Être performant aujourd'hui - Clinic n° 04 du 01/04/2009
 

Clinic n° 04 du 01/04/2009

 

DÉBAT

Gérard Amzalag*   Pierre Dana**   Éric Robbiani***   Anne-Chantal de Divonne****  

La performance ! Est-ce le respect
des patients et des collaborateurs ?
Le respect des protocoles et des procédures ? Voire le respect de l'acte technique ? Est-ce la rentabilité ?
Chacun de ces éléments n'est-il pas
une des facettes de la performance
du chirurgien-dentiste ?Parmi les critères de performance au cabinet dentaire, quel est celui que vous privilégiez : la qualité des soins, la satisfaction
du patient, l'organisation du cabinet ou encore la formation professionnelle continue ?Et vous, qu'en pensez-vous ?

Quel est, pour vous, le critère premier de la performance ?

G. Amzalag : Ce mot ne convient pas à mon exercice, si on lui donne le sens généralement admis incluant une idée de compétition ! Dans relation thérapeutique, il y a « relation » : cette situation en phase avec le patient, cet échange permettant d'assurer la confiance sont primordiaux et à la base de la réussite de la reconstruction. Il est vrai que mon exercice me porte plus à reconstruire une bouche, et à intervenir sur le facteur esthétique et humain. Je conçois que d'autres aient une approche différente, mais lorsque j'entends dire que certains praticiens ne parlent presque pas avec leurs patients, ne les accueillent ni ne les raccompagnent pour « gagner du temps » et se font diriger par certains « spécialistes » pour diminuer le nombre de séances et rentabiliser l'acte, je me sens très différent et ne peux adhérer à ce genre de performance. Le praticien devient un technicien, une sorte de machine à produire, et les patients deviennent des objets malgré eux !

P. Dana : Nous travaillons sur de « l'humain ». Or, perdre ce rapport « à l'humain », négliger cet aspect du soin, est dangereux. Cela conduit à effectuer des travaux qui ne sont pas acceptés, quand bien même la réalisation technique est réussie. La première démarche consiste donc à montrer à son patient que l'on a compris son problème, à établir des ponts avec lui et à instaurer une relation de confiance.

G. Amzalag : Je reçois toutes sortes de personnes pour des reconstructions importantes qui peuvent changer leur aspect. À partir d'un certain âge, il peut y avoir une grande angoisse liée au processus du temps, du vieillissement et de la mort ! Voltaire, perdant ses dents, disait à peu près : « Je meurs à tempérament » , la perte des dents étant inconsciemment vécue comme le commencement du processus de mort ! Nous devons en être conscients et agir avec délicatesse déjà dans les temps intermédiaires (prothèses de transition), et profiter de cette période d'affolement du patient pour le rassurer sur notre coopération, sur le plan de la douleur, sur le résultat esthétique et sur la prise en compte de sa vie sociale et affective.

É. Robbiani : Pour moi, la performance, c'est de réaliser son acte le mieux possible dans un temps imparti.

Plus précisément ?

É. Robbiani : Être performant techniquement, c'est la moindre des choses ; être à l'écoute des gens est nécessaire, sinon autant changer de métier ! J'envisage davantage la performance en termes d'organisation : comment s'organiser pour arriver au résultat que l'on souhaite, sans dépenser une énergie folle, sans se « laisser manger » par les contraintes du métier et en faisant en sorte que les patients et les assistantes soient contents du fonctionnement du cabinet ? Jean-Claude Killy expliquait récemment, dans une interview accordée au journal L'Équipe, que pour lui, la performance était « la mise en place d'un système ». Cette définition « me parle ». Elle exprime bien l'importance de définir où l'on veut aller et de mettre en place des moyens pour y arriver.

P. Dana : Cela revient à dire qu'une personne sera performante dans son travail si elle le réalise dans une ambiance favorable.

É. Robbiani : L'organisation est essentielle, à la fois pour bien réaliser les actes, pour gagner un temps colossal et pour supprimer de multiples sources de stress ; tout cela sans rien changer à sa manière de travailler en bouche et à sa relation avec le patient. On met en place en amont le système qui permettra de fonctionner correctement au moment où le patient arrivera. Après, on passe le temps qu'il faut avec lui.

Être performant, est-ce être satisfait du résultat technique obtenu ou avoir un patient satisfait ?

