Soins spécifiques de l'enfant - Clinic n° 08 du 01/09/2009
 

Clinic n° 08 du 01/09/2009

 

ENQUÊTE

Catherine Faye  

L'odontologie pédiatrique, ou pédodontie, s'attache à traiter les différentes pathologies bucco-dentaires de l'enfant en prenant en compte les phénomènes de croissance et de dentition. La prévention tient une place essentielle dans l'approche spécifique du praticien qui prépare l'avenir bucco-dentaire de futurs patients adultes. À ce jour, cette discipline n'est pas reconnue comme une spécialité en France. Elle sera néanmoins représentée lors du « Congrès pédiatrie », en juin 2010.

n « La différence entre un pédodontiste et un omnipraticien est la même qu'entre un pédiatre et un médecin généraliste : nous avons une formation complémentaire et adaptée et, surtout, un regard particulier », explique Éric Fiszon, unique pédodontiste messin. « Certains de mes patients font 60 km pour venir me voir... ». Seuls quelques praticiens se consacrent aux enfants en France et la majorité des jeunes patients est soignée par des omnipraticiens. Quelles sont les particularités de la pédodontie ? Pourquoi est-elle si peu pratiquée en France ? Et quel est son avenir ? Qui soigne les dents des enfants ? « L'odontologie pédiatrique est une spécialité qui n'existe pas en France, alors que c'est la troisième ou quatrième en nombre en Europe », commente Jean-Patrick Druo, président de la SFOP (Société française d'odontologie pédiatrique) et pédodontiste parisien. « Cet exercice exclusif ne peut plus figurer sur une carte de visite professionnelle depuis 9 ans, à la différence de l'orthodontie. Nous sommes dans la même situation que les endodontistes ou que les parodontistes. » Entre 60 et 70 praticiens, sur 38 000 dans tout l'Hexagone, se consacrent à cette exclusivité. Un tiers est installé à Paris et en région parisienne.

Prévenir et soigner

Observer la position des dents et l'état général, repérer les problèmes, traiter, établir un suivi régulier... Les pédodontistes soignent notamment les dents en formation (apexogenèses, apexifications) ou les dents temporaires. Chez les patients polycariés ou les enfants qui ont une dysplasie ectodermique, ils remplacent, si nécessaire, certaines dents par des prothèses : cela leur permet de s'alimenter correctement, d'éviter les problèmes de croissance ou d'image d'eux-mêmes (à l'école, par exemple). « Je reçois beaucoup d'enfants présentant un grand nombre de caries ou difficiles à soigner. Ils me sont souvent adressés par un confrère qui préfère me passer le relais, soit par phobie, soit en raison de la difficulté d'une bouche polycariée ou de défauts de minéralisation sur des dents permanentes », raconte Jean-Patrick Druo. Certains de ses patients n'ont que 1 ou 2 ans et viennent déjà pour des dents traumatisées, des problèmes d'éruption, des caries dues à une alimentation mal équilibrée.

Manque d'hygiène, de prévention, de fluoration... Pourtant, comme le souligne Éric Fiszon, « il n'y a pas de fatalité à la carie. L'urgence est de renforcer les mesures de prévention et de s'occuper des dents temporaires des enfants, sinon on entre dans un cercle vicieux ». Les problèmes peuvent être interceptés vers 3 ans et demi, notamment pour des déviations importantes à régler précocement : « Et quand ils sont plus grands, on les adresse à un orthodontiste. » Mathieu Derbanne, pédodontiste parisien, ajoute : « Lorsqu'il y a une dent de sagesse à extraire chez un adolescent, je l'envoie vers un correspondant omnipraticien à tendance chirurgien. » Il reste persuadé qu'un bon omnipraticien peut soigner un jeune patient plutôt que de l'envoyer à un pédodontiste. La différence réside plutôt dans l'abord psychologique et l'envie de s'occuper d'enfants. « Je trouve ça plus intéressant que de mettre une couronne. On prépare l'avenir de leurs dents, s'enthousiasme-t-il. En deux mots : moi, je prépare plutôt que je ne répare ! Et cette optique me fait plaisir. Si un enfant aborde les soins dentaires tranquillement, avec un praticien qui sait y faire, il retournera sans difficulté chez le chirurgien-dentiste plus tard. »

Une approche différente...

