Anomalie de forme et de structure dentaire localisée : restauration directe au composite - Clinic n° 05 du 01/05/2009
 

Clinic n° 05 du 01/05/2009

 

ODONTOLOGIE CONSERVATRICE

Isabelle RODRIGUES*   Aude AUTISSIER**   Yasmina LAARABI***   Thien NGUYEN****   Maryse WOLIKOW (Ivry-sur-Seine)*****  


*Service d'odontologie,
Hôpital Charles-Foix,
12 rue Fouilloux,
94300 Ivry-sur-Seine.

>Le cas clinique

Le patient, âgé de 15 ans, trouve que ses « dents maxillaires sont mal positionnées » et « qu'une de ses dents de devant n'est pas normale ». Il a subi, à l'âge de 2 ans, un traumatisme sur ses dents temporaires maxillaires et aucun suivi n'a été réalisé. Il se dit complexé et n'ose pas sourire.

Les restaurations directes au composite sont couramment utilisées car elles sont réalisables en une ou deux séances, ont un coût financier moindre pour les patients et présentent une longévité satisfaisante si un suivi clinique est réalisé.

Cet article illustre, au travers d'un cas clinique, la restauration en technique directe au composite d'une incisive centrale maxillaire atteinte d'anomalie de forme et de structure chez un adolescent. Cette technique de restauration apparaît ici comme une solution à privilégier puisqu'elle permet de différer l'échéance prothétique.

Les anomalies de forme et de structure reflètent les altérations microscopiques ou macroscopiques des tissus durs dentaires. Ces altérations sont consécutives à une perturbation lors de l'odontogenèse. Selon la nature, la date de survenue, la durée et l'intensité de la perturbation, les conséquences dentaires sont différentes, atteignant une ou plusieurs dents, temporaires ou permanentes.

Les étiologies de ces perturbations peuvent être de nature génétique ou acquise. Dans le cas d'une anomalie d'ordre génétique, le diagnostic est assez facilement réalisé : toutes les dents des 2 dentitions sont atteintes par l'anomalie. Les caractéristiques dentaires des grands syndromes sont très bien décrites et connues [1].

En revanche, dans le cas d'anomalies dues à une perturbation acquise, le diagnostic est très souvent difficile à établir. Les étiologies sont alors multiples : soit de nature locale comme un phénomène infectieux ou un traumatisme, soit de nature générale comme une médication reçue pendant la grossesse ou durant la petite enfance [2].

De plus, l'impact psychosocial de ces anomalies de structure ne doit pas être négligé, surtout lorsque l'anomalie se situe dans le secteur incisivo-canin, puisqu'elle peut alors être à l'origine d'un préjudice d'ordre esthétique ressenti de manière importante chez le jeune [3].

Enfin, certaines de ces anomalies de structure peuvent aussi s'accompagner de douleurs intenses perturbant la vie quotidienne de ces patients (mastication, brossage...) et compliquant les séances de soins par la difficulté à anesthésier de telles dents.

Les agénésies dentaires sont assez fréquentes. Leur prévalence diffère notamment en fonction des continents, du sexe et des dents. Polder et al . [4] ont montré, dans leur méta-analyse, que le pourcentage d'agénésies était plus important en Europe et en Australie qu'en Amérique du Nord, d'une part, et que la prévalence chez les femmes était 1,37 fois plus importante que chez les hommes, d'autre part. Au niveau de la répartition dentaire, cette étude montre aussi que les dents le plus fréquemment absentes sont la deuxième prémolaire mandibulaire, puis l'incisive latérale maxillaire et, enfin, la seconde prémolaire maxillaire. L'agénésie unilatérale est également plus fréquente que l'agénésie bilatérale. L'exception est l'agénésie bilatérale des incisives latérales maxillaires qui est plus fréquente que l'agénésie unilatérale.

Cet article illustre, au travers d'un cas clinique, la prise en charge globale d'un adolescent présentant une agénésie au niveau du secteur antérieur associée à une anomalie de forme et de structure dentaire localisée.

Cas clinique

Entretien et anamnèse médicale

Le patient est un adolescent âgé de 15 ans. Son motif de consultation est double : il trouve que ses « dents maxillaires sont mal positionnées » et « qu'une de ses dents de devant n'est pas normale ».