G. Amzalag : Moi, je ne suis satisfait que lorsque mon travail a été réussi et que le patient l'intègre et l'accepte.

P. Dana : Si je suis satisfait, il y a de fortes chances pour que le patient le soit également.

É. Robbiani : Pas toujours. On peut ne pas être très content de son travail sur des patients ravis ! Ce décalage vient du fait que nous sommes très centrés sur notre exercice technique.

P. Dana : La manifestation de la satisfaction des patients dans le temps est aussi une preuve de performance. Quand, dans la durée, un patient est satisfait du confort apporté par des soins, aussi bien sur un plan esthétique que fonctionnel, on a été performant. Un ancien patient est ainsi revenu, et de fort loin, se faire soigner chez moi, après 15 ans d'absence pour cause de déménagement, parce qu'il n'avait pas trouvé un chirurgien-dentiste lui convenant. Je pense avoir été performant...

É. Robbiani : Voilà effectivement un indicateur de performance.

P. Dana : Mais que vouloir de plus ?

G. Amzalag : Cela dépend du type d'exercice. Bien sûr, réaliser un composite parfait, un traitement canalaire impeccable, entretenir une bouche, faire de la prévention, tout cela est très important. Mais travailler sur une réalisation qui peut modifier l'aspect du visage induit en plus une action qui doit répondre à la demande du patient ou, au moins, à une demande tempérée par la raison... et par le praticien.

P. Dana : Nous sommes les gestionnaires des problèmes techniques. S'il y a problème technique, le patient finira de toute façon par revenir...

Peut-on parler de performance en matière
de proposition de plan de traitement ?

G. Amzalag : Il faut être ouvert et travailler avec d'autres spécialistes. Nos connaissances nous permettent déjà d'avoir une idée mais, dans des cas complexes, les connaissances spécifiques et la vision d'autres confrères nous offrent un plan de traitement pluridisciplinaire, beaucoup plus riche, qui transforme complètement notre horizon et nous permet de vraies « performances... miraculeuses » ! Cela ne doit pas nous empêcher de trouver toujours la meilleure solution correspondant aux possibilités du patient et de la valoriser en ne créant pas de frustration liée à l'obligation d'un « deuxième choix ».

É. Robbiani : On revient à l'humain.

P. Dana : Oui, mais il faut tout de même proposer toutes les solutions, car certains patients, même sans grands moyens, pourront décider de ne pas partir en vacances pour s'offrir le traitement, tandis que d'autres auraient l'argent nécessaire mais n'accepteront pas d'investir une somme importante dans les soins. La manière de présenter les différents traitements possibles est déterminante. Il faut bien faire comprendre que les techniques comme les honoraires sont différents, mais que les soins quels qu'ils soient ne sont pas des soins au rabais.

É. Robbiani : La manière de présenter le traitement consiste à mettre l'accent sur celui que l'on estime être le meilleur pour son patient. C'est la conviction avec laquelle le praticien proposera cette solution qui sera décisive dans le choix du patient.

P. Dana : Dans le même sens, la conviction que le praticien met dans l'explication d'un plan de traitement comportant un implant est essentielle pour convaincre le patient de se rendre chez un autre praticien référent chargé de réaliser la phase chirurgicale. Sinon, il y a de fortes chances pour que le patient renonce à l'implant.

É. Robbiani : ... Ou pour envoyer un adulte chez un orthodontiste.

Être performant, est-ce répondre à toutes les demandes des patients ? Prenons le cas du blanchiment...

P. Dana : Jamais je n'inciterai un patient à faire un blanchiment. Si un patient me le demandait, je le ferais certainement. Je me suis équipé pour. Mais jusqu'à présent, j'ai eu peu de demandes.

G. Amzalag : Quand mes patients veulent un blanchiment, je leur explique qu'il y aura certes une amélioration mais pas celle qu'ils croient devoir obtenir. Je n'utilise vraiment cette technique qu'après de gros travaux, pour essayer d'harmoniser les dents intactes et plus foncées ou plus jaunes qui restent et que je n'ai pas voulu toucher au cours de la reconstruction.

É. Robbiani : Pour moi, la performance n'est pas de répondre à toutes les demandes mais seulement à celles qui ne mettent pas en péril l'intégrité des dents. J'ai refusé dernièrement à un patient d'extraire une dent parfaitement saine, mais qui lui faisait mal. Voilà le cas typique d'une traduction inconsciente de problèmes personnels par une douleur sur une dent. Je reconnais qu'il s'agit d'un cas extrême. Mais le blanchiment est aussi souvent associé à un problème plus intime d'image de soi...

