Clinic n° 04 du 01/04/2012

 

L’ENTRETIEN

Anne-Chantal De Divonne  

Bonne nouvelle : les déclarations de sinistres sont maîtrisées. Elles restent stables en 2010 à 4,24 % pour les chirurgiens-dentistes, soit 1 087 déclarations*. Mais pour Philippe Pommarède, chirurgien-dentiste qui analyse depuis 15 ans les sinistres de la profession pour le Sou Médical, « avec davantage de prévention au niveau du risque, la profession pourrait encore mieux faire ». Une nécessité car, si le nombre de déclarations est stable, les coûts induits progressent, eux, « de façon significative ».

À l’évidence, de nombreux sinistres pourraient être évités. Ainsi, sur 402 déclarations concernant des prothèses scellées en 2010, 55 % de ces dernières doivent être déposées en raison de soins endodontiques sous-jacents défectueux ou insuffisants, d’infections ou de perforations radiculaires des dents piliers. « Le risque n’est pas toujours bien évalué par les praticiens. Il faut chercher la solution thérapeutique la plus fiable, le cas échéant savoir dire non à son patient si ses exigences ne sont pas réalistes, et ne pas proposer une restauration dont on sait qu’elle ne sera pas durable dans le temps », recommande Philippe Pommarède, chirurgien-dentiste conseil du Sou Médical-Groupe MACSF qui assure les deux tiers des praticiens libéraux.

Autre voie d’amélioration possible, celle des complications consécutives aux soins dentaires et chirurgicaux (296 déclarations). Le rapport annuel relève 37 erreurs d’extraction ou de diagnostic. En cause pour les erreurs d’extraction : le chirurgien-dentiste trop pressé, qui lit mal la prescription de son correspondant ou n’en contrôle pas la validité… Les bonnes pratiques indiquent « qu’il est toujours nécessaire de réaliser ou d’avoir une radiographie avant de pratiquer une extraction, même sans difficulté apparente ». L’idéal, en chirurgie buccale comme en implantologie, serait « d’établir une check-list qui permettrait d’éviter ce genre d’erreurs », remarque le Docteur Pommarède.

Autre domaine encore dans lequel la prévention est nécessaire, les conséquences d’anesthésie ou la gestion des suites d’extraction. Cela étant, le nombre de ce type de déclarations reste assez faible (30).

En revanche, les déclarations de fractures d’instruments canalaires restent trop élevées (77). La grande fragilité et le non-respect du protocole d’utilisation des instruments rotatifs d’endodontie en nickel-titane en sont la cause. « On nous a fait croire pendant des années que ces instruments étaient la panacée, permettaient de gagner du temps et facilitaient la pratique dentaire. C’est vrai pour partie mais avec l’apparition de nouvelles complications », remarque Philippe Pommarède.

Parmi les déclarations, le rapport annuel indique aussi des cas de complication cardiaque et d’endocardite d’Osler d’origine dentaire « heureusement très peu nombreux ». Une suspicion d’abcès cérébral après extraction est aussi déclarée en 2010. Le lien de causalité est « heureusement rarement établi, à l’inverse s’il est établi, le montant des indemnisations devient alors extrêmement élevé ».

Et en implantologie…

Les déclarations de sinistre en implantologie progressent (136 en 2010 contre 77 en 2007) mais en corrélation avec l’augmentation de cette pratique. Aujourd’hui, près de 40 % des praticiens assurés pratiquent la prothèse sur implants et 25 % la chirurgie implantaire ; d’ici à 10 ans, 70 % des praticiens pratiqueront ce type d’actes, prévoit Philippe Pommarède. Pour la prothèse sur implants, une assurance spécifique n’est plus obligatoire.

En 2010, il y a eu 60 déclarations de cas exclusivement liés à la chirurgie implantaire, bien souvent en rapport avec la « pratique du soulèvement de sinus qui demande des précautions opératoires et une bonne formation ». Une absence de précautions et d’examens radiologiques préopératoires est fréquemment à l’origine des lésions nerveuses avec perte de sensibilité ou paresthésies qui pourraient ainsi être évitées. Les déclarations liées aux seules prothèses sur implants (45) sont similaires à celles de prothèses classiques. À noter l’importance de la prise en compte des facteurs occlusaux et du bruxisme dans le cadre de la prévention. Il faut noter qu’il n’y a eu que 2 déclarations portant sur du matériel implantaire. « Les implants actuels semblent être parfaitement au point et d’une grande fiabilité, et les fournisseurs d’implants mettent gracieusement à la disposition du praticien un nouveau matériel en cas de problème. »

* Rapport annuel du Sou Médical, Responsabilité, numéro spécial, novembre 2011.

COÛT DES SINISTRES

Progression « significative »

Avec la sophistication des techniques, en particulier en implantologie, le coût des sinistres progresse. Si le coût moyen d’un litige traité par voie amiable se situe autour de 4 000 €, en implantologie son montant est 2 fois plus élevé. Lorsqu’un dossier fait l’objet d’une procédure judiciaire et que le praticien est reconnu responsable, l’indemnisation retenue par les magistrats atteint un montant moyen de 18 000 €. En 2010, le taux de condamnations en justice des chirurgiens-dentistes s’est élevé à 69 % : sur les 118 chirurgiens-dentistes mis en cause, 81 ont été condamnés. Au cours de la même année, il n’y a eu qu’un seul jugement entraînant des dommages et intérêts supérieurs à 100 000 €.

On note régulièrement quelques cas extrêmes, rares, entraînant des indemnisations supérieures à 400 000 € par suite d’accidents liés à une anesthésie, d’accidents cardio-vasculaires, d’accidents vasculaires cérébraux ou de lésions cancéreuses non diagnostiquées…

« On note aussi une tendance certaine à une augmentation des indemnisations liées à l’application des nouvelles missions d’expertise dites Dintilhac, qui entraînent la prise en charge de nouveaux préjudices. On prend par exemple en compte aujourd’hui le préjudice esthétique temporaire », explique Philippe Pommarède. De plus, avec la généralisation des protections juridiques et de l’aide juridictionnelle gratuite, les patients hésitent de moins en moins à recourir à la justice pour demander une indemnisation.