Pierre DANA - Clinic n° 11 du 01/12/2009
 

Clinic n° 11 du 01/12/2009

 

INTERVIEW

Pierre Dana soigne des danseurs depuis de nombreuses années. Il nous livre quelques éléments résultant de l'observation de ces sportifs particuliers.

Qu'est-ce qui vous a amené à vous intéresser aux problèmes bucco-dentaires des danseurs ?

Je m'intéresse depuis très longtemps à ceux des musiciens. Ils m'ont adressé leurs amis danseurs...

La démarche est-elle la même avec les musiciens et avec des danseurs ?

Les problèmes ne sont pas identiques. S'il est vrai que les deux catégories jouent essentiellement avec leur corps, l'utilisation de ce corps ne se fait pas dans les mêmes conditions. Un musicien va utiliser toutes ses possibilités pour obtenir le meilleur « son » possible. Son matériau de prédilection est l'air qu'il forme et modèle, pour obtenir la vibration la plus parfaite selon la note désirée tout en respectant le rythme, la hauteur des notes, etc. On peut dire qu'il travaille en « deux dimensions ».

Pour le danseur, c'est différent. Il déplace son corps sur la scène et semble défier la pesanteur. Il doit percevoir en permanence les trois dimensions de l'espace et jouer avec. Les notions d'équilibre lui sont très familières et il perçoit rapidement les moindres changements qui surviennent et qui modifient sa posture.

En quoi la cavité buccale influe-t-elle sur la qualité de la pratique d'un danseur ?

Pendant le temps de sa danse, le danseur gère en permanence des phases d'équilibre et des phases de déséquilibre. Chaque mouvement effectué conduit à une perte d'équilibre, rattrapée aussitôt par un autre mouvement qui remet le corps en équilibre puis à nouveau replonge dans un déséquilibre, etc. La danse résulte d'un phénomène dynamique et surtout pas statique, et cette dynamique doit pouvoir s'exercer en toute liberté. Pour que l'harmonie règne sur cette pratique, chacun des éléments doit être performant.

Or si le corps, principal outil du danseur, forme un tout, il n'en est pas moins composé de différentes parties, interagissant entre elles et pouvant chacune présenter des dysfonctions. En premier lieu, on pense aux pieds, aux jambes ou aux bras, mais la cavité buccale, de manière insidieuse, peut être à l'origine de dysfonctionnements.

Quels dysfonctionnements peuvent se produire ?

Les dents peuvent avoir des lésions d'origines constitutionnelle, traumatique ou microbienne. Par manque de soins, la destruction de l'organe dentaire va avoir pour conséquence des répercussions sur la posture. Des extractions vont nuire à l'harmonie de l'arcade et entraîner des déséquilibres importants, surtout si les dents ne sont pas remplacées.

Les problèmes sont identiques à ceux que l'on rencontre chez les non-danseurs. Leurs conséquences sont simplement accrues du fait de la précision du geste et de la grande sensibilité des individus concernés.

Un jeune danseur m'a été adressé par son professeur car il n'arrivait pas à bien gérer ses sauts. Il avait l'habitude d'interposer sa langue entre ses dents au moment de la prise d'élan. L'examen a révélé la présence d'une dysmorphose et la nécessité d'un traitement orthodontique. Les résultats ont été rapidement probants. Quel que soit l'âge, une modification peut intervenir dans la cavité buccale (dents de sagesse en évolution, pose d'une prothèse, extraction). Cette modification peut être à l'origine d'une contre-performance du danseur.

Quel est le rôle particulier du chirurgien-dentiste ?

Curatif mais aussi préventif, et ce à tous les âges. Car il faut apprendre aux enfants comme aux adultes à gérer de manière physiologique un corps, qui est leur outil de travail, afin que l'exercice de l'art puisse perdurer le plus longtemps possible.

* Propos recueillis par Anne Chantal de DIVONNE