TRAUMATOLOGIE
Aurélie BESLOT-NEVEU* Tiphaine DAVIT-BÉAL** Françoise VILLETTE***
*Faculté de chirurgie dentaire Paris Descartes,
Service d'odontologie de l'hôpital Albert-Chennevier, Créteil.
**Faculté de chirurgie dentaire Paris Descartes,
Service d'odontologie de l'hôpital Charles-Foix, Ivry-sur-Seine.
***Faculté de chirurgie dentaire Paris Descartes,
Service d'odontologie de l'hôpital Bretonneau, Paris.
1 rue Maurice-Arnoux,
92120 Montrouge.
La gestion des traumatismes dentaires s'avère souvent délicate compte tenu du caractère d'urgence de ces consultations. Dans le cas d'avulsions complètes de dents permanentes, le pronostic est très fortement influencé par les conditions de la prise en charge. Cet article a pour objectif de faire le point sur les données actuelles de la littérature concernant le traitement d'urgence des dents permanentes explusées lors d'un traumatisme.
L'avulsion traumatique correspond à un déplacement complet de la dent hors de son alvéole. Ce type de traumatisme représente de 0,5 à 16 % des accidents traumatiques des dents permanentes et de 7 à 13 % des traumatismes de la dent temporaire [1]. Les étiologies sont variées : accidents de sport, accidents de la voie publique, rixes, chutes... Lorsque le traumatisme intéresse une dent permanente, la réimplantation peut être tentée. Il s'agit d'une véritable urgence et la consultation doit avoir lieu le plus rapidement possible après l'accident. Le rôle de l'odontologiste est alors primordial. En effet, dans ce type d'accidents, le chirurgien-dentiste peut être la première personne du corps médical à voir le patient après le traumatisme. L'entretien et l'examen clinique doivent être rigoureux de façon à pouvoir, si nécessaire, réorienter le patient vers un médecin généraliste ou un spécialiste. Dans ce contexte d'urgence, le praticien peut s'interroger quant à l'attitude à adopter. La réimplantation doit-elle être systématique après une avulsion traumatique ? Pour répondre à cette question, une analyse de la littérature internationale s'appuyant sur les principes de la dentisterie fondée sur les preuves ( evidence based dentistry ) a été réalisée. D'après les données publiées, nous tenterons de définir un protocole thérapeutique adapté aux différentes situations d'avulsions traumatiques. Ce protocole comportera deux parties : la première consacrée au traitement d'urgence, la seconde au traitement différé.
Le traitement d'urgence peut commencer avant même l'arrivée de l'enfant au cabinet dentaire par des conseils téléphoniques donnés aux parents ou aux personnes présentes au moment de l'accident. Ces conseils portent principalement sur le mode de conservation de la dent expulsée. De nombreuses études ont montré l'influence néfaste du temps extra-alvéolaire sur le pronostic, surtout lorsque la dent est conservée à sec [2, 3, 4et 5]. En effet, après 2 heures à sec, aucune cellule du ligament parodontal ne peut survivre [6]. Différents milieux ont été proposés pour garder la dent jusqu'à sa réimplantation. Les meilleurs seraient les milieux de culture cellulaire tels que le Viaspan® ou la Hank's Balanced Salt Solution®. Un autre milieu, le Propiolis® proposé par Martin et Pileggi 2004 [7], aurait des propriétés antibactériennes et anti-inflammatoires encore supérieures à celles des deux précédents. Cependant, ces milieux sont peu disponibles en France. Le lait serait un milieu correct (fig. 1), présentant une osmolarité et un pH favorables pour les cellules du ligament parodontal [8,9]. La conservation dans la salive est peu recommandée du fait de la septicité importante et de son caractère hypotonique. Il en est de même pour la conservation dans le vestibule buccal qui présente les mêmes inconvénients auxquels peuvent s'ajouter un problème psychologique et un risque d'ingestion. L'eau est très hypotonique et risque donc d'entraîner une lyse cellulaire. Cette solution ne doit donc être retenue que si aucun autre milieu n'est disponible [10].
