La couleur, côté laboratoire - Clinic n° 10 du 01/11/2009
 

Clinic n° 10 du 01/11/2009

 

RÉPONSE D'EXPERT

Imad GHANDOUR*  

> Notre expertProthésiste dentaire et titulaire d'un diplôme d'ingénieur en matériaux dentaires, il exerce dans son laboratoire de prothèse au Cannet et effectue des essais pilotes pour les sociétés Shofu, Vita et Sirona.

La détermination de la couleur des dents en vue de leur reproduction est difficile. Les difficultés sont certes liées à nos outils, à notre perception des formes et des couleurs mais aussi à la transmission des informations au laboratoire de prothèse. Face à cette masse d'informations pas toujours bien structurées, ni même recueillies, le technicien de laboratoire est démuni. Il porte ainsi la responsabilité d'un « échec » qui ne lui incombe pas exclusivement. Alors que faire ? Le point de vue du technicien est ici précieux, car c'est lui qui manie la matière pour donner naissance à la couleur.

Quelles sont les sources d'imprécision dans un relevé de couleur ?

La couleur est une notion que tout le monde comprend de façon intuitive mais qui est bien difficile à quantifier. Elle n'est qu'une sensation et n'existe que si notre appareil visuel capte le rayonnement électromagnétique et transmet l'information au cerveau. Malheureusement, l'oeil n'est pas un système de mesure ou un étalon. Il est trop sensible, flexible et réagit aussi bien aux influences extérieures qu'aux excitations émotionnelles. C'est ainsi que se posent le problème et les difficultés de notre profession.

Lorsque nous percevons la couleur d'un objet, beaucoup d'illusions d'optique naissent et nous trahissent. En effet, toute image ou couleur du monde extérieur est le produit d'une construction mentale des illusions visuelles. Ces illusions deviennent une voie d'accès aux règles de construction d'une image mentale. Celle-ci se forme au fond de l'oeil où elle est inversée, sans relief, mouvante, barbouillée de couleurs changeantes et mouchetée d'aberrations optiques.

Le cerveau remet ces scènes à l'endroit, interprète les couleurs, réinvente les couleurs cachées, supprime la tache aveugle où la rétine est dépourvue de cellules photosensibles (nerf optique), etc.

Mais, dans cette lourde entreprise, le cerveau en fait parfois trop : il construit tant et si bien qu'il finit par mettre du sens partout y compris là où il n'y en a pas ; c'est ainsi que naissent ces illusions visuelles (fig. 1).

Qu'est-ce que la couleur et comment la voyons-nous ?

La couleur n'est pas la propriété d'un objet mais plutôt l'interaction de la lumière avec l'objet. Si toutes les longueurs d'onde sont réfléchies, l'objet paraît blanc et si elles sont toutes absorbées, l'objet paraît noir. Par exemple : si une pomme est rouge, c'est parce que le corps de ce fruit a absorbé toutes les longueurs d'onde à l'exception de celles du rouge qu'il réfléchit (la couleur se décompose en 3 dimen-sions selon la roue de Munsell).

La luminosité est le facteur le plus important et correspond à la quantité de blanc ou de gris dans une dent. L'intégration chromatique d'une dent dépend à 80 % de ce paramètre. La saturation est la quantité de pigments de couleur dans la dent. La teinte ou la nuance est la variable qui nous laisse identifier si la dent tend vers la nuance jaune ou rouge. C'est le paramètre le moins important dans une couleur.

Les appareils électroniques de mesure de la couleur du monde entier sont fondés en premier sur le choix de la luminosité. La lumière réfléchie par la dent passe par 3 filtres (rouge, vert, bleu).

La dent et sa position en bouche influent également sur les couleurs. La dent absorbe les rayons. Certains rayons absorbés traversent la matière et sont réfractés, et d'autres sont réfléchis à la surface. Nous savons que plus l'état de surface d'une dent est « accidenté », plus la dent paraît lumineuse. A contrario, plus elle est lisse et plus elle absorbe la lumière pour paraître moins lumineuse (fig. 2).

L'oeil, enfin, reçoit les rayons réfléchis et réfractés. C'est ainsi que les problèmes démarrent car nous ne sommes pas égaux face à la lumière et à sa perception et, de surcroît, notre oeil perd de son acuité avec l'âge. Le cristallin devient plus jaune, nécessitant ainsi d'augmenter l'intensité lumineuse du plafonnier pour une rééquilibration des couleurs et leur détection correcte par notre cerveau.

La perception de la couleur de nos dents en bouche n'est pas la même au laboratoire. Par exemple, lorsque le praticien demande à son laboratoire de réaliser une dent en A3 ou en équivalent avec le teintier 3D Master® de Vita (2R2.5), il arrive très souvent que la couleur de la dent ne soit pas appropriée une fois que celle-ci est posée en bouche, malgré sa parfaite réalisation par le laboratoire de prothèses. La dent paraît souvent terne ou grise après son scellement ou son collage à cause de son environnement buccal. En effet, cet environnement est noir et rouge alors qu'au laboratoire de prothèses, même avec une lumière appropriée (plafonnier, lumière du jour), le travail s'effectue dans un environnement totalement différent.

En bouche, la gencive de couleur rouge/rose absorbe la saturation de la dent au niveau du collet. De même, le milieu noir de la bouche rend le blanc contenu dans les dents plus gris.

