Pour une utilisation simple et rationnelle du champ opératoire en prothèse adhésive - Clinic n° 04 du 01/04/2009
 

Clinic n° 04 du 01/04/2009

 

PROTHÈSE ADHÉSIVE

DU CÔTÉ DE LA FAC

Sébastien FELENC Ancien assistant hospitalo-universitaire  40 place du Millénaire   34000 Montpellier.*   Josselin LETHUILLIER Assistant hospitalo-universitaire.**   Stéphane DESPESSE Assistant hospitalo-universitaire.***  

L'utilisation systématique d'un champ opératoire est certainement l'acte le plus simple qui change radicalement l'exercice clinique d'un praticien. C'est une technique qui n'a pas à être élitiste tant elle facilite le travail et ne nécessite ni compétences ni actes spécifiques. Pourtant, elle valorise énormément nos actes, et à juste titre, car la différence de visibilité et d'ergonomie est significative.

Cet article propose une méthodologie simple et ergonomique et décrit les étapes pas à pas de l'installation du champ dans diverses situations. Nous développerons des applications plus spécifiques à la prothèse adhésive.

Traiter des lésions qui nécessitent un pouvoir séparateur de l'oeil d'un demi-millimètre, au fond d'une cavité sombre limitée par la sangle labio-jugale, en évitant des éléments mobiles et incontrôlables comme la langue et la salive et en utilisant des instruments rotatifs à grande vitesse, tel est le défi que le praticien relève en permanence lors de ses actes de chirurgie dentaire. Pourtant, il dispose de matériels et de techniques qui facilitent tellement les actes qu'ils les rendent plus confortables, plus pérennes [1] et plus rapides.

La première action de tout acte chirurgical est de faciliter l'accès puis de protéger le site opératoire. Dans la partie chirurgie dentaire, s'ajoute l'isolation de ce site car le praticien travaille dans un milieu septique où il prétend réaliser des procédures complexes de collage ou d'obturation.

L'utilisation de la « digue » rappelle des souvenirs difficiles à certains car ils n'avaient pas encore beaucoup de dextérité quand elle leur a été imposée lors de leurs études, tandis que d'autres n'ont jamais bénéficié de l'enseignement de cette technique [2]. De fait, la digue est un champ opératoire en latex qui remplit les fonctions de tout champ de chirurgie :

• améliorer la visibilité et l'accessibilité au site opératoire ;

• protéger des fluides environnants ;

• protéger de l'ingestion, de l'inhalation et de la blessure intempestive ;

• augmenter l'ergonomie et donc réduire le temps de travail.

L'exercice professionnel exige de rationaliser les procédures de travail et le matériel. Il s'agit d'utiliser un minimum de matériel pour un maximum d'efficacité dans un temps de préparation et d'ergonomie optimal [3]. Dans cet objectif, une systématisation des protocoles cliniques ne nécessiterait qu'un minimum de préparation en amont. Le matériel et les méthodes décrits ici n'ont rien d'exhaustif : ce ne sont que des propositions laissant à chacun le libre choix de déterminer les éléments nécessaires, adaptés à sa pratique professionnelle, en conservant les mêmes objectifs.

Ainsi seront proposés, dans une première partie, le matériel minimal et une méthode pour installer le champ recouvrant la quasi totalité des indications de traitement.

Nous aborderons ensuite le domaine plus spécifique de la préparation puis de l'assemblage de prothèses par des techniques adhésives.

Matériel

Avec un minimum de 4 types de crampons (fig. 1):

• incisive, prémolaire et molaire à ailettes pour les perforations unitaires ;

• molaire sans ailette pour les hémi-arcades - il est important de choisir des mors de crampons qui soient suffisamment dirigés vers le sulcus afin de pouvoir s'accrocher sur tous les types de dents.

Les cadres sont de 2 types (fig. 2) :

• cadre en losange pour les perforations unitaires (endodontie essentiellement) ;

• cadre en U pour les isolations plus étendues.

Ils sont proposés en plastique ou en métal, à la convenance de chacun.

Les champs préperforés sont de 2 types également :

• celui pour la 7 à la 2 controlatérale, qui peut être utilisé systématiquement pour isoler des hémi-arcades et qui est compatible avec tous les secteurs en retournant la feuille de latex. Il est perforé au diamètre maximal en amont de la séance clinique au moyen d'une préforme qui permet de placer les trous aux bons endroits et de les espacer correctement (fig. 3);

• celui avec une perforation centrale pour les traitements canalaires.