Si la dent expulsée semble intacte (non souillée, non fracturée), l'idéal serait de la repositionner dans son alvéole sur le lieu même de l'accident [11]. Si cela n'est pas possible, elle doit être conservée dans un milieu adéquat comme le lait ou, à défaut, dans du sérum physiologique et réimplantée dans les plus brefs délais.
L'entretien médical est réalisé avec l'aide des parents ou des personnes accompagnant l'enfant. Il s'appuie également sur l'examen du carnet de santé qui peut permettre de repérer une pathologie générale contre-indiquant la réimplantation et de vérifier l'état des vaccinations (tétanos, hépatite...) [12]. Outre les informations habituelles concernant l'état civil et les antécédents médicaux et dentaires, cet entretien doit permettre l'obtention de données précises concernant le traumatisme. Le patient et son entourage doivent être invités à préciser non seulement l'heure de l'accident (qui détermine le délai d'intervention) mais aussi le lieu et les circonstances dans lesquelles est survenu le traumatisme. L'état général du patient doit être évalué afin de diagnostiquer tout signe pouvant évoquer un traumatisme crânien (maux de tête, nausées, vomissements, pertes de connaissance...) ou un autre traumatisme.
Lors de l'examen clinique exobuccal, l'inspection permet de relever la présence de plaies cutanées ou muqueuses et la palpation des rebords osseux celle d'une éventuelle fracture faciale (fig. 2).
L'examen endobuccal intéresse les muqueuses buccales mais aussi l'ensemble des dents présentes. L'accident peut avoir entraîné différentes lésions sur une ou plusieurs dents. L'occlusion doit être observée (fig. 3).
Après expulsion d'une dent permanente, la réimplantation peut généralement être tentée. Quelques situations contre-indiquent cependant ce traitement :
- une pathologie générale, notamment pour les patients présentant un risque infectieux, des déficits immunitaires congénitaux ou acquis... ;
- un gros fracas osseux ;
- un délabrement important de la dent avulsée (caries, fracture).
Notons ici qu'une dent temporaire ne doit pas être réimplantée en raison du risque très important, infectieux et mécanique, de lésion du germe de la dent permanente sous-jacente.
Pour certains auteurs l'anesthésie ne serait pas indispensable pour réimplanter une dent. Selon eux, le traumatisme serait à l'origine d'une sidération des centres de la douleur qui permettrait un repositionnement totalement indolore pour le patient [13,14]. Cependant, les plaies muqueuses ou d'autres traumatismes associés peuvent entraîner des sensibilités lors des différentes manipulations. Aussi aujourd'hui, dans un contexte où le contrôle de la douleur doit être une priorité, la réalisation d'une anesthésie locale est tout à fait justifiée. La décision sera bien sûr adaptée à chaque patient et à chaque situation clinique [15].
Le traitement de la dent avant sa réimplantation est déterminé par différents facteurs :
- le temps extra-alvéolaire ;
- le degré de contamination ;
- le stade de maturation radiculaire.
La dent ne doit être manipulée qu'en la tenant par la couronne de façon à préserver les cellules du ligament parodontal.
Pour une dent mature dont le temps extra-alvéolaire à sec est inférieur à 60 minutes , un simple rinçage au sérum physiologique ou à la chlorhexidine suffit. Si des signes de contamination persistent, un nettoyage délicat avec une compresse et du sérum physiologique peut être réalisé [10,16].
Si la dent expulsée est immature et que le temps extra-alvéolaire à sec est inférieur à 60 minutes , elle sera nettoyée de la même façon au sérum physiologique ou à la chlorhexidine. Toutefois, contrairement à la dent mature, une revascularisation est possible. Pour favoriser cette revascularisation, plusieurs auteurs ont proposé d'immerger la dent dans une solution d'antibiotique tel que la doxycycline (1 mg pour 20 ml de sérum physiologique) pendant 5 minutes [17, 18et 19]. Cvek et al . [17], dans une étude réalisée sur des incisives de singes extraites puis réimplantées, ont montré que l'application topique de doxycycline augmente les chances de revascularisation pulpaire complète et diminue le risque de retrouver des micro-organismes dans la lumière canalaire ainsi que la fréquence des résorptions radiculaires externes.