L'anamnèse médicale montre qu'il est en bonne santé générale. Au cours de l'entretien, l'adolescent explique qu'il a subi un traumatisme à l'âge de 2 ans sur ses dents temporaires maxillaires et qu'aucun suivi n'a été réalisé.

Le patient est motivé et sa demande est principalement esthétique. Il se dit complexé, et n'ose pas sourire.

Examen clinique endobuccal

L'hygiène orale du patient est satisfaisante. Un faible dépôt de plaque est retrouvé au niveau du secteur antérieur mandibulaire. Il ne présente aucune lésion carieuse et aucune restauration n'est retrouvée. Son risque carieux individuel est faible.

L'examen intra-arcade révèle (fig. 1) :

- la persistance de la 63 et l'absence de la 22 ;

- la vestibulotopie et l'anomalie de forme et de structure de la 21 ;

- la mésio-position de la 23 ;

- une linguo-version des incisives mandibulaires.

Les radiographies rétroalvéolaires (fig. 2) du secteur antérieur confirment les éléments relevés durant l'examen endobuccal et mettent en évidence l'agénésie de la 22.

L'examen interarcade révèle :

- des rapports de classe II d'Angle au niveau molaire et canin à gauche, et des rapports de classe I d'Angle à droite ;

- une supraclusion ;

- une occlusion inversée de la 23 par rapport aux 32 et 33 ;

-une non-coïncidence des milieux interincisifs.

Diagnostic

Cet adolescent présente une agénésie de la 22 associée à une anomalie de forme et de structure dentaire isolée puisque seule la 21 est atteinte. L'étiologie de cette altération est donc de nature acquise et locale. On peut supposer que cette anomalie est une des conséquences du traumatisme survenu en denture temporaire à l'âge de 2 ans et rapporté lors de l'entretien.

Choix thérapeutique

Compte tenu de sa demande esthétique, l'adolescent a d'abord été envoyé en consultation d'orthopédie dento-faciale pour une prise en charge orthodontique.

La première partie du traitement orthodontique a consisté à corriger l'occlusion inversée de la 23 à l'aide d'une plaque maxillaire munie de plan de surélévation et d'un ressort pour vestibulo-verser la 23 (fig. 3 à 5).

À l'issue du traitement initial d'orthodontie (fig. 6), le patient a été pris en charge pour sa demande concernant l'anomalie de forme et de structure de la 21. Ainsi, il a été décidé en accord avec lui, de restaurer cette dent par technique directe au composite.

Dans un second temps, la poursuite du traitement orthodontique par traitement multi-attaches pourra débuter.

Reconstitution au composite de la 21

Cette dent a été reconstituée grâce au montage de couches successives de matériau composite en technique directe. Pour réaliser ce montage, le composite universel à technologie nanocéramique (Ceram.X Duo® Dentsply) a été utilisé.

Ceram.X® est un matériau de restauration photopolymérisable et radio-opaque qui allie la nanotechnologie à des particules de céramique améliorées. Cela permet de disposer d'un matériau qui bénéficie de qualités esthétiques et qui se manipule facilement. La concordance entre le teintier Vitapan® et le système de teinte du Ceram.X® facilite le choix de la teinte. En effet, Ceram.X Duo® propose 4 teintes dentine (D1 à D4) et 3 teintes émail (E1 à E3) qui couvrent la totalité du teintier Vitapan®. Il est par conséquent possible de choisir la teinte de la dent à restaurer à l'aide d'un teintier classique (fig. 7). Le protocole de montage du composite est alors facilité par un nombre limité d'apports de composite de seulement 2 teintes différentes (1 teinte émail associée à 1 teinte dentine) [5,6].

Ainsi, un montage de la masse émail en lingual est d'abord réalisé. Puis un noyau dentinaire est monté. Enfin, la masse émail est apportée en vestibulaire.

Mise en oeuvre

Examen clinique, recherche étiologique et prise de photographies initiales

Un examen clinique rigoureux est systématiquement mené afin de bien déterminer les tissus atteints par l'anomalie dentaire, les caractéristiques morphologiques de la dent (forme, relief, état de surface, position...) et les caractéristiques colorimétriques (teinte, saturation, luminosité et analyse de la répartition des zones). La recherche étiologique de l'anomalie est réalisée, même si c'est uniquement la date à laquelle le processus traumatique est survenu qui peut être décelée. La prise de photographies permet de figer la situation clinique initiale, d'observer les modifications obtenues et de pouvoir les comparer à tout moment avec le début du traitement.

