Hôpital d’Instruction des Armées Percy En ville comme au combat - Clinic n° 05 du 01/05/2011
 

Clinic n° 05 du 01/05/2011

 

REPORTAGE

L’hôpital d’Instruction des Armées Percy est l’un des 9 hôpitaux militaires de l’Hexagone. La réputation de son service d’odontologie n’est plus à faire. Les soins prodigués aux civils comme aux militaires relèvent d’une vision globale du patient. C’est l’interaction entre les différentes spécialités de l’hôpital qui fait la cohésion de la prise en charge.

Vu du ciel ou de loin, le bâtiment central de l’hôpital d’instruction des armées (HIA) Percy* – 60 000 m2 sur 8 niveaux – ressemble à un sous-marin. Situé sur les hauteurs de Clamart, dans les Hauts-de-Seine, l’établissement, où se côtoient l’ancien et le moderne dans une combinaison de lignes courbes et de droites, dispose de beaucoup d’espace. L’architecte a utilisé au mieux la déclivité du terrain pour permettre à tous les services des étages inférieurs d’avoir accès à la lumière extérieure.

Il règne au sein de l’hôpital, où travaillent un millier de personnes, une atmosphère particulière, une impression de calme et d’organisation optimale de la circulation du patient. Dès l’entrée, une hôtesse d’accueil oriente les nouveaux venus. Le hall central est immense. Surmontée d’une verrière, cette zone de dégagement abrite palmiers et plantes grasses et offre, à travers une grande baie vitrée, une vue imprenable sur la ville. L’architecture favorise la cohésion entre les services cliniques situés de part et d’autre de l’espace.

Le cabinet dentaire, installé au rez-de-chaussée, fonctionne en lien avec le service de chirurgie maxillo-faciale et de stomatologie dirigé par Olivier Giraud, le tout étant placé sous la direction du médecin en chef Éric Bey, chirurgien plasticien, chef du département et professeur agrégé : la reconstruction est une discipline essentielle dans la prise en charge des blessés de guerre, « dans la lignée de la tradition des gueules cassées », explique le chirurgien-dentiste en chef, Franck Denhez, responsable du cabinet dentaire. « Le service des grands brûlés fait aussi partie de cette activité mixte qui représente bien l’interaction qui est au cœur de l’esprit de l’hôpital. Nous nous confrontons parfois à des prises en charge difficiles, des bouches compliquées à soigner. Par ailleurs, la mise en commun des moyens fait écho à la mutualisation en cours dans le secteur hospitalier », poursuit le praticien.

Esprit d’échange

Outre sa mission de soutien aux forces armées, l’hôpital d’instruction des armées Percy, géré par le Service de santé des armées, concourt au service public hospitalier et, comme les centres hospitalo-universitaires, assure une triple mission de soins, d’enseignement et de recherche. Il présente l’avantage d’être tout proche de la base aérienne militaire de l’Escadron de transport, d’entraînement et de calibration de Villacoublay. L’établissement est spécialisé dans la prise en charge des traumatismes, des urgences.

La spécificité du cabinet dentaire réside dans le fait qu’il se trouve au sein d’une structure hospitalière et dispose d’un plateau technique complet avec trois salles de soins, une salle de chirurgie et un laboratoire de prothèses. La stérilisation, la radiologie et le laboratoire pour les bilans biologiques sont centralisés au sein de l’hôpital. « Notre volonté est de nous imprégner de l’esprit de l’hôpital, il s’agit d’une façon de fonctionner sans cloisonnement », explique Franck Denhez, qui, comme les autres praticiens de l’hôpital, ne porte pas d’uniforme. La communication, l’échange entre services et praticiens est essentielle. « Souvent la dent n’est plus la priorité. L’activité de chirurgie buccale est un véritable exercice à but médical. Ici, on relativise les problèmes : s’il le faut, on retirera une dent dans le cas d’un patient en chimiothérapie. Le patient est notre priorité. » L’ambiance de travail et la cohérence des soins rassurent les patients qui « arrivent souvent avec le sourire et repartent… avec le sourire », s’amusent Rose Rodin et Véronique Terki, les 2 assistantes du service. À l’accueil, Aurélie Vavasseur, secrétaire médicale et sergent-chef, fait le lien entre les patients et les praticiens.