Ritter et al . [20], dans une autre étude portant sur 34 dents immatures de chiens extraites conservées à sec 5 minutes puis immergées dans de la minocycline, de la doxycycline ou du sérum physiologique et réimplantées, ont montré que la revascularisation était significativement plus fréquente après traitement local de la dent avec une solution d'antibiotique.
Lorsque le temps extra-alvéolaire à sec est supérieur à 60 minutes , les cellules du ligament parodontal ne peuvent survivre. L'ensemble des débris nécrotiques pulpaires et parodontaux doit être éliminé mécaniquement par curetage, ou chimiquement en utilisant de l'EDTA à 2,4 %, de l'acide citrique ou de l'hypochlorite de sodium [10]. Il est ensuite recommandé d'immerger la dent dans une solution de fluorure de sodium à 2,4 % pendant 20 minutes. Selon Flores et al . [16], dans le cas d'une dent permanente immature restée au sec pendant plus de 1 heure, la réimplantation est contre-indiquée car la régénération des tissus pulpaires et parodontaux est improbable.
Le traitement endodontique des dents expulsées et réimplantées sera abordé dans la seconde partie de cet article publiée dans le prochain numéro de la revue.
Après expulsion d'une dent, un caillot va se former à l'intérieur de l'alvéole. Il doit être désorganisé par irrigation au sérum physiologique. En cas de fracture d'une paroi alvéolaire, le fragment osseux doit être repositionné. Ce n'est que si les fractures osseuses interfèrent encore avec la réimplantation qu'un lambeau est réalisé [10].
L'Emdogain (Straumann) est un produit composé de protéines matricielles amélaires hydrophobes extraites à partir d'émail porcin embryonnaire commercialisé depuis 1992. Il favoriserait la régénération du cément, du ligament parodontal et de l'os. Son utilisation a été proposée et recommandée par l'Association internationale de traumatologie dentaire [16], en application sur la racine et dans l'alvéole avant réimplantation pour favoriser la guérison du ligament parodontal et prévenir l'apparition des résorptions.
Iqbal et al . [21], d'après une étude expérimentale réalisée chez le chien, ont montré que l'ankylose était moins fréquente après traitement à l'Emdogain. Mais récemment, Schjott et Andreasen [22] ont publié une étude clinique portant sur 16 dents réimplantées après traitement de l'alvéole et de la racine à l'Emdogain, dont les résultats semblent beaucoup moins optimistes. En effet, ils rapportent des taux d'ankylose de 50 % à 2 mois, de 59 % à 4 mois et de 100 % au bout de 1 an. Les preuves de l'efficacité de l'Emdogain en matière de prévention des résorptions après réimplantation ne semblent pas suffisantes aujourd'hui pour généraliser son utilisation.
Le repositionnement de la dent avulsée se fait par une pression digitale douce et continue sur le bord incisif. Un contrôle radiographique peut être réalisé pour s'assurer de son bon positionnement (fig. 4).
Une contention semi-rigide est réalisée afin de permettre la cicatrisation parodontale et la formation d'une nouvelle attache. Différents types de contentions peuvent être réalisés. La solution choisie doit répondre à un certain nombre de critères [23] :
- être facile à mettre en oeuvre et à déposer ;
- permettre une fixation stable tout en autorisant la résilience physiologique de la dent ;
- permettre une bonne cicatrisation des tissus mous ;
- ne pas entraver l'occlusion ;
- ne pas entraîner de force orthodontique active ;
- permettre l'hygiène.
Les contentions de type « arc Dautrey », fréquemment réalisées dans les services de stomatologie, sont particulièrement traumatisantes pour le parodonte. Une contention par fil métallique collé avec des plots de composite sera préférée [24] (fig. 5). Certains auteurs ont également proposé d'utiliser des boîtiers orthodontiques ou « brackets » pour réaliser ces contentions semi-rigides[25].