Pour remédier à cela, il convient de choisir une luminosité légèrement supérieure et une saturation d'un demi-ton plus pigmentée. D'après Yamamoto, éminent prothésiste japonais, un B3 d'une dent en bouche n'est autre qu'un A3,5 à réaliser au laboratoire (fig. 3 et 4) ou un 2M2 teinte d'une dent réalisée au laboratoire n'est autre que 3M1 en bouche sous la gencive.

Y a-t-il un outil infaillible face à nos yeux faillibles ?

Pour ma part, j'utilise les appareils numériques du type photocolorimètre (Vita Easyshade® Compact) qui mesure la couleur des dents dans leur environnement, entourées de gencive (fig. 5). Votre oeil s'éduquera et sera un complément d'information, comme un partenaire ou une assistante avec des yeux infaillibles.

L'appareil émet une lumière parfaitement calibrée évitant les sources d'erreur liées à la lumière ambiante. On réalise la balance des blancs comme pour la vidéo. Ensuite, on pose l'embout de cet appareil bien perpendiculaire à la dent, à 1,5 mm du collet, pour mesurer sa couleur. On peut effectuer 3 mesures sur les 3 parties de la dent (collet, milieu et incisal).

Au début, on est parfois surpris de s'apercevoir qu'il ne donne pas toujours des valeurs en concordance avec ce qu'on a vu. La raison en est que l'oeil détecte la couleur de la dent à travers l'émail. On ne voit jamais la vraie couleur de la dentine. Tout est erroné, car l'émail peut être blanc vanille, gris, rose, nacré, fin ou épais ! C'est pour cela qu'il faut toujours observer les canines ou les faces linguales des dents pour quantifier la couleur de la dentine (fig. 6).

Lors de la réalisation de la prothèse, le prothésiste partira sur une dentine plus saturée que ce qu'il souhaite atteindre. Cette saturation sera estompée par l'émail superposé. Par exemple, pour réaliser une dent de couleur 2M2, il faut utiliser la dentine 2M3. Le recouvrement de cette dentine par l'émail donnera une couleur finale de 2M2.

Le cabinet et le laboratoire de prothèse devraient être équipés d'appareils de prise de couleur numériques et, bien sûr, d'un appareil photographique car, comme vous le savez, une photo vaut mille mots ou un dessin coupé en deux.

« Collet orange » ou « dent transparente ++++» ou « fêlure brune » ou « émail gris » ou « taches blanchâtres », pour ma part, représentent un langage stérile ! Vos laboratoires ne pourront jamais vous donner un résultat précis si vous vous contentez de ce niveau de communication (fig. 7).

Quels conseils donnez-vous pour la prise de couleur ?

Les 10 règles d'or sont les suivantes :

1. Réaliser la photo de la dent avant sa préparation ou de la dent voisine et relever la couleur avec le colorimètre.

2. Réaliser la photo de la dentine une fois la dent préparée (si elle est pulpée) ou réaliser la photographie de la canine ou des faces linguales. Placer la dent du teintier (3D Master) dans le même plan. 3. Déterminer la couleur avec le colorimètre toujours avant l'anesthésie car la gencive est souvent blanchie, ce qui peut tout fausser. Photographier la dent dans au moins 3 positions : distale, centrale et mésiale. Cela permet au laboratoire de mieux voir l'émail pour l'architecture de son montage de poudre céramique.

4. Ne jamais prendre la couleur quand la bouche est restée longtemps ouverte. Elle sera trop blanche. 5. Une vérification visuelle de la couleur doit se faire très rapidement, à savoir en 3 secondes. Si on tarde, car on hésite, il faut changer de champ visuel. Regarder loin puis réessayer.

6. Si on tarde dans la détermination visuelle des couleurs, on choisira une luminosité plus basse. Par exemple, un A3 peut devenir C3 ou un 2M2 peut devenir 3M2. La première impression est toujours la meilleure.

7. Si on passe plus de 30 minutes sous le scialytique, on n'est pas capable d'avoir une acuité visuelle de 100 %. Il faut prendre la couleur au premier rendez-vous, à l'essayage de l'armature ou pendant des étapes antérieures.

8. Laisser de la place pour le prothésiste. Pour une couronne céramo-métallique, prévoir au minimum 1,2 mm et, pour une céramo-céramique, 0,9 mm sinon le résultat espéré sera difficilement obtenu.

9. Utiliser un éclairage lumière du jour 6 500 kelvins (température de couleur) à 2 000 lux (intensité lumineuse).

10. Utiliser un colorimètre donnant les 3 dimensions de la couleur car c'est le seul code fiable ou le seul langage précis pour communiquer avec le laboratoire (la couleur A3 d'une dent jeune n'est pas la même pour une dent âgée). Utiliser un teintier 3D Master® de Vita qui permet de différencier une dent jeune d'une dent plus âgée (2M2 jeune, 3M2 dent plus âgée). Le colorimètre augmente considérablement les possibilités dans le choix précis des couleurs.

Il faut rester tolérant avec soi-même et son laboratoire car la couleur reste une sensation. Elle est subjective. Cela dit, si l'on respecte les recommandations, on sera toujours proche du résultat à 85 % et on ne tombera pas dans l'aberration et les corrections qui obligent à tout recommencer.

Les cas présentés ici (fig. 8 à 11) ont été réalisés dans mon laboratoire sans que j'aie vu le patient. Les moyens de communications ont consisté en un colorimètre EasyShade® de Vita et des photographies transmises par Internet.

Lectures conseillées

  • 1. Chiche G, Aoshiama K. Restaurer le sourire. Paris : Quintessence, 2005.
  • 2. Sieber C. Motivation. Vita, 2005.

* e-mail : lab.ghandour@wanadoo.fr