Empreinte et cires de diagnostic

En amont, une empreinte à l'alginate de classe A est réalisée puis coulée à l'aide d'un plâtre de type IV afin d'obtenir une meilleure réplique des caractéristiques dentaires.

Une cire de diagnostic est réalisée, restituant une forme et un volume à la dent (fig. 8).

Clé anatomique

La réalisation d'une clé anatomique antérieure à l'aide d'un silicone de type C, issue de la cire de diagnostic, facilitera le montage d'un mur lingual en composite. Une fois la face linguale restaurée, la clé pourra être retirée et le composite au niveau proximo-vestibulaire pourra être monté (fig. 9).

Prise de teinte

À l'aide d'un teintier classique Vitapan®, la teinte émail et la teinte dentine sont choisies en début de séance, à la lumière du jour. La correspondance entre le teintier Vitapan® et les teintes Ceram.X Duo® facilite cette opération. Ici, une teinte A2 (équivalence E2 + D2) a été choisie (fig. 7).

Mise en place du champ opératoire

La pose de la digue est incontournable pour éviter toute contamination du composite par la salive environnante et pour optimiser le collage. Pour parfaire l'étanchéité de la digue, chaque dent peut être ligaturée avec du fil dentaire. De plus, l'utilisation d'une digue épaisse permet de repousser la gencive marginale et facilite l'accès aux limites quand c'est nécessaire.

Préparation dentaire

La forme du biseau vestibulaire dépend du composite utilisé et de son module d'élasticité. Ici, en utilisant le Ceram.X Duo®, la préparation dentaire consiste essentiellement en une préparation avec un long biseau vestibulaire des marges amélaires en bordure de la cavité grâce à une fraise flamme (sur environ 2 mm), permettant notamment d'assurer une meilleure transition esthétique entre la dent et le matériau composite et d'augmenter la surface de collage. En lingual, un chanfrein court à 45° est ensuite réalisé.

De plus, le dépolissage des tissus présentant l'altération tissulaire est nécessaire afin de se retrouver face à une dentine la plus saine possible (fig. 10 et 11).

Enfin, à l'aide d'une fraise de très faible granulométrie, les limites de la préparation sont polies afin de supprimer les prismes d'émail non soutenus.

Conditionnement des surfaces dentaires

Le traitement de surface et l'application de l'adhésif sont réalisés tout en protégeant les dents voisines à l'aide d'une matrice transparente.

Montage du composite

Après vérification en bouche du bon positionnement de la clé en silicone, le montage du composite peut commencer. La mise en forme anatomique est grandement facilitée par la clé anatomique qui permet un soutien pour le montage du mur lingual (avec la teinte émail) jusqu'au bord libre, sans chercher, à ce stade, à recréer les zones de contact proximales.

Le noyau dentinaire est ensuite monté avec la teinte dentine choisie. Les mamelons dentinaires sont recréés en préservant une zone de translucidité ; ils ne vont pas jusqu'au bord libre (fig. 9). Enfin, une couche d'émail est rajoutée en vestibulaire et au niveau du bord libre.

Finition et polissage

L'élimination des excès avec des fraises à finir, comme les fraises I-Pol® de chez Heraeus Kulzer, et le polissage à l'aide de disques de finition du type Pop-on® (3M ESPE) de granulométrie décroissante sont réalisés. De plus, des strips interdentaires sont passés en proximal.

Contrôle

Un contrôle de la restauration une semaine après est nécessaire afin de bien visualiser la teinte après réhydratation de la dent. Il est alors intéressant de comparer la dent restaurée au moment de la dépose du champ opératoire et la semaine suivante, la différence de saturation étant liée à l'hydratation naturelle de la dent (fig. 12 à 15).

Discussion

Dans un souci d'économie tissulaire, ont été privilégiées les thérapeutiques qui préservent l'intégrité et la santé de l'organe dentaire dans le but ultime de le conserver le plus longtemps possible, et ce notamment parce que le patient est jeune. C'est la raison pour laquelle une prise en charge orthodontique associée à la restauration de la 21 par technique directe au composite avait été choisie. En effet, cette technique de restauration directe au composite offre de nombreux avantages et est couramment utilisée car elle est souvent réalisable en une ou deux séances, a un coût biologique et financier réduit pour les patients, présente une longévité satisfaisante si un suivi clinique est réalisé et permet de répondre dans de nombreuses situations à la demande esthétique des patients.