Les patients en ambulatoire représentent 80 % de la patientèle, bien que le cabinet accueille aussi des personnes hospitalisées, en fauteuil ou dans leur lit. La priorité est donnée aux militaires. En moyenne, de 10 à 12 personnes y sont soignées chaque jour et par praticien, mais les délais d’attente sont longs : de 3 mois à plus, excepté pour les urgences et les « demandes particulières » : hommes d’État, personnalités…

Qualité et sécurité de soins

« À Percy, nous sommes très attentifs à la qualité, au relationnel pour la patientèle civile comme pour les militaires », assure le médecin général inspecteur Christian Plotton, directeur de l’établissement. Le panel d’activités du service est différent de celui d’un cabinet dentaire classique car, outre une diversité de ses activités (implantologie, chirurgie buccale…), il y a l’approche médicale. « Nous prenons aussi en charge des problématiques de dents pourvoyeuses de sinusites en pratiquant des interventions couplées avec le service d’ORL. Ou encore des situations spécifiques de manifestations en bouche, à la suite des chimiothérapies ou des greffes. Sans oublier la dermatologie buccale », ajoute le chef de service.

Après avoir terminé sa thèse en 1991 à la faculté dentaire de Lille, Franck Denhez est devenu militaire. « La pratique hospitalière, la mobilité, l’idée de structure polyvalente et le travail en équipe, tout cela m’a plu. » Après 4 années à l’hôpital militaire de Brest et plusieurs diplômes, dont un DU d’implantologie et un autre de criminalistique, il entre à l’hôpital Percy. Passionné par la dentisterie au sens large du terme, il travaille également avec le Centre de transfusion sanguine des armées sur les cellules souches dans le tissu conjonctif gingival : « Les fibroblastes sont très intéressants car ils ont une capacité de différenciation. Ils se comporteraient un peu comme des cellules souches : cela pourrait fabriquer du tissu conjonctif. » Une alternative pleine d’avenir dans le cadre de la reconstruction maxillo-faciale.

Dans le « cabinet dentaire », les patients sont soignés par 3 chirurgiens-dentistes des armées, dont le chirurgien-dentiste principal Pierre Zimmermann, des vacataires officiers de réserve et deux étudiants de 6e année de la faculté de chirurgie dentaire Paris-Descartes. Il existe une collaboration entre cette dernière et le Service de santé des armées. Une convention signée en 2005 permet à des étudiants de 6e année d’effectuer 2 vacations hospitalières par semaine dans les services d’odontologie de 4 hôpitaux militaires de la région parisienne : l’HIA Bégin à Saint-Mandé, l’HIA du Val-de-Grâce à Paris, l’hôpital des Invalides et l’HIA Percy.

Tout en diversifiant le terrain de stage hospitalier pour les étudiants, ce partenariat permet de renforcer la capacité de prise en charge des soins dentaires des patients des hôpitaux des armées. Le choix des étudiants se fait en fonction du classement de leurs résultats écrits de fin de 5e année. « Chaque année, le major de promotion de fin de 5e année a choisi de faire ses stages hospitaliers de 6e année dans un hôpital militaire », spécifie Franck Denhez. Les étudiants ont la possibilité d’effectuer divers traitements sur les patients : parodontologie, chirurgie buccale, implantologie, soins conservateurs, endodontie, prothèses fixes et amovibles.

L’art de la réparation

Installé au bout du cabinet dentaire, le laboratoire de prothèses ressemble à un atelier d’artiste : du matériel de pointe, un peu de désordre, des mouvements précis. « Hormis une activité importante de prothèses sur implants, on déborde du cadre de la bouche : faux nez, orthèses auriculaires, conformateurs, reconstruction d’oreilles avec implants extra-oraux… La prise en charge de nos patients est globale, surtout lorsqu’ils ont subi de graves accidents, comme les bouches polyfracturées de soldats évacués. » Christophe Lesseure y travaille depuis 12 ans avec 2 autres prothésistes : Jean-Pierre Baron et Michel Bonneau. « C’est un peu le hasard qui m’a amené ici où les conditions de travail sont agréables avec une infrastructure de qualité et de très bons contacts avec les praticiens. La variété des travaux à effectuer est intéressante et puis nous participons aux soins du patient de A à Z. On voit le patient et cela change toute l’approche du métier », développe-t-il, une prothèse de compression pour les grands brûlés à la main. « Cette prothèse permet d’éviter que des plis de peau de greffe se forment, avec un phénomène de brides. » L’approche clinique se juxtapose à un gros travail d’équipe qui soude et renforce chaque maillon de la prise en charge du patient.

« J’apporte cette céramique pour le glaçage, la dernière étape,explique Pierre Zimmermann en entrant dans le laboratoire,une céramique entre les doigts. Ici, nous l’essayons tout de suite dans la bouche du patient et si cela convient, je finalise 20 minutes après : le patient n’aura pas besoin de revenir. » À quelques mètres de là, dans la salle de chirurgie, Franck Denhez pose un implant sous anesthésie locale à un gendarme. À ses côtés, les 2 assistantes officient. Titulaires du diplôme d’aide-soignante, elles apprécient la diversité de leurs fonctions. L’une se dirige vers la salle de préparation à la stérilisation du cabinet où elle commence à mettre les instruments en kits de conditionnement sur des plateaux, après trempage, grattage et nettoyage : « Tout cela partira à 15 heures dans des bacs récupérés par les « tortues » dans un espace spécifique, au bout du couloir, et reviendra demain, stérilisé. » Les « tortues » ? Il s’agit d’un système électronique de robots, tels des minipalettes de manutention, qui se baladent, via des ascenseurs, entre les étages et redescendent le matériel placé dans des bacs à la stérilisation centrale, au sous-sol.

