale par infiltration sont démontrés. Encore faut-il, lors de sa réalisation, être attentif pour entrer dans la catégorie des praticiens qui « ne font pas mal ». Cette attention envers son patient, c’est un « petit rien » qui signe la noblesse d’une profession de santé.

Douleur et thérapeutique parodontale (J. Demoersman)

Les maladies parodontales sont des maladies inflammatoires d’origine infectieuse. Ces pathologies chroniques nécessitent le plus souvent une prise en charge tout au long de la vie. Le but du traitement sera de contrôler l’inflammation à travers une thérapeutique étiologique, suivie éventuellement d’une thérapeutique chirurgicale [1]. Un suivi régulier en maintenance parodontale ou thérapeutique de soutien est nécessaire pour éviter la récidive et maintenir le résultat obtenu à l’issue du traitement.

Lors des phases d’examen clinique initial, de réévaluation ou de traitement, le praticien doit faire face aux douleurs que peut ressentir le patient. En effet, le sondage parodontal, le surfaçage radiculaire et les détartrages successifs, réalisés tout au long des phases de prise en charge et de suivi, pourront générer des douleurs et une gêne, et amener le patient à ne pas suivre le traitement ou à ne pas être assidu pour suivre les thérapeutiques de soutien. Or, la réussite des traitements parodontaux à moyen et long termes dépend grandement de l’assiduité du patient qui est négativement influencé par la perception de la douleur.

La réalisation d’une anesthésie par injection peut, à cause de la piqûre et des effets de l’anesthésie, être responsable d’une perte de motivation. L’anesthésie locale par injection n’est pas une solution idéale car elle génère des douleurs lors de sa réalisation et un inconfort postopératoire. Une étude de Van Steenberghe et al. [2] a montré que 80 % des patients bénéficiant d’un surfaçage radiculaire à l’aveugle sous anesthésie locale par injection ont ressenti des douleurs modérées à sévères. Dans 35 % des cas, l’étape la moins bien supportée de l’acte était en effet l’injection locale d’anesthésique. Dans une autre étude, Milgrom et al. [2] ont conclu que plus de 25 % des patients adultes exprimaient de la peur vis-à-vis des anesthésiques locaux par injection. Dans cette même étude, les auteurs ont constaté que près de 5 % des personnes avaient évité ou annulé un rendez-vous chez le chirurgien-dentiste par peur de la piqûre.

De même, différentes études [3-5] ont mis en évidence que seuls 17 % des patients suivaient régulièrement leur maintenance. De 30 à 34 % d’entre eux ne revenaient jamais et les autres de manière erratique. Cette absence de suivi peut être en partie liée aux désagréments du traitement initial et du suivi.

Enfin, la résolution de l’inflammation après traitement peut être responsable de l’apparition de récessions tissulaires marginales. Une perte de la couche superficielle du cément peut y être associée, laissant ainsi exposée l’entrée des canalicules dentinaires. Une sensibilité au froid peut être ressentie et exacerbée, notamment lors de l’utilisation d’appareils ultrasonores avec irrigation.

Au cours du traitement parodontal, la douleur ressentie par le patient peut également être d’origine gingivale, notamment en début de traitement, lorsque les tissus sont très inflammatoires.

Certaines pratiques permettent de diminuer ce phénomène, outre une prise en charge appropriée de l’anxiété du patient par le praticien (attitude rassurante, empathie…). En effet, le simple fait d’utiliser les ultrasons par intermittence, sans appui, à vitesse faible ou modérée avec une irrigation à l’eau tiède peut déjà diminuer largement les désagréments ressentis par le patient.

Récemment, certains gels anesthésiants locaux ont été mis au point et peuvent être utilisés dans toutes les phases du traitement parodontal non chirurgical pour prévenir les douleurs d’origine gingivale. L’Oraqix® (Dentsply) est une de ces solutions qui permet l’application d’un gel anesthésique au niveau des poches parodontales. Ce gel est conditionné dans une cartouche fournie avec une aiguille à embout large et mousse. L’ensemble est utilisé avec une seringue à piston. L’utilisation du produit est simple : il suffit de le placer au fond des poches parodontales avec une instrumentation adaptée et de l’appliquer jusqu’au rebord marginal de la gencive (fig. 1 à 2). Ce gel est constitué de 25 mg/g de lidocaïne associée à 25 mg/g de prilocaïne, formant un mélange dit eutectique qui, selon Evers [6], permet une potentialisation de l’action de ces deux molécules anesthésiques. L’Oraqix® est associé à un vecteur constitué principalement de deux polymères (poloxamère 188 purifié, poloxamère 407 purifié) qui permet son utilisation en milieu buccal. Ces polymères sont à l’origine des propriétés rhéologiques du produit : il se présente sous forme liquide à basse température et se gélifie à température corporelle pour permettre un maintien du produit au sein de la poche parodontale. Ces polymères permettent également une bonne pénétration tissulaire des composants actifs (fig. 3 et 4). Différentes études montrent une certaine efficacité de l’Oraqix® dans la prise en charge non chirurgicale des patients en parodontologie [7-12].

Cependant, l’Oraqix® n’a aucun effet sur la sensibilité dentinaire. Il n’est pas indiqué lors de la réalisation d’un détartrage sur un parodonte assaini où les douleurs sont principalement d’origine dentinaire, excepté pour débrider localement une poche parodontale résiduelle. Il présente aussi des indications lors des phases étiologiques en cas de sévérité légère.