En permettant la préservation des tissus, cette technique de restauration offre des possibilités de réintervention (rajout de composite, remarginage des bords) et garantit une évolution possible du traitement vers de la prothèse à l'âge adulte.

Néanmoins, dans d'autres situations cliniques telles que de grandes pertes de substance avec de nombreuses dents à restaurer, de dysharmonies anatomiques importantes, de parafonctions..., ce choix serait discutable car cette technique de restauration pourrait alors présenter certains facteurs limitatifs.

Enfin, le facteur opérateur est important et il faudra veiller à respecter scrupuleusement les protocoles de mise en oeuvre durant toutes les étapes du traitement.

Ici, malheureusement, le traitement global n'a pas pu aboutir, le patient ayant été perdu de vue. Il n'a donc pas été possible de retoucher le composite au niveau du bord libre, ni d'améliorer le polissage de cette restauration. La seconde phase du traitement orthodontique n'a pas pu, non plus, être réalisée. Manifestement,on peut dire qu'il a été répondu à la demande initiale de cet adolescent qui était de redresser ses dents mal positionnées au maxillaire et de corriger l'anomalie de forme et de structure localisée. En revanche, on peut se demander si le patient avait compris l'intérêt de la seconde phase du traitement orthodontique et les conséquences possibles de l'absence de suivi.

Cependant, même si le patient a été perdu de vue, cette solution thérapeutique reste satisfaisante. En effet, si cet adolescent revenait en consultation, on pourrait toujours réintervenir sur cette restauration si nécessaire, voire passer, à l'âge adulte, à des techniques prothétiques plus invasives.

Conclusion

La restauration au composite en technique directe d'anomalies dentaires localisées apparaît comme une solution thérapeutique à privilégier puisqu'elle permet une restauration esthétique et fonctionnelle à moindres coûts biologique et financier, permettant de différer l'échéance prothétique chez les patients jeunes.

Bibliographie

  • 1. Scully G, Welbury R, Flaitz C, Paes de Almeda O. A color atlas of orofacial health and disease in children and adolescents. Saint-Louis : Mosby-Year Book, 2002.
  • 2. Cameron A, Widmer RP. Handbook of pediatric dentistry. Saint-Louis : Mosby, 2003.
  • 3. Coffield KD, Philips C, Brady M, Roberts MW, Strauss RP, Wright JT. The psychosocial impact of developmental dental defect in people with hereditary amelogenesis imperfecta. J Am Dent Assoc 2005;136:620-630.
  • 4. Polder BJ, Van't Hof MA, Van der Linden FP, Kuijpers-Jagtman AM. A meta-analysis of the prevalence of dental agenesis of permanent teeth. Community Dent Oral Epidemiol 2004;32:217-226.
  • 5. Lehmann N, Seux D. Reconstitutions esthétiques postérieures. Apport du Ceram.X Duo. Clinic 2006;27:248-252.
  • 6. Lehmann N. Composite antérieur et stratification. Clinic 2005;26:191-197.

Fiche de synthèse clinique

Définition

Cette technique simple de restauration permet de reconstituer une dent grâce au montage par apports de couches successives de matériau composite en technique directe.

Indications

Lésions carieuses antérieures de sites 1 ou 2, stades 3 voire 4

Anomalie de structure ou de forme antérieure localisée

Restaurations post-traumatiques du secteur antérieur

Fermeture de diastème léger

Temps par temps

1. Examen clinique, recherche étiologique et prise de photographies initiales

2. Empreinte et réalisation de cires de diagnostic

3. Clé anatomique en silicone

4. Prise de teinte

5. Anesthésie locale

6. Mise en place du champ opératoire

7. Préparation dentaire

8. Essai de la clé anatomique

9. Conditionnement des surfaces dentaires

10. Montage du composite à l'aide de la clé anatomique

11. Dépose du champ opératoire

12. Finition, polissage et réglage de l'occlusion

13. Contrôles immédiat et médiat

14. Photographies postopératoires

15. Suivis clinique et radiographique