La nature de la feuille de latex et son stockage (conforme aux spécifications du fabricant) sont importants : sa finesse, sa souplesse et son élasticité sont les caractéristiques principales requises. Le désagrément le plus courant est une déchirure du latex au niveau des perforations lorsqu'on tire sur celles-ci lors de la mise en place du champ.

En ce qui concerne les pinces à perforer et à clamper (fig. 4), l'embout de leurs mors ne doit pas être trop arrondi pour faciliter la désinsertion.

Organisation

Hémi-arcade de la 7 à la 2 controlatérale

Quel que soit le type d'acte, le champ opératoire sur l'hémi-arcade entière permet d'élargir le champ visuel et le champ d'action, améliorant ainsi grandement l'ergonomie [4].

Avec un peu d'habitude, la systématisation de ce protocole le rend rapide et évident.

Cette technique étant la plus usitée du fait de ses nombreuses indications, sa mise en place va être détaillée.

Matériel (fig. 5)

Il faut avoir :

• un crampon molaire sans ailette ;

• une feuille de latex ;

• un cadre en U ;

• 30 cm de fil dentaire ;

• des ciseaux pour déposer le champ.

Mise en place pas à pas

Les étapes à suivre sont les suivantes :

• essayer de franchir les points de contact avec le fil dentaire, au besoin ouvrir les espaces si une restauration défectueuse doit être reconstruite (fig. 6 et 7);

• essayer le crampon (fig. 8) :

- vérifier qu'il ne crée pas de douleur et, au besoin, anesthésier la gencive marginale,

- prévenir le patient d'une sensation d'étau qui ne dure pas,

- vérifier la stabilité du crampon avec les doigts, sachant qu'il sera ensuite tendu par le latex ;

• prendre le champ à deux mains avec les index tirant sur la dernière perforation afin de la passer autour de l'anse du crampon (fig. 9). Il est également possible d'installer le crampon avec le champ monté « en parachute » sur l'anse (fig. 10);

• glisser les index de proche en proche pour passer les languettes dans les embrasures jusqu'à la 2 controlatérale. Si les points de contact sont très serrés et ne laissent pas passer facilement les languettes, il ne faut pas insister et passer le champ à l'extrémité sur les incisives (fig. 11) ;

• placer les 4 angles du champ sur les points cardinaux du cadre. Au besoin, créer un repère en perforant l'angle supérieur gauche (fig. 12) ;

• faire glisser les languettes de latex dans les embrasures avec le fil dentaire, en insistant si nécessaire. Ce geste est parfois sensible : c'est la partie la plus délicate de la mise en place du champ (fig. 13) ;

• finir d'installer le champ sur les ergots du cadre ;

• ligaturer si nécessaire le champ au collet des dents avec du fil dentaire en faisant des noeuds coulants, ce qui permet de plaquer le latex dans les sulcus et d'avoir ainsi accès aux parties cervicales des dents (fig. 14).

Note : avant l'installation, l'analgésie doit être confirmée afin d'éviter une injection supplémentaire au cours de l'intervention qui, bien que possible, reste inconfortable.

Ce protocole induit nécessairement une cohérence des actes afin de bénéficier d'un maximum d'ergonomie : les traitements s'envisagent donc par hémi-arcade (fig. 17 à 19).

De plus, l'isolation du site, en particulier des tubules dentinaires sectionnés, permet d'appréhender sereinement toute contamination bactérienne peropératoire ; ainsi, la mise en place d'un fond de cavité, d'un coiffage direct ou même la réalisation d'une pulpotomie se feront rapidement et sans tension [10].

Variantes

Accéder à des limites enfouies

Plus les limites de préparation sont juxtagingivales, voire sous-gingivales, plus la mise en place du champ est délicate. L'objectif reste le même : mieux y voir et s'isoler des fluides buccaux.

La difficulté consiste à faire passer la dent préparée dans la boucle de fil puis à la serrer dans le sulcus. Il est possible de s'aider d'un autre crampon qui maintiendra le fil sous-gingival pendant la réalisation du noeud coulant (fig. 15).

L'isolation peut être complétée par un gel isolant (Ultradent®) avant la mise en place du champ, voire même du phosphate de zinc (Temp Bond®) autour de la dent. Une fois le champ en place, il sera alors possible de mener des thérapeutiques variées, dans le cas présent des soins conservateurs et la pulpectomie de la 36 après électrochirurgie sur la papille distale (fig. 16).