La prise en charge de la douleur d’origine dentinaire doit accompagner dans certains cas l’utilisation de l’Oraqix®. Les pâtes de polissage à action désensibi­lisante, notamment à base de NovaMin® (GlaxoSmithKline) ou d’arginine, semblent être des produits intéressants à évaluer.

La prise en charge de ces aspects douloureux des traitements parodontaux est indispensable pour avoir un résultat satisfaisant auprès des patients et maintenir le suivi rigoureux indispensable de ce type de pathologie.

Prise en compte de la douleur liée à l’hyperesthésie dentinaire (C. Mesgouez)

La prévalence des hyperesthésies dentinaires (HD) augmente régulièrement et on peut estimer qu’environ 30 % des adultes en souffriraient. Une revue de la littérature médicale donne des résultats entre 3 et 57 % [13-16]. Malgré tout, il faut être conscient que la prévalence de ces lésions est sous-estimée par tous, les patients qui en souffrent les minimisant ou n’en faisant pas toujours état et les praticiens n’y portant souvent qu’une attention mineure, voire l’ignorant.

Bien qu’elles ne constituent que rarement un motif de consultation, les hyperesthésies dentinaires sont souvent décelées par l’examen clinique et l’interrogatoire du patient. Le praticien aura alors à intégrer le traitement de ce symptôme sachant que son étiologie est souvent multifactorielle.

L’hypersensibilité dentinaire est caractérisée par des douleurs intenses et brèves provoquées par l’exposition de la dentine en réponse à certains types de stimuli de nature chimique, mécanique, thermique ou osmotique [17]. Dès qu’il n’y a plus de stimulus, la douleur diminue rapidement. L’hypersensibilité dentinaire apparaît sur une dentine exposée quelle que soit sa localisation. Cette douleur aiguë, jamais spontanée, ne peut être attribuée ni à une autre forme de pathologie ni à des défauts dentaires [18, 19].

Fréquemment il s’agit d’une sensibilité en relation avec l’existence de lésions non carieuses (érosion, abrasions) ou faisant suite à certaines thérapeutiques parodontales.

Un traitement efficace doit être précédé d’un diagnostic précis, établi après avoir écarté toute autre pathologie aux signes cliniques similaires [20] : fêlures, restaurations non étanches ou fracturées, lésions carieuses, pathologies pulpaires, douleurs postopératoires, percolations marginales, inflammations gingivales, douleurs ou sensibilités par suite de traitements d’éclaircissement [21].

Deux éléments essentiels doivent être réunis pour qu’il y ait hypersensibilité dentinaire : la dentine doit être exposée et les canalicules dentinaires doivent être mis à nu et doivent être ouverts et perméables [22].

Pour traiter l’hypersensibilité dentinaire, un certain nombre de procédures peuvent être envisagées. Les approches thérapeutiques se situent à deux niveaux :

• bloquer ou modifier la transmission de l’influx nerveux par des méthodes chimiques fondées essentiellement sur l’utilisation de principes actifs à base de sels de potassium ;

• établir un traitement qui conduit à la fermeture des canalicules et à l’étanchéité de la surface pour réduire les mouvements hydrodynamiques (oxalate de potassium, oxalate ferrique, chlorure de strontium, technologie Pro-Argin™ (Colgate), dérivés fluorés, HEMA, glutaraldéhyde, adhésifs, ciments verre ionomère, résines composites…).

La prescription de première intention va consister à recommander l’utilisation quotidienne d’un dentifrice, voire d’un bain de bouche, reminéralisant et/ou désensibilisant.

En deuxième intention ou dans les cas de symptomatologie aiguë, un traitement au fauteuil pourra être proposé.

De nombreuses voies de recherche s’orientent aujourd’hui vers l’utilisation de particules de verre (biosilicate) ou, par exemple, d’oxyde de calcium pour provoquer la fermeture des canalicules dentinaires ouverts [23, 24].

NovaMin® est un matériau inorganique et amorphe de phosphosilicate de calcium et de sodium. La technologie NovaMin®, mise au point dans les ­années 1990 pour la régénération osseuse, voit ses applications se développer pour une utilisation du phosphosilicate de calcium et de sodium pour les soins bucco-dentaires en 2003 et son efficacité est confirmée pour le soulagement de l’hypersensibilité dentinaire. En effet, NovaMin® obture les canalicules dentinaires par relargage de calcium et de phosphate et forme une couche durable de carbonate d’hydroxyapatite biologiquement stable aux niveau des surfaces dentaires et qui résiste aux agressions acides [25].

Dans le cadre des traitements de deuxième intention, le Nupro® Sensodyne (Dentsply ; GSK Santé Grand Public) (fig. 5 et 6), pâte à polir désensibilisante à base de NovaMin®, permet, par une application topique au fauteuil, le soulagement efficace et rapide des phénomènes douloureux engendrés par l’hypersensibilité dentinaire.

Conclusion (P. Colon)

Ces deux sujets n’ont a priori rien en commun : une procédure de prise en charge de la douleur dans le cadre des pathologies parodontales d’un côté, une procédure d’identification d’une symptomatologie douloureuse en odontologie conservatrice de l’autre. Pour la première, une prise en compte de la douleur inhérente à l’examen clinique ou à un surfaçage radiculaire. Pour la seconde, une attention portée à une symptomatologie trop souvent négligée.

Il est vrai que notre exercice quotidien est le plus souvent ponctué d’interventions invasives qui nous enferment dans l’organisation du plateau technique, la planification thérapeutique et… des aspects administratifs.

Pourquoi la prise en compte de la douleur sous toutes ses formes, même celles qui parfois semblent anodines, ne serait pas la clé d’une relation patient-praticien renforcée par la confiance ?

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