L'approche psychologique est indispensable et facilite une relation particulière entre l'enfant et le praticien. « Un petit patient doit arriver en souriant et repartir en souriant », insiste Mathieu Derbanne. Il s'est associé à un orthodontiste, comme beaucoup de ses confrères. Dans sa salle d'attente, des livres. Dans sa salle de soins, des dessins et une fresque avec des baleines et un petit bonhomme dans une coque de noix. Pas de projection de DVD pour distraire l'enfant. « C'est la communication qui prime. En évitant certains mots comme «piqûre», et sans raconter d'histoires : ce pourrait être pire pour une prochaine fois... » Autre impératif : minimiser l'attente pour que la tension ou l'agitation ne monte pas. « Je fais le clown et ça marche plutôt pas mal. L'atmosphère est détendue. » La position de la main est déterminante, pour cacher une injection en cas d'anesthésie, par exemple, « mais après je montre les instruments, les jets d'eau... » En un mot, adapter le discours, mesurer, jongler avec les gestes, les paroles... Les parents ont aussi un rôle essentiel : « Comme en pédiatrie, c'est un dialogue à trois. Il faut les intégrer dans la prise en charge de leur enfant, les faire jouer et savoir en jouer ».

... et une prédisposition

« J'aime les relations que créent les enfants. Il n'y a que la vérité qui paye », affirme Marguerite-Marie Landru, maître de conférences des Universités (Paris-V), praticien hospitalier et responsable de la consultation d'odontologie pédiatrique à l'hôpital Albert-Chenevier de Créteil. À ses côtés, Fadi Bdeoui, praticien hospitalier à plein temps, ajoute : « C'est aussi un défi. Ici, nous soignons des jeunes patients que personne n'a pu ou voulu prendre en charge ailleurs. » Existe-t-il une recette pour soigner les enfants ? Plutôt une alchimie entre amour des enfants, patience, méticulosité, ponctualité, franchise et compétences spécifiques. « J'adore m'occuper de gamins, même si c'est difficile, certifie Mathieu Derbanne. Certains omnipraticiens ont peur de leur faire mal, d'y passer trop de temps. Les enfants remuent, crient, rigolent. Il faut négocier. Et puis soigner un enfant est moins rémunérateur. » Les facultés dentaires dispensent un enseignement sur la pratique odontologique auprès des enfants, mais la plupart des étudiants s'orientent plus volontiers vers l'orthodontie et l'implantologie. « Les étudiants veulent être rémunérés correctement et bénéficier d'une bonne qualité de travail... », explique Louis-Frédéric Jacquelin, doyen de la faculté dentaire de Reims et président du Collège des enseignants. « La pédodontie intéresse une frange de la profession encore très marginale. Il n'y a pas beaucoup d'omnipraticiens avec une orientation plus poussée vers l'enfant. Soyons réalistes : comment inciter les praticiens à se spécialiser dans les soins de l'enfant alors que les actes sont insuffisamment valorisés ? Comment concilier des soins de qualité avec une nomenclature obsolète ? Si seulement la profession avait une vision commune et que l'écoute gouvernementale était meilleure ! » Frilosité, peur de manquer, de perdre quelque chose. Sans compter que cette exclusivité ne peut être indiquée dans les annuaires, sur les plaques professionnelles... « J'ai trois moyens pour me faire connaître, reconnaît Éric Fiszon. Les pédiatres, à qui je me suis présenté au moment de mon installation, mes confrères omnipraticiens qui m'envoient un enfant s'ils rencontrent une difficulté dans leur prise en charge et, surtout, le bouche à oreille. » Le réseau, qui inclut aussi les orthodontistes, constitue une base de travail efficace et complémentaire.