Poudrage sous digue en CFAO directe

Les utilisateurs de CFAO directe apprécieront cette technique car elle permet de poudrer le site opératoire sans gêner le patient, surtout si la reconstruction se fait en mode reproduction. Par ailleurs, l'anse du crampon est une aide importante pour caler la caméra dans bien des situations (fig. 20 à 23).

Arcade antérieure maxillaire

Essentiellement utilisée pour des actes d'odontologie restauratrice collée, cette configuration est aussi utile en cas de traitements endodontiques multiples.

On trouve également des variantes dans des actes de préparation et d'assemblage prothétique.

Matériel (fig. 24)

Il faut disposer de :

• 2 crampons prémolaires à ailettes chargés sur le champ ;

• 1 champ perforé de 14 à 24 (en étendant les perforations de l'hémi-arcade) ;

• un cadre en U ;

• 30 cm de fil ;

• des ciseaux pour déposer le champ.

Mise en place

Il faut essayer les crampons de manière unitaire avant de les charger sur le champ (fig. 25).

Un crampon est installé sur la 24 puis les languettes sont passées jusqu'à la 14 avant de la clamper. La technique est identique à la mandibule.

Puis, le cadre est installé comme décrit précédemment.

Dans le secteur antérieur, il est souvent obligatoire de ligaturer le champ au collet des dents car le galbe de celles-ci et la tension du cadre ont tendance à le soulever.

(Les fig. 26 à 31) illustrent le traitement de nombreuses lésions carieuses au composite. Noter la visibilité et l'accès aux cavités ainsi qu'à l'émail périphérique des lésions [11].

Variantes

Préparation de dents vivantes

Partant de la même configuration, il est aisé de couper les languettes interdentaires afin de retourner le latex sur la gencive préalablement asséchée, favorisant ainsi l'accès au sulcus des dents à préparer. La visibilité sera augmentée par le soutien de la lèvre et le site opératoire sera protégé des tissus environnants : le patient ne pourra pas passer la langue sur les dents. Ainsi sur dents vivantes, la mise en place de la couche hybride immédiate permettra d'isoler les tubules dentinaires avant toute contamination bactérienne.

Une autre application est illustrée dans le cas qui va suivre jusqu'à l'adhésion de couronnes tout céramique à armature renforcée à la leucite (fig. 32 à 35).

Cette configuration peut être également utilisée pour coller des facettes.

Collage de couronnes et de facettes : 3 techniques différentes

Ces variations requièrent beaucoup de dextérité de la part du praticien mais elles s'avèrent capitales si l'on souhaite assembler par collage des céramiques vitreuses [5]. En effet, l'étanchéité sur l'émail périphérique juxtagingival est quasiment impossible à contrôler sans avoir au préalable dégagé les papilles.

Il faut commencer par essayer le crampon seul et vérifier qu'il est bien calé sans gêner l'insertion de la prothèse (fig. 36 à 38) :

• le champ peut alors être installé de manière unitaire sur chaque dent ;

• l'épaisseur du latex pouvant interférer avec l'insertion totale de la pièce prothétique au niveau des points de contact, il peut être nécessaire d'inciser le champ au bistouri à ces deux endroits (fig. 39 et 40);

• dans le cas de restaurations multiples, la mise en place du champ de prémolaire à prémolaire sera complétée par un crampon incisif à chacune des préparations afin de repousser la gencive marginale sous la limite de préparation [7] (fig. 41 à 45).

• s'il s'agit de facettes en céramique, cette même méthode permet la mise en place de matrices interdentaires et facilite la manipulation des petites pièces prothétiques (fig. 46 à 52).

Arcade antérieure mandibulaire

Le matériel et la technique sont identiques à ceux de la configuration maxillaire.

La pose de la digue est indiquée, outre pour les restaurations au composite, pour les restaurations prothétiques collées dont la longévité est améliorée [6] (fig. 53, 54).

Elle l'est également, en parodontologie, pour la mise en place d'attelles de contention collées. Quel que soit le type d'attelle choisie, l'isolation de la salive et du passage de la langue par le champ opératoire est capitale afin de maîtriser la réalisation de cet acte complexe.

Évolutions avec les systèmes d'Ivoclar-Vivadent®

L'Optragate® se présente sous la forme d'un double anneau en plastique relié par un champ qui permettra d'écarter confortablement les lèvres du patient (écartées au maximum sans sensation de tension).

Ce système trouve ses indications dans les travaux du secteur antérieur lorsque les cavités sont bien supragingivales. Il est également utile pour des chirurgies muco-gingivales du fait de l'accès dégagé au champ opératoire. La prise d'empreinte optique en CFAO directe est également facilitée (fig. 55 à 56).