Il y a quand même une différence entre un blanchiment et l'extraction de dents saines...

É. Robbiani : Si la demande m'apparaît disproportionnée par rapport au besoin et par rapport au risque que je fais prendre au patient sur ses dents, je refuse. Avoir recours à un blanchiment doux pour rattraper la teinte d'un bridge proche, pourquoi pas. Mais si la teinte est déjà claire et que pour moi il n'y a aucune justification, je refuse.

P. Dana : Certains patients sont toujours à la recherche de quelque chose sans jamais parvenir à la satisfaction. Cela peut être l'extraction de dents, le blanchiment, la pose d'un bijou...

Est-ce être performant d'élargir ses domaines de compétences, en se mettant par exemple
à l'implantologie ?

P. Dana : Pour moi, être performant ne consiste pas à toucher à tout mais à bien faire ce que l'on fait et que l'on aime faire. Ce n'est bien entendu pas limitatif. On peut aussi se former pour faire autre chose.

É. Robbiani : De toute façon, on ne fait bien que ce que l'on fait souvent et que l'on aime bien faire.

Être performant, est-ce se former ?

P. Dana : Le problème est de trouver les bons cursus qui forment à des techniques facilement reproductibles... Mais plus généralement, en tant que chef d'entreprise, être performant exige d'avoir des connaissances et de se former, ou au moins de se tenir au courant de tout ce qui concerne l'exercice dentaire. Il ne suffit pas d'être techniquement excellent pour faire marcher un cabinet. Il faut être très réceptif, et ce à toutes les évolutions, par exemple à celles des normes.

É. Robbiani : Les normes font partie des incontournables. Cela ne se discute même pas.

G. Amzalag : Bien sûr ! Mais il faut bien choisir les formations. Il faut, en sortant, pouvoir être capable de réaliser ce que l'on vient d'apprendre. Se former, c'est participer à des journées utiles, bien conçues et il y en a beaucoup, lire de bonnes revues spécialisées, suivre des cours sur Internet...Mais c'est aussi savoir demander à un ou plusieurs confrères leur avis sur un cas difficile. Il y a encore peu de temps, il m'arrivait de me déplacer avec modèles et radios pour comparer des solutions ; aujourd'hui Internet permet des échanges plus rapides et plus faciles.

É. Robbiani : Être performant, c'est savoir évaluer mes propres besoins en formation, choisir le support qui me convient et le thème que je veux voir développer. C'est aussi savoir faire évaluer par d'autres mes faiblesses pour travailler ensuite à les gommer.

Voyez-vous un lien nécessaire entre performance et évaluation ?

É. Robbiani : Oui, mais avec des réserves. L'évaluation de sa performance, en termes d'organisation, peut prendre plusieurs formes : questionnaire de satisfaction, objectif de rentabilité financière ou encore outils de suivi. J'ai recours à des tableaux comptables tels que des chiffres horaires sur l'année, voire des taux de retour de prothèses. Ce sont des indicateurs repères pour pointer un éventuel problème et définir comment le corriger. Mais attention à ne pas s'accrocher à ces indicateurs ! Ils peuvent devenir des usines à gaz !

Pour conclure...

P. Dana : Finalement, la performance est une chaîne constituée de plusieurs maillons - aussi importants les uns que les autres, comme la gestion de l'agenda, l'assistante dentaire ou le prothésiste - qui s'additionnent pour permettre la réalisation du travail demandé et la satisfaction de chacun.

É. Robbiani : La difficulté de notre métier est qu'il faut être performant dans de nombreux domaines assez variés - gestion, comptabilité, fiscalité, organisation, juridique, normalisation... - qui s'ajoutent à la technique. La même personne doit avoir toutes ces compétences, mais savoir déléguer les activités pour lesquelles sa compétence n'est pas indispensable.

G. Amzalag : En fait, pour définir ce terme dans mon exercice, je dirai que la performance consiste à concevoir un acte intellectuel judicieux : le plan de traitement (personnel ou multidisciplinaire), suivi de sa réalisation selon les « dernières données de la science », exécuté le mieux possible, en fonction de mon expérience, de mes connaissances, de mes compétences, affinées par des mises à jour constantes (revues, livres, cours, conférences, sociétés scientifiques, Internet...). Cette réalisation doit obtenir la satisfaction du patient et permettre d'honorer correctement et avec justice le praticien qui doit disposer pour cela d'un plateau technique également « performant ». Tout cela doit induire le plaisir du travail bien fait et me faire ressentir, encore à mon âge, que j'aime toujours mon métier et qu'il m'apporte toujours du bonheur : c'est cela ma performance !