Une question d'organisation

Soigner les dents de jeunes patients, c'est avant tout une façon de travailler. « Les enfants, c'est «chronophage», on ne peut pas les prendre en charge en moins d'une demi-heure. Et avant 8 ans, cela va facilement jusqu'à 1 heure : conseils d'hygiène, de nettoyage. Pour gérer l'appréhension des enfants, la gestion du temps est importante », explique Jean-Patrick Druo. Le rôle de l'assistante est essentiel. « Quand un enfant est stressé, elle s'occupe du reste et me permet d'être tout à mon petit patient. Elle se charge aussi de parler aux parents stressés, fait un travail de préparation et d'encadrement », développe Mathieu Derbanne. Collaboration et complémentarité donc. « Le travail avec mon assistante est un perpétuel enchaînement, ajoute Jean-Patrick Druo. Si l'acte devient trop long, l'enfant s'agite et on risque de perdre sa collaboration. C'est un exercice très particulier. » L'objectif est de ne pas perdre l'attention du patient et de travailler avec la réalité de son quotidien : après 16 h 30, par exemple, les jeunes enfants sont plus excités qu'avant cette heure-là.

Préparer plutôt que réparer

Pour Gérard Couly, chef du service de chirurgie maxillo-faciale et de stomatologie de l'enfant de l'hôpital Necker-Enfants malades, l'odontologie pédiatrique revêt 4 dimensions : temps, complexité des approches, orthodontie et état de santé de l'enfant. Il insiste sur le laxisme général en ce qui concerne les dents et plus spécifiquement celles des enfants. « Cela fait partie de notre culture : nos grands-parents ne se lavaient pas les dents et quand on avait de mauvaises dents, c'était une fatalité. Ça n'a pas beaucoup changé. Même chose pour les dents temporaires, les gens pensent qu'il n'y a pas lieu de s'en occuper. C'est dans l'inconscient collectif. » Il prône la prévention à partir de 6 mois : brossage, fluor et modulation raisonnée des sucres. Et il a convaincu une chaîne de télévision pour les enfants de passer un flash toutes les heures : « N'oublie pas de te brosser les dents ! » Enfin, voir les enfants entre 1 et 2 ans permet de les éduquer et d'éviter le phénomène de l'appréhension du cabinet. « Notre travail, c'est beaucoup de prévention , appuie Jean-Patrick Druo. Soixante pour cent des enfants sont indemnes de caries à 12 ans, mais 20 % portent 80 % des caries. Les premières molaires sont touchées à 21,7 % et on note déjà des atteintes sur les deuxièmes molaires, pourtant d'apparition récente. Si on les voyait régulièrement, les résultats ne seraient pas les mêmes. » Mais Louis-Frédéric Jacquelin reste sceptique : « Où est le message ? L'État s'est désengagé. La problématique bucco-dentaire est pourtant aussi importante que les maladies sexuellement transmissibles. » Pourtant, la Caisse nationale d'assurance maladie a lancé une campagne nationale de prévention des dents, « M'T dents », pour inciter enfants et familles à se rendre dans les cabinets dentaires sans tarder. Mais les services dentaires hospitaliers n'ont pas le droit d'en faire bénéficier leurs patients !

Aux États-Unis, l'odontologie pédiatrique est reconnue depuis la fin de la seconde guerre mondiale comme spécialité. Quand le sera-t-elle en France ? « Si on ne revalorise pas cette spécificité, tant au niveau de sa valeur que des honoraires... », se désole Éric Fiszon. L'hygiène bucco-dentaire de l'enfant a un impact sur la santé, le bien-être et l'état général de l'enfant. Et les pédodontistes ont un rôle à jouer. Gérard Couly insiste : « C'est un véritable problème et ça l'est encore plus quand l'enfant est malade, a des pathologies chroniques ou complexes. Si on rajoute de la souffrance à la souffrance, c'est là l'échec de la santé publique. J'ai reçu dans mon service un enfant hémophile avec une dent délabrée à extraire. Il a fallu l'endormir, lui mettre des gouttières spéciales et l'hospitaliser pendant 5 jours. Si cet enfant avait eu une hygiène dentaire, tout cela n'aurait pas été nécessaire. Et on aurait fait économiser 1 000 euros par jour à la Sécurité sociale. »