L'Optradam® est un champ opératoire dont le cadre est inclus dans le champ par le même système de double anneau que l'Optragate®. Les marques des perforations sont imprimées sur le champ. Ce dispositif permet d'isoler le maxillaire et la mandibule du même côté. Si le crampon n'est pas forcément utile, il s'avère efficace pour les installations sur les secteurs molaires en raison de la tension exercée par le cadre. Les indications sont identiques à celles des autres champs opératoires en latex (fig. 57 à 59).

Plaisir pour le patient

Le poncif habituel concernant ce type de technique d'accès aux sites opératoires est que les patients se plaignent du manque de confort. Or, la plupart d'entre eux préfèrent se sentir en sécurité avec la langue à l'écart des instruments rotatifs [8]. Il leur est possible de déglutir et de respirer par la bouche. L'environnement sonore est moins pollué par le bruit de l'aspiration salivaire qui n'a plus à être permanente. Ils n'ont pas de débris plein la bouche lors des préparations, sans parler de l'ingestion ou de l'inhalation d'amalgame. La valse des cotons salivaires est fortement diminuée. L'acte chirurgical en cours sur les dents du patient est isolé du reste de sa bouche.

Nous ne dispensons pas des soins cosmétiques de relaxation. Il semblerait aberrant de se plaindre à un chirurgien de sa technique inconfortable si elle est appliquée pour la bonne réussite du traitement médical. Les patients comprennent cela naturellement car ils préfèrent bénéficier des données acquises de la science.

Cependant, il faut porter une attention particulière à des situations inattendues :

• un crampon placé sur la gencive peut léser une papille gingivale et engendrer des douleurs postopératoires ;

• une articulation temporo-mandibulaire fragile forcée à l'ouverture un trop long moment peut se trouver luxée en fin de soin et à tout le moins douloureuse. Il faut donc prévenir cet accident par un questionnaire et une attention régulière ;

• des patients claustrophobes peuvent se sentir enfermés, ils sont heureusement très peu nombreux ;

• le passage d'une fraise en rotation dans le latex fait un bruit strident et inopiné qui ne manque pas de stresser le patient et... le praticien, même s'il n'y a aucun risque ;

• il peut arriver (rarement !) que la tension du latex et un accrochage approximatif du crampon provoquent son envol inopiné.

Plaisir pour le praticien

L'utilisation systématique d'un champ opératoire est certainement l'acte le plus simple qui change radicalement l'exercice clinique d'un praticien.

Travailler au sec sans jamais avoir de salive sur les doigts est une source de plaisir.

La possibilité de maîtriser la situation tout en bénéficiant d'une visibilité accrue permet de faire évoluer sa pratique de manière considérable.

C'est une technique qui n'a pas à être élitiste tant elle facilite le travail et ne nécessite ni compétence ni actes spécifiques [9].

Préparer le site opératoire en amont permet de gagner du temps sur la longueur entière de l'acte à partir du moment où le praticien maîtrise sa technique. La courbe d'apprentissage est rapide et, si les premiers cas d'hémi-arcade peuvent se faire en 10 minutes avec des patients conciliants disposant de points de contact pas trop serrés, après une quinzaine de réalisations, le champ opératoire sera installé en 1 minute sans effort particulier. Le praticien en tirera alors un confort de travail accru, ce qui se ressentira sur son exercice, sur l'équipe soignante et sur la satisfaction de ses patients.

Remerciements au groupe FLAP (Formation languedocienne appliquée à la prothèse) et au laboratoire Dossa.

Bibliographie

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  • 2. Hill, Rubel BS. Do dental educators need to improve their approach to teaching rubber dam use ? J Dent Educ 2008;72:1177-1181.
  • 3. Christensen GJ. Using rubber dams to boost quality, quantity of restorative services. J Am Dent Assoc 1994;125:81-82.
  • 4. Strydom C. Handling protocol of posterior composites rubber dam. SADJ 2005;60:292-293.
  • 5. Liebenberg WH. The rubber dam-retaining appliance: an adjunct to isolation during placement of multiples veneers. Quintessence Int 1995;26:493-500.
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  • 8. Stewardson DA, McHugh ES. Patients' attitudes to rubber dam. Int End Journal 2002;10:812-819.
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  • 11. Kaleka R. La digue en dentisterie restauratrice ou comment concilier qualité et confort. Clinic 2001;22:23-32.