Et vous, qu'en pensez-vous ?

Parmi les critères de performance au cabinet dentaire, quel est celui que vous privilégiez : la qualité des soins, la satisfaction du patient, l'organisation du cabinet ou encore la formation professionnelle continue ?

La qualité des soins d'abord...

La qualité des soins vient largement en tête des très nombreuses réponses reçues à la suite de l'enquête flash lancée sur Internet par Clinic , parallèlement au dîner débat sur la performance (voir p. 12) . Mais les internautes jugent le choix difficile, voire impossible : « Les quatre propositions sont complémentaires : la pertinence de la formation professionnelle associée à une organisation rationnelle du cabinet va permettre de proposer des soins de qualité à la grande satisfaction du patient », résume l'un d'eux. « La performance du praticien procède de tous les critères à la fois », ajoute un autre. Malgré « l'imbrication étroite » des items, les praticiens plébiscitent donc la qualité des soins qui rassemble les trois quarts des réponses, mais en précisant qu'elle « suppose que les trois autres propositions de choix soient performantes ». Ou encore : « La performance, c'est surtout la qualité des soins et donc la formation continue pour répondre aux données acquises de la science, mais c'est aussi une organisation du cabinet pour remédier à la sous-cotation des actes. À cela il faut ajouter des relations humaines et la compréhension du patient pour obtenir un patient satisfait ». Et puis, c'est « la qualité des soins qui détermine la satisfaction du patient ».

Puis la satisfaction des patients

Qualité des soins ou satisfaction du patient, quel est le critère premier ? Le sujet fait débat. La satisfaction des patients vient en deuxième position dans les réponses. « La qualité des soins est évidemment ce pour quoi nous travaillons et avons été formés en faculté ; mais la réelle performance est la satisfaction du patient qui permet de rentabiliser un cabinet toujours bien organisé », avance un internaute. Très radical dans sa réponse, le suivant estime que « quelle que soit la qualité, la formation ou l'organisation, il n'y a que la satisfaction du patient qui compte ». Mais son confrère pense que « la satisfaction du patient devrait être le critère, sauf que le patient n'est pas le meilleur juge de ce qui lui est nécessaire sur le plan de la santé, à cause d'une information imparfaite et de choix subjectifs ». C'est donc au praticien de faire identifier la qualité de son traitement par son patient pour avoir « un patient satisfait ». Et quand tout cela fonctionne, c'est « la récompense » !

Loin derrière les deux premiers critères, la formation professionnelle est mise en avant car « sans elle, comment aborder la qualité de quoi que ce soit ? », interroge un praticien. Sans elle, surenchérit un autre, « pas de soins performants et donc pas de patients satisfaits »...

Dernier critère, « l'organisation du cabinet » est mise en avant par un nombre très restreint d'internautes. L'un précise que « c'est l'optimisation du rapport rentabilité/temps de présence » qui prime en termes de performance. « Une bonne organisation permettra d'assurer une bonne qualité des soins et d'établir une bonne relation et une bonne communication avec la patientèle », avance un autre.

Pour conclure, reprenons la remarque d'un internaute : « Nous développons la science du compromis, notre métier est une synthèse des quatre qualités proposées. »

Performance ou performances ?

Dans une compétition, la performance est un « résultat chiffré ».

Dans l'automobile, l'aviation,
ce sont « les chiffres et les courbes
qui caractérisent les possibilités
d'un appareil ». Ces définitions,
on le constate, s'appuient sur
une notion de « compétition ».

En art cependant, la performance
est « une forme d'expression ».

Dans le domaine de la gestion,
la performance représente
« le résultat ultime de l'ensemble
des efforts d'une entreprise ou
d'une organisation ». Ces efforts consistent « à faire les bonnes choses, de la bonne façon, rapidement,
au bon moment, au moindre coût,
pour produire les bons résultats
répondant aux besoins et aux attentes des clients, leur donner satisfaction
et atteindre les objectifs fixés par
l'organisation ».

Pierre Dana offre ses compétences à des musiciens et des danseurs Éric Robbiani a une orientation chirurgicale dans un cabinet de groupe

Gilbert Amzalag a une orientation prothétique auprès de beaucoup de patients âgés