Avant et après le combat

La prévention, l’hygiène et la réparation sont au cœur de la prise en charge des militaires. « Il est indispensable que leurs dents soient maintenues en état, particulièrement avant leur départ sur le terrain. Une bouche en mauvais état peut être un vrai problème en situation de guerre », précise Pierre Zimmermann. Tout militaire va faire l’objet d’un point sur son état bucco-dentaire : pas de foyers infectieux, de microfractures, de problématiques qui risquent de provoquer des situations d’urgence notamment dans un sous-marin ou lors de la dépressurisation en plongée ou en vol. Les règles de sécurité, que ce soit dans les soins ou sur le terrain, sont très protocolaires. Pour les interventions chirurgicales, l’anesthésiste et l’infirmière restent dans la salle : « C’est très rassurant, même si parfois les gestes sont un peu académiques », reconnaît Franck Denhez.

La prise en charge des blessés de guerre est une activité régalienne qui dépend en grande partie des rapatriements, environ 300 par an, de toutes les zones du théâtre d’opérations extérieures. Les causes de traumatismes faciaux importants sont les blessures par balles, les accidents de la circulation, les explosions… Les blessés de retour d’Afghanistan représentent environ 30 %, toutes causes confondues : « C’est le plus gros pourvoyeur en volume et en gravité, après les régions d’Afrique comme le Gabon, le Tchad, Djibouti… », explique le directeur des soins de l’hôpital. Arrivé à l’hôpital Percy en 2004, ce cardiologue exerçait auparavant à l’hôpital du Val-de-Grâce. « Ici, même s’il n’a pas la même capacité que les autres services de l’hôpital, le cabinet dentaire est un service intégré à la structure, de même que la stomatologie pour la chirurgie réparatrice maxillo-faciale auprès des blessés de guerre. » Mais le service pourrait prendre du galon d’ici à 2015… avec l’installation de l’état-major des armées à Balard : un grand changement qui risque de drainer beaucoup de patients militaires, en particulier pour les urgences. Pour un combattant, la santé bucco-dentaire est une nécessité.

* Hôpital d’Instruction des Armées Percy. 101, avenue Henri-Barbusse, 92140 Clamart Tél. : 01 41 46 60 00

Hôpital Percy, un peu d’histoire

Il y a plus d’un siècle, un établissement pavillonnaire consacré essentiellement aux maladies infectieuses et contagieuses est créé sur le site actuel de l’hôpital et porte le nom du baron Pierre-François Percy (1754-1825), chirurgien en chef de la Grande Armée de Napoléon, sous la Révolution et l’Empire et « père » de la chirurgie militaire moderne. En 1982, le nouveau centre de traitement des grands brûlés y ouvre ses portes et, en 1996, après 4 années de travaux et de remise aux normes modernes de l’hospitalisation, le nouvel hôpital ouvre ses portes et s’inscrit dans une démarche d’amélioration continue de la qualité des soins. Le Service de santé fusionne avec l’hôpital d’Instruction des Armées Dominique Larrey, situé à Versailles.

Aujourd’hui, l’« îlot Percy » est réputé pour sa grande polyvalence. Il accueille, hormis le monobloc hospitalier qui intègre le Centre de traitement des brûlés (CTB), trois autres établissements de santé des armées : le Centre de transfusion sanguine des armées (CTSA), le Centre principal d’expertise médicale du personnel navigant (CPEMPN) et le Service de protection radiologique des armées (SPRA).

Chirurgien-dentiste de terrain

Sarajevo, Tchad, Asie…, Franck Denhez, comme ses confrères, est parfois envoyé en mission de 2 à 3 mois. « Lors des opérations extérieures, sur place, nous prodiguons des soins aux autochtones, faisons de la formation aux actions civilo-militaires et travaillons avec les organisations non gouvernementales. L’objectif est de rendre service avec notre compétence. »

Expert judiciaire pour l’identification des cada­vres, il était sur place après le tsunami du 26 décembre 2004, qui a fait plus de 200 000 morts. « Soixante pour cent des Français ont été identifiés grâce à leurs dents car elles résistent à la chaleur, à la décomposition. La formule dentaire et son caractère discriminant sont un excellent moyen d’identification. Enfin, on ne peut pas chercher l’ADN de la pulpe dentaire tout de suite et cette démarche n’est pas la meilleure car il peut arriver que l’on mette à jour des filiations différentes ou que l’ADN ait été pollué par celui du cadavre voisin. »