Une souffrance qui s'ajoute à la souffrance

Problèmes financiers et cultures alimentaires ont des effets désastreux sur les dents des enfants. « Au CHU de Reims, on nous demande de pratiquer des soins hors nomenclature dans un contexte de population défavorisée. Mais que faire quand la maman d'un enfant polycarié n'a plus de soutien familial ni de lien intergénérationnel ? Depuis 15 ans, la patientèle est de plus en plus défavorisée et les enfants de ces milieux précaires ont de plus en plus de caries. Comment concilier le service public et une logique comptable de la santé ? », s'emporte Louis-Frédéric Jacquelin. Gérard Couly estime que « 80 % des dents temporaires des enfants défavorisés sont cariées ainsi que 60 % des dents permanentes. Il m'arrive d'avoir des petits patients de 5 ans avec 20 dents temporaires cariées. » Ce n'est que la douleur de l'enfant qui fait réagir les parents.

Les consultations d'odontologie pédiatrique accueillent souvent aussi les enfants handicapés ou en longue maladie. « Dans les facultés dentaires, les enfants sont très bien soignés, reconnaît Gérard Couly. Les CHU sont une bonne alternative pour accueillir les enfants qui ont besoin de soins dentaires spécifiques. » Mais ils sont surchargés. À l'hôpital Necker, il accueille les enfants malades, handicapés... tout ce que la pédiatrie compte de pathologies. « Ce sont des enfants qui subissent des traumatismes et qui ont l'angoisse d'ouvrir la bouche. J'ai eu le cas d'une petite fille qui avait vu 15 chirurgiens-dentistes ! Ça ne s'improvise pas de soigner un enfant. »

Société française d'odontologiepédiatrique

Créée en 1966, la SFOP rassemble les praticiens impliqués dans la prophylaxie et les traitements bucco-dentaires des enfants, handicapés ou non. Ses membres exercent en milieu hospitalier ou en secteur privé libéral. L'association a pour objectif de promouvoir la santé dentaire des enfants, de favoriser l'éducation sanitaire, de dépister les sujets à risque. Forte de ses quelque 250 membres, elle permet de tisser des liens, de trouver des consensus, de parler de nouvelles techniques et de matériaux. Et d'avancer en matière de qualité, de sécurité, de rapidité. Cette société scientifique organise un congrès national annuel dont le tout dernier a porté sur la traumatologie : universitaires, scientifiques, praticiens de très haut niveau s'y réunissent.

Du côté des pays scandinaves

Norvégienne, Bothild Kverneland est praticien hospitalier attachée en pédodontie et chirurgie dans le service de stomatologie de l'hôpital Necker, à Paris. Diplômée de la faculté de Bergen, elle a ensuite suivi 3 ans de formation à la faculté de Montrouge. Elle exerce en France. « En Norvège, la pédodontie n'est pas une spécialité reconnue : les chirurgiensdentistes s'opposent à la segmentation des données de compétences. Néanmoins, avec la Suède et le Danemark, elle est précurseur en matière de soins odontologiques pour les enfants. Dans les pays scandinaves, il y a une vraie prise en charge régulière dans des centres gérés par l'État. Si un enfant ne vient pas, on vient le chercher dans sa classe. Les visites chez le dentiste ne dépendent pas de la bonne volonté des parents. De plus, les soins sont gratuits jusqu'à 18 ans. En revanche, pour les adultes, les soins sont à 100 % à leur charge. En France, il n'existe pas de vraie politique de santé dentaire, comme en Scandinavie par exemple. »

À lire

Histoire de la pédodontie en Europe, des origines à l'aube du XXe siècle, de Marguerite Zimmer. Thèse de doctorat. Strasbourg : Université Louis Pasteur, 1993.

Odontologie pédiatrique au quotidien, de Frédéric Courson et Marguerite-Marie Landru, Rueil-Malmaison : CdP, 2005.

Le traitement de la douleur et de l'anxiété chez l'enfant, d'Annie Berthet, Dominique Droz, Marie-Cécile Manière, Chantal Naulin-Ifi, Corinne Tardieu. Paris : Quintessence international, 2006.