Pour une avulsion simple, la contention est maintenue pendant 7 à 14 jours. En revanche, en cas de fracture alvéolaire associée, la durée de la contention est de 4 à 6 semaines [1].
L'AFSSAPS, dans son rapport sur la prescription des antibiotiques, recommande de prescrire des antibiotiques par voie systémique après réimplantation pour prévenir le développement d'une infection dans la semaine suivant le traumatisme. De plus, l'administration d'antibiotiques systémiques limiterait l'apparition de résorptions radiculaires externes [26].
Andreasen [27] propose l'administration de 1 000 mg d'amoxicilline d'emblée puis de 500 mg 3 fois par jour pendant 4 jours. La prescription doit évidemment être adaptée au poids de l'enfant (50 mg d'amoxicilline par kilo et par 24 heures en 3 prises).
D'autres auteurs préconisent une antibiothérapie fondée sur les tétracyclines comme la doxycycline [11,28].
Outre l'antibioprophylaxie, seront aussi prescrits des antalgiques et des bains de bouche permettant d'améliorer l'hygiène bucco-dentaire [9].
Le praticien se doit de donner au patient et à sa famille tous les conseils favorisant une bonne guérison. Les sollicitations excessives de la dent réimplantée seront à éviter. Une alimentation molle est préconisée dans les jours suivant l'accident. Par la suite, le chirurgien-dentiste demandera au patient de ne pas croquer un sandwich ni de mordre dans une pomme. L'hygiène bucco-dentaire doit être la meilleure possible. Outre un brossage rigoureux, des bains de bouche sont à réaliser avec une solution antiseptique pendant 1 semaine. Enfin, les complications étant très fréquentes après réimplantation, la notion de suivi est essentielle et doit être bien expliquée au patient ou à ses parents [16]. Une partie importante de la prise en charge d'une avulsion traumatique a ainsi lieu de manière différée (fig. 6 à 9). Cette dernière sera abordée dans la seconde partie de l'article publiée dans le prochain numéro de Clinic.
Le certificat médical initial est descriptif et doit être remis en mains propres au patient ou à ses parents pour tout traumatisme. Il représente le support médico-légal et juridique de la réparation du dommage quel qu'il soit, accidentel ou non, qui permet remboursement et indemnisation. Il doit comporter le nom, la qualité et les coordonnées du praticien, des informations sur l'identité du patient (nom, prénom, date de naissance, adresse...), ses doléances, la description des dommages subis la plus complète possible et le traitement réalisé en urgence. Il n'est pas souhaitable, dans ce certificat, d'être péremptoire quant aux choix thérapeutiques ultérieurs. L'incertitude du pronostic pulpaire, parodontal et esthétique doit être mentionnée [29].
Aujourd'hui encore, il existe un manque d'information des parents et de l'ensemble des personnes pouvant être confrontées à un tel accident (enseignants, animateurs...). Les dents expulsées sont trop souvent conservées dans de mauvaises conditions (dans un mouchoir, dans une poche...) et les délais avant consultation généralement trop importants. Les praticiens odontologistes ont donc un rôle à jouer en informant leurs patients afin d'améliorer les connaissances des protocoles, notamment en ce qui concerne la conservation d'une dent expulsée. Le temps extra-alvéolaire est très important en matière de pronostic, la réimplantation doit donc être réalisée le plus rapidement possible (fig. 10).
Les complications sont fréquentes après réimplantation, particulièrement pour les dents permanentes immatures. Toutefois, la réimplantation est toujours une bonne solution de transition même lorsque le pronostic à moyen ou long terme est très mauvais. La réimplantation devrait donc toujours être tentée (en l'absence des quelques contre-indications citées dans l'article). En effet, elle apporte au moins une solution d'attente permettant de conserver une hauteur d'os alvéolaire adéquate et de maintenir l'espace et l'esthétique avant la réalisation ultérieure éventuelle d'une restauration prothétique.